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Le voyage vers la sagesse (1592-1655)

  1. 264 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Le voyage vers la sagesse (1592-1655)

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À propos de ce livre

Figure centrale de la République des Lettres, Pierre Gassendi a souvent été réduit au rôle du rival malheureux de Descartes ou du philosophe sans système. Cet ouvrage présente pour­tant un savant passionnant, à la pensée riche et complexe, que la pratique et l'éthique de soi ont mené sur le chemin de la connaissance et de la sagesse.En se penchant sur les choix poétiques et discursifs de Gassendi, l'auteure met en avant l'actualité de sa pensée, proche de nos questionnements sur notre rapport aux émotions, à notre corps ou à la nature. Elle tente par ailleurs de saisir sa pensée dans son ensemble, à la fois dans ses dimensions scientifique et spirituelle, sans chercher à opposer ces deux aspects. Ce faisant, elle montre le lien particulier qui s'établit entre vérité, savoir et raison au xviie siècle et la manière dont se racontait alors le métier de savant et de penseur – Gassendi empruntant, quant à lui, la voie de la conversion. Judith Sribnai est professeure adjointe au Département des littératures de langue française de l'Université de Montréal.

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Informations

PREMIÈRE PARTIE

Itinéraires

CHAPITRE 1

«Nous arriverons bientôt au bout du rouleau»

Il peut paraître étrange de commencer par l’utilisation que fait Gassendi d’une figure de langage quand lui-même prend soin, à plusieurs reprises, de dire sa méfiance à l’égard de la rhétorique, porteuse d’illusions et de mensonges1. C’est bien elle, pourtant, qui décrit le travail du philosophe. Pour reprendre une distinction proposée par Nanine Charbonnel, la métaphore ne relève pas seulement du régime expressif (rendre compte d’un sentiment) ou cognitif (rendre compte d’une connaissance du réel), elle enjoint à «quelque chose à propos d’une praxis2»: elle peut décrire et prescrire une pratique, voire ici une méthode. Or, la méthode c’est d’abord le chemin, la voie empruntée (όδός). Si l’image de la route qui mène au savoir est récurrente depuis l’Antiquité, Gassendi la réinvestit pour comprendre à la fois l’aventure existentielle du savant et la manière dont s’interprètent ses expérimentations. Hans Blumenberg, qui proposait une histoire des idées du point de vue de la métaphore, décrit ainsi cette figure: «Dans un sens très large, leur vérité est d’ordre pragmatique. En tant que repère pour des orientations, leur contenu détermine une attitude, [les métaphores] donnent une structure à un monde, elles représentent la totalité de la réalité dont on ne peut jamais faire l’expérience et que l’on ne peut jamais entièrement appréhender3.» Il est impossible ici de faire l’histoire de cette image du chemin parcouru par le philosophe, mais il est clair que Gassendi s’approprie un récit ancien qui lui permet, très précisément, de dire et de montrer le travail d’un savant qui ne peut pas faire l’expérience de tout le réel et qui, pourtant, se donne pour fin de décrire ce réel. La métaphore donne un sens, c’est-à-dire à la fois signification et direction, à la recherche4.

Les chemins du savoir

Engagé dans ses recherches sur Épicure, Gassendi envoie à son protecteur, Louis de Valois, une série de lettres résumant ses connaissances en matière de philosophie antique et épicurienne. De l’automne 1641 à l’automne 1642, il propose ainsi de brèves leçons à l’usage du prince5, leçons qu’il fait parvenir à un rythme régulier et selon un ordre bien établi: commençant par l’apologie d’Épicure, il expose ensuite ses réflexions sur la sagesse, sa canonique et sa physique. Alors qu’il termine la série consacrée à l’apologie et qu’il s’apprête à entamer «le champ de sa doctrine […] incomparablement plus étendu6», Gassendi prévient son destinataire:
Si le voyageur qui sort le matin était pris par l’inquiétude du si grand nombre de pas qu’il doit parcourir l’un après l’autre, il s’arrêterait sûrement sur le seuil: mais il doit laisser ce souci et seulement prendre la route, puisqu’il franchira des espaces immenses, même sans s’en rendre compte; nous ne devons pas penser à l’immensité de l’ouvrage, mais seulement espérer qu’en avançant petit à petit, nous arriverons bientôt au bout du rouleau […]7.
La métaphore, qui a un rôle à la fois de mise en garde et d’encouragement, aussi bien pour Valois que pour Gassendi, se double d’un vocabulaire spirituel: le voyageur, enclin peut-être à «l’inquiétude» (sollicitudo) et au «souci» (curam), doit écarter ses pensées qui l’immobilisent («il s’arrêterait sur le seuil») et laisser la place à «l’espérance» (sperandum), vertu théologale féconde qui permet de passer le seuil pour traverser des «espaces immenses». À partir de l’opposition entre un intérieur clos et un extérieur frappé d’une immensité troublante parce qu’elle n’a plus taille humaine (le «si grand nombre de pas qu’il doit parcourir»), Gassendi opère un renversement axiologique. D’une certaine manière, l’objet de la connaissance ne se mesure pas à l’échelle de l’homme et il faut donc, au moment de se lancer à sa recherche, s’en remettre à une vertu d’acceptation et de renoncement: accepter que le temps et l’espace du trajet nous échappent, renoncer à savoir si «nous arriverons au bout». La quiétude ou la tranquillité viennent au voyageur qui ne se laisse pas troubler par ce qui n’est pas en son pouvoir mais qui, à l’inverse, se donne des tâches à sa mesure, car il importe d’avancer «petit à petit». Le voyageur ajuste son regard, se détournant des «espaces immenses» pour retourner à son «rouleau» (umbilicum) c’est-à-dire au petit trajet qu’il s’est tracé au milieu de cette étendue. Par l’image, Gassendi superpose traversée du monde et écriture du monde, l’immensité des espaces (spatia immensa) et le bouclage de l’écrit que suppose l’umbilicum, ce bouton qui scelle le rouleau où se trouve le manuscrit. Comme si la boucle fermant le texte pouvait réconcilier la nature avec l’imperfection de sa connaissance et de son écriture8. Enfin, comme chez Épicure, la paix de l’âme se gagne par l’effort: «nous ne devons pas penser», «il doit laisser ce souci», effort qui se répète chaque fois que l’inquiétude revient et qui nous ramène à ce qui est en notre pouvoir9. C’est à cette condition que les «espaces immenses» prennent une valeur rassurante et que l’incommensurable n’engendre plus la crainte.
L’expérience du voyageur est d’autant plus difficile qu’il lui faut trouver une voie singulière dans un espace qui semble infini10. Pourtant, remarque Gassendi, les philosophes et les savants tendent tous vers la vérité et le bonheur, et chacun débusque le sentier qui l’y conduit:
Puisque toutes les sectes philosophiques tendent à un seul et même but, la vérité et le bonheur qui est la conséquence de son obtention, il ne faut pas considérer toutes ces sectes comme plusieurs routes royales qui conduisent chacune à des endroits différents, mais comme les détours et les sentiers d’une seule et même route, qui permettent d’arriver finalement au même point11.
Dans le domaine moral ou savant, on peut concevoir plusieurs «détours et sentiers» dont la diversité ne contredit pas la fin que les savants se donnent12. Gassendi préserve par là, malgré l’universalité de la fin, la singularité des expériences. Il est nécessaire que chacun trouve, à part soi, son propre itinéraire jusqu’à la vérité13 et une telle assertion permet déjà de saisir l’importance que revêtent les transformations personnelles dans le trajet du converti. C’est dans ce contexte que l’on peut comprendre la critique que Gassendi adresse à Descartes à propos du doute hyperbolique: «N’est-il pas vrai qu’après tant de détours et de circuits, il vous a fallu revenir enfin au point d’être persuadé des mêmes choses sans exception14?» Il serait faux de croire que tous les chemins se valent et l’une des tâches du savant est bien de trouver la manière la plus conforme aux progrès de la raison et du savoir15. Se dégagent ainsi quelques caractéristiques d’un itinéraire efficace du savoir: synonyme d’effort, singulier, attentif à la modernité, animé par l’espérance.
La métaphore renvoie donc aussi bien au domaine philosophique et moral qu’au domaine plus spécifiquement scientifique. Le 22 octobre 1640, Gassendi remercie Jérôme Bardi pour l’envoi de l’ouvrage de Baliani De motu naturali gravium solidorum (Gênes, 1638). Il commente:
Tu me demandes ce que je pense du petit livre que tu m’as transmis: sache que je l’admire à cause de la méthode particulière de la démonstration. Le remarquable Galilée qui s’est proposé [sur] le même sujet en le développant davantage a procédé par une autre méthode; l’éminent Baliani a ouvert un chemin (semitam) qui lui est propre, démontrant clairement que les voies pour arriver à la vérité étaient multiples (multis viis ad Veritatem)16.
Gassendi ne partage pas les vues de Baliani et en propose immédiatement une critique: «Il demande qu’on lui concède quelques points, qu’on pourrait peut-être lui refuser». Le chemin du savant est ici clairement associé à la méthode qu’il se donne pour démontrer la chute des corps et Gassendi note que lui aussi possède sa propre methodus: «J’ai moi aussi une méthode d’observation particulière […]». Or, ce qui distingue sa méthode et celle de Galilée de celle suivie par Baliani c’est le rôle qu’y tient l’expérience:
En fait c’est l’accord entre les expérimentations qui leur donne leur fiabilité, et la cohérence du rapport dans lequel les corps pesants qui tombent acquièrent des degrés de vitesse. Sans doute pourrait-il sembler étonnant que Baliani ait découvert par le seul raisonnement ce rapport que Galilée le premier, que je sache, a obtenu par expérience, mais il convient d’en juger ainsi, puisque cet homme si illustre n’a pas fait mention de sa propre expérience ni de celle de Galilée17.
La méthode ne relève pas uniquement du raisonnement ou de la logique. Comme mode d’acquisition mais aussi d’exposition du savoir, elle est un parti-pris en faveur de la science nouvelle qui favorise un rapport direct avec la nature et les phénomènes. La métaphore de l’itinéraire savant se trouve alors réactivée: il ne suffit pas d’adopter une certaine perspective intellectuelle, il faut, littéralement, sortir de chez soi et expérimenter les faits naturels, il faut y trouver une voie dans l’immensité des phénomènes et y «avancer petit à petit18». La méthode est autant un chemin de la pensée qu’une pratique qui engage le corps et l’esprit dans le monde extérieur19.
En quoi cette expérience du savant se rapproche-t-elle de la conversion? C’est que, dit Gassendi, lorsque le chemin emprunté est le bon, le savant peut espérer passer de l’ombre à la lumière. Félicitant Thomas Feyens, professeur de médecine à Louvain, pour son travail sur la formation du fœtus20, Gassendi se réjouit d’y retrouver ses «amis, la vérité et Platon». Il dévore d’...

Table des matières

  1. REMERCIEMENTS
  2. LISTE DES ABRÉVIATIONS
  3. INTRODUCTION
  4. PREMIÈRE PARTIE
  5. Itinéraires
  6. DEUXIÈME PARTIE
  7. Exils
  8. TROISIÈME PARTIE
  9. Retour
  10. CONCLUSION
  11. BIBLIOGRAPHIE
  12. Autres titres de la collection «Espace littéraire»