Les journaux intimes et personnels au Québec
eBook - ePub

Les journaux intimes et personnels au Québec

Poétique d'un genre littéraire incertain

  1. 370 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub

Les journaux intimes et personnels au Québec

Poétique d'un genre littéraire incertain

Détails du livre
Aperçu du livre
Table des matières
Citations

À propos de ce livre

En dépit de l'intérêt marqué pour les textes autobiographiques depuis le début des années 1980, le journal intime continue de faire piètre figure, non seulement en tant qu'objet d'étude, mais aussi en tant que pratique littéraire. Cela n'est guère étonnant dans la mesure où le portrait du genre dressé par les théoriciens demeure, aujourd'hui encore, essentiellement négatif: genre sans forme, sans histoire et sans littérature… Il est ainsi un enfant mal-aimé des études littéraires et parfois des écrivains eux-mêmes.C'est en réponse à ce discours réducteur que cet ouvrage propose de revoir et de réévaluer un certain nombre de lieux communs sur le genre et d'en montrer la poétique, en postulant qu'il s'agit d'un genre littéraire à part entière. En parallèle, l'auteure offre un portrait fouillé des journaux publiés au Québec sur presque trois siècles. De ce panorama émergent ainsi différentes figures « d'écrivains-diaristes » et de « diaristes-écrivains » dont les œuvres, souvent méconnues, signalent la complexité des enjeux esthétiques et éthiques soulevés par l'écriture et la mise en scène de soi.Manon Auger est agente de recherche à l'UQAM, chargée de cours et chercheure. Elle a publié plusieurs articles sur divers journaux intimes québécois. Ses champs de spécialité sont la littérature québécoise, les écritures (auto)biographiques, ainsi que les enjeux de la littérature et de la création littéraire contemporaines.

Foire aux questions

Il vous suffit de vous rendre dans la section compte dans paramètres et de cliquer sur « Résilier l’abonnement ». C’est aussi simple que cela ! Une fois que vous aurez résilié votre abonnement, il restera actif pour le reste de la période pour laquelle vous avez payé. Découvrez-en plus ici.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptés aux mobiles peuvent être téléchargés via l’application. La plupart de nos PDF sont également disponibles en téléchargement et les autres seront téléchargeables très prochainement. Découvrez-en plus ici.
Les deux abonnements vous donnent un accès complet à la bibliothèque et à toutes les fonctionnalités de Perlego. Les seules différences sont les tarifs ainsi que la période d’abonnement : avec l’abonnement annuel, vous économiserez environ 30 % par rapport à 12 mois d’abonnement mensuel.
Nous sommes un service d’abonnement à des ouvrages universitaires en ligne, où vous pouvez accéder à toute une bibliothèque pour un prix inférieur à celui d’un seul livre par mois. Avec plus d’un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu’il vous faut ! Découvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l’écouter. L’outil Écouter lit le texte à haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l’accélérer ou le ralentir. Découvrez-en plus ici.
Oui, vous pouvez accéder à Les journaux intimes et personnels au Québec par Manon Auger en format PDF et/ou ePUB ainsi qu’à d’autres livres populaires dans Literature et Literary Biographies. Nous disposons de plus d’un million d’ouvrages à découvrir dans notre catalogue.

Informations

CHAPITRE 1

«Le journal est une plante sauvage»

Le journal est une plante sauvage. Personne n’a jamais pu codifier ce type d’écriture, comme on a codifié d’autres genres. Peut-être d’ailleurs parce qu’il est né, en France du moins, après le classicisme et la grande époque des arts poétiques.
Béatrice Didier (1988: 144)
Cette métaphore du journal que propose Béatrice Didier est certes belle, surtout pour ce qu’elle implique de respect à l’égard de cet objet si souvent dénigré. Ainsi, loin d’être simplement une excroissance gênante pour la poétique des genres, le journal, en tant que «plante sauvage», dépasserait la compréhension du «civilisé», incapable de reconnaître et d’apprécier sa complexité parce qu’il ne dispose ni des outils appropriés pour y arriver ni d’une connaissance approfondie de la flore sauvage. Voilà qui, à son tour, établirait de façon nette la différence entre, d’un côté, une littérature codée et appréciable parce que formellement reconnaissable et, de l’autre, une littérature libre et relativement anarchique, mais qui n’en serait pas moins belle, pour peu que l’on veuille faire l’effort d’un rapprochement, voire pour peu que l’on veuille ériger cette anarchie en valeur. Cependant, à une époque de constante remise en question des frontières et des codes génériques, il est malaisé, même au premier abord, de se satisfaire d’une définition du genre diaristique fondée sur une dualité qui érige les genres en modèles rigides, d’autant plus que le journal, en tant que production humaine, devrait, par ce fait même, être à la portée de la compréhension humaine.
Dès lors, s’il y a dans l’affirmation de Didier comme une sorte de défi, il n’en demeure pas moins qu’elle synthétise une idée généralement admise par tous, à savoir que le journal intime est un genre qui se définit paradoxalement par son absence de codes, voire par sa non-définition, comme le relaie à son tour Blandine Leclercq: «Si l’on considère que le Journal est devenu un texte, au même titre que tout autre texte (romanesque, théâtral, etc.), il apparaît clairement que ce genre échappe à toute tentative de définition.» (1997: 149) Cependant, cette impossibilité à définir le journal, même si elle semble acceptée des théoriciens, n’en suscite pas moins un malaise chez eux, comme l’exprime Pierre Hébert:
Une des plus grandes difficultés lorsqu’il s’agit d’aborder les journaux intimes tient à l’absence d’une théorie du genre de même qu’à l’aspect multiforme des textes visés. Le vocable journal intime recouvre des textes aussi opposés que des journaux de guerre, des journaux spirituels, des journaux de voyage, etc. (1988: 31)
Cet aspect du journal serait même, toujours selon Hébert, la «prémisse du genre» qui «pose d’entrée de jeu un objet flou rendant impossible toute théorie du genre, voire simplement une entreprise taxinomique» (1988: 83). Françoise Simonet-Tenant, qui consacre un petit ouvrage de synthèse au genre, reconduit à son tour cet aspect problématique de la théorisation du journal, en la mettant aussi au compte de la complexité de la production: «La diversité qualitative et quantitative des journaux semble vouer à l’échec toute tentative d’analyse généralisatrice.» (2004: 11) Ce constat est d’autant plus complexe que le journal apparaît également comme un objet facilement identifiable qui réussit «une paradoxale et irritante gageure: résister à toute définition précise mais être aisément identifié quand on en tient entre les mains un spécimen» (Simonet-Tenant, 2004: 12). Sans discuter plus avant ces questions, Hébert et Simonet-Tenant mettent ici en relief deux aspects du problème qui, ensemble, pourraient bien créer l’impasse: d’une part, un référent difficilement définissable puisqu’il englobe une variété trop grande de textes (le mot «journal») – et qui donc, en ce sens, ne s’éloignerait guère des archigenres que sont le «théâtre» ou le «roman» ou la «poésie» –, de l’autre, une volonté d’en arriver à une définition à la fois générale et fédératrice qui engloberait la totalité des textes.
Certes, on a bien découvert, au cours de l’histoire critique du journal, quelques traits communs entre tous ces textes, malgré leur aspect multiforme, et quelques définitions ont été proposées. Par exemple, pour Philippe Lejeune, le journal est une «série de traces datées» (2005b: 80); pour Sébastien Hubier, c’est «un genre que définit sa fragmentation» (2003: 59), alors que, pour Béatrice Didier, c’est l’instance d’énonciation qui sert de fil conducteur: «Ce “je” obsédant semble la seule règle d’un genre qui n’en connaît pas.» (1976: 154) D’ailleurs, au long des nombreuses études qu’elle consacre au journal, Didier reviendra souvent sur la question problématique de sa définition, proposant tantôt que «la liberté elle-même a ses codes» et que «tout discours, et à plus forte raison, toute analyse du discours, ne peut s’organiser que selon des lois» (1983b: 13), tantôt que, sans pouvoir être codifié, le journal «n’a d’autre règle – ce qui est déjà très important – que l’exercice quasi quotidien, la datation, l’absence de l’élaboration et de retouches» (1987: 251). Placées côte à côte, ces diverses définitions semblent à la fois se recouper et se contredire, mais soulignent surtout à quel point le journal échappe en effet à une définition stricte tout en ne cessant, par ailleurs, de reposer la question de sa définition problématique à ceux qui veulent en étudier les mécanismes. Sans code, donc, mais comprenant de nombreuses règles, dont celle de la datation (et ses conséquences sur la valeur du journal en tant que récit) semble faire consensus.
Je ne m’attarderai pas ici à remettre en question ces différents critères par le biais de contre-exemples ou d’interrogations spécifiques sur chacun d’eux. Car, ce qui frappe davantage, c’est la distinction entre codes et règles, distinction sans doute attribuable à la confusion déjà évoquée entre pratique et genre. Il semble bien, d’ailleurs, que l’étude du journal se passe difficilement de l’évocation des circonstances de sa rédaction, soit de ces modes d’inscription de la pratique qui sont souvent au cœur même du texte, contrairement à bien des genres dans leurs formes plus traditionnelles. On pourrait ainsi proposer d’entrée de jeu que les codes appartiennent au genre, tandis que les règles relèvent plus spécifiquement de la pratique (ou, pour le dire autrement: les codes au texte et les règles au contexte). Et c’est peut-être là, on peut le supposer, que les entreprises de définition achoppent: voulant parvenir à une définition qui englobe à la fois la pratique et le genre, tout autant que l’ensemble varié des productions, elles ne peuvent classer les textes en tenant compte tout à la fois des règles et des codes, du pacte de lecture proposé, de la forme du texte et de son contenu.
En contrepartie, il est impossible, au cœur d’une réflexion sur la poétique du journal, de se satisfaire d’une définition en creux. Je ne peux ainsi échapper au processus de sélection et de définition auquel chaque poéticien doit se prêter. Dans cette optique, mon but dans ce chapitre sera moins de faire le procès des méthodologies utilisées précédemment que de réfléchir à certains rouages de l’analyse des genres littéraires. Par ailleurs, considérant que seule une fréquentation assidue du milieu «sauvage» pouvait me le rendre plus familier, je me suis prêtée, parallèlement à cette réflexion, à un exercice de recherche empirique pour délimiter mon corpus et, dans un même élan, mettre à l’épreuve l’idée voulant que le genre diaristique ne puisse être défini. Ce sont les fruits de ce travail – ses assises théoriques, ses modalités et ses résultats – que je souhaite présenter brièvement ici.

De l’appartenance générique

Dans un processus d’appréhension et de définition d’un genre littéraire, le choix d’un corpus «représentatif» est une étape déterminante. Ce choix reposant essentiellement sur la définition préalable de l’objet d’étude, celle-ci a donc un impact considérable sur la lecture que l’on fera par la suite des grandes caractéristiques du genre en question. Dans le cas précis du journal, il m’apparaît que deux méthodes possibles de constitution du corpus – parmi celles que l’on applique de façon globale aux genres littéraires et qui sont plus ou moins inspirées de la poétique des genres – ont été privilégiées.
La première méthode consiste, de façon schématique, à établir dès le départ une conception stricte du genre et à ne retenir, pour constituer le corpus, que les textes qui répondent à cette définition. Illustrons ce cas par un exemple classique: un poéticien peut proposer qu’un journal soit un texte au jour le jour, écrit pour soi-même et qui met en scène le quotidien de la personne qui le tient. Conséquemment, il choisira des textes aux parentés formelles, pragmatiques et thématiques évidentes, et procédera ainsi dès le départ à un tri parmi une grande masse de textes, ce qui lui permettra de se débarrasser de cas jugés d’emblée «limites» ou ambigus. Dans ces circonstances, établir une poétique à partir des exemples retenus devrait théoriquement s’avérer aisé, parce que le groupe de textes sera homogène en raison même des ressemblances qui leur ont valu d’être réunis1. En conséquence, cette méthode empêche toute définition a posteriori du genre, ainsi que toute saisie tant soit peu globale. En effet, si l’on part d’une définition a priori – définition tributaire d’une tradition de lecture et qui, conséquemment, ne s’appuie pas véritablement sur les textes –, on ne peut logiquement espérer de définition du genre au terme de l’étude. La démarche est donc en quelque sorte «circulaire» (Lejeune, [1975] 1996: 322) et relève d’une logique essentialiste-évolutionniste2 – parce qu’elle sous-tend l’idée que les œuvres choisies correspondent à la forme «pure» du genre, voire qu’elles se seraient constituées en éliminant des traits plus faibles pour enfin arriver à une forme, sinon parfaite, du moins digne d’intérêt pour le chercheur. Souvent fondées sur cette définition «classique» du journal (en grande partie héritée de ses formes fictives), ces tentatives de définition peuvent finir par être pour le moins frustrantes. En effet, dès lors qu’on confronte une définition préalable à la réalité protéiforme des textes, le risque est grand de jeter notre genre et sa poétique dans un lit de Procuste.
La deuxième méthode d’établissement d’un corpus consiste – encore une fois d’une façon schématique – à réunir les textes qui semblent être les grands représentants du genre pour parvenir à caractériser ce dernier. Dans cette perspective, le poéticien peut se concentrer sur une seule littérature ou aller chercher ses exemples dans la littérature dite universelle afin de dégager les grandes caractéristiques du genre à partir de ces exemples «heureux»3. Le principal problème de cette méthode, c’est qu’elle postule implicitement que les grands classiques (les œuvres les plus esthétiquement viables) ou les œuvres les plus connues sont les plus représentatives du genre. S’inscrivant dans une logique prescriptive-normative4, elle rejoint ainsi la méthode aristotélicienne parce qu’elle insiste sur les traits poétiques qui donnent ses lettres de noblesse au genre et néglige jusqu’à un certain point ses aspects plus banals, dans la mesure aussi où elle postule implicitement que les œuvres les plus parfaites du point de vue esthétique sont les meilleures représentantes du genre. Cette méthode, qui peut être pertinente pour l’étude de certains courants, est cependant problématique dans le cas précis du journal parce que, ici, les grands «classiques» deviennent tels la plupart du temps parce qu’il s’agit de journaux d’écrivains. Or, le journal n’est que minoritairement le fait d’écrivains – et c’est généralement la valeur de la figure de l’écrivain qui est à l’origine de la publication. De même, l’application un peu lâche de cette méthode a conduit nombre de poéticiens à mettre de côté des textes probablement jugés «mineurs» sans raison recevable, comme nombre de journaux de femmes qui n’en caractérisent pas moins le genre – dans la mesure toujours où il s’agit de journaux publiés.
Fixer les règles d’une poétique générique à partir d’exemples choisis se révèle, en somme, quelque peu hasardeux. Ainsi, nombre d’études poétiques sur le journal, en se fondant sur ce principe, ont souvent versé dans la «poétisation», voire la «prescription», plutôt que dans la saisie empirique des textes dans leurs constantes, leurs divergences et même leurs contradictions. Elles ont ainsi eu tendance à élaborer la poétique et les codes du genre en les réduisant à leur plus simple expression, celle-ci permettant surtout de regrouper certaines œuvres et d’en éliminer d’autres, plutôt qu’à rendre compte de leur évolution et de leur esthétique au sein d’une catégorie historiquement variable. Il ne s’agit pas ici de clouer au pilori ces nombreux efforts, louables et souvent précieux en dépit de certaines lacunes, de définition du genre, mais de souligner la nécessité, aujourd’hui, d’une méthode et d’une approche renouvelée. Comme le soulignait déjà Philippe Lejeune en 1975, il ne faut pas céder à «l’illusion de l’éternité» (Lejeune, [1975] 1996: 313) voulant qu’un genre ait toujours existé sous une forme ou sous une autre (agenda, livres de comptes, etc., en ce qui concerne le journal), illusion qui «correspond à l’opération historique la plus spontanée, qui nous fait redistribuer sans cesse les éléments du passé en fonction de nos catégories actuelles» ([1975] 1996: 313-314)5. Il ne faut pas se laisser tromper, non plus, par celle de la «naissance du genre» ([1975] 1996: 317), fondée sur certains modèles canoniques qui auraient fixé les traits des textes à venir, sans prendre en considération l’ensemble des modèles (fictifs ou autres) qui ont, autant que les journaux réels, nourri l’imaginaire populaire et informé la pratique diaristique6.

Le système de la désignation générique

Les genres littéraires, il importe de le souligner, sont en constante redéfinition, tout comme les frontières qui les séparent et qui sont pour le moins perméables. C’est une des raisons pour laquelle la théorie des genres insiste essentiellement sur les impasses auxquelles se heurte toute tentative de classification7. Et pour cause. Comme l’explique brillamment Jean-Marie Schaeffer dans Q...

Table des matières

  1. REMERCIEMENTS
  2. INTRODUCTION
  3. PARTIE I
  4. CHAPITRE 1
  5. CHAPITRE 2
  6. CHAPITRE 3
  7. CHAPITRE 4
  8. PARTIE II
  9. Chapitre 5
  10. CHAPITRE 6
  11. CHAPITRE 7
  12. PARTIE III
  13. CHAPITRE 8
  14. CHAPITRE 9
  15. CHAPITRE 10
  16. CONCLUSION
  17. BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
  18. ANNEXE
  19. Dans la collection nouvelles études québécoises