C’est en raison de l’existence de cette présomption qu’il appartient à l’accusation de démontrer que le prévenu est coupable, et donc de prouver que les éléments constitutifs de l’infraction sont réunis. Ce principe fondamental en droit pénal, quel que soit le pays dans lequel il a vocation à s’appliquer, a, en droit français2, en droit international3 et en droits européens4 une valeur supérieure. Il fait pleinement partie des exigences du procès équitable.
a) De la présomption d’innocence à la présomption de culpabilité : une inversion opportune de la charge de la preuve
Dans la série Murder, le principe est globalement respecté. Ainsi, le Public Attorney (dont le rôle s’apparente à celui du procureur de la République lors de l’enquête, ou du juge d’instruction lors de l’instruction) multiplie les investigations pour trouver des éléments à charge contre chacune des personnes poursuivies et renverser la présomption d’innocence. La recherche du « coupable » est une obsession du Public Attorney qui mobilise parfois des moyens importants pour ne pas laisser une affaire non élucidée. Il faut rappeler qu’aux États-Unis, le rôle de l’accusation du ministère public comporte un double enjeu : rendre la justice, certes, mais aussi, voire surtout, faire « carrière », puisque le taux d’affaires « résolues » conditionne l’évolution du Public Attorney vers d’autres fonctions : ses fonctions judiciaires sont souvent un tremplin pour une carrière politique ultérieure5.
La recherche de la preuve de culpabilité, de cet élément accablant contre lequel l’avocat de la défense ne pourra pas lutter, s’avère donc cruciale et aide considérablement l’intrigue de la série dans la mesure où il faut non seulement connaître la vérité, mais également la prouver. À ce titre, il convient de relever que le style narratif de la série évolue selon qu’il s’agit de l’énigme générale ou des énigmes propres à chaque épisode. Concernant l’énigme générale, la vérité – du moins, une partie – est connue très rapidement, et toute la question est de savoir si elle est susceptible d’être prouvée. À l’inverse, s’agissant des énigmes propres à chaque épisode, la vérité éclate au tout dernier moment grâce à l’obtention d’une preuve in extremis…
Pourtant, lorsque cela s’avère opportun, il s’opère une inversion de la charge de la preuve. Le cas St. Vincent développé dans l’épisode 2, « Tel père, telle fille », en est une bonne illustration. La victime, Marjorie St. Vincent, a été poignardée 16 fois et son mari, Max St. Vincent, est présenté comme le « tueur présumé », en violation parfaite de la présomption d’innocence. Les circonstances de l’infraction l’accusent et il n’y a aucun autre suspect. Lorsque Annalise récupère ce dossier, de nombreux éléments à charge pèsent déjà sur son client. L’enjeu n’est pas anodin, car si le téléspectateur ne prête certainement guère attention à l’utilisation de cette formule, le pénaliste y voit une inversion grossière de la charge de la preuve, obligeant l’avocat de la défense à prouver l’innocence de son client au lieu de se « contenter » de contrer les accusations lancées contre lui.
Il convient de relever que cette inversion est fréquente dans les médias. Lorsqu’ils évoquent une affaire criminelle, ils procèdent très fréquemment de la même façon, alimentant à leur manière le caractère spectaculaire de la justice pénale. En France, l’affaire Lelandais, qui a défrayé la chronique judiciaire en 2018, en est un parfait exemple. Des éléments à charge ayant été découverts, les médias ont présenté ce suspect comme le coupable, alors même qu’aucun tribunal n’avait encore statué. De la même façon, on entend souvent l’expression « présumé coupable », bien qu’elle soit juridiquement inexacte.
Face à la pression médiatique, les textes érigeant le principe de la présomption d’innocence comme principe directeur du droit pénal se révèlent n’être qu’un « mur de papier » traduisant une réalité bien différente : la violation presque quotidienne de la présomption d’innocence. La France ne fait pas exception, les gros titres des médias inversant allègrement la charge de la preuve pour présenter une affaire criminelle en indiquant, par exemple, « M. X, présumé auteur de l’infraction ». Il est tellement plus simple et audible de présenter les procédures de la sorte ! Mais pour l’avocat de la défense, une telle présentation ne peut que porter atteinte à son client. Présenté comme coupable pendant des années, il aura du mal à convaincre une juridiction de son innocence, même si, de ce point de vue, il semble que les juges, davantage rodés à ce type de procédés, soient moins influençables que des jurés6.
Il convient aussi de rappeler que le caractère accusatoire de la procédure (celui de la série) favorise une telle présentation. En effet, la procédure accusatoire est jonchée d’audiences préliminaires lors desquelles le public est présent. À l’inverse, en France, la phase préliminaire est essentiellement secrète, même si certaines audiences peuvent être publiques7, et ce, afin de préserver, notamment, la présomption d’innocence. Historiquement, comme indiqué dans l’introduction, la procédure accusatoire est plus populaire puisque deux parties privées s’opposent dans un cadre public. Dans la procédure inquisitoire, ce sont les juges qui mènent les investigations, secrètement, et les parties privées n’en sont que l’objet.
Le concept juridique de « présomption d’innocence », pourtant présent dans les deux procédures, semble trop abstrait pour être expliqué dans une série, aussi cède-t-il la place à une « présomption de culpabilité », avec l’idée que, finalement, il n’y a pas de fumée sans feu. Dès lors, si des soupçons portent sur un individu, celui-ci doit nécessairement avoir quelque chose à se reprocher ; il est présenté comme déjà coupable des faits qui lui sont reprochés, ce qui fait naturellement pencher la balance du côté de l’accusation. Pour échapper à une probable condamnation, c’est alors au suspect d’apporter la preuve de son inno...