L'ethnicité et ses frontières
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L'ethnicité et ses frontières

Deuxième édition revue et mise à jour

Danielle Juteau

  1. 306 pages
  2. French
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  4. Disponible sur iOS et Android
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L'ethnicité et ses frontières

Deuxième édition revue et mise à jour

Danielle Juteau

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À propos de ce livre

Bien des choses ont changé depuis la publication de L'ethnicité et ses frontières en 1999. Le marxisme a perdu de son lustre, le tournant constructiviste s'est imposé, les recherches et revues scientifiques se sont multipliées. Mais l'ethnicité demeure un objet polémique qui attire et inquiète à la fois. Dans le domaine de la recherche, on s'interroge sur sa pertinence: penser l'ethnicité reviendrait à plaquer sur le réel des catégories fictives qui, tel un mauvais génie, sèmeraient la pagaille en ce bas monde. Dans le champ politique, l'option pluraliste bat de l'aile un peu partout en Occident. Pourtant l'ethnicité est plus que jamais au coeur des dynamiques sociétales dans un contexte caractérisé par la redéfinition des frontières et la réapparition du marqueur religieux. Danielle Juteau le montre de façon magistrale dans cet ouvrage entièrement mis à jour, en proposant une analyse constructiviste, relationnelle, matérialiste et transversale d'un phénomène historiquement construit, tout à la fois concret et idéel. Dans cette perspective, les revendications ethniques n'apparaissent plus comme les survivances d'un autre âge, mais bien plutôt comme les indices des rapports de domination qui se sont instaurés avec la modernité.Danielle Juteau est professeure émérite au Département de sociologie de l'Université de Montréal. Pionnière des études ethniques et féministes au Canada et à l'étranger, elle a occupé la Chaire en relations ethniques de l'Université de Montréal et la Chaire d'études canadiennes à la Sorbonne Nouvelle-Paris 3.

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Informations

Chapitre 1

La sociologie des frontières ethniques en devenir

Il se pourrait bien que le concept de groupe ethnique — qui se dérobe à toute tentative de définition — se révèle pour le sociologue un concept aussi frustrant et chargé d’émotivité que celui de nation. (Weber, 1978 [1968], p. 395. Ma traduction.)
D’abord Français d’Amérique, puis Canadiens, les Canadiens français ont progressivement cédé la place aux Québécois, aux Franco-Ontariens, et autres «franco»1. Saint Jean-Baptiste2 ne sait plus pour qui intercéder: patron des Canadiens français ou des Québécois, des Québécois francophones ou des francophones canadiens? Ainsi qu’en témoigne notre histoire, une parmi tant d’autres, ce qui est constant, au sujet des frontières ethniques3, c’est leur fluctuation.
Ce mouvement incessant des frontières ethniques, qui résulte de changements dans les critères d’inclusion et d’exclusion, entraîne des transformations au chapitre de l’identification, de l’appartenance, du Nous collectif 4. Quant aux facteurs à l’origine de ces changements, ils sont encore peu connus et mal compris. De fait, l’analyse macrosociologique des groupes ethniques, de leur spécificité et de leur formation, du maintien et de la fluctuation de leurs frontières, ainsi que des relations entre ces groupes, reste à faire, ce que je me propose d’accomplir dans ce chapitre.

Constats et premier bilan

En résumé, les frontières ethnico-nationales ne sont pas disparues; la résurgence des mouvements nationalistes et nationalitaires n’est pas simple soubresaut. Les modèles explicatifs, toujours en voie d’élaboration, n’ont pas atteint leur pleine maturité. Mais il y a des acquis, dont on ne peut désormais faire l’économie et qui tracent la voie d’une perspective fluide et anti-essentialiste:
  • L’ethnicité, qui fait référence à la descendance d’ancêtres communs, réels ou putatifs, n’est pas un donné défini une fois pour toutes et transmis héréditairement (Vallee, 1975).
  • Les groupes ethniques, et leurs frontières, ne sont ni immuables ni figés (Barth, 1969; Horowitz, 1975; Juteau-Lee et Lapointe, 1979).
  • Si les frontières ethniques fluctuent, elles se maintiennent aussi relativement bien. Il faut cerner les facteurs responsables de ce phénomène, tels les intérêts, matériels et idéels, des dominants et des dominés.
  • L’importance des différences culturelles ne doit pas être sous-estimée, puisqu’elles servent à délimiter les frontières et à définir l’identité collective. Parce que ces différences font intervenir un jugement, une dimension évaluative, il est facile de leur imputer le conflit. Or, les conflits opposant les groupes ne peuvent en aucun cas être réduits aux seules différences culturelles ni à des facteurs psychologiques.
  • Ce sont les inégalités réelles, économiques, politiques et sociales, qui doivent servir de toile de fond à l’analyse des relations ethniques.
  • Les conflits ethniques, et leur recrudescence, doivent être situés à l’intérieur d’un contexte plus global, à savoir celui du système-monde, où interagissent des États nationaux inégaux.

L’apport de la sociologie wébérienne

Forte de ces observations, trouvant dans la sociologie de l’époque peu de réponses satisfaisantes, ma rencontre avec Max Weber fut heureuse. M’inspirant de sa sociologie telle qu’elle est articulée dans Économie et société (1971 [1921-1922]), en particulier de son analyse des processus de communalisation ethnique, je fus à même d’élaborer les fondements d’une approche constructiviste et relationnelle, que j’expose présentement.

Émergence et spécificité des groupes ethniques

  1. Toute relation sociale (orientation mutuelle des comportements) est une relation de communalisation, quand elle repose sur n’importe quel fondement affectif, émotionnel ou traditionnel, ou de sociation, quand elle est fondée sur un compromis d’intérêts. Cependant, «la grande majorité des relations sociales ont en partie le caractère d’une communalisation, en partie celui d’une sociation» (ibid., p. 41).
  2. La communauté nationale constitue un type de communalisation, puisque l’organisation de l’activité sociale se fonde sur le sentiment subjectif d’appartenir à une même communauté.
  3. Le fait pour des individus d’avoir en commun certaines qualités (couleur de la peau, religion, langue), de vivre une même situation, de partager un même sentiment pour cette situation, ne constitue pas une communalisation; c’est quand le sentiment commun engendre l’orientation mutuelle de leurs comportements, qu’une relation sociale de communalisation s’établit.
  4. Ce sentiment commun d’appartenance (catalyseur essentiel entre la situation, les qualités communes et la communauté) émerge avec l’apparition d’oppositions conscientes à des tiers. Il peut être alimenté par de multiples sources, telles les «différences des articulations économiques et sociales et celles de la structure interne du pouvoir avec leurs influences sur les “mœurs”» (ibid., p. 426).
  5. La délimitation des groupes ethniques, et donc l’émergence des frontières, est souvent un produit artificiel de l’action de la communauté politique.
  6. La communauté de langue ne constitue pas une communalisation, mais elle en rend plus aisée la naissance, parce qu’elle facilite la compréhension réciproque, donc l’établissement de relations sociales.
  7. Ce ne sont pas les habitudes divergentes en soi qui entraînent l’éclosion d’une communauté de relations sociales, mais le fait que le «sens» subjectif de la coutume (sitte) ne soit pas compris. Les différences de coutume sont engendrées par les différentes conditions d’existence, économiques et politiques, auxquelles un groupe de personnes doit s’adapter.
  8. La vie en commun ethnique n’est donc qu’un élément qui favorise l’éclosion de la communalisation, et cela dans certaines circonstances:
    Nous appellerons groupes «ethniques», quand ils ne représentent pas des groupes de «parentage», ces groupes humains qui nourrissent une croyance subjective à une communauté d’origine fondée sur des similitudes de l’habitus extérieur ou des mœurs, ou des deux, ou sur des souvenirs de la colonisation ou de la migration, de sorte que cette croyance devient importante pour la propagation de la communalisation — peu importe qu’une communauté de sang existe ou non objectivement (ibid., p. 416)5.
  9. Une relation sociale de communalisation, c’est-à-dire une communauté de relations sociales, peut donc émerger; mais puisque son contenu reste indéterminé, Weber (ibid., p. 423) suggère qu’on jette par-dessus bord le concept d’ethnie6 parce que c’est un terme fourre-tout.
  10. Bref, il est inutile de définir une fois pour toutes un groupe ethnique, car les critères utilisés varient. Comme les critères distinctifs ne donnent pas naissance ipso facto au groupe, il faut cerner les facteurs économiques, politiques et culturels qui déclenchent le processus de communalisation.

Maintien et fluctuation des frontières ethniques

  1. Puisque les groupes ethniques ne peuvent être définis par l’addition d’un certain nombre de traits, et puisque le choix de ces critères est socialement déterminé, les frontières ethniques ne sont pas fixes. Leur fluctuation renvoie entre autres à la modification de ces critères, à la suite notamment de transformations plus globales affectant l’organisation sociale.
  2. Pour appréhender l’expansion et la contraction des frontières, leur érosion et leur multiplication, il faut tenir compte des transformations économiques et politiques qui sous-tendent la modification des critères d’inclusion ou d’exclusion.
  3. Les frontières ethniques sont aussi caractérisées par leur persistance, laquelle renvoie à des intérêts matériels, comme les bénéfices économiques, et à des intérêts non matériels, idéels, comme la réalisation de certaines valeurs. Comme le précise Weber, les relations sociales peuvent être ouvertes ou fermées, le degré d’ouverture ou de fermeture d’une relation sociale influant sur les chances de vie des protagonistes. En général, les groupes dominants ont intérêt à maintenir des relations sociales fermées sur les plans économique et politique, afin de garantir des chances monopolisées à leurs membres.
  4. Au chapitre des intérêts non matériels, l’honneur ethnique occupe une place centrale; il s’agit d’un honneur (catégorie de prestige) spécifique dont sont exclus les étrangers:
    À côté des différences vraiment marquantes de la conduite économique de la vie, les différences des reflets extérieurs ont, de tout temps, joué un rôle important dans la croyance à la parenté ethnique: différences dans la façon typique de se vêtir, de se loger, de se nourrir, différences dans la division du travail entre les sexes et entre hommes libres et non libres. En somme, toutes les choses au sujet desquelles on se demande ce qui est considéré comme «convenable», et surtout celles qui touchent au sentiment de l’honneur et de la dignité de l’individu. En d’autres termes, toutes ces choses que nous retrouvons plus loin comme objets de différences spécifiques de la «condition sociale» (ständisch). En réalité, la conviction — dont se nourrit l’honneur ethnique — de l’excellence des propres coutumes et de l’infériorité des coutumes étrangères est tout à fait analogue aux concepts d’honneur du «rang social» (ständisch). L’honneur «ethnique» est l’honneur spécifique de masse parce qu’il est accessible à tous ceux qui appartiennent à la communauté d’origine à laquelle ils croient subjectivement. Le poor white trash, les Blancs des États du sud des États-Unis qui ne possédaient rien et qui menaient très souvent une vie misérable lorsque manquaient les occasions de travail libre, étaient à l’époque de l’esclavage les véritables porteurs de l’antipathie raciale — totalement étrangère aux planteurs — parce que leur «honneur» social (sozial) dépendait directement du déclassement des Noirs. Et derrière toutes les oppositions ethniques se trouve naturellement, sous une forme quelconque, l’idée de «peuple élu» qui est simplement, transférée sur le plan horizontal, le pendant des différenciations «sociales» (ständisch). Par contraste avec ces dernières, qui reposent toujours sur la subordination, l’idée de peuple élu tire précisément sa popularité du fait que chacun des membres de tous ces groupes qui se méprisent réciproquement peut, dans la même mesure, la revendiquer subjectivement pour lui-même. C’est pourquoi la répulsion ethnique se cramponne à toutes les différences imaginables en matière de «convenances» et en fait de «conventions ethniques» (Weber, 1971 [1921-1922], p. 418-419).
  5. Ce qui lie les membres d’une même communauté ethnique, ce n’est pas une culture commune (puisqu’elle varie en effet selon les classes, les générations, les catégories de sexe-genre…), mais bien l’honneur ethnique, qui sert de fondement à la solidarité, à l’affinité sociale.
  6. Pour comprendre le maintien des groupes ethniques, il faut aussi approfondir les processus de socialisation et d’identification. S’il est vrai que l’individu naît de la société et non l’inverse, le nouveau-né devient «ethnique» au fur et à mesure de son humanisation. En d’autres mots, la socialisation et l’ethnicisation des êtres humains constituent des processus inséparables. Cette perspective a l’avantage d’éclairer le rôle toujours négligé des femmes dans la construction et le maintien des frontières ethniques. Aussi faut-il examiner ce processus dans un cadre plus large que celui auquel on l’a confiné — le public, le cognitif, le rationnel — et y inclure le domaine de l’expressif et de la gratification.

Relations entre les groupes ethniques

  1. Il s’ensuit que les relations entre groupes ethniques ne se comprennent qu’à l’intérieur d’un cadre d’analyse plus vaste, dont les transformations économiques et politiques liées au développement du système capitaliste mondial (Wallerstein, 1974).
  2. À l’ère de l’impérialisme, les nations sont subordonnées les unes aux autres et leurs frontières économiques sont sapées alors que le rôle de l’État croît. Cette centralisation accrue subjugue les groupes, les nations, les États à la périphérie, entraînant dans son sillage la résurgence et l’intensification des mouvements nationalistes et nationalitaires.
  3. L’objet d’étude de ...

Table des matières

  1. Avant-propos
  2. Introduction à la nouvelle édition
  3. UN PROCESSUS DE COMMUNICATION
  4. Chapitre 1
  5. Chapitre 2
  6. Chapitre 3
  7. UNE FRONTIÈRE À DEUX FACES
  8. Chapitre 4
  9. Chapitre 5
  10. Chapitre 6
  11. Chapitre 7
  12. Chapitre 8
  13. Chapitre 9
  14. UN RAPPORT TRANSVERSAL
  15. Chapitre 10
  16. Chapitre 11
  17. Chapitre 12
  18. En guise de conclusion
  19. Bibliographie