Le Québec par ses enfants
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Le Québec par ses enfants

Une sociologie historique (1850-1950)

  1. 332 pages
  2. French
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Le Québec par ses enfants

Une sociologie historique (1850-1950)

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À propos de ce livre

De 1850 à 1950, le Québec transite d'une société rurale vers une société en voie d'industrialisation qui s'installe peu à peu dans la modernité urbaine. Dans cet important ouvrage, l'auteur observe ce passage et propose aux lecteurs de mieux comprendre l'histoire du Québec à partir du traitement que l'on a fait aux enfants. Il éclaire de manière tout à fait originale les questions difficiles à affronter, comme celle des orphelins de Duplessis, de l'adoption des filles, de notre rapport très ambigu avec l'éducation. Cet ouvrage s'inscrit dans une perspective précise, réintroduisant le passé dans le présent; il porte au jour ces idées de jadis qui aiguillent encore nos façons d'agir. Cela place l'enfance québécoise dans une position en apparence contradictoire: un pied dans la modernité, l'autre dans certaines pesanteurs de la société agraire qui subsistent malgré tout. Au moment où l'homme a tendance à être de plus en plus présenté, ou rêvé, comme un être isolé, autonome, responsable, guidé par sa raison, opposé à la collectivité contre laquelle il défendrait son « authenticité » ou sa « singularité », les sciences sociales ont plus que jamais le devoir de mettre au jour la fabrication des individus. L'auteur de ce livre s'attelle à cette tâche avec brio.André Turmel est professeur associé au Département de sociologie de l'Université Laval. Il poursuit depuis des années des recherches en sociologie de l'enfance.

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Informations

Année
2017
ISBN
9782760637580

CHAPITRE 1

Le Québec dans sa trajectoire, 1850-1950

Rendre compte des rapports à la fois complexes et paradoxaux que la société québécoise entretient avec ses propres enfants requiert une plongée dans la dense épaisseur historique de notre société. Il faut poser des repères fermes pour baliser la démarche à suivre. La lecture de la trajectoire du Québec s’inscrit à même cette épaisseur sociohistorique, ce qui pourvoit l’analyse d’une consistance s’inscrivant dans une société située et datée dont on cernera au plus près autant les constances que les fragilités. Nous pensons en effet que tous les débats, actuels ou récents, autour de l’enfance y ont leurs tenants dont l’origine remonte loin dans le passé.
Nous tenterons de parvenir à une problématique d’ensemble des rapports que la société québécoise entretient avec ses enfants: ancrée autant dans ses propres ressorts que dans sa dynamique particulière et, surtout, mieux agrippée à la complexité du réel sociohistorique. Ces considérations générales prendront la forme d’une argumentation en cinq temps:
  • le cadre d’analyse;
  • les mutations de l’agriculture à l’industrialisation en marche;
  • l’enfance et la centralité de la famille;
  • l’enfant clivé dans le processus d’industrialisation;
  • le collectif de l’enfance.

Le cadre d’analyse

L’enfance québécoise doit être située dans la trame sociohistorique de la société dans laquelle elle évolue. Et ce, sans préjuger des liens que l’analyse établira entre l’enfance et les processus historiques majeurs qui marquent le parcours de ladite société jusqu’à construire cet ensemble complexe, donc entrecroisé et diversifié, qu’on nomme aujourd’hui le Québec.
Nous nous intéressons donc ici aux rapports que le Québec comme société a entretenus avec ses enfants de 1850 à 1950. Cette perspective d’analyse s’adosse à la longue durée ainsi qu’aux grands cycles de développement, lesquels sont tout à la fois distincts de ceux des sociétés voisines et comparables à ceux-ci. Composite et à géométrie variable, elle fait une large place à des formes sociohistoriques à visages multiples, amplitude variée et rythmes changeants. Ces transformations variables ne sauraient constituer un objet d’étude homogène, mais donnent forme à un enchevêtrement de processus fragmentés par le passage à une économie industrielle et urbaine.
Si nous nous intéressons d’abord et avant tout à l’enfance – et, par ricochet, à la famille où les enfants s’activent en premier lieu –, l’analyse restitue néanmoins cet objet d’étude dans le cadre plus vaste de la société qui l’a vu se déployer en quelque sorte. L’étude de l’enfance se révèle par ailleurs pertinente d’un point de vue sociologique pour saisir les transformations de la totalité sociétale: l’analyse de la trajectoire de l’enfance éclaire celle de la société québécoise.
Cette perspective fait émerger des rapports enfance/famille/société dont la dialectique paraît très variable en fonction des processus historiques en cause. On retiendra surtout la proposition des épaisseurs historiques variées et liées à une organisation en strates: elles forment une trame spécifique qui donne coloration et originalité à la société québécoise. Trame spécifique qu’on ne saurait lire cependant hors des relations qui la relient à ses voisines immédiates tant les interdépendances s’observent jusque dans les familles et les enfants.
Trois prémisses essentielles forment l’armature de base de cette perspective d’analyse:
  1. Le Québec, dans sa trajectoire entre 1850 et 1950, procède d’une succession enchevêtrée de grands processus sociohistoriques au cours desquels des concordances non homogènes s’esquissent qui mettent en place des formes particulières de développement;
  2. Ces processus sociohistoriques sont accompagnés de phases de transition14 plus ou moins longues où les concordances initiales subissent de profondes transformations qui représentent des points tournants de leur histoire; des contradictions voient le jour, mais surtout, de nouvelles concordances fort différentes émergent et chevauchent celles qui, bien qu’en déclin, sont encore en place (Hamel, 1993);
  3. Ces passages d’une situation à une autre n’ont rien d’ordonné; ils relèvent davantage de mutations qui s’accompagnent d’obstacles majeurs, notamment démographiques et économiques, mais aussi symboliques; l’essor de l’enfance au Québec s’y inscrit de façon décisive jusque dans ses contrastes, voire ses paradoxes.
Apportons quelques précisions au sujet des catégories analytiques de société, de social et d’enfant. Que les sociologues de tout acabit qui en font leur pain et leur beurre aient quelque répugnance à définir la catégorie de société, on le verra d’autant mieux aux effets non voulus, et surtout non maîtrisés, de ce qui est donné comme allant de soi. Or, la catégorie de société dans les sciences sociales ne va nullement de soi. D’où l’exigence de dire même brièvement ce que «société» signifie dans ce travail.
D’abord un postulat de base: la société ne constitue pas un cadre spécifique à l’intérieur duquel évoluent les acteurs au gré de leurs intentions et des contraintes institutionnelles en place. Au contraire. La société constitue toujours le résultat provisoire et instable des actions sociales en cours. En ce sens, la société est plutôt un des connecteurs qui mettent des entités humaines et non humaines en relation, donc en circulation, comme le suggère Latour (2005). La société constitue ainsi un certain type d’assemblage entre des entités qui, a priori, ne sont pas sociales. Une société n’est pas une substance qui relie de façon concomitante ces entités dans un vivre-ensemble plus ou moins vague, mais plutôt un connecteur qui fait circuler des entités.
L’attention se porte par conséquent sur ce qui circule (se propage, s’oppose), étant entendu que cette circulation ne se fait pas de manière ordonnée, mais qu’elle est étagée et diffuse. Les productions symboliques ne se diffusent pas au sens convenu du terme, mais sont plutôt le produit d’opérations de traduction/retraduction continuelles (Akrich et al., 2006). Eu égard à cette circulation, aucune préséance n’est accordée a priori à des éléments particuliers du collectif, comme l’école ou la famille; il s’agit davantage de voir comment ça circule et avec quels effets, plutôt que où ça circule. Dès lors, il importe de centrer le regard sur la circulation des enfants comme telle; on en verra une illustration probante dans la circulation des orphelins, soit dans le réseau familial plus large, soit dans les institutions prévues pour eux.
On retient de la perspective de l’acteur-réseau qu’une société ne se construit pas par l’action de l’humain seul, mais qu’elle est produite dans et par un ensemble composite, voire disparate, de réseaux hétérogènes dont le modèle repose sur deux caractéristiques principales. D’une part, le concept de l’acteur-réseau rappelle le caractère inéluctablement collectif de l’agir humain: «l’action n’est pas ce que les gens font, mais plutôt le “fait-faire” qu’ils effectuent avec d’autres» (Latour, 2007). D’autre part, la société est liée de quelque manière aux associations entre humains et non-humains – la technologie y jouant un rôle de premier plan – ainsi qu’à l’imposante variété de leurs déplacements (Callon et al., 1999).
Ces associations d’humains et de non-humains forment des collectifs qui constituent un réseau complexe de relations sociales. Dans le cas qui nous concerne, le collectif de l’enfance, le réseau regroupe tout à la fois médecins, infirmières, enseignants, activistes du welfare, travailleurs sociaux, psys de toute sorte, philanthropes; de l’autre côté du partage se trouvent cliniques de santé et services municipaux de santé, l’œuvre de la Goutte de lait, hôpitaux, unités sanitaires, associations diverses (hygiène, santé). Le collectif de l’enfance ne s’y limite pourtant pas: on repère non seulement les laboratoires de recherche – Pasteur comme figure symbolique des avancées scientifiques – mais aussi des objets dits hybrides, comme les médicaments (antibiotiques), les procédés techniques comme la pasteurisation et le rationalisme aseptique, la vaccination, la stérilisation, l’immunisation, les tests (d’intelligence, par exemple), l’examen médical à intervalle régulier, les carnets de santé et maintes fiches d’inscription, hospitalières ou autres. Le concept d’inscription s’avère ici essentiel, car il englobe diverses formes visuelles (graphiques, tableaux, chartes et diagrammes) issues de l’utilisation des instruments scientifiques de mesure traduisant ces phénomènes dans un langage qui autorise la comparaison et qui fournit un cadre commun d’appréhension de la situation de l’enfant dans le collectif, et par la suite, d’intervention à son égard. On conviendra de la sorte qu’un collectif est composé d’entités hétérogènes – humaines et non humaines – qui fabriquent et recomposent le lien social dans un sens qu’il s’agit de porter au jour15.
Or, une règle de base de l’analyse consiste à toujours contextualiser le problème à l’étude dans un ensemble sociétal plus vaste, c’est-à-dire à prendre en compte les paramètres qui l’incluent et le débordent tout à la fois. Par conséquent, une partie redoutable du travail de recherche consiste à construire l’enfance dans un ensemble plus large, la société québécoise en l’occurrence; un Québec toutefois en transition vers la société industrielle au cours de laquelle les concordances initiales se transforment de façon décisive. On suppose que, le cas échéant, le chercheur s’intéressant à l’enfance mettra en place une problématique qui articule l’enfance aux mutations de la société québécoise du tournant du siècle; il construira des liens entre l’objet particulier et la totalité sociétale. Il s’agit alors d’analyser la condition de l’enfance comme le symptôme d’une réalité plus vaste et plus complexe, soit le Québec comme société globale. Resituer l’enfance dans l’ensemble des mutations de la société québécoise suppose une mise en place du concept de mode de production et de développement (MP/D). Nous élargissons d’emblée le concept classique de mode de production à celui de mode de développement16. L’idée majeure mise en avant ici concerne la forme des rapports sociaux dans ce MP/D en transition. Puis, l’idée d’une division (sexuelle) du travail: le marché met en place de nouveaux systèmes de régulation sociale qui bouleversent la société et le collectif de l’enfance, la diversité des innombrables cas individuels d’enfants marque leur appartenance à des conditions plus générales.
D’entrée de jeu, ajoutons que les lentes industrialisations de la seconde moitié du xixe siècle autant à Montréal qu’à Québec commencent déjà à ébranler la configuration familiale. Le concept de MP/D domestique possède un potentiel explicatif déterminant. Il indique de façon prégnante en quoi la famille est au fondement de cette société autant du point de vue du réel sociohistorique que des idées y circulant. Bref, sur l’arrière-plan de la famille conçue comme fondement et forme symbolique générale de la société québécoise d’alors ainsi que du MP/D domestique, l’analyse lit les transformations de ladite société selon une hypothèse sur la structure en mutation du MP/D domestique. Du coup, les industrialisations progressives de l’économie québécoise font peu à peu entrer ce MP/D en crise et concourent à son épuisement graduel.
Aborder la transition implique une mise au point: cette succession de processus sociohistoriques s’avère irrégulière et n’est pas soumise à une quelconque théorie des étapes17. Elle aménage des concordances qui se chevauchent les unes les autres dans des ondes de choc répercutées jusque dans la famille et l’enfance. Le passage du MP/D domestique au MP/D industriel présuppose que les structures en transformation véhiculent déjà le germe de ce passage. Il s’agit d’une longue transition s’étalant sur environ un siècle; et dans le cas du Québec, loin de toute rupture brutale ou radicale, voire sans rupture; d’où un chevauchement poreux entre les deux MP/D. Non seulement au cours de la même période, mais aussi dans un même espace géographique quand ce n’est au sein d’une même famille, on assiste à un enchevêtrement complexe, souvent décousu, des pratiques observables auxquelles les histoires conflictuelles de ces MP/D donnent lieu.
Ces processus sociohistoriques se caractérisent par une phase de déstructuration et de restructuration des formes sociales prévalentes dans un passage vers le MP/D propre à une société industrielle adossée à une modernité plurielle.
Il s’agit en fait de se donner les moyens d’éviter l’absorption d’une histoire québécoise singulière dans le grand récit de l’odyssée modernisatrice occidentale, américano-britannique notamment. La transition vers cette modernité fut plurielle et composite, loin de toute uniformité homogénéisante18. Cette trajectoire marque ainsi son appartenance à des conditions plus générales, à savoir un phénomène plus large qui trouve son assise dans un dispositif global de transition. C’est pourquoi le concept de modernité alternative hybride apparaît tout à fait approprié tant la trajectoire du Québec à cet égard ne fut ni un pur décalque, ni totalement différente de celle des sociétés environnantes.
Un groupe de chercheurs des Subaltern Studies affirme: «Ces récits tournent autour du thème de la transition historique. La plupart des histoires modernes du tiers monde ont pour axe des problématiques énoncées suivant le récit de la transition, dont les propos dominants (si souvent implicites) sont ceux du développement, de la modernisation et du capitalisme» (Chakrabarty, 2000: 31).
De l’abondante littérature des Subaltern Studies, on retiendra quelques idées clés susceptibles d’apporter un nouvel éclairage sur les processus de transition. D’abord, la proposition d’une transition incomplète vers le capitalisme à resituer dans un cadre plus général. «L’histoire globale du capitalisme n’a pas à reproduire partout la même histoire de pouvoir. [Une histoire où] «le subalterne est l’auteur de son propre destin» (Chakrabarty, 2003: 194 et ss.). Cette assertion présuppose d’ailleurs un chemin alternatif vers la modernité, distinct de celui des élites bourgeoises qui consiste en un passage plutôt uniforme vers l’économie de marché, le libéralisme politique, la rationalité, l’universalité. Par conséquent, de cette alternative découle une spécificité qui déstabiliserait les idiomes universalistes, historiciserait les contextes et pluraliserait les expériences de la modernité (Gaonkar, 2001).
Deux questions viennent à l’esprit: comment une société périphérique comme le Québec effectue-t-elle sa transition vers un MP/D industriel? Et comment pa...

Table des matières

  1. Remerciements
  2. Introduction
  3. CHAPITRE 1
  4. CHAPITRE 2
  5. CHAPITRE 3
  6. CHAPITRE 4
  7. CHAPITRE 5
  8. CHAPITRE 6
  9. Conclusion
  10. Bibliographie