Psychopilules

Pour une utilisation éthique et stratégique des médicaments psychoactifs

Alberto CAPUTO, Roberta MILANESE, Giorgio NARDONE

• Éditeur: Enrick B. Editions
• Année: 2018
• ISBN:
  9782356442772
• Sujet: Social Sciences
• Sous-sujet: Sociology

Toute vie est faite de hauts et de bas. Il est donc légitime de se demander s'il est vraiment nécessaire d'interpréter chaque souffrance ou difficulté en termes de trouble psychologique. Les manuels diagnostiques ont connu un développement significatif de leurs catégories qui finissent par comprendre pratiquement tous les types de maux. C'est ainsi que les traitements pharmacologiques connaissent un succès croissant, pour la plus grande joie de l'industrie pharmaceutique. Les intérêts économiques tiennent un rôle non négligeable en la matière, si l'on considère le nombre de patients potentiels. Tout cela a nourri la tendance actuelle consistant à prescrire des médicaments psychoactifs avec une facilité extrême, et cela même par des médecins non spécialistes. Pourtant, ces médicaments ne sont pas toujours utiles et peuvent se révéler dangereux. Dans tous les cas, il faut les connaître et les administrer avec précaution, étant donné leurs considérables effets secondaires. L'objectif de cet ouvrage est de répondre aux questions suivantes: sommes-nous tous fous? Est-il vrai que les troubles mentaux sont des maladies du cerveau? Comment fonctionnent les médicaments psychoactifs? Qui devrait en prendre? Qui ne devrait surtout pas en prendre? Psychothérapie et médicaments psychoactifs constituent-ils deux approches contradictoires dans le traitement des troubles psychiques? Comment faire un bon usage des médicaments psychoactifs?

CHAPITRE IV

Connaître les médicaments psychoactifs

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Certaines pilules de pharmacie nous soignent au moins de la tristesse d’avoir perdu tant de boutons de notre blanchisserie intime.

Ramón Gómez DE LA SERNA

Un médicament psychoactif est un composé chimique capable de franchir la barrière hémato-encéphalique et d’influencer l’activité psychique, qu’elle soit normale ou pathologique. On distingue généralement cinq grandes catégories de médicaments psychoactifs : les anxiolytiques, les hypnotiques, les antidépresseurs, les antipsychotiques et les stabilisateurs d’humeur.

IV.1. Les anxiolytiques

Tous les médicaments capables d’abaisser le niveau d’anxiété sont considérés comme des anxiolytiques ou « tranquillisants mineurs ». Les benzodiazépines, qui en constituent la principale classe, ont supplanté les barbituriques dans les années 1960 car tout à la fois plus sûrs et produisant moins d’effets secondaires. Leur usage a été de plus en plus important, jusqu’à ce qu’ils constituent la catégorie de médicaments psychoactifs la plus utilisée dans les pays occidentaux et se voient dédier une chanson par les Rolling Stones en 1966 : The mother’s little helper (« le petit assistant de la maman »). Effectivement, les benzodiazépines sont majoritairement utilisés par des femmes, avec un rapport de deux pour un par rapport aux hommes. Leur facilité d’usage et le peu d’effets secondaires qu’ils provoquent ont fait de ces médicaments l’apanage des médecins généralistes, à l’origine d’une diffusion toujours plus grande et souvent inappropriée.

Les benzodiazépines agissent sélectivement sur les récepteurs du GABA (acide gamma-aminobutyrique), le principal neurotransmetteur inhibiteur. En augmentant la réponse au GABA, ces substances produisent une inhibition généralisée de l’activité du système nerveux central avec, pour conséquence, une diminution de l’anxiété, une tendance à la somnolence et un effet myorelaxant.

Les benzodiazépines agissent quelques minutes après leur prise : rares sont les médicaments qui peuvent rivaliser avec elles en termes d’efficacité, d’immédiateté d’action et de basse toxicité aigüe. Utilisées pendant un court laps de temps, celles-ci peuvent se révéler très utiles dans divers troubles cliniques, et parfois même sauver la vie des personnes : que l’on pense à leur usage dans les services d’urgence et comme thérapie du syndrome malin des neuroleptiques (SMN) ou dans les crises d’épilepsie. Cependant, leur usage prolongé peut comporter d’importants effets secondaires et, surtout, une dépendance. C’est la raison pour laquelle les benzodiazépines peuvent être définies comme des molécules « ambivalentes ».

En 1988, le Comité sur la sécurité du médicament britannique a suggéré que les benzodiazépines soient réservées à des usages à court terme, deux à quatre semaines maximum.

Conventionnellement, les benzodiazépines sont divisées en sous-groupes en fonction de leur durée d’action. C’est cette durée qui détermine l’utilisation préférentielle du médicament pour le traitement des états anxieux ou pour les troubles du sommeil.

Les benzodiazépines vendues en Italie et en France (en gras) sur la base de leur durée d’action

Long terme	Moyen terme	Court terme	Très court terme
	BROMAZÉPAM Compendium Lexotan Lexomil	ALPRAZOLAM Frontal Mialin Xanax Valeans	MIDAZOLAM Ipnovel Buccolam
CLONAZÉPAM Rivotril Klonopin	CLOTIAZÉPAM Rizen Veratran	BROTIZOLAM Lendormin	TRIAZOLAM Halcion Songar
CLORAZÉPAM Clorazepam	ETIZOLAM Depas Pasaden Pas d’AMM en France	ESTAZOLAM Esilgan ProSom Nuctalon
CHLORDIAZÉPOXIDE Librium Librax Seren Vita	LORMETAZÉPAM Minias Noctamide	OXAZÉPAM Limbial Serpax Seresta
DIAZÉPAM Aliseum Ansiolin Noan Tranquirit Valium Vatran	NITRAZÉPAM Nordaz	PINAZÉPAM Domar
FLURAZÉPAM Dalmadorm Felison Flunox Remdue Valdorm Pas d’AMM en France		TÉMAZÉPAM Euipnos Normison
HALAZÉPAM Paxipam
KÉTAZOLAM Anseren Solatran
NORDAZÉPAM Madar Notte Nordaz
PRAZÉPAM Prazen Lysanxia
QUAZÉPAM Quazium Pas d’AMM en France

(Le nom de la molécule est en capitales, son nom commercial en romain.)

(AMM signifie autorisation de mise sur le marché.)

IV.1.1. LE PROBLÈME DE LA DÉPENDANCE AUX BENZODIAZÉPINES

Plusieurs facteurs entrent en jeu pour expliquer l’augmentation progressive de la consommation de benzodiazépines. D’abord, ces médicaments sont depuis toujours plus utilisés pour gérer les symptômes liés à des conditions normales de stress de la vie quotidienne que pour les troubles psychiques proprement dits, conformément à la tendance contemporaine à recourir à des médicaments pour fuir une condition de mal-être ou de souffrance. Ensuite, la grande disponibilité des benzodiazépines sur les marchés légaux et illégaux (le fameux « marché gris ») et le manque de vigilance dont sont parfois responsables médecins et pharmaciens contribuent à véhiculer le message que ces médicaments peuvent être gérés pratiquement comme ceux qui sont en vente libre. En réalité, pour les personnes qui les utilisent sur le long terme ou en abusent, le problème réside dans la capacité des anxiolytiques à induire une dépendance, tant psychologique que physique, qui se manifeste au bout de quelques mois – et parfois quelques semaines – de prise. La personne dépendante aux benzodiazépines peut développer un véritable symptôme de sevrage en cas de réduction drastique ou d’interruption brutale, avec des caractéristiques qui varient en fonction de la durée d’action (brève, moyenne ou longue). Le syndrome de sevrage étant beaucoup plus intense pour les benzodiazépines prises quotidiennement à court et moyen terme, on peut tenter de prévenir ce phénomène en remplaçant le médicament pris sur le moyen terme par un autre ayant une action prolongée (comme le diazépam) en en diminuant progressivement la dose. Le traitement aux benzodiazépines doit donc être le plus bref possible et géré par un spécialiste.

La découverte de l’extrême facilité avec laquelle ces médicaments peuvent induire une dépendance a contribué à leur – relatif – déclin à partir des années 1980 puis à leur éviction par les ISRS, qui bénéficièrent d’une impressionnante sponsorisation.

IV.1.2. LE RECOURS CHRONIQUE AUX BENZODIAZÉPINES PEUT-IL DÉCLENCHER LA M...

Table des matières

• Couverture
• Titre
• Copyright
• Préface de Giorgio Nardone
• Liste alphabétique des principales abréviations utilisées
• Introduction
• CHAPITRE I - Sommes-nous tous devenus fous ?
• CHAPITRE II - Un médicament pour chaque maladie, une maladie pour chaque médicament : Comment l'industrie pharmaceutique contribue à nous « rendre malade »
• CHAPITRE III - Les troubles mentaux sont-ils des maladies du cerveau ?
• CHAPITRE IV - Connaître les médicaments psychoactifs
• CHAPITRE V - Utilisation éthique et stratégique des médicaments psychoactifs
• CHAPITRE VI - « Faire avaler la pilule » : ce n'est pas uniquement une question de chimie
• Conclusions
• Bibliographie