Maître de conférences HDR de droit public, Faculté de droit, de science politique et de Management de Nice, École universitaire de recherche, Directeur adjoint de l’École doctorale DESPEG ED 513, Directeur du Master 2 Droit et Procédures fiscales de l’entreprise et du Master 1 Droit public parcours Fiscalité, CERDACFF-UPR 7267 – Université Côte d’Azur, France
Le thème qu’il m’a été proposé de traiter n’est sans doute pas novateur1 mais il est au cœur d’une actualité brûlante et d’une crise sans précédent depuis la seconde guerre mondiale par son ampleur internationale. La réponse apportée par la France au travers du soutien financier et de l’utilisation de l’impôt aux difficultés rencontrées par les activités économiques est-elle, tout comme la réponse sanitaire, si singulière ?
L’interventionnisme fiscal n’est qu’une facette de l’interventionnisme étatique, incarnation de l’État providence, décrié depuis les années 80 et remis en cause au nom d’un État minimum2 et d’une meilleure « maitrise » des dépenses publiques.
L’impôt, en dehors de sa fonction essentiellement financière, peut être utilisé à des fins économiques ou sociales soit sous la forme d’allègements fiscaux, soit sous la forme d’une imposition accrue, soit sous la forme d’une pénalisation de certaines activités contraires à la morale ou à caractère licencieux.
C’est la première option qui a été choisie par la France et par d’autres États3 confrontés à la pandémie. Si la gestion administrative et politique de la pandémie a pu être qualifiée de « chaotique4 » en termes d’organisation bureaucratique (souffrant de lourdeurs et de lenteurs administratives, de contradictions dans le diagnostic ou la prise de décision) et de perspectives ou de risques sanitaires, on ne peut en dire autant de la réaction politique sur un plan fiscal et financier. Elle s’inscrit dans un cadre législatif et réglementaire assez foisonnant5, évolutif dans sa temporalité et dans ses effets6.
Pour autant, l’outil fiscal doit être utilisé avec prudence. Ainsi que l’affirmait déjà de façon péremptoire et radical un rapport remis au Premier ministre il y a plus de 25 ans, dans un chapitre consacré à l’équité par l’impôt7 « l’impôt n’est pas un outil à tout faire. Les missions économiques et sociales de la fiscalité se concilient difficilement avec sa fonction financière. L’expérience montre que le coût budgétaire des mesures d’incitation fiscale doit être très important pour une efficacité économique et sociale jamais garantie. La dépense fiscale offre rarement les qualités de finesse et de clarté que présente la dépense budgétaire directe et elle conserve généralement une grande inertie dans le temps. En se pérennisant, elle finit par créer de véritables droits acquis fiscaux, voire des rentes ». Le « Quoi qu’il en coûte », doctrine affichée et « assumée8» par le Président de la République est un pari sur l’avenir fondé sur la relance de l’économie mais il risque d’être un fardeau fiscal à moyen et long terme pour les contribuables. Un observateur averti9 a, bien avant cette pandémie, mis en évidence que « les mesures fiscales accaparent le débat mais elles sont instrumentalisées au service de la communication, voire des « coups politiques », au détriment d’une présentation cohérente des finalités ». En utilisant l’outil fiscal et financier, l’État a certes fait preuve de volontarisme.
Mais derrière l’affichage politique, y a-t-il une véritable stratégie économique et fiscale ?
Les mesures fiscales ne doivent pas seulement être annoncées. Elles doivent aussi être financées.
Le Gouvernement s’est donné pour objectif de renforcer la compétitivité et de soutenir l’emploi. Mais la fiscalité joue un rôle multiforme tant en termes de rendement qu’en termes d’attractivité ou de répartition des charges fiscales. Ainsi que le souligne le Conseil des prélèvements obligatoires10 « les politiques menées en France au cours des dix dernières années en matière de prélèvements sur les entreprises ont été largement marquées par le souci d’améliorer la compétitivité des entreprises et de rendre le territoire national plus attractif aux investisseurs étrangers… Les mesures d’allègements d’impôts décidées par le législateur n’ont pas les mêmes effets sur les différentes catégories d’entreprises selon l’impôt ciblé ».
La mise en œuvre du levier fiscal comme réponse à la crise sanitaire reste conditionnée à trois paramètres qui sont autant de limites aux marges de manœuvre du pouvoir politique : la pertinence de l’instrument fiscal, son caractère nécessairement temporaire et son efficacité à court ou moyen terme. Dans le présent contexte sanitaire, ces trois paramètres prêtent à interrogation.
I. LA PERTINENCE OU NON DU LEVIER FISCAL
La pertinence de cet outil repose à la fois sur la cible préalablement déterminée et sur son efficience. Mais a-t-il été bien ciblé ? (A) Est-il vraiment efficient ? (B)
A. Une instrumentalisation de l’impôt (mal ou qui aurait pu être mieux) ciblée
L’État français a, dès le début de la crise sanitaire, entendu faire prévaloir, de façon inédite, la préservation de la santé des Français face à la pandémie sur l’économie. Le premier confinement a été une mesure brutale par son immédiateté consécutive à la mise en place d’un État d’urgence et ayant pour effet de limiter, à titre temporaire, l’exercice des libertés tant personnelles qu’économiques. Face à la paralysie de l’activité économique, l’utilisation de l’impôt est apparue comme une réponse possible à la décision politique de blocage délibéré de l’économie.
Le premier confinement a conduit à un effondrement de l’économie et des recettes fiscales durant le second trimestre de l’année 202011. La mise en place du prélèvement...