Journal Du Général Fantin Des Odoards, Étapes D'un Officier De La Grande Armée, 1800-1830
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Journal Du Général Fantin Des Odoards, Étapes D'un Officier De La Grande Armée, 1800-1830

  1. 414 pages
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Journal Du Général Fantin Des Odoards, Étapes D'un Officier De La Grande Armée, 1800-1830

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« Relation solide et précise des Campagnes d'Autriche en 1805, de Pologne en 1807, d'Espagne en 1808, de Russie en 1812, d'Allemagne en 1813, de France en 1814, de Belgique en 1815. » p 60 - Professeur Jean Tulard, Bibliographie Critique Sur Des Mémoires Sur Le Consulat Et L'Empire, Droz, Genève, 1971

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Informations

Éditeur
Wagram Press
Année
2015
ISBN
9781786254252

CHAPITRE I

Un début dans la vie militaire en 1800. — Une garnison de province. — L’invasion de l’Angleterre.

Turin, 1er thermidor an VIII.
Une liaison de l’enfance avait pris avec l’âge le caractère de la plus vive passion. J... et moi, nous entretenions mutuellement l’espoir de lui devoir le bonheur. Notre union ne blessant en rien les convenances sociales, nous nous imaginions que nos parents n’y apporteraient pas d’obstacles. Vains projets ! Un instant a vu détruire ces douces illusions. Mon père a prononcé un refus irrévocable...
J’ai dit adieu à la maison paternelle, je me suis arraché d’Embrun, qui désormais m’est odieux, et, à 22 ans, j’ai embrassé la carrière des armes.
Un général qui me veut du bien a eu le crédit de m’obtenir une sous-lieutenance d’infanterie et, depuis hier, je porte l’épaulette.
Je ne serai pas le premier que l’amour aura jeté dans un état auquel il n’était pas destiné.
Mon régiment est en garnison à Turin, où l’on présume qu’il ne fera pas un long séjour.
Turin, 14 thermidor an VIII.
Après la désastreuse retraite de l’année dernière, Turin était tombé entre les mains des Austro-Russes, ainsi que toutes nos conquêtes d’Italie. La mémorable bataille de Marengo vient de nous rendre ces belles contrées. Puissent-elles ne plus nous échapper ! Cette terre est avide du sang français. Dans tous les temps elle s’en est abreuvée ; aussi les Italiens l’appellent-ils notre tombeau.
L’ancien souverain du Piémont n’est pas revenu dans sa capitale pendant que ses alliés l’ont occupée. Il a probablement entrevu le revers de la médaille. Cette principauté est aujourd’hui régie par un gouvernement provisoire qui fait des lois sous le bon plaisir de la France. Il est difficile de prévoir le sort qui lui est réservé. Les Piémontais partisans du nouvel ordre de choses prétendent subsister en république indépendante ; leurs antagonistes espèrent le retour du Roi. Peut-être les uns et les autres seront-ils déçus. En attendant, les deux partis, exaspérés par les vengeances particulières qu’ont amenées les vicissitudes de la guerre, sont toujours prêts à en venir aux mains. Le brigandage et l’anarchie sont au comble dans les provinces ; et il est difficile que le fantôme de gouvernement que nous avons créé puisse ramener l’ordre.
Aoste, 20 fructidor an VIII.
J’ai quitté Turin, il y a huit jours, avec un détachement de mon corps pour aller tenir garnison à Ivrée. A peine arrivé dans cette ville, l’officier général qui y commande m’a attaché à son état-major, ce qui me paraît devoir m’être avantageux sous le double rapport de l’avancement et de l’agrément.
Depuis avant-hier j’accompagne mon général qui fait une tournée dans l’arrondissement dont il est gouverneur. Ce voyage me vaut le plaisir de voir la cité d’Aoste.
La ville occupe le fond d’une belle vallée qui avait naguère le titre de duché d’Aoste. C’est par cette vallée que Bonaparte a pénétré dernièrement en Italie, après avoir franchi le mont Saint-Bernard. Plusieurs ponts coupés, nombre de maisons récemment incendiées et les ruines du fort de Bard attestent le passage de l’armée de réserve et la retraite de l’ennemi.
Ivrée, 9 vendémiaire an IX.
Ce n’est pas sans raison que je présumais que mon admission à l’état-major me serait avantageuse. Sur la demande de mon général, je viens d’être promu au grade de lieutenant adjoint aux adjudants-généraux. Pour un débutant, ce n’est pas mal aller ; mais Dieu sait ce que me garde l’avenir.
De retour d’Aoste, mon général a poursuivi la tournée de son arrondissement. Le bourg de Cavaglia, situé entre Ivrée et Bielle, est renommé par ses vins, et son curé, dit-on, soigne plus sa cave que sa bibliothèque. Instruit de ces particularités, le général, qui voulait dîner dans cet endroit, me fit prendre les devants pour prévenir M. le curé de la visite intéressée qu’il comptait lui faire. Je crois que l’homme d’église se serait fort bien passé de semblable honneur ; mais il se résigna de bonne grâce, et nous eûmes un repas passable. Le vin fut jugé digne de sa réputation et si peu épargné qu’en partant de Cavaglia les dragons de l’escorte avaient peine à garder l’équilibre à cheval.
Nous couchâmes le même jour à Bielle, ville peuplée de sept à huit mille âmes, placée à sept lieues d’Ivrée et neuf de Verceil, dans un pays aussi fertile que riant. Là nous attendaient des revues de garde nationale, des bals, un théâtre d’amateurs et des repas sans fin. Les habitants de Bielle paraissent de bonnes gens et leurs femmes savent encore mieux exercer l’hospitalité. Chaque peuple a toujours assigné à telle ou telle de ses provinces le privilège de la sottise par excellence. Les Grecs avaient la Béotie, nous la Champagne ; les Piémontais ont le Biellais, et à l’appui de leur opinion ils citent une foule de traits plaisants.
Mon général a avec lui sa maîtresse. C’est une des plus belles femmes de Turin. Grâce, amabilité, coquetterie, elle a tout ce qui séduit. On ne peut lui reprocher qu’un peu trop de célébrité. Cette enchanteresse voyage habituellement avec son amant parce que celui-ci, connaissant les inclinations de Madame et la fatalité attachée à l’absence, n’aime pas à s’en séparer. Le lendemain de notre arrivée à Bielle, il fut résolu de faire une excursion au monastère de l’Oropa, lieu fameux par ses pèlerinages et les miracles de sa Madone. La belle Piémontaise en avait fait la demande avec d’autant plus d’instance qu’il fallait passer par Andorno, couvent de religieuses où est cloîtrée une de ses sœurs qu’elle disait aimer beaucoup et n’avoir pas vue depuis dix ans. Nous partons avec une suite nombreuse, nous parcourons une chaîne de jolies collines et nous arrivons au couvent d’Andorno. On sonne : la tourière émerveillée fait un signe de croix en apercevant nos armes et nos panaches. L’amazone s’approche, se nomme, demande à voir sa sœur. La tourière rentre et bientôt le parloir s’ouvre. Nous entrons ; des sucreries nous sont servies suivant l’usage, mais personne ne se montre. Enfin reparaît la même tourière, mais c’est pour annoncer que la religieuse refuse de voir sa sœur, qu’elle gémit de ses égarements et de la savoir en aussi mauvaise compagnie et qu’il ne lui reste plus qu’à prier pour sa conversion. A ce compliment naïvement rapporté, nous nous regardons en riant ; mais Madame Fal... ne prend pas la chose aussi gaiement. Furieuse, elle déclame dans sa langue avec une volubilité rare, contre cette sœur qu’elle appelle sotte, bigote et dénaturée ; puis s’élance hors du couvent, saute sur son cheval et part comme un trait.
Cette aventure mit d’abord un peu de tristesse dans notre caravane, parce que, Madame étant taciturne, il n’était pas décent de rire ; mais le nuage fut bientôt dissipé, et nous arrivâmes en très bonne humeur au monastère de l’Oropa. Les étrangers qui ont rendu ce lieu célèbre n’y ont pas été tous attirés par le même motif. Les uns sont des dévots qui viennent de cent lieues en pèlerinage et par troupes nombreuses pour demander des grâces à la Vierge ; les autres, des curieux de toutes les nations, surtout des Anglais, qui aiment à jouir du contraste qu’offrent de vastes et pompeux édifices élevés à grands frais dans un lieu sauvage, au milieu d’énormes masses de rochers. Les religieux, accoutumés à voir des étrangers de marque, reçurent le général avec aisance et politesse. L’entrée de leur maison étant permise aux femmes, ils ne furent pas scandalisés de voir M. le gouverneur accompagné de son épouse et on les conduisit à l’appartement d’honneur.
Pour nous, petits personnages de la suite, après avoir reconnu le réfectoire, où ne fut pas épargné un certain vin, vrai breuvage d’élu, on nous assigna des cellules proprement meublées. Le reste de la journée se passa à visiter l’intérieur de ce magnifique monastère qui ressemble plutôt à la demeure d’un prince qu’à l’asile d’une société de cénobites.
Aller à l’Oropa sans voir la Madone, c’est aller à Rome sans voir le Pape, et, d’ailleurs, faire preuve d’irréligion. Aussi le général ne manqua-t-il pas de solliciter cette faveur. A l’entrée de la nuit, nous l’accompagnâmes à l’église, où nous trouvâmes tous les religieux qui s’étaient réunis pour nous honorer d’une bénédiction pompeuse. La Madone était hors de sa niche, entourée d’une multitude de cierges, et je pus la voir à mon aise. C’est une petite statue en bois dont on n’aperçoit que le visage qui est fort noir. Sa coiffure et ses vêtements étaient étincelants de pierreries que l’on dit d’un grand prix. L’église est richement ornée. Je ne sais si l’impression que produisent en moi les cérémonies religieuses n’est que le résultat des préjugés de l’éducation. Je ne pouvais m’empêcher d’une certaine émotion en écoutant ces chants graves qu’interrompaient, à intervalles égaux, les sons d’un orgue plus grave encore, et en voyant des moines, une jolie femme et un groupe de militaires incliner la tête devant le même autel.
Pignerol, 25 vendémiaire an IX.
Mon général ayant passé au commandement d’une autre partie du Piémont, ce changement m’a amené à Pignerol.
Les mœurs des habitants se ressentent du voisinage de la France et de celui des vallées vaudoises. Ces vallées sont l’asile où se réfugièrent, il y a plusieurs siècles, des sectaires que les croisades et les persécutions les plus atroces n’ont pu détruire et, plus récemment, une foule de malheureux calvinistes chassés du midi de la France par les dragonnades. Circonscrits dans des vallées étroites qu’ils ont su fertiliser, et d’où l’intolérant gouvernement piémontais les empêchait de sortir, les Vaudois ont toujours conservé une physionomie peu analogue à celle des Piémontais. Ils sont Français par les mœurs, les usages et la langue, conséquemment grands partisans du nouvel ordre de choses.
Les Piémontais sont loin d’être du même avis en politique : les uns sont aises de l’expulsion de leur ancien gouvernement ; les autres le regrettent ; et dans des têtes aussi sulfureuses, il n’est pas de fermentation sans dangers. Il n’est donc pas étonnant que les querelles qui résultent de cette différence d’opinion amènent ici des scènes sanglantes.
Le peuple de Pagno, village à peu de distance de Saluces, vient de donner une preuve de sa haine pour les innovations françaises en coupant un arbre de liberté planté au centre de sa commune et en égorgeant trois villageois accusés d’attachement au parti français. Aussitôt un ordre émané de Turin prescrit le désarmement de Pagno et l’arrestation des individus les plus marquants de l’endroit et condamne ses habitants à payer une contribution extraordinaire. Mon général devait lui-même mettre cet arrêt à exécution, mais il a jugé à propos de m’en charger. Je suis donc allé dans le village coupable avec un fort détachement, et, sans éprouver la moindre résistance, je me suis acquitté de ma désagréable mission. J’aurais voulu faire tomber les arrestations sur les auteurs de l’émeute, au nombre desquels se trouve le vicaire de la paroisse ; mais prudemment ils avaient pris la fuite. Ce n’a pas été sans peine que j’ai résisté aux prières et aux larmes des familles des otages que j’ai fait arrêter et conduire à Turin ; mais il fallait obéir. L’article de la contribution a été le plus long à exécuter : les paysans tiennent aux espèces. Cependant, comme ma troupe devait vivre à discrétion dans le village jusqu’à parfait paiement, il a bien fallu se résigner. Cette opération m’a retenu huit jours à Pagno. Je logeais dans la maison du vicaire fugitif, dont la cave, parfaitement meublée, m’a donné une idée avantageuse des vins du pays et des habitudes du propriétaire. D’après mes instructions, je devais encore faire replanter l’arbre de la liberté sur la place publique. C’est par là que j’ai fini. A cette occasion, j’ai donné un bal où les habitants faisaient la mine et dansaient en rechignant, n’ayant pu se dispenser d’y venir. Cette scène burlesque m’a un peu dédommagé de l’ennui des jours précédents.
Alexandrie, 14 ventôse an X.
J’ai quitté la carrière de l’état-major. J’eusse préféré continuer à la suivre, mais on ne m’en a pas laissé le choix. J’ai eu la maladresse de me brouiller avec mon général, et peut-être mon avancement en souffrira-t-il.
Pourquoi diable aussi mon général s’avisait-il d’avoir une maîtresse coquette et d’en être jaloux ? Et voilà comment j’ai passé, dans mon grade de lieutenant, à la 31e demi-brigade d’infanterie légère qui tient garnison à Alexandrie.
Il y a peu de villes plus agréables en Piémont. Son théâtre et ses ridotti sont très suivis. Les Alexandrines sont vives, passablement jolies et point trop cruelles ; mais les hommes, et principalement ceux des villages de sa banlieue, sont les plus méchants garnements du pays. Les routes qui y aboutissent sont tellement infestées de voleurs qu’il faut y marcher en caravane. Ces désordres ne sont pas nouveaux ; sous le gouvernement royal, ils existaient au même degré. Il est difficile de croire combien peu il en coûte ici à un homme pour tuer son semblable. Un meurtre y est une bagatelle dont on parle à peine. On voit des hommes d’un âge mur raconter les crimes de ce genre qu’ils ont commis dans leur jeunesse avec autant de complaisance que nous rappelons nos espiègleries de collège. Celui qui a tué son ennemi d’un coup de poignard ou de pistolet par-derrière peut impunément reparaître dans ses foyers ; personne ne lui ferme sa porte. Il semble même avoir acquis une certaine importance. On le considère comme s’il avait tué son homme en duel et à armes égales. Chaque village a sa fête patronale, à laquelle accourent les jeunes gens des environs. Ainsi qu’ailleurs, la religion n’est que le prétexte de semblables réunions. On y danse, on y joue, on y boit et rarement la fête se termine sans qu’il y ait du sang répandu. Ces scènes sont si fréquentes que la jeune villageoise qui en est témoin n’en continue pas moins à danser. L’impunité a familiarisé avec le crime en Piémont. Il y avait, sous l’ancien gouvernement, tant de moyens d’échapper à la vengeance des lois qu’à peine un assassin sur vingt recevait la punition méritée. Les maisons des grands seigneurs et les églises servaient d’asile aux criminels, et, ce qui paraît plus monstrueux, il suffisait d’endosser l’habit militaire ou de se cacher pendant un certain temps pour n’être plus recherché. Il est résulté de cette inconcevable indifférence que celui qui s’est défait de son ennemi craint plus les parents ou les amis du mort que les tribunaux. On s’est habitué à se rendre justice soi-même. Les jeux de hasard amènent souvent de ces discussions qui finissent tragiquement. Les Piémontais, qui les aiment à la fureur, y sont, dans toutes les classes, d’une adresse peu commune. On est friponné chez un marquis comme dans une taverne. Si la jalousie fait donner quelques coups de stylet, il s’agit d’une maîtresse. Les Italiens en général sont aujourd’hui passablement indifférents sur la conduite de leur femme. Il n’y a nulle part de maris plus commodes. Il paraît qu’en cela les mœurs ont subi quelque altération. S’il en était autrement, l’Italie serait bientôt dépeuplée.
C’est aux portes d’Alexandrie que s’est livrée cette mémorable bataille de Marengo, qui nous a valu de nouveau la possession de l’Italie. Peu de victoires ont été aussi disputées. Sans Desaix, celle-ci était probablement aux Autrichiens. J’ai vu avec un respect religieux l’endroit où ce brave compagnon de Bonaparte a été atteint du coup mortel.
Suze, 9 prairial an X.
Il me faut dire adieu à l’Italie ; ma demi-brigade rentre en France et se rend à Besançon. Je quitte à regret cette belle contrée et je fais des vœux pour y revenir un jour.
Givet, 30 nivôse an XI.
Un ordre inattendu a fait partir ma demi-brigade de Besançon pour Givet. J’avais été prévenu contre ma future garnison et en y arrivant je l’ai regardée comme un lieu d’exil ; mais j’ai bien changé d’avis. Les places de guerre ont certains avantages pour les militaires ; on les y accueille parce qu’on a besoin d’eux, et il est peu de maisons qui ne leur soient ouvertes. Il n’en est pas de même dans une grande ville : les officiers s’y introduisent difficilement dans la bonne société, parce que rien ne balance le préjugé que les maris et les mamans entretiennent contre eux. Ici, au bout d’un mois, nous avons eu accès dans toutes les familles ; des bals ont été donnés et rendus, des concerts périodiques se sont établis, et, qui plus est, nous avons trouvé quelques actrices pour compléter la société dramatique que nous avons formée. Nos représentations, qui ont lieu deux fois par semaine, se composent d’une pièce italienne et d’une pièce française. Quantité de nos camarades étant Italiens, et plusieurs ayant des femmes de leur nation, il a fallu adopter ce mélange pour concilier tous les goûts. Il faut admirer la patience avec laquelle nos bénévoles spectateurs écoutent des sons inintelligibles pour eux, car la belle langue de Métastase est connue à Givet comme à Pékin ; si du moins la pantomime était assez expressive pour donner une idée de l’action ; mais y a-t-il au monde chose pire qu’une pantomime d’amateurs ? La pièce française, que nous avons soin de jouer la dernière, vient heureusement dérider les physionomies ; c’est toujours un vaudeville ou une comédie du genre le plus gai. Alors pleuvent sur nous des bravos et des applaudissements qu’assurément la cabale n’a pas commandés. Je trouve un tel plaisir dans ce genre d’amusement, pour lequel j’ai toujours eu un goût décidé, que je joue dans les deux langues, tour de force que je ne hasarderais pas devant un parterre italien. Les concerts valent mieux que notre théâtre, parce que la musique du corps possède des artistes précieux, Italiens et Allemands ; les bals sont fort animés ; la valse est la danse favorite des belles ...

Table des matières

  1. Page titre
  2. PRÉFACE
  3. CHAPITRE I
  4. CHAPITRE III
  5. CHAPITRE IV
  6. CHAPITRE V
  7. CHAPITRE VI
  8. CHAPITRE VII
  9. CHAPITRE VIII
  10. CHAPITRE IX
  11. CHAPITRE X
  12. CHAPITRE XI
  13. CHAPITRE XII
  14. CHAPITRE XIII
  15. CHAPITRE XIV
  16. CHAPITRE XV
  17. CHAPITRE XVI
  18. CHAPITRE XVII
  19. CHAPITRE XVIII
  20. CHAPITRE XIX