Jusqu'au bout de mes peines
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Jusqu'au bout de mes peines

Chronique d'une juge de l'application des peines

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Jusqu'au bout de mes peines

Chronique d'une juge de l'application des peines

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À propos de ce livre

Les peines prononcées par les tribunaux sont-elles exécutées? Comment le sont-elles? Bérangère Le Boedec-Maurel répond à ces questions en nous livrant des portraits d'hommes et de femmes, qu'elle suit en tant que « JAP » (juge d'application des peines). Elle nous fait partager sa confrontation à la violence sexuelle, conjugale, routière, aux trafics de stupéfiants dans le cadre de la mise à exécution et de l'aménagement des peines d'emprisonnement ou de probation. Avec son regard de juge, elle nous fait découvrir la misère économique et morale de criminels et délinquants, la détresse de leurs victimes. Elle nous fait part de ses échecs face à la récidive. Elle décrit les parcours de celles et ceux qui parviennent à s'extraire de la délinquance pour s'insérer dans la société. Comme le soulignent Christian Saint-Palais et Aurore Boyard dans leurs préfaces, « elle nous ouvre la porte de son cabinet » et nous fait découvrir « ce monde d'après ».

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Informations

Année
2021
ISBN
9782356449009

DEUXIÈME PARTIE

Les soirs

– I –

Les montagnes de Bretagne

Frère et sœur de cœur, c’est ainsi que j’avais perçu ce couple qui n’en était pas vraiment un. Je ne sais ce qui était le plus désespérant dans leur cas. Leur incommensurable candeur, leur totale immaturité, leur délinquance (fruit d’une bêtise sans limite), l’incapacité de la société à les avoir un tout petit peu armés pour la vie et sa rudesse, leur inadaptation à cette société, l’impossibilité pour la justice pénale de traiter efficacement leurs cas, à tous deux. Car ils étaient tout le temps deux, mais pas vraiment un.
Les petites juridictions ont cela de formateur qu’elles contraignent les juges à occuper plusieurs fonctions. Bien que désignée à occuper les fonctions spécialisées de juge de l’application des peines pour ce qui était encore le tribunal de grande instance (et, depuis janvier 2020, le tribunal judiciaire) d’Alès, j’étais amenée à y siéger comme assesseure aux audiences correctionnelles et à présider certaines d’entre elles. C’est au cours d’une de ces audiences que comparurent ces deux jeunes gens – un homme et une femme. Sans domicile fixe, ils avaient fait l’objet d’une incarcération provisoire par le juge de la liberté et de la détention. L’homme était âgé d’une trentaine d’années, et la jeune femme, d’une dizaine d’années plus jeune. Il s’agissait d’une « petite affaire », sans grand intérêt sur le plan juridique et dont la matérialité était d’une consternante banalité.
Il serait facile et un peu méprisant de croire, que dans nos petites juridictions, il n’y aurait que de « petites affaires ». Il y a parfois une forme d’arrogance judiciaire chez certains des magistrats qui travaillent dans les juridictions des grandes métropoles et qui se persuadent d’avoir le monopole des dossiers économiques et financiers ou fiscaux, de droit pénal de l’environnement, de droit pénal du travail, de l’urbanisme ou de la criminalité un peu organisée. Il est vrai que l’existence de grands pôles judiciaires spécialisés (les juridictions interrégionales spécialisées), des pôles de santé publique ou d’accident de transports collectifs, de parquets et tribunaux à compétence nationale, étaye un tel regard sur l’activité des collègues de « campagne ». Pour avoir, dans mes précédentes vies professionnelles, travaillé au niveau ministériel et international, être intervenue devant des commissions parlementaires, avoir participé à l’élaboration de plans d’envergure nationale, je conserve une certaine distance par rapport à de tels positionnements. Si j’ai voulu être magistrate, c’était précisément pour m’éloigner de cet univers et revenir à un peu plus d’humanité – comme celle de ces deux prévenus.
Ils étaient poursuivis devant le tribunal correctionnel dans le cadre d’une comparution immédiate pour des vols et des filouteries de carburant. Ils avaient été interpellés alors qu’ils quittaient précipitamment une station d’essence, après avoir fait le plein de leur voiture en « omettant » de régler le pompiste. L’enquête réalisée avait omis d’établir qu’au cours des jours précédents, ils auraient commis plusieurs vols de denrées alimentaires. Ils avaient été reconnus par les victimes, durant la garde à vue comme dès le début de l’audience – dont ils n’avaient pas demandé le report comme ils en avaient le droit. Ils avaient reconnu l’intégralité des faits, mais leurs casiers judiciaires respectifs étaient vierges de toute mention. L’audience avait donc été pour moi l’occasion de les questionner précisément sur leur parcours de vie, afin de mieux comprendre pourquoi ils en étaient arrivés à commettre ces infractions. Ils étaient marqués par leur brève détention. Ils nous avaient expliqués être originaires du nord de la France. Se connaissant depuis peu, ils avaient toutefois conçu, de manière concertée, un projet de vie ensemble. Qui en avait vraiment eu l’idée ? Ils ne savaient pas. Venus d’une grande métropole, ignorant tout des métiers du monde paysan, ils souhaitaient élever des animaux. Leur rêve commun était de vivre en montagne, entourés de leurs bêtes. Leur périple les avait amenés jusqu’aux portes des Cévennes, où ils n’avaient aucune attache. Ils n’avaient pas de contacts, pas de terres, pas de budget – pas d’argent du tout d’ailleurs. Et, pour parfaire le tout… c’était en Bretagne qu’ils projetaient de s’installer. Je ne parvins pas à comprendre pourquoi ils étaient venus dans le Gard si leur projet était de s’installer en Bretagne. Mais je ne sais lequel d’entre nous tous, eux compris, fut dans la plus grande stupéfaction quand je leur demandais pourquoi exactement en Bretagne, alors qu’ils voulaient faire de l’élevage en montagne. Ils répondirent, étonnamment presque d’une même voix, que c’était bien là qu’ils voulaient s’installer. Pour connaître un peu cette région, je me permis alors de leur préciser que, sans faire injure aux Bretons, je craignais pour mes candidats à l’élevage montagnard que le point culminant de Bretagne, les monts d’Arrée, ne dépasse pas les 385 mètres d’altitude. Pour rappel, dans les Cévennes gardoises, le mont Aigoual, lui, atteint les 1 567 mètres. Je crois que si je leur avais dit que l’on pouvait vivre sur Mars, ils auraient été moins abasourdis. Tout s’effondrait autour d’eux : un monde de rêves s’écroulait douloureusement dans le prétoire. On devinait les nuits passées à deviser, à imaginer, à dessiner dans leurs têtes leur ferme idéale. Tout avait été emporté par le vent violent de la réalité et la violence du propos d’un juge. Ils se cherchaient du regard, figés dans une totale incompréhension. Nous avons cru qu’ils allaient avoir un malaise. Puis, lentement, ils se ressaisirent. Finalement, après s’être encore regardés quelques instants, ils convinrent, toujours d’une même voix, que la Bretagne devait être une belle région pour vivre malgré le manque d’altitude. Je ne pus masquer un sourire. Comment, moi, aurais-je pu ne pas acquiescer à une telle remarque pleine de bon sens, pour une fois ?
Leurs connaissances en élevage étant égales à leurs connaissances en géographie, on pouvait douter de la réussite de leur projet, mais non de sa sincérité. Combien en voyons-nous de ces bâtisseurs de châteaux en Espagne, ou ailleurs, doux rêveurs, adolescents attardés ? Parfois ils ont le discours, mais pas l’authentique engagement, d’anarcho-libertaires sans la moindre formation idéologique, d’altermondialistes de circonstance, de marginaux en rupture de ban avec la société mais n’ayant pas toujours choisis leur marginalité, d’animalistes ou anticorridas aujourd’hui et zadistes le lendemain. Pour la grande majorité d’entre eux, ils ne présentent aucune réelle dangerosité criminologique, pas même sociétale. Mais, lorsqu’ils comparaissent devant nous, c’est qu’ils ont cédé à la tentation de commettre des délits opportunistes. C’était bien le cas de mes deux « éleveurs ». Ils qualifiaient leur relation de fraternelle : une véritable relation fusionnelle s’était créée entre eux. L’homme répondait ainsi spontanément aux questions posées par le tribunal à son amie, et inversement. Lorsqu’ils évoquaient leur rencontre et leur relation, des larmes apparaissaient chez chacun d’eux. Quant à leurs délits ? Ils n’en percevaient pas la gravité, même toute relative, en tout cas pour eux. Ils ne connaissaient ni les termes, ni le concept, mais leur discours était celui de la « récupération prolétarienne ». Nous les avons condamnés, légèrement selon nous, et ils étaient repartis libres du tribunal. La peine prononcée étant aménageable, ils avaient été immédiatement convoqués pour se présenter devant moi, cette fois comme juge de l’application des peines.
*
Il est bien entendu que les juges sont les défenseurs d’un certain ordre social, puisqu’ils appliquent les lois de la société. Ce n’est pas nous faire injure que de le dire et, quand on est magistrat, il faut l’assumer. Ce n’est pas pour autant que l’acte de juger est hostile à la marginalité, à la différence. Ce que nous avons pour devoir de juger et de sanctionner, ce sont les actes illégaux. Rien d’autre. Il y a toujours des marginaux. De tous temps, durant l’Antiquité, au Moyen Âge, aux temps des Lumières comme à ceux de l’Empire ou de la République enfin affirmée sur ses récentes fondations, il y a eu des femmes et des hommes qui ont choisi de vivre en marge. La société les a le plus souvent tolérés. C’est peut-être la révolution industrielle qui a fait que l’on ne supporte plus que certains des membres de la société ne participent pas à un monde de labeur, de rémunération et de commerce. Pour un juge, qui doit laisser ses convictions à la porte du palais de justice, seule compte la loi. On ne réprime plus la simple mendicité, même plus le racolage et la prostitution. On ne réprime plus, et c’est une excellente chose, la différence dans l’orientation sexuelle, et la loi reconnaît le changement de sexe et le mariage entre personnes du même sexe. La différence n’est pas un délit, la marginalité n’est pas un crime. Mais la société n’admet pas que le choix de la marginalité, de la différence puisse justifier le passage à l’acte délictueux. Car le choix de cette liberté vient alors se confronter au principe fondamental que toute liberté trouve ses limites dans celles d’autrui. Cette liberté vient alors buter contre des principes constitutionnels que sont le droit à la vie, le droit de propriété… Être marginal, ce n’est pas être hors de la société et de ses règles.
*
C’est ce que mes deux aspirants agriculteurs ne parvenaient pas à entendre et à comprendre. C’est la raison pour laquelle notre nouvelle rencontre n’eut jamais lieu. Le soir même, alors qu’ils quittaient la maison d’arrêt de Nîmes, auprès de laquelle les formalités de levée d’écrou venaient d’être accomplies, ils furent interpellés alors qu’ils tentaient de voler un véhicule pour revenir sur Alès. Les juges du tribunal de Nîmes n’avaient pas dû apprécier. Le couple avait cette fois été condamné à de l’emprisonnement ferme avec un mandat de dépôt sur audience. Les deux inconscients étaient repartis immédiatement en prison et, à leur nouvelle peine, allait s’ajouter celle que nous avions prononcée, soit un total de plusieurs mois de prison. Je fus bien entendu informée de la situation et de ce que le « rendez-vous » ne serait pas honoré. Quel gâchis ! Est-ce que le choc carcéral a donné du sens à la peine exécutée ? Ont-ils poursuivi en commun leur chemin ? Lorsqu’ils ont été libérés, vers quelles montagnes sont-ils partis ?

– II –

« Je veux voir ma juge ! »

On parle parfois de sacerdoce en évoquant le métier de magistrat. C’est peut-être un peu excessif. On évoque parfois, entre magistrats, notre credo en la loi et notre foi en l’homme (et la femme). Quoi qu’il en soit, il nous faut impérativement croire : croire en l’utilité sociale et individuelle de ce que nous faisons, croire en la justesse et l’applicabilité de nos décisions, croire dans les capacités de ceux qui comparaissent devant nous à entendre et à comprendre. Et, pour un juge de l’application des peines, il faut sans cesse croire en la capacité de ceux qu’il suit à avoir un comportement qui les rend aptes à vivre en société et conformément à ses règles. Aussi, il faut parvenir à ne pas désespérer. Ne pas désespérer d’eux tous. Ne pas désespérer de la société elle-même, ni de notre administration qui ne nous donne pas les moyens de remplir correctement cette mission en laquelle nous croyons (mais peut-être sommes-nous les seuls ?) et que nous vivons comme essentielle, envers chacun de nos concitoyens et le collectif social tout entier. Croire et ne jamais désespérer.
Il y a matière pour croire et il y a matière pour désespérer.
Et, certains soirs, une fois l’œuvre du jour accompli, il est tentant de ne plus croire et de désespérer. Tel fut le cas avec ce multirécidiviste d’une trentaine d’années. Condamné à de nombreuses reprises à des peines d’emprisonnement de plus en plus longues, il n’ignorait rien du fonctionnement des tribunaux et des prisons. Son parcours de vie, sa personnalité, son comportement, ses choix et ses absences de choix, sa pathologie, son niveau d’instruction lui avaient valu d’exécuter le plus souvent la quasi-totalité de ses peines ; sans obtenir, mais il est vrai sans souvent le solliciter, un aménagement de peine. Il avait une nouvelle fois été condamné pour des faits de violence, mais cette fois le tribunal n’avait pas prononcé un mandat de dépôt. Il comparaissait donc devant moi en homme libre, après m’avoir saisi d’une demande d’aménagement de sa peine.
Le premier entretien avec lui fut fastidieux. Son dossier et lui-même étaient presque caricaturaux : pathologie psychiatrique, passé de toxicomane transformé en une dépendance aux substituts de stupéfiants, cumul de traitement médicaux, faibles capacités de concentration et d’analyse réduites par la pharmacopée, résistance des plus minimes à la frustration, immaturité et impulsivité, difficulté à verbaliser et passage à l’acte violent d’autant plus rapide, insertion familiale aléatoire, insertion professionnelle inexistante.
Pour le juge, il faut devoir se débrouiller avec ça et prendre, bien entendu, la meilleure des décisions.
Il se défendait seul – le monde de l’application des peines n’est pas encore très investi par les avocats. Il se présentait donc sans préparation. Le SPIP avait eu le plus grand mal à constituer un semblant de dossier et n’était pas parvenu à me proposer une mesure alternative à l’incarcération. Clairement, c’était le retour en prison. Mais quelle utilité pouvait-elle avoir pour lui qui connaissait les moindres recoins du seul établissement pénitentiaire du département ?
Comment punir ?
En réponse à cette question, en 2002, la Commission nationale consultative des droits de l’homme recommandait « d’adopter une approche pragmatique même si elle se heurte inévitablement aux demandes de l’opinion qui attend des réactions simples et fortes et des résultats immédiats. Elle recommande aussi de maintenir les principes de nécessité et de proportionnalité, de garantir la personnalité et l’évolutivité des peines et enfin de mieux assurer l’efficacité de la sanction […] ». Ce travail fait sur la peine et son sens commence avec le procureur qui, à mon sens, doit savoir expliquer dans ses réquisitions la nature et le montant de la peine qu’il requiert, comme son utilité individuelle et sociale. Il se poursuit avec le juge de jugement qui doit, selon moi, savoir expliquer la peine qu’il prononce et, en tout cas, ne pas la jeter au visage du condamné, mais prendre le temps qu’elle soit entendue pour être assimilée, emportée, digérée et peut-être admise, sinon comprise. Trop de prévenus et parfois accusés n’ont strictement rien compris de la peine requise et encore moins de la peine prononcée. Il suffit qu’elle soit un peu complexe dans sa nature ou dans ses modalités, que s’y assortissent des peines complémentaires ou accessoires, qu’elle s’accompagne d’obligations ou interdictions, et alors le prévenu saoulé par un trop-plein d’informations se voit déjà sollicité par un greffier pour signer divers documents qu’on ne lui laisse pas le temps de lire (une autre affaire est déjà appelée par le président d’audience) ou déjà menotté par une escorte qui l’extrait du box et de la salle d’audience. Alors, si la peine est plus complexe qu’un sursis ou qu’une peine de prison ferme, la plupart des condamnés arrive dans le bureau du juge de l’application des peines sans toujours avoir compris ce à quoi ils avaient été condamnés. Le travail des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) permet de mettre en place un filtre et un préalable d’explications. Mais, exception faite du chef d’entreprise, de l’enseignant, du trafiquant de stupéfiants ou du cambrioleur « professionnel », exception faite, la population qui s’assied en face de moi exige que je prenne un temps, parfois considérable et parfois vain, pour tenter de faire comprendre très exactement la peine qui a été prononcée et, pire encore, son aménagement. Ils connaissent l’existence du « bracelet ». Tous. Les plus roués ou madrés savent ce que sont les jours-amende. Et, si plupart sont informés de l’existence des travaux d’intérêts général, rares sont les demandes spontanées pour effectuer un tel travail et s’y soumettre. Comment punir ? Comment aménager la peine ?
Le dossier n’était pas bon, mais je ne parvenais pas à voir quelle serait l’utilité d’une incarcération, autre que celle d’une neutralisation temporaire, d’un ostracisme carcéral. Je proposais alors à mon interlocuteur un placement sous surveillance électronique et je traduisis par « un bracelet » ; ce qu’il comprit alors aussitôt et accepta sans ambages. Le SPIP n’y était pas favorable et le parquet encore moins. Mais, en définitive, je décidais de cette mesure – croire et ne pas désespérer. Avant même que le dispositif du bracelet électronique ne soit installé, je fus informée des premières difficultés. Cet homme ne s’était pas présenté pour l’accomplissement des formalités de mise sous écrou. Contacté, il évoqua avoir tout simplement perdu sa convocation. C’est incroyable le nombre de personnes convoquées ou suivies par la justice qui perdent leurs convocations. Tout aussi incroyable que leur capacité à nous affirmer, tous, que le lundi suivant, ils doivent commencer une formation ou un emploi dont ils n’ont quasiment jamais le justificatif. Mais ils nous l’assurent, nous le jurent : lundi. En dépit de tout, et parce que je me refusais encore à une incarcération, j’acceptais de lui proposer une nouvelle date pour effectuer les formalités qui permettraient d’appliquer la surveillance électronique. Nous y parvînmes – croire !
Quelques jours seulement après la mise en place du dispositif de surveillance électronique, on m’alerta sur le placement en garde à vue de mon « protégé », comme me le disait un collègue du parquet, pour des faits de rébellion et d’outrage à personne dépositaire de l’autorité publique, commis alors même qu’il était sous surveillance judiciaire. Le parquet n’avait cependant pas eu recours à une comparution immédiate. Cette nouvelle affaire serait jugée dans quelques mois. Et, une nouvelle fois, je décidais de maintenir la mesure – croire encore ! Ma patience devait être néanmoins mise à rude épreuve. En effet, à peine avait-il réintégré le domicile de sa mère après la levée de sa garde à vue, qu’il se disputa avec elle. Cette dernière informa le SPIP qu’elle refusait dorénavant de l’héberger plus longtemps. La question du retrait du bracelet électronique se posait donc désor...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Dédicaces
  5. Sommaire
  6. Préfaces de Christian Saint-Palais et d'Aurore Boyard
  7. Prologue
  8. Première partie : Les matins
  9. Deuxième partie : Les soirs
  10. Épilogue