Paramètres
eBook - ePub

Paramètres

Une pratique controversée

  1. 183 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub

Paramètres

Une pratique controversée

Détails du livre
Aperçu du livre
Table des matières
Citations

À propos de ce livre

Objet de nombreuses réformes législatives, le recours à la détention avant jugement au Canada a connu au cours des dernières décennies une augmentation phénoménale. À l'opposé, les condamnations à une peine privative de liberté diminuaient considérablement. Définie par la privation de liberté d'une personne soupçonnée d'avoir commis un acte criminel mais non encore déclarée coupable, cette mesure soulève de nombreuses questions auxquelles cet ouvrage répond de façon nuancée et limpide. En conjuguant diverses sources de données, ce livre ancre la question de la détention avant jugement dans ses contextes scientifique, législatif et politique, et donne la parole aux différents acteurs de la chaîne pénale: policiers, procureurs, juges, avocats de la défense et justiciables détenus. Les auteures mettent ainsi en lumière les motifs et les mécanismes entourant l'usage de cet emprisonnement, tout en analysant le modèle judiciaire canadien. La réalité présentée ici est non seulement sujette à de multiples controverses, mais sa compréhension donne une clef pour appréhender les politiques et les pratiques pénales canadiennes actuelles.

Foire aux questions

Il vous suffit de vous rendre dans la section compte dans paramètres et de cliquer sur « Résilier l’abonnement ». C’est aussi simple que cela ! Une fois que vous aurez résilié votre abonnement, il restera actif pour le reste de la période pour laquelle vous avez payé. Découvrez-en plus ici.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptés aux mobiles peuvent être téléchargés via l’application. La plupart de nos PDF sont également disponibles en téléchargement et les autres seront téléchargeables très prochainement. Découvrez-en plus ici.
Les deux abonnements vous donnent un accès complet à la bibliothèque et à toutes les fonctionnalités de Perlego. Les seules différences sont les tarifs ainsi que la période d’abonnement : avec l’abonnement annuel, vous économiserez environ 30 % par rapport à 12 mois d’abonnement mensuel.
Nous sommes un service d’abonnement à des ouvrages universitaires en ligne, où vous pouvez accéder à toute une bibliothèque pour un prix inférieur à celui d’un seul livre par mois. Avec plus d’un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu’il vous faut ! Découvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l’écouter. L’outil Écouter lit le texte à haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l’accélérer ou le ralentir. Découvrez-en plus ici.
Oui, vous pouvez accéder à Paramètres par Marion Vacheret,Fernanda Prates en format PDF et/ou ePUB ainsi qu’à d’autres livres populaires dans Social Sciences et Criminology. Nous disposons de plus d’un million d’ouvrages à découvrir dans notre catalogue.

Informations

Année
2015
ISBN
9782760636019

Chapitre 1

Un survol de la littérature

Fernanda Prates
Le recours à la détention avant jugement a fait l’objet de nombreux questionnements au cours des décennies. Au Canada, Martin Friedland (1965) a été l’un des premiers à critiquer cette mesure et à en soulever les multiples enjeux, qu’il s’agisse du non-respect du droit fondamental de l’individu à être considéré comme présumé innocent tant qu’il n’a pas été reconnu coupable, ou du non-respect du droit à être pris en charge dans des conditions humaines et respectueuses de la personne. Si sa recherche a été l’un des fers de lance des modifications législatives canadiennes, les différentes problématiques qu’elle aborde sont toujours d’actualité 50 ans plus tard.
Nous avons regroupé les différentes études réalisées sur le sujet sous trois grandes dimensions, afin de couvrir l’ensemble des enjeux judiciaires, politiques, économiques et sociaux qui l’entourent. Nous aborderons pour commencer la question de la prise de décision, en analysant les différents facteurs normalement associés à l’imposition d’une détention avant jugement. Nous nous pencherons ensuite sur le problème de la discrimination judiciaire associée au recours à cette mesure. Finalement, nous nous intéresserons aux divers impacts procéduraux et sociaux que la détention provisoire semble engendrer.

Prise de décision et détention provisoire

Malgré les effets potentiellement destructeurs de la détention provisoire, les décisions portant sur cette question ont été moins étudiées que les pratiques de détermination de la peine (Demuth et Steffensmeier, 2004; Freiburger et al., 2010). De fait, les quelques études qui se sont penchées sur la question se sont concentrées sur les préoccupations des juges au moment de la prise de décision et les limites de celle-ci.
La décision de garder une personne prévenue en détention provisoire revient à un juge et elle doit être prise à la suite d’une comparution au cours de laquelle le juge évalue entre autres les risques de fuite, de récidive ainsi que de harcèlement envers les victimes ou les témoins. En 1979, Goldkamp a développé un modèle de prise de décision spécifique de la détention provisoire. Pour l’auteur, ce processus comporte trois décisions distinctes. La première décision possible est de remettre l’accusé en liberté sans caution, c’est-à-dire que l’individu est libéré sous la promesse de comparaître à son audience. En deuxième lieu, lorsque le prévenu n’est pas libéré sous promesse, le juge doit décider d’accorder ou non une caution. Finalement, il doit indiquer, le cas échéant, le montant de la caution. (Freiburger et al., 2010; Goldkamp, 1979; Goldkamp, 1983; Goldkamp et Gottfredson, 1985; Demuth et Steffensmeier, 2004).
Développée par Steffensmeier et ses collègues (1993, 1998), l’approche appelée «focal concerns» est couramment utilisée pour analyser différentes étapes décisionnelles de la procédure judiciaire, y compris celle de la détention provisoire. Selon ce modèle, les juges prennent en considération trois éléments, soit la culpabilité de l’accusé, son degré de dangerosité et les conséquences administratives et pratiques de leur décision. Pour établir la culpabilité d’un accusé, les juges examinent certains aspects spécifiques de l’acte commis tels que le type d’infraction ou sa gravité. Pour évaluer sa dangerosité potentielle, ils s’appuient souvent sur le statut d’emploi de l’accusé ainsi que sur l’existence d’antécédents criminels. Enfin, pour estimer les contraintes administratives, ils prendront en compte des questions concrètes comme le nombre de places disponibles en prison (Steffensmeier et al., 1998; Demuth, 2003; Demuth et Steffensmeier, 2004; Freiburger et al., 2010; Schlesinger, 2005). Sur cette base, il se peut alors que les magistrats anticipent les comportements d’un certain nombre d’accusés, comme la probabilité de réhabilitation, les risques de récidive ou de manquer à l’obligation de se présenter au tribunal.
Puisque la décision de remise en liberté implique l’anticipation d’un comportement de l’accusé, des questions concernant l’activité prédictive des magistrats ont été au cœur des débats sur la détention provisoire.
Premièrement, certains évoquent une «présomption de culpabilité». En effet, en cernant chez l’accusé un modèle de comportement dangereux, associant par exemple une condamnation antérieure au risque de récidive, les magistrats peuvent avoir des présuppositions injustifiées à propos de la culpabilité de l’accusé, et par là aller à l’encontre du droit à la présomption d’innocence (Goldkamp, 1983; Demuth et Steffensmeier, 2004). Sur ce point, Garceau (1990) – en observant l’existence d’un «possible enchaînement» entre les décisions policières, celles des procureurs et celles des juges et le recours à la mise sous garde et à la détention provisoire – souligne que, dans le cadre d’une détention provisoire, il régnerait une «atmosphère de culpabilité» autour du prévenu beaucoup plus forte que son droit à la présomption d’innocence.
Deuxièmement, plusieurs auteurs (Goldkamp, 1983; Demuth et Steffensmeier, 2004; Nagel, 1983; Albonetti et al., 1989; Demuth, 2003; Knapp, 1993; Steffensmeier et al., 1998; Schlesinger, 2005) relèvent que, devant l’impossibilité de prédire le comportement des accusés avec exactitude, les magistrats fondent fréquemment leurs décisions sur des informations approximatives ou partielles. Landreville et Laberge (1992) soulignent que la plupart d’entre eux se laisseraient en effet guider par leur intuition – en grande partie nourrie par leur vécu et leurs préjugés – et que, pour réduire les incertitudes découlant de celle-ci, ils s’appuieraient non seulement sur des facteurs légaux comme l’infraction commise et les antécédents de l’accusé, mais aussi sur des facteurs extralégaux comme son sexe, son origine culturelle ou la classe sociale à laquelle il appartient (Farrell et Swigert, 1978; Steffensmeier, 1980; Albonetti, 1991; Knapp, 1993; Spohn et Holleran, 2000; Schlesinger, 2005). Plus particulièrement, pour Steffensmeier et ses collègues (1998), l’idée d’Albonetti (1991) selon laquelle les juges se fonderaient souvent sur des représentations stéréotypées pour prendre des décisions serait appuyée par la présence de facteurs extralégaux dans le processus décisionnel. Cousineau (1995) soulève d’ailleurs le fait que le potentiel prédictif des critères retenus ne s’est jamais révélé très convaincant, quelle que soit l’approche adoptée, qu’il s’agisse de prédire la non-comparution, la récidive ou la manifestation d’un comportement violent.
Finalement, pour Demuth (2003), certains renseignements pris en compte pour rendre une décision dans le cadre de la détention provisoire peuvent reproduire certains préjugés raciaux et ethniques, ce qui se traduit par un désavantage marqué à l’égard de certains prévenus. En effet, en conférant des attributs négatifs à des groupes particuliers d’accusés, la justice peut être amenée à leur infliger des décisions plus sévères (Peterson et Hagan, 1984; Liska, Logan et Bellair, 1998; Schlesinger, 2005).

Détention provisoire et discrimination

Outre les enjeux associés aux critères décisionnels, la détention avant jugement, étape majeure d’une poursuite criminelle, soulève également d’importantes questions de droit, notamment parce qu’elle représente une atteinte à la liberté d’individus non encore reconnus coupables.
Certains auteurs indiquent que, malgré leur cadre légal, les critères sur lesquels se fondent les juges pour décider du maintien en détention restent flous et ambigus, ce qui laisse place à une marge très large d’interprétation, sans lien réel avec les faits pour lesquels l’accusé est poursuivi. Par ailleurs, les décisions en matière de détention provisoire impliquent souvent des considérations financières, telles que le montant de la caution, qui peuvent produire des disparités dans les décisions de remise en liberté des accusés. La recherche met ainsi au jour le caractère discriminatoire de la détention provisoire en indiquant que ceux qui sont maintenus en détention font souvent partie des classes les plus vulnérables de la société (Vanhamme, 2009; Kazemian, McCoy et Sacks, 2013; Sacks et Ackerman, 2014).
L’analyse des actes criminels qui entraînent le recours à cette mesure montre que, si les cas les plus graves conduisent à une détention durant les procédures, proportionnellement au nombre de décisions prises et d’actes criminels graves commis et faisant l’objet d’une poursuite, la majorité des personnes détenues avant jugement le sont pour des infractions relativement mineures. Ainsi, Robert indiquait déjà en 1986 que si plusieurs cas de détention présentencielle sont associés à une infraction comportant une agression physique plus ou moins grave, l’infraction en relation avec cette mesure est le plus fréquemment banale. De leur côté, Morton Bourgon et Solecki (2010), dans une étude sur la libération sous caution au Canada, constatent que chez 51,2% des cas détenus durant les procédures, l’infraction la plus grave dont le contrevenant a été déclaré coupable était une infraction contre les biens, alors que seuls 17,6% ont été reconnus coupables d’une infraction contre la personne. Ils indiquent également qu’au bout du compte, très peu de contrevenants détenus avant d’être reconnus coupables se retrouvent condamnés à une peine d’emprisonnement de deux ans ou plus. Weinrath (2009) rappelle de son côté qu’une part importante des détentions avant jugement concerne de plus en plus des atteintes à l’administration de la justice. Quant à elle, Cousineau (1995) observe que les individus détenus avant jugement ne le sont pas nécessairement parce que la gravité de l’infraction qu’ils sont soupçonnés d’avoir commise présente un danger imminent pour la société, mais simplement parce qu’ils sont incapables de fournir des garanties de représentation ou une caution suffisante pour que l’on juge qu’ils ne risquent pas de se soustraire à la justice en ne se présentant pas à leur procès.
Le fait que la décision d’une détention avant jugement implique des considérations financières peut de facto produire des disparités significatives. Les premières études sur la détention provisoire (voir par exemple Beeley, 1927) montraient déjà que la plupart des prévenus étaient gardés en détention provisoire non pas en raison d’un risque de fuite ou de non-comparution, mais plutôt parce qu’ils ne pouvaient pas se permettre de payer la caution imposée par la Cour (Demuth, 2003). En 2012, le bureau américain des statistiques judiciaires indiquait ainsi que 61% des accusés détenus, soit environ 748 000, étaient maintenus en incarcération durant les procédures en raison de leur impossibilité de payer la caution demandée (Bureau of Justice Statistics, 2012).
En outre, différents auteurs soulignent que le profil des accusés maintenus en détention durant les procédures correspond à celui des groupes sociaux les plus défavorisés (Robert, 1986; Sacks et Ackerman, 2014; Kazemian, McCoy et Sacks, 2013).
Plusieurs recherches s’intéressent particulièrement au lien entre l’origine culturelle ou l’ethnie de l’accusé et la détention provisoire. Katz et Spohn (1995), par exemple, se questionnant sur le lien entre l’origine culturelle du prévenu et la détention provisoire, ont analysé des données sur les personnes accusées de crime violent à Detroit. Ils ont observé que le groupe culturel de l’accusé aurait un impact sur la décision de le garder détenu, les accusés noirs étant moins susceptibles d’être libérés avant le procès que les accusés blancs. Demuth (2003) a quant à lui constaté la même tendance en ce qui concerne les délinquants d’origine hispanophone. Demuth (2003), Demuth et Steffensmeier (2004) et Spohn et Cederblom (1991) notent également que ces deux groupes font face à un traitement particulièrement sévère. Selon eux, ils auraient moins de 50% de probabilités d’être libérés sous caution. Pour Schlesinger (2005), la probabilité de se voir refuser une caution serait de 25% plus élevée pour ces deux groupes que pour les inculpés blancs. Cette différence est encore plus marquée pour certains types de crimes. Par exemple, pour les crimes liés aux stupéfiants, ce taux passe de 25% à 67%. Dans ce cadre, le montant même de la caution demandée serait différent selon le groupe culturel d’appartenance. Nagel (1983) révèle ainsi, dans une étude qu’il a réalisée à New York dans les années 1970-1980, que le montant de la caution demandée pour les prévenus blancs est considérablement plus bas que celui imposé aux prévenus noirs. Finalement, plusieurs auteurs notent un lien entre l’origine culturelle du prévenu et la durée de la détention présentencielle, les Noirs restant plus longtemps incarcérés que les Blancs (Albonetti, 1997).
D’autres études montrent que la classe sociale peut interagir avec l’origine culturelle des prévenus pour créer un effet discriminatoire. Chiricos et Bales (1991), comme Pallesen (1991), ont constaté en ce sens que les Noirs à faibles revenus ou au chômage étaient les plus susceptibles d’être gardés en détention, quelle que soit l’infraction poursuivie. Ces résultats concordent avec de nombreuses recherches indiquant que l’origine culturelle et l’ethnie du prévenu jouent un rôle important dans les décisions en matière de détention provisoire, voire seraient des prédicteurs significatifs de l’emprisonnement avant le procès (Farnworth et Horan, 1980; Patterson et Lynch, 1991; Spohn et Cederblom, 1991; Demuth, 2003; Demuth et Steffensmeier, 2004; Schlesinger, 2005).
Selon Garceau (1990), la situation personnelle, sociale et professionnelle du suspect, son âge, son sexe, son origine culturelle, son comportement, ses liens sociaux ou familiaux ou encore son lieu d’habitation, joueraient un rôle dans l’interprétation des risques potentiels que celui-ci présente. Nous ferions alors face à une gestion discriminatoire des personnes les plus vulnérables, soit celles le moins à même de fournir des garanties de représentation. Au Canada, cette disparité est particulièrement présente chez les prévenus autochtones, ceux-ci étant grandement représentés dans la population correctionnelle, non seulement en détention après condamnation mais aussi en détention provisoire (Calverley, 2010). Dans ce cadre, Hamilton et Sinclair (1991) ainsi que Roberts et Doob (1997) mettent en lumière le traitement différentiel dont les autochtones font l’objet en matière de détention provisoire, ces derniers étant plus souvent détenus et pour des périodes plus longues que les non-autochtones. Ainsi, en 2009, les adultes identifiés comme autochtones représentaient 21% du nombre total d’adultes admis en détention provisoire (Porter et Calverley, 2011), tandis qu’ils constituaient à peu près 3% de la population canadienne d’âge adulte (Statistique Canada, 2011). Encore aujourd’hui, en moyenne, un adulte admis en détention provisoire sur cinq est autochtone.
Inversement, plusieurs études montrent que les femmes seraient, non seulement, moins susceptibles d’être gardées détenues avant le procès, mais également, soumises à des montants de cautionnement inférieurs comparativement aux prévenus de sexe masculin. Selon leurs auteurs, cela s’explique par le fait que les femmes seraient considérées comme moins dangereuses et présentant moins de risques de fuite que les hommes masculin (Nagel, 1983; Daly, 1989; Kruttschnitt, 1984; Freiburger et al., 2010).
Différents chercheurs affirment que la gravité des faits et leur qualification juridique seraient l’objet d’une interprétation pouvant dépendre à la fois de l’actualité d’une problématique, de la perception par le magistrat de l’attitude du justiciable quant au fait poursuivi, ou encore de la qualité de la défense du prévenu (Gravel et Cousineau, 1989; Nonn, 1991; Gelsthorpe et Loucks, 1997). Certains indiquent par exemple que le fait de travailler à temps plein étant souvent considéré comme une indication importante de la stabilité du prévenu et de ses liens avec la communauté, les chômeurs seraient traités plus sévèrement que les individus ayant un emploi (Myers et Talarico, 1987; Freiburger et al., 2010). Ainsi, les personnes les plus fragiles socioéconomiquement, étant considérées par les juges comme présentant plus de risques de récidive en raison de leur incapacité à s’intégrer socialement, risqueraient davantage de faire l’objet d’une mesure de détention avant jugement, et donc d’un traitement défavorable (Spohn et Holleran, 2000). Vanhamme et Beyens parlent de «justice pronostique» lorsqu’un «pronostic est émis quant au futur comportement délinquant des accusés et qu’il s’est construit sur des caractéristiques secondaires de classe» (2007: 206).

Impacts de la détention avant jugement

Le troisième élément analysé par les chercheurs est celui des impacts qu’une détention avant jugement peut avoir sur les plans judiciaire et personnel des individus.
Certaines études mettent en lumière l’impact négatif que la détention provisoire peut avoir sur la procédure. Dès les années 1950, Foote (1954) a indiqué que la détention lors du procès interférait avec la capacité de l’accusé de préparer une défense adéquate. D’autres ont observé que les accusés étaient plus susceptibles d’être trouvés coupables des actes pour lesquels ils avaient été placés en détention durant les procédures et que la détention conduisait à des sanctions plus sévères en cas de condamnation (Goldkamp, 1979).
En ce qui concerne l’issue des procédures, Cousineau (1995) souligne deux points de vue. D’un côté se trouve l’affirmation d’une relation artificielle (spurious model) entre le statut de prévenu et la décision judiciaire finale. Les tenants de cette thèse avancent que la détention provisoire autant que la condamnation ultérieure du prévenu seraient fondées sur une série de déterminants communs tels que la gravité de l’infraction, le nombre de chefs d’accusation et les antécédents judiciaires, le cas échéant. Selon eux, ces déterminants communs expliqueraient en premier lieu la décision de garder le prévenu en détention provisoire, puis la sévérité du prononcé de la sentence. De l’autre côté, la thèse de la causalité (causal model) soutient que le statut de prévenu a une incidence directe sur l’issue plus ou moins favorable de la procédure (Cousineau, 1995). De nombreuses recherches ont mis ce rapport en lumière en montrant que la détention présententielle affectait systématiquement l’ensemble du processus judiciaire (Phillips, 2008; Sacks et Ackerman, 2012). Toutes choses étant égales par ailleurs et en contrôlant les autres facteurs tels que les charges encourues et les antécédents criminels de l’accusé, la détention avant jugement augmenterait la probabilité d’être reconnu coupable, d’être condamné à une peine d’emprisonnement une fois la culpabilité établie, et enfin d’être condamné à une peine plus longue que celle des non détenus avant le jugement (Goldkamp, 1979; Holmes et Daudistel, 1984; Chiricos et Bales, 1991; Kellough et Wortley, 2002; Cohen et Reaves, 2007; Harrington et Spohn, 2007; Tartaro et Sedelmaier, 2009; Sacks et Ackerman, 2014).
Trois motifs permettraient d’expliquer ce phénomène. Les accusés détenus durant les procédures tendraient plus systématiquement à plaider coupables, seraient plus facilement trouvés coupables, ou encore seraient perçus comme plus dangereux que les accusés maintenus en liberté durant leur procès (Kellough et Wortley, 2002; Williams, 2003; Cohen et Reaves, 2007; Weinrath, 2009). Williams (2003) suggère que les juges traitent les accusés libérés sous caution de façon plus indulgente que ceux qui restent détenus, étant donné qu’ils peuvent percevoir l’incarcération provisoire comme une mesure prise pour protéger la communauté plutôt qu’une simple conséquence du manque de ressources financières ou de garanties de l’accusé, par exemple.
Au sujet du lien entre détention avant jugement et plaidoyer de culpabilité, Kellough et Wortley (2002) indiquent dans leur recherche que seuls 55,5% des accusés libres plaident coupables contre 80,9% des accusés détenus. En contrôlant les autres facteurs, ils montrent que les accusés détenus ont 2,5 fois plus de probabilités de plaider coupables que les autres. L’attente – qui peut durer plusieurs mois –, comme la perte de temps qu’elle implique, serait un élément de persuasion assez efficace pour les accusés. Le choix le plus rationnel pour eux devient alors celui d’accepter de négocier avec la Couronne. Un plaidoyer de culpabilité pourrait être aussi la conséquence d’un sentiment d’angoisse issu de l’incertitude qui accompagne souvent la condition de prévenu (Feeley, 1979; McLean, 1995). Feeley montre dans ce sens que le fait de plaider coupable est souvent compris par le prévenu comme la possibilité d’échanger l’incertitude quant à l’issue de la procédure contre la certitude d’une sentence qui sera fi...

Table des matières

  1. Remerciements
  2. Introduction
  3. Chapitre 1
  4. Chapitre 2
  5. Chapitre 3
  6. Chapitre 4
  7. Chapitre 5
  8. Chapitre 6
  9. Chapitre 7
  10. Chapitre 8
  11. Conclusion
  12. Références
  13. Les auteures