C’était le samedi 10 janvier 1981, on nous avait avertis que commencerait la prétendue offensive des guérilleros à l’échelle nationale. La 9ème compagnie était de garde, elle avait la section des urgences, elle était toujours présente dans la garde de prévention, c’était la section qui devait faire face à toute éventualité, elle était dirigée par le lieutenant Carlos Alberto Servellón Martínez. Nous avions beaucoup de respect et d’admiration pour lui, c’était une personne et je l’aimais comme un ami. Je commandais la section d’urgence, j’étais le soldat le plus ancien et avec le caporal Mario Cáceres, nous sommes allés patrouiller le matin autour de la ville, tout allait bien, nous avions fait trois rondes. Puis le lieutenant Servellón s’est approché, il conduisait le Jaibita[32], le chauffeur était accessoire car il conduisait lui-même.
– Viens, Trujillo - il m’a dit et m’a invité à monter dans la Jaibita
– La guérilla a décrété une offensive, toute l’armée se prépare à l’attaque - il m’a dit.
Quand nous sommes revenus à la caserne, nous avons vu des hommes arriver par groupes de deux, trois, jusqu’à quatre, ils demandaient le capitaine Mena. C’était le capitaine responsable de la caserne ce jour-là. Le chef de Service de la Caserne était Baltazar Antonio Baldosky, le capitaine de la Caserne était Francisco Mena Sandoval, le commandant de garde était le lieutenant David Rolando Leal Chacón, une personne qui était respecté de tous. Le capitaine responsable de la caserne Mena Sandoval a donné l’ordre au commandant de garde que quiconque venait le voir soit conduit directement au pavillon, personne ne s’attendait à un attentat contre la brigade. Longtemps après avoir compris cet événement, j’en ai encore les larmes aux yeux. Ce jour-là, après avoir compris la trahison, les larmes me sont montées aux yeux et je me suis souvenu de mon serment de soldat.
Quand j’ai prêté serment, j’ai dit :
– Je jure sur mon honneur de soutenir l’intégrité du territoire, de défendre le drapeau national comme l’emblème sacré de la patrie, de servir le gouvernement de la République et d’obéir, en toute occasion et malgré les risques, au supérieur qui commanderait même au prix de ma vie.
Dans mon unité, il y avait un sentiment de responsabilité et de loyauté, les soldats étaient des hommes dévoués et loyaux à la Patrie et nous obéissions avec un sentiment de profonde loyauté. Je ne comprenais pas comment cette trahison des supérieurs avait pu se produire.
À cette époque, j’appartenais à l’unité des Alacranes[33], qui ensuite changea son nom pour Cobra. On est passés sous les ordres du lieutenant Benjamín Augusto Echeverría, c’était un homme amer, il avait les cheveux comme du fil de fer, c’était un homme intraitable. Il ne retenait que le négatif, malgré tout, les soldats étaient disciplinés et loyaux.
Je me souviens qu’à 17 h 20, le trompette sonnait pour annoncer le repas, il était sur la muraille. Vingt minutes plus tôt, l’officier d’urgence m’avait dit d’envoyer la section d’urgence à la cantine pour être prêt en cas d’alerte. Quand ils sont rentrés, il était 17 h 20, le trompette sonnait, il y avait la queue à la cantine, le caporal Cáceres Hernández entrait, soudain de l’intérieur du pavillon du chef de l’exécutif, on a entendu une rafale de G-3, c’était effrayant, tout le monde était dans l’expectative, il y avait un lieutenant d’artillerie, qui essayait d’ouvrir la porte à coups de pied. Ce lieutenant d’artillerie Bonilla Salazar a commencé à tirer des obus de mortier 81 afin de faire sauter la porte pour découvrir ce qui était arrivé au responsable de l’exécutif.
Dans le pavillon où se trouvait le bureau du chef de l’exécutif, il y avait pas mal de munitions, une grande partie de la caserne a explosé et pris feu, j’en ai été témoin. Puis la nouvelle s’était répandu que les guérilleros avaient mis le feu, mais ce n’était pas le cas.
Deux chars Mazinger sont entrés dans l’enceinte de la caserne, c’étaient des blindés, munis de chenilles. Ils étaient à l’intérieur d’une petite salle, ils tiraient depuis les Mazinger, les soldats tiraient avec une .50 BMG.
Le capitaine Mena avait réussi à infiltrer des unités de guérilleros, et une fois dans la caserne il les avait mis en uniforme avec de l’équipement comprenant des uniformes et des casques, cela a créé la confusion, on ne pouvait pas distinguer qui était qui. C’est là que Cáceres Hernández est mort.
Dans les heures qui ont précédé, on avait vu une Jaibita sortir, à l’intérieur le capitaine Mena Sandoval et son assistant, tous deux en uniforme. Ils avaient environ 29 fusils dans la Jaibita, ce qui était suspect pour la garde dont je faisais partie.
– Et ces armes, mon capitaine ? - Je demande au capitaine de garde.
– C’est l’armement de mon unité, je reviens - il a répondu, le commandant de garde n’avait d’autre choix que d’acquiescer.
Avant que ne meure le colonel Váldez, il était de retour, mais il n’est pas revenu avec le capitaine Mena, l’assistant ou les armes. Personne n’a rien dit. Il est ressorti, et cette fois, il est sorti seul dans la jeep.
À l’intérieur de la caserne, on était tous en danger, il n’y avait pas de cantine. Sur le côté nord de la caserne se trouvaient des belvédères d’où les sentinelles étaient en sécurité, et d’où nous pouvions observer le déroulement des événements dans la caserne.
Le capitaine Cazo Verde appartenait à la section des transmissions, il portait sa carabine, j’avais mon fusil G-3. On était tous en position. L’attaque a commencé, la fusillade a commencé de l’extérieur, ils ont attaqué la garde, la Policía Nacional, la Policía de Hacienda[34]. Nous avons tous répondu de l’intérieur. À ce moment-là, le capitaine Mena rentrait en direction de la prison, en uniforme et chemise blanche à manches longues, il avait un pistolet à la main. On lui a dit :
– Stop - il s’est arrêté.
– Je suis le capitaine Mena, vous ne me reconnaissez pas ? - il a hurlé.
– Levez les mains, ou on vous explose la tête - j’ai répondu d’une voix déterminée à agir - Lâchez votre arme. - Il a levé les mains et quand il a lâché son arme, il a hurlé :
– Bon Dieu ! Vous ne me reconnaissez pas - Ça ne lui a pas servi à grand-chose. À ce moment-là, le commandant-colonel Servellón et le major Ernesto Vargas, désormais célèbre et connu sous le nom de Chato Vargas et homme politique de droite, sortait de la caserne. Il est sorti et quand il les a vus, Mena a suggéré :
– Ils veulent me tuer, mon capitaine - il a crié quand il a vu le capitaine Vargas et le colonel Servellón.
– Bon Dieu, soldats, vous ne voyez pas que c’est le capitaine Mena ? - il se sentait libéré. On lui a donné l’ordre d’aller se préparer pour aller patrouiller dans le parc Anita.
Le capitaine Mena est parti en courant et en quelques minutes il était équipé d’un nouveau fusil, d’un nouveau gilet pare-balles, d’un nouveau casque. On a donné l’ordre d’avancer.
Le capitaine Mena a crié :
– Suivez-moi Les Boinas Negras[35]; c’était une compagnie redoutée. Dans la 2ème brigade c’était la seule unité qui avait des bérets noirs, c’était une unité diabolique. La guérilla la craignait, cette unité était la lettre de présentation du commandant Mena.
Plusieurs l’ont suivi. La plupart des soldats qui l’accompagnaient faisait partie des deux sections de son unité qui étaient prêtes à le suivre, et certains étaient des guérilleros qu’il avait infiltrés ce jour-là dans la caserne. À ce moment-là, nous ne soupçonnions pas une telle trahison, mais maintenant qu’ils étaient en uniforme, il était difficile de les détecter, en raison des événements confus de ce jour-là. Quand ils sont sortis dans la rue, je les ai suivis, marchant à environ deux cents mètres derrière lui, quand nous sommes arrivés où se trouve l’entreprise de la Constancia aujourd’hui, le capitaine Mena était en visite à l’hôpital en haut de la gare, il était inondé de guérilleros, les voix à l’unisson criaient : Vive le commandant Manolo !
Le commandant Monolo était Mena Sandoval.
On a aussi entendu de l’autre côté de la gare le bruit d’un véhicule blindé qui approchait, le lieutenant Miranda Aparicio était aux commandes, c’était un grand officier, jeune et il avait le grade de sous-lieutenant.
Il a commencé à tirer sur les guérilleros, on a aussi commencé à tirer du côté des pompes funèbres, certains sont tombés sous les tirs croisés, ils sont restés dans la rue, d’autres ont sauté le mur de l’hôpital, on ne pouvait plus les suivre.
On est retournés chercher le canon, quand on est arrivés dans la 11ème rue, à environ 75 mètres il y avait un salon de coiffure appelé le Mondial de Santa Ana ; là, ils avaient construit une barricade faite de pierres entassées, près de la barricade il y avait une Mazda blanche, je me suis approché à environ dix mètres de la voiture. Soudain, j’ai vu une lumière blanche sous la voiture, un grand éclair, et la voiture a volé en l’air, elle a fait plusieurs tonneaux, l’explosion s’est calmée, les éclats se sont dispersés dans l’air, ce jour-là j’ai senti la main de Dieu me protéger. Il m’a protégé, si ces éclats d’obus m’avaient touché, j’aurais été transformé en chair à saucisse.
J’étais à moitié étourdi, j’ai tâté ma poitrine, je me suis senti mouillé, c’était du sang, sur mon menton il y avait un petit éclat d’obus, c’était un minimum de dégâts. On est revenu en cherchant la diagonale, à environ 100 mètres il y avait une bouche d’incendie ; je me suis allongé, tout à coup, du toit de la maison où je me trouvais, j’ai vu l’étincelle, comme les buscaniguas[36], je me suis jeté à terre, j’ai couru dix mètres et j’avais du mal à respirer, je me suis jeté à terre à nouveau, je n’ai vu que le bout du canon d’un fusil pointé sur moi, c’était une fille, on a commencé à lui tirer dessus, et en quelques secondes, on a entendu un poum ! Un coup sec sur le sol ; elle est tombée morte, elle portait un Galil[37], neuf. Dans cet échange de coups de feu, elle m’a tiré dans la jambe gauche, je le sens encore, j’ai senti la température d’une balle quand elle a impacté mon corps.
Je suis donc resté sans soin toute la nuit, le lendemain nous avons marché avec un officier, je ne me souviens pas de son nom, on est arrivés à l’église San Martín, ensuite on a marché à travers le stade, puis on est arrivés au village de San Antonio, par hasard, on est passés par l’endroit que je connaissais, c’était une auberge, qui s’appelait l’Aldeana, tout le monde me connaissait, je suis né et j’ai grandi dans cet endroit.
À ma grande surprise, j’ai vu ma mère à côté de l’auberge, observant la colonne de soldats qui avançait, personne ne s’est arrêté. C’est sûr qu’elle avait voulu me voir, elle était assise à côté de l’auberge. En la voyant, j’ai senti les prières de son cœur suppliant Dieu de me garder en vie, elle m’a regardé, j’ai vu son impuissance de ne rien pouvoir faire pour son fils, mais il y avait quelque chose de puissant, la prière. On est passés sans s’arrêter et on a avancé, on ne devait pas s’arrêter.
Nous sommes arrivés à l’école Guatemala, elle est au coin de la rue qui va à Chalchuapa et Los Naranjos. On a appris que l’école Guatemala était également prise par les guérilleros, et il y avait des véhicules et des camions d’une entreprise López, chargé de café, en travers de la route en plein matinée, c’était dimanche.
Dans une tranchée, il y avait un motard nommé Torrento, on lui a tous dit de ne pas prendre le risque de sortir jusqu’à ce qu’on ait exécuté le plan prévu, mais il n’a pas écouté l’instruction, il a essayé en levant la main et on lui a tiré une balle, il a perdu un doigt.
Sur le chemin de retour à la caserne, sur le bord de la route, il y avait des queues de civils de tous âges avec des cuvettes pleines de pain, d’atol[38], tamales[39], pupusas[40], comme s’ils savaient que la troupe n’avait pas mangé, ils nous servaient avec bonté et reconnaissance. C’était leur façon de dire merci. Au retour, nous sommes entrés dans la caserne, elle était presque détruite, les Corps de Secours avaient déjà maîtrisé le feu, il n’y avait que les décombres, les pompiers et les commandos de secours. Nous avons formé les rangs, le peu qui restait d’entre nous. À ce moment-là, un pompier sortait avec un morceau de vingt centimètres dans les mains, et le major Ernesto Vargas a ordonné :
– Garde à vous, fixe ! - on a tous obéit.
– Nous avons devant nous le cadavre du colonel Valdez - c’était un homme robuste, aux yeux perçants. Dans les mains du pompier, maintenant il était réduit en un seul morceau.
Le major Vargas nous a demandé :
– Ne nous abandonnez pas au moment où la Patrie en a le plus besoin.
Nous, tous hommes loyaux, savions et nous nous rappelions notre serment auquel nous étions attachés. De là, on est sortis avec des cris de guerre dans la rue, on est partis vers Metapan.
Une unité est partie à l’école Guatemala, on n’a jamais su pour quelle raison.
Entrer à Metapan nous a coûté un combat acharné...