Le nouvel âge des extrêmes ?
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Le nouvel âge des extrêmes ?

Les démocraties occidentales, la radicalisation et l'extrémisme violent

  1. 568 pages
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Le nouvel âge des extrêmes ?

Les démocraties occidentales, la radicalisation et l'extrémisme violent

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À propos de ce livre

À l'époque du retour turbulent des identités, notamment religieuses, et dans un contexte d'érosion relative des solidarités citoyennes et des loyautés constitutionnelles, les polarisations sociales qu'engendrent les extrémismes de tout acabit nuisent à la cohésion sociale et fragilisent les fondements de nos sociétés démocratiques. Où en est la recherche en sciences sociales sur cette question? Quels sont les débats récurrents et les enjeux qu'elle soulève? Comment peut-elle contribuer à mettre en place des solutions?En regroupant plus d'une quarantaine de spécialistes et de chercheurs issus de différentes disciplines dans une dizaine de pays occidentaux, cet ouvrage participe à sa façon à l'enrichissement des connaissances. Sur le plan théorique, d'abord, en revenant sur l'apport de plusieurs disciplines et modèles conceptuels qui permettent d'éclairer divers aspects de ce phénomène complexe. Sur le plan empirique, ensuite, en s'inscrivant dans un effort de contextualisation de l'extrémisme violent et en présentant des études de cas dans plusieurs pays occidentaux. Sur le plan des pratiques, enfin, en analysant les réponses et les politiques mises en place (ou non) pour contrer ces extrémismes en Occident.

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Partie II

Les multiples visages
de l’extrémisme violent
en Occident

Chapitre 10

Djihadisme et militantisme:
les trajectoires des terroristes

Romain Sèze
Comment interpréter l’attrait massif des jeunes Français pour le djihadisme? Les réponses à cette question, lourdes de conséquences en matière de politique publique, clivent les sciences humaines et sociales partagées entre deux paradigmes analytiques: soit elles rendent compte de ces engagements a priori trop coûteux pour être rationnels (la plupart des auteurs d’attentats trouvant la mort) avec une tendance à les pathologiser, soit elles relativisent la thèse des «loups solitaires» psychiquement fragilisés pour présenter ces acteurs en militants animés des idéaux portés par les organisations terroristes. Ce chapitre explore une troisième voie à ce débat en examinant la construction de ce militantisme au fil des parcours individuels d’un échantillon d’acteurs djihadistes.
Le djihadisme se structure dans la seconde moitié du 20e siècle et regroupe une nébuleuse d’individus et de groupes mobilisés pour l’avènement, par la violence, d’un ordre temporel «authentiquement» islamique, sinon pour assurer leur salut au motif d’un imaginaire apocalyptique. Que les individus qui s’en réclament prennent notamment pour cible un «Occident» mécréant en butte à l’inéluctable victoire des moudjahidines n’exclut pas qu’ils trouvent des affidés parmi les Européens. La France rencontre ce «terrorisme intérieur» avec Khaled Kelkal en 1995, puis avec le gang de Roubaix en 1996. Dès le début des années 2000, d’autres pays européens sont touchés: assassinat de Pim Fortuyn en 2002, de Theo Van Gogh en 2004, attentats de Madrid la même année, puis ceux de Londres en 2005. La France y fait à nouveau face lorsqu’en mars 2012, Mohammed Merah assassine sept personnes au cours d’une série d’attaques entreprises au nom d’Al-Qaïda. Le contexte international est alors marqué par la déstabilisation de plusieurs États pris dans la tourmente des printemps arabes, propice au développement des organisations djihadistes. Celles qui profitent de la guerre en Syrie trouvent un écho inédit en Europe (5 000 Européens partis en décembre 2015), et plus particulièrement en France, rapidement détentrice d’un triste palmarès: avec 1 700 départs en 2019, c’est, parmi les pays européens, de l’Hexagone que provient le plus important contingent d’individus présents dans la région syro-irakienne. D’autres de leurs concitoyens décident quant à eux de porter cette violence sur le sol national: une vingtaine d’attaques terroristes font 270 morts entre 2012 et 2020, tandis que le ministère de l’Intérieur recense 20 000 personnes «radicalisées» en 2020.
Les sciences sociales sont dominées par des approches soucieuses de rendre compte des sources d’insatisfaction qui expliqueraient cet attrait des jeunes pour le djihad. Gilles Kepel (2015) le situe par exemple dans le continuum du développement du salafisme qui profiterait de situations d’exclusion sociale. Farhad Khosrokhavar (2014) l’analyse comme une réponse à une situation de marginalisation économique et de frustration sociale. François Burgat (2016) l’envisage pour sa part comme une réaction à un processus de domination (néo)coloniale, tandis que William McCants et Christopher Meserole (2016) incriminent la culture politique française et ses conceptions offensives de la laïcité. Le djihadisme en France prendrait ainsi racine dans la ségrégation économique ou la marginalisation politique. Ces approches prennent donc au sérieux le caractère politique des engagements des djihadistes qui prétendent se mobiliser contre des injustices, au motif d’une vengeance devenue un leitmotiv de la propagande d’Al-Qaïda et de l’organisation État islamique (EI). Or, à ériger leurs discours en catégorie d’analyse, le risque est de faire l’impasse sur la dimension processuelle inhérente à l’engagement radical, sur les itinéraires qui mènent à défendre une cause et font émerger ces revendications comme des ressorts pertinents de l’action violente (pourquoi des individus partageant les mêmes conditions objectives d’existence ne s’impliquent-ils pas tous dans un militantisme violent?). Dès lors que l’on reconsidère la dimension processuelle de la radicalisation1, dans quelle mesure peut-on qualifier le djihadisme de militantisme, sachant que l’apprentissage d’une cause n’est jamais donné et que ses temporalités ne sauraient être les mêmes pour chaque individu?
Ce questionnement invite à réinvestir la perspective de l’action sociale. Ce chapitre s’appuie à cette fin sur une campagne d’entretiens biographiques menée en 2016 auprès de 20 personnes condamnées pour des faits de terrorisme, dont 13 djihadistes, majoritairement liés aux filières syro-irakiennes (Crettiez et Sèze). Afin d’apprécier plus rigoureusement leurs déclarations, ces entretiens se sont doublés d’échanges avec des professionnels des établissements dans lesquels ils sont incarcérés, et de la consultation de sources judiciaires et policières.
L’examen de leurs engagements, dépourvu de toute ambition de représentativité, remonte au retour tardif à la religion qu’a effectué chacun d’eux. Celui-ci participe de l’apprentissage d’une cause lorsqu’il est animé par une quête d’actorité (capacité d’agir) alimentée par des pérégrinations religieuses sensibles aux «causes musulmanes». Cette quête trouve des débouchés avec la découverte du djihadisme, qui relève moins de la maturation d’un engagement au service d’un projet politique qu’elle ne repose sur des émotions mobilisatrices aboutissant à un activisme opportun et confus. L’expérience de la détention constitue enfin un moment propice à l’intellectualisation de cet activisme et, finalement, à sa modulation sous le jour d’un militantisme.

Retour à l’islam et apprentissage d’une cause

Dans le débat français dominé par le postulat – discuté (Neumann, 2013) – selon lequel les violences militantes résultent d’un processus de radicalisation qui serait cognitif avant d’être comportemental, la socialisation à l’islam, spécialement fondamentaliste, est facilement comprise comme une voie d’entrée dans la radicalité. Cette hypothèse, issue d’approches par les textes et bâtie sur le constat de la centralité des référents salafis dans les idéologies djihadistes, mérite donc d’être discutée à la lumière des trajectoires d’auteurs de faits de terrorisme. Qu’est-ce qui caractérise le parcours religieux des acteurs interrogés, et dans quelle mesure l’expérience du fondamentalisme participe-t-elle de l’apprentissage d’une cause?

Expérience religieuse et maturation
d’une disposition contestataire

La majorité de ces hommes (neuf, voire dix) est issue de la «deuxième génération» (trois d’Algérie, deux du Maroc, deux de Tunisie, un du Mali, un d’Haïti et un cas non renseigné), deux d’entre eux ont immigré en France pendant l’enfance (depuis l’Algérie et le Cameroun), et un est né en France de parents français. Ils ont grandi dans des familles pas ou peu pratiquantes, et qui ne leur ont pas transmis de culture religieuse. Trois personnes proviennent de familles non musulmanes, neuf autres de familles avec au moins un parent d’origine musulmane et seule l’une d’elles a reçu une éducation religieuse (critère non renseigné dans un cas). Leur entrée dans l’islam s’est donc effectuée sur le mode de la rupture. Six acteurs ont (re)découvert l’islam tardivement («reconvertis» ou born again), quatre s’y sont convertis. Restent un converti et deux reconvertis qui sont (re)venus progressivement à la religion, mais dont les trajectoires sont néanmoins marquées par une rupture dans la mesure où leur religiosité a subitement gagné en intensité à la suite d’une forme de conscientisation politique.
Cette rupture a son pendant sur le plan biographique. Pour la plupart de ces personnes, le retour à l’islam s’est traduit par une prise de distance vis-à-vis d’habitudes festives, de la déviance (deux individus), voire de la délinquance (trois ou quatre individus) et par un investissement sur le plan scolaire ou professionnel pour plusieurs d’entre eux. Corrélativement, ce retour à un conformisme s’est accompagné d’une rupture avec les anciens réseaux de pairs, parfois scellée par un déménagement. Plusieurs personnes interrogées se sont à ce moment de leur vie investies dans une relation amoureuse engagée, débouchant parfois sur un mariage religieux et la fondation d’une famille. La (re)conversion va ici de pair avec une désaffiliation des amis, voire de la famille, suivie d’une réaffiliation à une communauté de foi au contact de laquelle se formule un projet de conformisme social. Ces retours à la religion répondent donc à la recherche d’une vie normée et ordonnée à l’entrée dans l’âge adulte. Le religieux structurant le temps social, il se présente comme une ressource susceptible de fournir des «cadres d’expérience» (Goffman, 1991), d’autant plus lorsque le travail n’y pourvoit pas (Sue, 1994).
Comment se sont organisées ces expériences religieuses et dans quelle mesure se sont-elles transformées au contact du salafisme? Cet apprentissage, autodidacte dans un premier temps, fut à chaque fois suivi d’une socialisation advenue par la fréquentation de coreligionnaires, moins souvent de mosquées. Cette ouverture aux «régimes interindividuels», voire «institutionnel[s] de validation du croire» (Hervieu-Léger, 1999, p. 177-190), interroge les influences rencontrées par ces individus. Dix d’entre eux ont fait référence au salafisme en entretien, qui peut accompagner un processus de désengagement ou sa mise en scène. Ils sont moins nombreux à en avoir fait l’expérience en amont de leurs engagements. Cela peut s’expliquer par la position prééminente du salafisme sur le marché religieux (résultant d’un prosélytisme zélé qui répond au précepte appelant à «ordonner le bien»), son apparente accessibilité sur le plan intellectuel et son attractivité auprès de jeunes à la recherche d’un cadre structurant de l’expérience quotidienne (Truong, 2017 et Zegnani, 2017).
Cette expérience peut participer de l’apprentissage d’une cause dans la mesure où elle contribue à l’intériorisation d’une conscience minoritaire. Celle-ci se manifeste par l’adoption d’une posture de rupture avec l’environnement social ainsi que par l’intériorisation d’une vision dichotomique et infrapolitique du monde. Larbi souhaitait par exemple protéger ses enfants d’une «société païenne» en les privant de tout contact avec le monde extérieur (enfermés dans un appartement aux fenêtres obturées), d’éducation et de soins (il fut d’abord condamné pour maltraitance avant que son itinéraire ne se politise). De la même façon, Michel, qui se déclare victime d’un «racisme anti-blanc» lorsque, adolescent, il emménage à Marseille, cesse d’être le «bouc émissaire» de ses nouveaux camarades en devenant non seulement délinquant, mais aussi membre vertueux d’une communauté imaginée par sa conversion au salafisme. La construction de ces frontières procède de l’adoption d’un ensemble de normes par lesquelles il s’oppose à un environnement païen: il se marie religieusement à la femme qu’il fréquentait «illicitement», tout en interdisant ensuite à ses enfants d’écouter de la musique, de regarder la télévision ou encore de posséder des peluches, à une époque où il tient également des propos homophobes et antisémites.
Toutefois, l’intérêt pour le salafisme porte moins, initialement, sur son idéologie que sur son hypernormativité qui, par son effet disruptif dans l’espace public, participe à la reconstruction sociale de l’acteur (Göle, 2013). Fahim était agnostique avant de se convertir, de prier sur son lieu de travail, d’arborer barbe et d’autres signes ostensibles moins de trois semaines après – tout en concédant pratiquer a minima. De la même façon, Ghassan a mis un terme à des pratiques déviantes en revenant à l’islam et alors qu’il entendait se «responsabiliser». Tandis que sa démarche génère une prise de distance de ses pairs, il se considère dès lors comme meilleur qu’eux, car vertueux. Il retrouve ainsi une image valorisante de lui-même par la place qu’il s’est arrogée dans l’ordre temporel et qu’il signifie aux autres en commençant à afficher des marqueurs religieux. Il admet en effet avoir été séduit par le salafisme pour son «style» et avoir adopté la barbe pour des raisons «esthétiques» à l’exclusion de toute autre considération. Cet attrait pour une façon d’apparaître en public plutôt que pour le dogme se mesure aux rapports parfois ambigus de ces acteurs à l’idéologie salafie. Certains individus, comme Ibra, Michel et Nacer, se sont initiés au salafisme tout en continuant à fréquenter des mosquées selon une logique de proximité. Le choix des mosquées fréquentées est dicté par des raisons pratiques (proximité du lieu de travail ou du domicile) et non idéologiques: ces mosquées ne sont en l’occurrence pas animées par un imam salafi. Logiquement, ils construisent leurs pensées au gré de multiples «bricolages» (Michel se conforme aux pressions de ses nouveaux amis sans mettre un terme à des activités délinquantes) et «braconnages culturels» (De Certeau, 1990, p. 239-255). Cela donne lieu à des constructions éloignées de ce qu’imposerait une idéologie salafie d’ensemble cohérente, mêlant culture savante, musique et cinéma populaires, lecture contextualisée de l’islam, rigorisme dogmatique ou encore justification de la violence sous des formes condamnées par la plupart des savants salafis.
Ces exemples sont le signe de l’existence d’une disposition contestataire relativement autonome de l’idéologie salafie, mais qui peut aussi mûrir à son contact, participant ainsi de l’apprentissage d’une cause.

Actorité vs piétisme

Toutefois, cette disposition a fini par entrer en contradiction avec cette offre religieuse, expliquant qu’aucun des acteurs attirés par le minhaj salafī ne s’y soit référé sur le long terme (exception faite de Larbi): ces acteurs l’ont investi à la faveur d’une recherche d’actorité2 pour y trouver un piétisme discipliné auquel ils ont finalement renoncé.
Un indice de ce désir d’actorité émerge de l’appétence de l’ensemble de ces acteurs pour la virilité (dix des treize individus interrogés ont pratiqué des sports de combat ou la musculation) et les valeurs martiales (plusieurs ont tenté d’intégrer, pour l’un d’eux avec succès, l’armée ou la police). Mais cette quête se dessine surtout au regard de leurs trajectoires de vie. Achir effectue son retour à l’islam lorsqu’il emménage à Lyon. Il s’intéresse au sort des communautés musulmanes dans le monde en faveur desquelles il entend se mobiliser, tout en commençant à fréquenter une association liée à l’Union des organisations islamiques de France (UOIF, devenue les Musulmans de France en 2017). Déçu par ce qu’il considère être un manque de sérieux de l’association lors de son implication dans l’épisode de la flottille ayant tenté de forcer le blocus de la bande de Gaza en 2010, il s’en détourne pour intégrer un groupe qui lui semble plus rigoureux: des salafis, piétistes, dont il interprétera l’attentisme comme une forme de compromission avec laquelle il finira donc par rompre, pour rejoindre les membres de Forsane Alizza, salafis également, mais au contact desquels la défense des musulmans procède de démarches violentes. Achir est donc revenu à l’islam à la faveur de la recherche d’une voie où pourrait s’épanouir sa capacité d’agir. On peut dresser un constat en partie similaire pour le second membre de cette organisation rencontré. Après s’être vu confisquer la garde de ses enfants en raison de maltraitances liées à son radicalisme religieux, Larbi s’estime victime d’islamophobie. Il entend faire valoir publiquement sa cause, à laquelle seuls les membres de cette organisation sont sensibles, et au contact desquels il prépare des mesures de rétorsion (enlèvement d’un magistrat) pour lesquelles il sera condamné. Larbi n’a pas rejoint Forsane Alizza par adhésion à un projet politico-religieux, mais pour agir.
Cette dynamique caractérise d’autres trajectoires de vie, notamment celles d’acteurs qui semblent s’être conformés au projet de vie porté par le salafisme, incarné par l’accomplissement d’une hijra (émigration dans un pays musulman). Peu de temps après sa conversion, Michel adopte un prénom qui renvoie à l’idée de «fierté» en arabe: un indice de la substitution d’une idée de groupe à une identité individuelle, en l’occurrence par l’identification à une communauté dont il se présente en défenseur, dans une grammaire idéologique comparable à celle de Forsane Alizza (les membres de Forsane Alizza, ou les Cavaliers de la fierté en français, se sont ainsi qualifiés car leurs mobilisations visaient à restaurer la dignité de l’islam). Il a entrepris sa hijra, mais emporté par cette impétuosité, il ne s’est jamais arrêté au projet proposé par ses pairs salafis avec lesquels il a vite rompu, après avoir découvert l’enseignement qu’il attendait, déclare-t-il, sans savoir où chercher: les discours des idéologues du djihad traduits et mis en ligne par Ansar al-Haqq. De la même façon, Ibra a quitté la France afin d’accomplir sa hijra, tout en s’avérant toujours déçu de ses points de chute qui ne sont devenus que les étapes d’un nomadisme au terme duquel il a finalement atteint l’idéal dont il s’était mis en quête: il rencontre à Dammâj (Yémen) une communauté transnationale, solidaire, où personne ne travaille pour se dévouer à l’étude des sciences islamiques, où la mixité est étroitement régulée et la polygamie autorisée. Il projette, un bref moment, de s’y établir, jusqu’à ce qu’il découvre un islam révolutionnaire et une promesse d’action qu’il suivra en errant d’un théâtre de combat à l’autre, du Moyen-Orient à l’Afrique. Aucun des acteurs n’ayant d’ailleurs entrepris un projet de hijra ne s’est résolu à une vie intégrée dans un pays musulman. Presque tous (neuf personnes) lui ont préféré un nomadisme aventurier.
Or, bien que le salafisme ait pu séduire ces jeunes, il convoque une discipline qui a eu raison de leur engouement. Michel s’est vu captivé par le m...

Table des matières

  1. Introduction
  2. Partie I
  3. Partie II
  4. Partie III
  5. Conclusion
  6. Bibliographie
  7. Notices biographiques