Parcours numériques
eBook - ePub

Parcours numériques

L'invention littéraire de l'image numérique

  1. 169 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub

Parcours numériques

L'invention littéraire de l'image numérique

Détails du livre
Aperçu du livre
Table des matières
Citations

À propos de ce livre

Désormais, nous sommes tous photographes. Les appareils intégrés à nos téléphones nous permettent de capter, de visualiser, de modifier et de partager nos photos sur les réseaux sociaux en moins d'une minute. Omniprésente sur nos écrans, la photographie est devenue une nouvelle forme de langage. Alors que les clichés s'accumulent par centaines sur nos disques durs, où l'on finit par les oublier, certaines voix s'élèvent pour se demander si, dans sa transition de l'argentique vers le numérique, la photographie n'aurait pas perdu ce qui la rendait justement photographique.Pour comprendre ces mutations fascinantes – et un peu inquiétantes – de la culture visuelle, l'auteure analyse les pratiques photographiques contemporaines, à la fois ama­teurs et artistiques, ainsi que les discours, surtout littéraires, consacrés à l'image. Elle décortique ainsi les nouvelles mytho­logies de l'image pour mieux les recadrer dans une histoire générale de l'idée de la photographie, avec autant de brio que d'érudition.

Foire aux questions

Il vous suffit de vous rendre dans la section compte dans paramètres et de cliquer sur « Résilier l’abonnement ». C’est aussi simple que cela ! Une fois que vous aurez résilié votre abonnement, il restera actif pour le reste de la période pour laquelle vous avez payé. Découvrez-en plus ici.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptés aux mobiles peuvent être téléchargés via l’application. La plupart de nos PDF sont également disponibles en téléchargement et les autres seront téléchargeables très prochainement. Découvrez-en plus ici.
Les deux abonnements vous donnent un accès complet à la bibliothèque et à toutes les fonctionnalités de Perlego. Les seules différences sont les tarifs ainsi que la période d’abonnement : avec l’abonnement annuel, vous économiserez environ 30 % par rapport à 12 mois d’abonnement mensuel.
Nous sommes un service d’abonnement à des ouvrages universitaires en ligne, où vous pouvez accéder à toute une bibliothèque pour un prix inférieur à celui d’un seul livre par mois. Avec plus d’un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu’il vous faut ! Découvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l’écouter. L’outil Écouter lit le texte à haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l’accélérer ou le ralentir. Découvrez-en plus ici.
Oui, vous pouvez accéder à Parcours numériques par Servanne Monjour en format PDF et/ou ePUB ainsi qu’à d’autres livres populaires dans Art et Photography. Nous disposons de plus d’un million d’ouvrages à découvrir dans notre catalogue.

Informations

Année
2018
ISBN
9782760639270
Sujet
Art
Sous-sujet
Photography

CHAPITRE 1

L’imaginaire de la révélation photographique

Aujourd’hui, toute une génération au moins n’a jamais manié que des appareils photo numériques, voire rien d’autre que des téléphones portables équipés pour capter, envoyer et publier en ligne des clichés. Nos appareils argentiques sont relégués au placard ou, avec un peu de chance, exposés à titre de curiosité sur une étagère. L’argentique semble passé à l’histoire, et l’heure est à l’inventaire.

L’archéologie de la chambre noire

Fasciné par le travail des photographes en chambre noire, l’américain John Cyr, maître-imprimeur de formation, parcourt ainsi depuis 2010 les États-Unis à la recherche des bacs à développement dont les «propriétaires» ont marqué l’histoire, afin d’en proposer un inventaire photographique. Sa série Developer Trays comprend notamment le matériel d’Aaron Siskind, d’Edward Mapplethorpe ou de Sylvia Plachy, mais aussi des pièces datant des premiers âges du média, aujourd’hui conservées dans les musées. On peut facilement reconnaître dans le travail de Cyr – qui a d’abord choisi d’exercer le métier de photographe dans sa forme la plus artisanale, se spécialisant dans les procédures laborantines qui subissaient pourtant déjà de plein fouet la concurrence du numérique – une passion évidente pour la matérialité de la photographie et ses aspects techniques.
Mais paradoxalement, ces clichés n’ont que peu d’intérêt documentaire, quand bien même certaines pièces ont une valeur historique évidente. Car en fouillant les laboratoires afin d’y dénicher des outils désormais négligés, Cyr parvient surtout à ériger le révélateur en objet esthétique singulier, métonymie du photographe et de son œuvre, symbole du fait photographique dont il souligne l’origine chimique et de l’imaginaire encore étroitement attaché à la chambre noire. Les cuvettes photographiées par Cyr sont difficilement identifiables, le dispositif esthétique choisi encourageant le spectateur à regarder au-delà du simple référent: les jeux d’éclairage font ressortir les couleurs vives de l’objet, et la prise de vue verticale à 180° le présente comme une page à déchiffrer. Ainsi peut-on lire ces bacs de révélation, qui auront conservé la trace, la signature de leurs photographes. Le matériel de Linda Connor par exemple, laisse clairement deviner la forme du film 8 x 10 avec lequel l’artiste a pris l’habitude de travailler. En conservant l’empreinte du photographe et des centaines de clichés passés au révélateur, le bac devient un objet singulier.
Le travail de John Cyr semble déterminé par l’urgence d’inventorier une technique, un art en voie de disparition – conséquence directe de l’obsolescence de l’argentique. Usé, bosselé, décoloré, le bac photographié et exposé n’est pourtant plus seulement un vestige de la chambre noire: il en est une manifestation vive. Par sa démarche, Cyr lui reconnaît le même caractère indiciel qu’on a longtemps prêté à la photographie elle-même. Du travail de mémoire dédié au fait argentique, le projet glisse vers une tendance à la monumentalisation, à la reconstitution d’un imaginaire de la photographie, comme si le média argentique devait lui-même faire face à cet état simultané de présence et d’absence qu’il a toujours conféré à son référent. Un projet tel que Developer Trays (ou Darkroom de Michel Campeau, qui a quant à lui photographié des chambres noires du monde entier) vient revivifier ce que l’on qualifiera d’imaginaire de la révélation, d’autant plus persistant et manifeste qu’il semble aujourd’hui sur le point de disparaître en même temps que la technique argentique qui l’a fait naître. Le révélateur se trouve en quelque sorte révélé par le numérique, un format dans lequel Cyr retravaille ses images avant de les publier en ligne. Cette démarche hybride montre la persistance de l’imaginaire argentique, intimement lié à ce que le fait photographique a d’abord perdu dans la transition numérique: les procédures en chambre noire et l’aura mystérieuse, presque magique, qu’elles conféraient à l’image. Elle montre que la photographie, comme tout autre média, est le fruit d’une double construction, à la fois technique et discursive. L’appareil et ses pellicules importent tout autant que l’imaginaire et le mythe pour définir le fait photographique.
La révélation photographique constitue un cas paradigmatique de cette double – mais complémentaire, bien que parfois conflictuelle – construction du média, dont elle cristallise les problématiques ontologiques. Devant les nouvelles réalités du fait photographique, en plein processus de remédiation, la notion de révélation issue des premiers âges de la photographie constitue en effet un point névralgique de la transition de l’argentique vers le numérique. Nous aborderons donc les principales questions d’un imaginaire aujourd’hui en transition: comment la notion de révélation (ce concept théologico-littéraire fondamental que la photographie s’est approprié pour désigner l’étape la plus décisive du processus de développement des images) a-t-elle participé à la construction du fait photographique? Quel rôle a pu jouer la littérature dans l’invention d’une idée de révélation de la photo, ou par la photo, et à l’inverse, comment la révélation a-t-elle redéterminé le fait littéraire? Enfin, que devient ce paradigme de la révélation à l’ère du numérique, parfois qualifiée de postphotographique?

Généalogie de la révélation

Dans La Chambre claire, Roland Barthes écrit:
On dit souvent que ce sont les peintres qui ont inventé la Photographie (en lui transmettant le cadrage, la perspective albertienne et l’optique de la camera obscura). Je dis: non, ce sont les chimistes.
Il paraît qu’en latin «photographie» se dirait «imago lucis opera expressa»; c’est-à-dire: image révélée «sortie», «montée», «exprimée» (comme le jus d’un citron) par l’action de la lumière. Et si la photographie appartenait à un monde qui ait encore quelque sensibilité au mythe, on ne manquerait pas d’exulter devant la richesse du symbole: le corps aimé est immortalisé par la médiation d’un métal précieux, l’argent (monument et luxe); à quoi on ajouterait l’idée que ce métal, comme tous les métaux de l’alchimie, est vivant. (1981, p. 126-127)
En opérant ce glissement de la chimie à l’alchimie, de la procédure laborantine au mythe (qui d’ailleurs la précède), Barthes souligne l’analogie qui opère grâce au motif de la révélation: tout comme la photographie est révélée par l’action de la chimie, elle doit à son tour susciter une expérience de révélation. Cette expérience sera épiphanique pour Barthes, qui «retrouve» l’essence de sa mère grâce à la photo du jardin d’hiver, un cliché sur lequel elle apparaît en petite fille, comme il ne l’a pourtant jamais connue. À cet imaginaire combinant chimie et magie, «alchimique» pour reprendre Barthes, s’ajoutera dans La Chambre claire une idée encore plus complexe de la révélation, associée à la résurrection. Alors que la réflexion théorique sur l’image s’entremêle au témoignage du fils endeuillé, surgit une définition de la photographie restée canonique: «ça a été». Les quelques pages que Barthes consacre à la photo du jardin d’hiver n’ont cessé d’alimenter depuis les années 1980 le discours théorique et critique sur l’image, influençant profondément le champ des études photographiques et photolittéraires. À l’évidence, la réflexion de Barthes aura conforté les théories de l’indicialité notamment défendues par Philippe Dubois, Henri Van Lier ou Rosalind Krauss. Car si certains ont tôt fait de remarquer que la réalité constituait une expérience bien trop indécidable pour faire de l’image photographique une preuve tangible du réel, il fallait malgré tout qu’elle en soit une trace. Dans la mythologie littéraire de la photographie, cette conception de l’image photographique est encore largement dominante.
Paradoxalement, la publication de La Chambre claire coïncide avec l’apparition de l’un des tout premiers prototypes d’appareil photo numérique destiné à la grande distribution: le Mavica de Sony. Au moment même où Barthes propose une définition de la photographie qui fera date et qui s’appuie essentiellement sur l’imaginaire argentique et chimique, le tournant numérique est déjà amorcé et s’apprête à bousculer les anciens mythes attachés à l’invention de Niepce et de Daguerre. Dès lors, qu’avons-nous encore à faire d’une métaphore photographique de la révélation, alors que le numérique a rendu obsolète cette procédure propre à l’argentique? Ne devrait-on pas renoncer pour de bon à une notion aussi galvaudée qui capitalise tous les pouvoirs fantasmés de la photographie, à commencer par le problème épineux de l’ontologie de l’image? Au contraire, à l’heure où la vague numérique fait sans doute subir au média photographique ses mutations les plus profondes depuis le «moment Kodak», le paradigme de la révélation n’a jamais été aussi essentiel, puisqu’il cristallise les contradictions issues de la double construction, technique et discursive, du média. Pour bien comprendre ce paradoxe, revenons aux origines du concept.
La métaphore de la «révélation» par (ou à la manière de) l’image photographique, semble si transparente que l’on se passe généralement d’en justifier la pertinence. Bien entendu, elle renvoie à l’action du révélateur chimique par lequel l’image latente se transforme en image visible. De là, son sens exact et ses connotations peuvent se prêter à une foule de variations (parfois contradictoires) sans que ses fondements chimiques soient remis en cause. C’est pourtant bien dans la chambre noire du photographe qu’il nous faut commencer notre enquête, car si la métaphore de la révélation est à ce point polysémique et indécidable, c’est qu’elle est elle-même issue d’un premier glissement sémantique, vraisemblablement réalisé par les photographes. La révélation n’apparaît dans aucun des grands «textes fondateurs» de la photographie, bien que le phénomène y soit régulièrement décrit (chez Daguerre ou Arago, par exemple). En toute logique, c’est pourtant à l’issue d’une lecture déjà métaphorique que l’agent chimique faisant apparaître l’image s’est trouvé qualifié de «révélateur». Le rapport analogique est évident: dans son acception classique, héritée du verbe latin revelare (littéralement «lever le voile»), la révélation désigne l’action de faire connaître ce qui est caché, et le révélateur l’individu qui accomplit cet acte. Dès les années 1850, l’usage du bain révélateur ou de l’agent révélateur se banalise dans les revues et les ouvrages spécialisés, sans doute avec l’apparition des procédés au collodion. Peu à peu, le qualificatif gagne son autonomie et, pour la première fois en 1895, le substantif révélateur entre dans le dictionnaire, comme «terme de photographie» à part entière, désignant le «corps qui fait apparaître l’image latente, formée par la lumière, sur une surface sensible […]» (Dictionnaire des dictionnaires. Encyclopédie universelle, 1895, p. 1039). Généralement utilisé pour définir un ensemble de solutions chimiques (iconogène, mercure…), le terme révélateur reste alors un terme technique, intégré et réservé au jargon scientifique.
Si l’on peut facilement retrouver, dans la fiction littéraire notamment, la trace d’un imaginaire de la révélation par l’image – les récits fantastiques du XIXe siècle ont largement exploité cette idée –, la première référence explicite à la révélation photographique et à son potentiel métaphorique est assez tardive et anecdotique. On la rencontre sous la plume de Georges Duhamel, auteur aujourd’hui quelque peu oublié, au hasard d’une réflexion sur les mécanismes de la mémoire:
Je cherche un nom propre, par exemple, le nom d’une personne que j’ai connue à Montevideo, ou que j’ai rencontrée pendant la guerre, à Verdun, ou que je fréquentais en Espagne. Il m’est vraiment impossible, pour solliciter ma mémoire fléchissante, de refaire le voyage et de me replacer dans des conditions extérieures, dans des circonstances morales qui n’ont plus aucune chance d’être réunies jamais! […] Sur un certain vestige, l’esprit se met à la besogne. Cela peut durer deux heures, cela peut durer deux jours: je lâche rarement prise. Je peux aller, venir, soutenir un entretien: le lent et minutieux travail s’accomplit. On aurait tort de croire qu’il est involontaire, automatique. Il est, au contraire, tout à fait délibéré. Sans arrêt, l’esprit en éveil présente, autour de cette lueur vacillante, autour de cet indice incertain, des images et des souvenirs précis, susceptibles de déterminer une révélation totale – j’entends ce mot au sens où l’emploient les photographes. (1944, p. 160-161)
La «révélation totale» à laquelle Duhamel se réfère est en vérité assez énigmatique – avec cette part de mystère qui donne justement toute sa force à la métaphore photographique de la révélation: l’apparition précise d’un souvenir ou d’une idée, au terme d’un processus rigoureux mais dont le dénouement reste incertain, presque magique. Si l’on comprend la difficulté que l’exercice mnésique exige, l’auteur n’éclaire pas davantage le choix d’une telle comparaison avec le dispositif photochimique. En précisant qu’il s’agit d’une révélation «au sens où l’emploient les photographes», Duhamel lui reconnaît une originalité particulière concédée par le média. La procédure photochimique, qui développe et parachève une image encore non visible, invoque une activité intellectuelle intense, un acte perceptif complexe, peut-être même une fonction cognitive. Ainsi, tandis que la révélation dans son acception classique (non photographique) joue de l’écart entre le dissimulé et l’évidence, souvent sur fond d’interdit (on révèle un secret, un complot), la révélation photographique joue d’abord des interférences entre le visible et l’invisible.
C’est ici que le concept photographique de révélation doit se comprendre à la lumière du processus global de développement de l’image. À ce titre, on notera que l’anglais, autre langue maternelle du fait photographique, préfère l’expression developing (bath), moins chargée d’encombrantes connotations. Tout comme en allemand (entwicklung), development désigne à la fois l’ensemble des manipulations en chambre noire, et plus spécifiquement l’opération d’immersion de l’image latente dans une solution chimique. La «révélation» est d’abord l’affaire des langues romanes, du français, de l’espagnol (revelado) ou encore de l’italien (rivelazione). Pourtant, développement et révélation sont connectés par un motif similaire, le voile, autour duquel ils déploient deux mouvements distincts: tandis que le premier rappelle le jeu d’enroulement et de déroulement du tissu (par extension, du film photographique), le second évoque un principe de recouvrement et de découvrement par ce tissu. Notons par ailleurs que Talbot lui-même, dans la planche VIII de The Pencil of Nature, «A Scene in a Library», associait déjà le travail de développement en chambre noire à l’idée de révélation: «for what a “dénouement” we should have, if we could suppose the secrets of the darkened chamber to be revealed by the testimony of the imprinted paper». Aussi, cette tension initiale entre les deux termes s’avère essentielle pour comprendre la métaphore photographique de la révélation où l’image ne se prête jamais à un déchiffrement absolu.
En intégrant à leur jargon le révélateur, puis la révélation, les premiers photographes ont joué sur un terme polysémique auquel ils ont injecté une signification technique qui allait devenir elle-même le lit de nombreuses lectures métaphoriques. Cependant, ces réécritures de la révélation méconnaissent souvent le véritable processus de développement des images, occulté par une représentation fantasmée de la chambre noire, ce laboratoire mystérieux où se mêlent la manipulation scientifique et le geste magique. Un bref passage en revue des procédés techniques de la photographie est donc loin d’être inutile. La technique argentique, dont l’action repose sur les propriétés photosensibles de l’argent, a effectué un long règne dans l’histoire de la photographie. Elle a donné naissance à de nombreux systèmes d’obtention de l’image que l’on peut regrouper en deux grandes familles: celle des procédés à noircissement direct (rapidement devenus obsolètes au cours du XXe siècle) et surtout celle des procédés à développement. Cette dernière technique repose sur la photosensibilité de la couche photographique, constituée d’une émulsion à base de cristaux d’halogénures d’argent ou de bromure d’argent dissous dans un liant gélatineux, qui empêche la recombinaison des ions d’argent. Les cristaux d’argent présentent des défauts de structure alors que la gélatine contient un certain nombre d’impuretés: ces imperfections génèrent des centres de sensibilité sur lesquels l’action de la lumière se concentre. Lorsque les cristaux sont insolés, il se forme à l’échelle de l’atome une image imperceptible à l’œil nu, que l’on a coutume d’appeler «image latente», expression à l’origine d’une certaine confusion sur la nature de la «révélation». Il serait en effet plus exact de penser l’image latente au pluriel puisqu’elle renvoie à une potentialité d’images, et non à une photographie singulière qui serait encore «cachée».
Cette image latente plurielle est transformée en un unique négatif lors du traitement en chambre noire: c’est là qu’elle est soumise au révélateur, une solution chimique modifiant de nouveau la structure de l’argent pour le rendre à la fois visible et insensible à la lumière. L’épreuve est ensuite successivement plongée dans un bain d’arrêt, fixée, lavée et séchée. Le négatif obtenu sera lui-même redéveloppé pour obtenir des photographies. Concrètement, une photographie est donc l’image d’une image. Ce double processus a conduit François Soulages (1998) à faire de l’irréversible et de l’inachevable les deux traits constitutifs de la photographie ou, plus précisément, de la photographicité (ce qui caractérise fondamentalement la photographie), dans une théorie stimulante qui s’inscrit contre l’illusion de la fonction testimoniale de l’image, sans pourtant se débarrasser complètement de la terminologie peircéenne (la photographie y est encore considérée comme «trace»). Selon cette conception, la révélation devient une manœuvre d’altération indispensable pour apercevoir un fragment des potentialités de l’image latente, sorte de supra- ou super-image. Cette esthétique de la trace, finalement très platonicienne, balade la photographie dans un champ de ruines, celui du «Réel», dont elle est une représentation à perte.
À contre-courant de cette pensée métaphysique, on proposera de considérer qu’une image photographique n’est pas un «reste» d’image latente (qui n’a rien d’une image absolue), mais résulte de l’actualisation d’une potentialité d’images. Principal artisan de cette actualisation, le processus de révélation chimique, à la fois condition de visibilité et d’existence de la photographie, ne saurait s’effectuer «à perte». Au contraire, le révélateur est un outil de composition et de manipulation de l’image photographique, conçue comme une construction plutôt qu’une représentation. À ce tit...

Table des matières

  1. INTRODUCTION
  2. CHAPITRE 1
  3. L’imaginaire de la révélation photographique
  4. CHAPITRE 2
  5. La photographie à l’ère du numérique
  6. CHAPITRE 3
  7. Le regard anamorphique
  8. CONCLUSION
  9. Pour une écologie des images
  10. REMERCIEMENTS