Qu’en est-il de la psychothérapie aujourd’hui ? S’agit-il d’un énième service à la personne ? De la construction, de l’application d’une véritable science de l’humain ? S’agit-il au contraire d’une métaphysique, le thérapeute est-il un nouveau directeur de conscience, le successeur du prêtre dans un monde athée ou bien est-il devenu un simple technicien reprogrammeur, un médecin dépourvu de médecine ? Un marchand de bien-être, voire de bonheur ? Le public a ses propres attentes et les gouvernements en Europe comme dans tous les pays développés s’activent désormais à encadrer ce nouveau champ disciplinaire qui se développe de façon exponentielle depuis un demi-siècle. Des intérêts économiques sont en jeu, des luttes corporatistes se déchaînent pour en revendiquer l’exclusivité1. Différents corps professionnels : psychiatres, psychologues, psychanalystes s’en disputent en effet le monopole. Des organismes tutélaires en souci d’autoréglementation : syndicats, groupements de praticiens, fédérations d’écoles, s’appliquent parallèlement à rassembler les acteurs n’appartenant à aucune de ces catégories homologuées mais soucieux malgré tout d’affirmer et de garantir les conditions de leurs pratiques selon leurs propres exigences et critères qualitatifs.
Une question de titre :
Officiellement défini « praticien de la thérapie par la parole » le psychothérapeute moderne, nouvel acteur en santé mentale, s’est de fait taillé une place importante aujourd’hui dans les mentalités. Ce titre d’exercice longtemps resté autoproclamé est parvenu à s’imposer peu à peu dans le champ des métiers hors de toute validation universitaire éveillant les convoitises. Il a fait l’objet en France durant quelques décennies de nombreuses et laborieuses tentatives de législation de la part de l’État. La promulgation en 20042 et la mise en application en 2012 d’une loi réglementant son utilisation s’est avérée aussi réductrice qu’insatisfaisante aux yeux d’un grand nombre de ses usagers traditionnels. Après une campagne menée tambour battant sous le signe du soupçon (de charlatanisme) cette loi n’exige finalement du psychothérapeute que des connaissances de type académique et ne lui demande aucune exploration particulière de son propre psychisme, aucun travail sur soi dont on pourrait pourtant penser qu’il puisse être en rapport direct avec sa fonction. Rien de surprenant si l’on reconnaît que la majorité des législateurs, à défaut d’être des praticiens, ne peuvent qu’adhérer à l’épistémologie dominante de l’époque et appréhender spontanément les relations humaines sur un mode rationnel imprégné de logique causale, voire mécaniste, fidèle aux paradigmes scientistes à l’honneur en Occident depuis Descartes.
Dans la même logique, ces législateurs seront perpétuellement tentés de favoriser les méthodes les plus objectivantes au prétexte qu’elles sont plus rapides, plus efficaces et que leurs effets en seront plus mesurables, plus en adéquation avec les outils, les valeurs et les finalités d’une culture néolibérale éprise de logique et de contrôle des individus. Ce constat nous rappelle plus que jamais que nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins. Il nous signifie que le temps est venu (le kairos3), qu’il est nécessaire, voire impératif de faire connaître dès maintenant et de partager une vision du métier de psychothérapeute autre que celle dans laquelle la loi française actuelle tente de nous enfermer. Nous pouvons pressentir d’ores et déjà que les enjeux de cette réflexion sur la psychothérapie vont nous entraîner bien au-delà de la simple revendication d’une approche parmi d’autres au cœur d’un métier « dans l’air du temps » : ils concernent au contraire des orientations en passe de devenir hautement significatives pour l’évolution future des rapports humains dans nos sociétés et pour les générations à venir.
Se définir autrement
La destitution légaliste brutale et injuste d’un certain nombre de psychothérapeutes chevronnés les a conduits à revisiter eux-mêmes et à énoncer les principes fondateurs de leur métier sur la base d’un demi-siècle d’expérience, au risque de se retrouver « hors du cadre réglementé »4. Les années 70 avaient été pour beaucoup d’entre eux particulièrement riches en apprentissages expérientiels, et foisonnantes de créativité. Influencés par la pénétration de la phénoménologie et de la philosophie existentielle dans les sciences humaines, ils se sont davantage reconnus dans une conception délibérément humaniste de la vie relationnelle. Rassemblés (dès 1966) au sein d’organismes qu’ils ont dû créer pour se forger une identité partagée et protéger leurs intérêts, on les retrouve aujourd’hui répartis au sein de deux syndicats (le PSY’G et le SNPPSY) et de deux fédérations d’écoles (L’AFFOP et la FF2P). En désaccord avec la représentation étatique de leur métier et fidèles à leurs propres exigences quant à la formation indispensable pour le pratiquer (tout particulièrement à l’impérieuse nécessité pour le futur thérapeute d’un véritable « travail sur soi5 »), ils ont choisi de se différencier des psychothérapeutes officiellement labellisés en se dotant d’un nouveau titre d’exercice : celui de psychopraticiens de la relation.
Il s’agissait dorénavant de distinguer clairement les psychothérapies de nature prescriptives - thérapies directives utilisant des méthodes et des techniques propres à induire un changement pré-orienté chez le patient - des psychothérapies de nature relationnelles dont l’effectivité repose essentiellement sur la relation qui s’instaure entre patient et thérapeute, relation qui devient alors le levier principal de tout le processus en action. En remettant ainsi le dialogue au cœur du rapport soignant/soigné, cette prise de position resitue la psychothérapie moderne dans la tradition des plus anciennes démarches spirituelles et philosophiques de l’humanité. Elle l’éloigne ainsi radicalement des pratiques médicales ou psychotechniques à visées curatives et l’insère dans un tout autre champ épistémologique qu’il nous incombe de redéfinir. Les découvertes scientifiques de pointe auront peu d’impact sur son évolution, même si elles en éclairent parfois les fondements de façon inattendue6. Les technologies innovantes non plus, malgré leur attrait en termes d’accessibilité7 et leurs promesses de rentabilité. Encore allons-nous devoir explorer plus avant ce concept de relation qui prend dans un cadre à vocation thérapeutique une résonnance bien différente de son sens le plus usuel.
La relation.
Donner priorité à la relation comme opérateur d’une transformation psychique revient à s’écarter selon nous de tout projet volontariste de modifier ou de reprogrammer le fonctionnement mental d’autrui, car rien n’est plus impossible à anticiper que la relation qui va s’instaurer entre deux sujets humains. Les adeptes du cognitivo-comportementalisme ont dû admettre à l’usage les limites de leur action en dehors de quelques applications rééducatives bien délimitées. Autant chacun reconnaît volontiers l’importance de la relation dans la réussite d’un traitement, autant la plupart la considèrent seulement comme un adjuvant facilitateur du contrat thérapeutique conçu par ailleurs selon le modèle médical traditionnel soignant/soigné. Les occurrences du mot relation lui-même sont d’autre part de plus en plus nombreuses dans le langage courant. Les expressions comme créer des relations, avoir de bonnes relations (éventuellement un bon relationnel !) évoquent hab...