L’ascenseur des émotions
Je ne connais rien de plus encourageant que la capacité incontestable de l’homme à élever sa vie par un effort conscient. […] Avoir une action sur la qualité des jours, voilà le plus élevé des arts.
— HENRY DAVID THOREAU
Je vais vous raconter une petite anecdote au sujet de mon ami John. Je crois que tout le monde s’y reconnaîtra un peu.
À beaucoup d’égards, John a de la chance. Il a épousé une femme remarquable, il a deux enfants brillants et il occupe un poste des plus intéressants dans le service marketing d’une entreprise que nous appellerons Produits Tiptop. Or, quand notre histoire commence, John est extrêmement contrarié. Il vient de quitter son bureau et s’apprête à rentrer chez lui, comme il le fait tous les jours. Mais il décide aujourd’hui de modifier son itinéraire et de s’arrêter quelques minutes dans un parc pour essayer de mettre de l’ordre dans ses pensées.
S’il se sent si remué, c’est qu’il vient d’avoir une conversation troublante avec sa collègue Fran.
Fran s’est arrêtée à son bureau il y a quelques minutes.
— Tu es au courant de ce qu’on raconte à propos du budget de l’année prochaine? lui a-t-elle demandé. Tout le monde en parle au bureau.
— Rien entendu, réplique John. Qu’est-ce qui se passe?
— C’est encore une rumeur, s’empresse de préciser Fran, mais on dit que le conseil d’administration est inquiet à propos du déficit de ce trimestre. Il paraît qu’ils vont restructurer la compagnie et que ton service sera le premier visé.
John sent son estomac se nouer.
— Ah bon? Et qui t’a dit ça?
— Je ne suis pas censée en parler, rétorque Fran. Ce sont peut-être seulement des ragots, mais j’ai pensé que tu devais le savoir.
— Merci, répond John.
Tous les plans qu’il a faits pour la soirée (souper en famille et regarder un match de football à la télé avec les enfants) lui semblent soudain dérisoires. Il est envahi par un pénible sentiment d’angoisse.
Assis sur un banc, il songe avec effroi à la possibilité d’être congédié et aux conséquences désastreuses que cela entraînerait. Et s’il ne trouvait pas d’autre emploi? S’il n’avait plus les moyens d’envoyer ses enfants à l’université? S’il était obligé de vendre sa maison? Cela pourrait très bien arriver. Après tout, son propre voisin a dû aller vivre chez ses parents après avoir été licencié. Et comment va-t-il annoncer la nouvelle à sa femme? Susie s’en fait pour un rien. Elle va sûrement s’imaginer que j’ai fait quelque chose de moche pour qu’on me renvoie. «Elle va probablement regretter de ne pas s’être mariée avec son ancien petit ami, Brian. Lui au moins est un avocat réputé aujourd’hui. Qui pourrait le lui reprocher? Elle mérite mieux qu’un raté comme moi.» John sent lentement son anxiété se transformer en tourment, puis en abattement.
Ses pensées se tournent vers Produits Tiptop. Il s’est dépensé sans compter pour son entreprise, il a beaucoup donné pour contribuer à son succès. C’est quand même lui qui a aidé la direction à faire de la compagnie ce qu’elle est aujourd’hui! Comment peuvent-ils penser que la restructuration réglera le problème? Est-ce que les cadres supérieurs ont pris cette décision uniquement dans son seul intérêt? «Je suis certain que leur rémunération ne baissera pas d’un sou et qu’aucun d’entre eux ne sera mis à la porte», se dit-il. John fulmine. Son abattement laisse place à un ressentiment amer et une colère vengeresse.
Puis les paroles de Fran lui reviennent en mémoire. «Ce ne sont peut-être que des ragots», a-t-elle dit. Bien sûr que ce sont des ragots! Des rumeurs du genre, il y en a eu beaucoup et rien ne s’est jamais passé. D’ailleurs, Fran est toujours la première à faire courir des rumeurs, qu’elles soient fondées ou non. John sent son anxiété disparaître peu à peu. En poussant un gros soupir de soulagement, il se dit que tout cela n’est qu’invention. «Invention, se répète-t-il. Après tout, un seul trimestre de mauvais résultats, ce n’est pas catastrophique! Je suis sûr que nos profits vont revenir à la normale, et je suis même sûr que le conseil d’administration le sait.» Il se lève du banc et se met en route pour retrouver sa famille.
Alors qu’il traverse le parc pour se rendre chez lui, John voit ses pensées changer complètement de direction. «Au fond, cette rumeur est peut-être une bonne chose pour moi, se dit-il. Voilà un an que je rumine l’idée de quitter Tiptop et de trouver quelque chose de mieux. Peut-être un emploi dans une entreprise de haute technologie, comme celle où travaille maintenant mon ami Ron. C’est le moment ou jamais d’agir.» Il se met à imaginer les attraits d’un changement de carrière: un meilleur salaire, un bureau plus spacieux, une voiture de fonction, peut-être, ou même une carte de membre dans un club privé. Il imagine la lueur d’admiration qui brille dans les yeux de Susie lorsqu’il mentionne le montant de la prime que viennent de lui verser ses nouveaux employeurs. Il s’emballe et sent monter en lui un flot d’énergie. Il se promet de mettre à jour son CV le plus rapidement possible, le soir même, pourquoi pas?
Son humeur euphorique se teinte de tendresse à la vue de deux enfants du même âge que les siens qui courent dans un terrain de jeu. «Après tout, réfléchit-il, n’y a-t-il rien de plus important qu’une famille qu’on aime?» John se sent pousser des ailes quand il quitte le parc. Il n’a qu’un seul désir: retrouver sa femme et ses enfants. Quant à la rumeur qui l’ébranlait tant il y a encore quelques minutes, il y pensera demain. Demain, se dit-il, il pourra comparer ses notes avec celles de ses collègues et comprendre ce qui se passe vraiment.
Vous n’avez peut-être jamais vécu la même situation que John, mais je suis à peu près certain que vous vous êtes reconnu dans l’escalade des états d’âme qui l’a secoué ce jour-là. Ces réflexions en dents de scie sont courantes, pour ne pas dire normales, chez les êtres humains, surtout dans le monde d’aléas où nous vivons. Comme on le constate, les hauts et les bas émotionnels suivent le déroulement des pensées. Ce sont en effet nos pensées qui nous entraînent dans ce manège affolant.
Cette variation d’humeurs, je l’appelle «ascenseur des émotions», mais on pourrait aussi bien l’appeler «condition humaine». L’ascenseur des émotions, c’est le vécu des moments qui se succèdent dans notre vie. C’est l’expérience de fluctuations qui nous font passer par une gamme infinie d’émotions. Et on sait que ces émotions exercent une profonde influence sur notre qualité de vie et sur notre capacité à surmonter les obstacles quotidiens.
Nous prenons tous les jours l’ascenseur des émotions de notre vie. Dans ce cas, ne vaudrait-il pas mieux savoir sur quels boutons appuyer pour rester aux étages supérieurs? Ne serait-il pas utile d’apprendre à réduire les désagréments et la durée de nos séjours aux étages inférieurs? Ce livre a précisément pour but de vous fournir les clés pour prendre les rênes de votre ascenseur des émotions.
Commençons par observer l’ascenseur des émotions et les divers étages par lesquels il passe. La carte de l’ascenseur des émotions, présentée plus bas, s’appuie sur ma propre expérience, ainsi que sur les commentaires des centaines de groupes et des milliers de personnes qui ont assisté à nos séminaires. Bien sûr, nous avons tous une gamme d’humeurs et d’émotions qui nous est propre, mais la plupart des étages indiqués sur la carte vous sont très probablement familiers, et il est à peu près certain que vous vous y êtes arrêté à un moment ou un autre de votre vie.
Revoyez vos propres déplacements dans l’ascenseur des émotions de votre vie en partant des étages supérieurs. Ce sont des moments, des heures ou des jours où nous vivons le cœur léger. Nous sommes «en contact» avec ce qui fait le bonheur de notre vie; nous nous sentons en sécurité; nous sommes sûrs de nous-mêmes et nous nous percevons comme créatifs et pleins de ressources. Nous ne nous laissons pas facilement atteindre par les gens et les situations.
Nous avons moins tendance à prendre les choses au sérieux. Nous sommes curieux des autres sans jamais porter de jugement sur eux. Nous sommes plus enclins à avoir de l’humour. Nous relevons les défis qui se présentent à nous avec grâce et aisance. Nous sommes connectés au pouls de la vie, peut-être même à une force supérieure et à une source de sagesse universelle. Dans de tels moments, nous remontons l’ascenseur des émotions et c’est avec un sentiment de profonde satisfaction que nous nous en souviendrons plus tard.
Mais il est dans la nature humaine de connaître aussi des bas, de descendre l’ascenseur des émotions. Ce sont les moments où notre vie ne nous apparaît pas sous le plus beau jour. Nous sommes soucieux, pétris d’insécurité. Nous sommes facilement irrités ou ennuyés par les gens et les situations. Il nous arrive d’être critiques, moralisateurs et agressifs. Ou bien tristes, troublés, au bord de la «déprime». Quand nous sommes en bas de l’ascenseur des émotions, nos humeurs peuvent aller d’un comportement passif (léthargie, tristesse ou manque de motivation) à un comportement trop actif (ressentiment, panique ou colère).
Dans ce livre, nous nous servirons de l’ascenseur des émotions comme carte de l’expérience humaine. En plus d’être simple et directe, cette démarche correspond à mes perceptions subjectives des changements d’humeur. Je ne prétends nullement que ce concept repose sur une base scientifique. Il s’agit simplement d’un outil qui m’est très utile dans la conduite de ma vie et qui a aussi été adopté avec enthousiasme par un grand nombre des personnes auxquelles je l’ai fait connaître.
L’ascenseur des émotions
| Reconnaissant Sage et perspicace Créatif et innovateur Débrouillard Optimiste Réceptif Patient et compréhensif Enjoué, avoir le sens de l’humour Souple et ouvert Curieux et intéressé Impatient et frustré Irrité et ennuyé Inquiet et anxieux Instable et sur la défensive Critique et accusateur Moralisateur Stressé et épuisé Colérique et hostile Déprimé |
Pour vous familiariser avec votre perception de l’ascenseur des émotions et définir son rôle dans votre vie, commencez par vous poser les quelques questions suivantes:
Quels sont les étages où je m’arrête le plus souvent dans l’exercice de mes activités de tous les jours?
Quels sont les étages qui correspondent le plus à mon tempérament? À quels étages les gens qui me connaissent bien sont-ils les plus susceptibles de me trouver?
À quels étages est-ce j’aimerais m’arrêter le plus régulièrement? À quels étages est-ce que j’aimerais passer moins de temps?
À quels étages est-ce que je suis le plus souvent coincé quand les choses vont mal?
À quels étages est-ce que j’ai tendance à aboutir quand ma bonne humeur commence à fléchir?
À quels étages est-ce que je m’arrête quand je me sens productif, créatif et heureux?
Chacun vit à sa manière les fluctuations de l’ascenseur des émotions. En ce qui me concerne, le sentiment de gratitude que j’éprouve envers la vie est le signe que j’ai atteint les étages culminants de mon ascenseur. Quand l’agitation disparaît, que la paix de l’esprit s’installe en moi et que les préoccupations de la journée s’éloignent, je sens monter le sentiment de gratitude que j’éprouve envers Bernadette et nos cinq enfants. Le même sentiment m’envahit quand mes enfants me témoignent leur affection ou que je contemple un coucher de soleil qui irradie le ciel de ses magnifiques couleurs.
Tout semble me sourire quand je me trouve aux étages les plus élevés de mon ascenseur. Je me sens créatif et plein de bonnes idées. Les réponses coulent de source et les sol...