Vulnérables, tolérés, exclus
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Vulnérables, tolérés, exclus

Histoire des enfants handicapés au Québec, 1920-1990

  1. 258 pages
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Histoire des enfants handicapés au Québec, 1920-1990

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À propos de ce livre

En se penchant sur l'histoire des enfants handicapés physiques du Québec, ce livre éclaire un passé méconnu et rend compte des représentations sociales de ces enfants et de l'évolution des divers services qu'on leur a offerts pendant près d'un siècle, entre 1920 et 1990. L'autrice aborde les thèmes de l'assistance, de l'éducation et de la santé en s'appuyant sur un vaste corpus d'archives qui met au jour l'histoire de certaines associations philanthropiques jusqu'ici demeurées dans l'ombre. Des entrevues enrichissent la narration et brossent un portrait inédit de ces enfants dont le statut a été déterminé par une double tension: entre exclusion et intégration, d'une part, et entre médecine et éducation sociale, d'autre part. Ces dynamiques contradictoires révèlent, de façon nuancée et sensible, trois figures de l'enfance handicapée: la victime angélique, l'enfant-citoyen réadapté et le monstre. Comment se construit une norme? Comment s'expriment les phénomènes de rejet, de ségrégation et d'exclusion dans une société? De quelle façon les mouvements de défense des droits de « l'enfance irrégulière » se sont-ils organisés au Québec? Autant de questions fondamentales qui intéresseront les étudiants, les professionnels et le grand public ouvert aux questions éthiques et sociales touchant l'enfance et le handicap.

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Chapitre 1

Philanthropes et gouvernements
entre prise en charge
et défense des droits
des enfants handicapés

L’histoire du handicap au tournant du XXe siècle est à rapprocher de celle de la pauvreté et de la marginalité. Tout comme la pauvreté, le handicap est perçu comme un problème individuel et l’État ne se reconnaît qu’une responsabilité limitée à l’égard des personnes plus vulnérables. Les familles assument entièrement la charge de leurs membres même malades ou inaptes et, dans les grandes villes où la cohésion familiale s’effrite, elles condamnent à la rue ceux et celles qu’elles ne peuvent faire vivre. Les enfants infirmes vont donc grossir les rangs des mendiants et autres vagabonds qui errent dans les villes quand ils ne sont pas «enfermés» dans les hospices, les hôpitaux généraux ou les asiles d’aliénés.
Les réformateurs sociaux vont tenter d’apporter des solutions aux problèmes criants causés par l’industrialisation, l’urbanisation et, en Amérique du Nord, par l’immigration effrénée de la seconde moitié du XIXe siècle. Ils sonnent l’alarme face aux conditions de vie déplorables des familles de la classe ouvrière et visent au premier chef les enfants, notamment par les luttes contre les taux effarants de mortalité infantile. Ce mouvement est animé par la charité, mais aussi par un désir de régulation sociale. Pour les classes dirigeantes, la mendicité et l’oisiveté, traditionnellement associées au handicap, ne sont plus acceptables et symbolisent même l’antithèse des valeurs inhérentes au libéralisme, fondées sur le mythe de la réussite individuelle par le travail. La mendicité devient passible de peines plus sévères: aux États-Unis, des lois, surnommées les ugly laws, sont adoptées dans plusieurs villes, entre autres pour interdire aux infirmes de mendier dans les rues, comme le relève Susan Schweik28. Afin de contrôler la délinquance et le désordre social, des institutions spécialisées (pénitenciers, écoles de réforme, asiles, crèches) sont créées dans les grandes villes occidentales, regroupant les marginaux selon des catégories distinctes, séparant dorénavant les enfants des adultes et des vieillards.

La mobilisation transnationale
pour les droits des enfants handicapés

Des associations philanthropiques de soutien aux enfants infirmes moteurs se structurent dans les années 1920, au lendemain de la Première Guerre mondiale. Cette périodisation est sans doute liée à plusieurs facteurs, notamment les avancées médicales au lendemain de la Grande Guerre qui permettent de sauver davantage de malades estropiés ou paralysés, conjugués à une sensibilité nouvelle face aux personnes handicapées, une nécessité de «réparation après le charnier29». À la même époque, une première vague d’épidémie de poliomyélite, maladie très contagieuse, demeurée à l’état endémique pendant des siècles, touche les États-Unis, atteignant un seuil de gravité sans précédent en 1916, affectant 27 000 personnes en périphérie de New York et causant près de 6000 morts. Cette maladie particulièrement dangereuse pour les plus jeunes est d’autant plus intolérable qu’une nouvelle mentalité à l’égard de l’enfance émerge au tournant du XXe siècle, contribuant à sa lente et progressive «sacralisation» évoquée par Viviana Zelizer30. L’enfant est désormais perçu comme un être fragile à protéger, un futur citoyen plutôt qu’une main-d’œuvre bon marché. Cette nouvelle sensibilité entraîne l’adoption de lois visant la protection des enfants et la mise en place de services leur étant spécifiquement destinés, notamment des soins pédiatriques.
En 1924, la Société des Nations (SDN) sonne l’alarme face au trafic et à l’exploitation des enfants au lendemain de la Grande Guerre et adopte une Déclaration des droits de l’enfant en vue de les protéger en cas de conflits armés. L’avènement de droits internationaux pour les enfants apparaît, aux yeux de ses défenseurs, comme celle d’un «humanitarisme minimal», le gage des «promesses brisées» de la politique internationale31.
C’est donc dans un contexte favorable aux droits des enfants qu’en 1919, Edgar Allen, riche industriel américain, s’associe au Club Rotary pour fonder une association d’assistance aux enfants infirmes, la Ohio Society for Crippled Children. Si cet organisme n’est pas le premier à offrir des services aux enfants handicapés moteurs, il se distingue par la volonté de son fondateur de porter la précarité des conditions de vie des enfants infirmes sur la place publique et de débattre de leurs droits à l’échelon national, puis sur la scène internationale. Personnage influent et charismatique, Allen convainc rapidement les Rotariens des États voisins d’établir des associations pour enfants infirmes qu’il fédère en 1921 en une association nationale32. L’association milite pour un modèle d’intervention auprès des enfants infirmes financé par les gouvernements locaux, connu sous le nom de «Ohio Plan». Elle parvient ainsi à faire adopter des lois dans divers États américains contraignant les gouvernements à assurer des soins et une éducation aux enfants handicapés. En 1922, la Société ontarienne homonyme, fondée la même année, souhaite adhérer à la fédération qui devient dès lors l’International Society for Crippled Children (ISCC).
Grâce à son réseau, Allen tisse rapidement des liens avec des médecins et des philanthropes européens et, en 1929, une première conférence mondiale réunissant une cinquantaine de délégués provenant de treize pays se déroule à Genève, suivie d’une seconde à La Haye en 1931. Au terme des discussions, l’assemblée adopte une série de résolutions, proclamant notamment que «tout estropié a le droit à l’égalité physique, mentale ou sociale ainsi qu’à une assistance en matière de soins et d’éducation de la part de son pays ou de son État» et que «l’assistance aux estropiés n’est pas seulement de responsabilité humanitaire, mais aussi de responsabilité sociale33». Ces résolutions annoncent avant l’heure un changement fondamental dans la manière de définir le devoir des sociétés face à leurs membres handicapés. Ainsi, au lieu de reléguer la prise en charge des jeunes infirmes aux initiatives charitables ou au domaine privé de la philanthropie, les déclarations de principes votées à Genève élargissent cette responsabilité à l’ensemble de la collectivité. Au-delà de ces affirmations générales, les participants demeurent cependant divisés sur les modes d’intervention et leur portée. En France et en Allemagne, le modèle privilégié est davantage centralisé puisque l’État y finance de vastes institutions, alors qu’aux États-Unis, la place prépondérante de la philanthropie privée est farouchement défendue. Le modèle de scolarisation à privilégier pour les enfants constitue un autre sujet de discorde: certains délégués optent pour des classes spéciales en milieu régulier, d’autres pour des internats et des écoles spécialisées. Enfin, les délégués estiment que le manque flagrant de données relatives au recensement et au dépistage des cas d’infirmité constitue l’une des lacunes les plus criantes. À l’issue des travaux de cette conférence, une pétition est soumise à la SDN, réclamant la création d’un Bureau international d’information et de collecte de données34. La nécessité de la prévention des infirmités et des malformations a été le seul sujet sur lequel l’unanimité des opinions a pu se réaliser, résume le Dr Norman Carver du Comité central pour les estropiés à Londres.
Réunissant essentiellement des philanthropes, des représentants du milieu médical (médecins et chirurgiens) et des directeurs d’écoles spécialisées, une deuxième conférence de l’ISCC se déroule à La Haye en 1931. Si ce réseau est à forte prédominance masculine, certaines femmes en font partie, comme Bell Greve, une travailleuse sociale ayant aussi une formation d’avocate, directrice du Cleveland Rehabilitation Centre qui joue un rôle important dans le mouvement international de défense des droits, notamment à titre de secrétaire générale de l’ISCC dès 1939. Parmi les sujets abordés par les conférenciers figure la nécessité de l’intégration sociale et de débouchés professionnels pour les infirmes. Dans son discours inaugural, le président Edgar Allen réitère l’importance de coordonner le travail des divers organismes (hôpitaux-écoles, dispensaires, maisons de convalescence) par un réseau de professionnels dûment formés dans les universités et soutenus par un financement adéquat. Rappelant l’importance de lutter contre les préjugés, il soutient qu’une égalité des chances doit être donnée aux enfants. Au terme de la conférence, les délégués adoptent une «Charte des droits des enfants infirmes» qui se décline en dix articles. Les premiers articles portent sur l’importance de la prévention pré et post-natale ainsi qu’au moment de l’accouchement afin d’éviter les malformations congénitales. Le second article proclame le droit des enfants de se développer à l’abri des facteurs socioéconomiques «handicapants», comme la sous-alimentation et le manque d’hygiène. En dépit de ces précautions, il est impossible de prévenir toutes les infirmités, c’est pourquoi le 3e article préconise des soins le plus tôt possible aux tout-petits et de façon continue. Les articles subséquents promulguent le droit à l’éducation ainsi que le droit à une formation permettant aux futurs adultes de gagner leur vie et de prendre part à la vie active dans la société. L’article 8 affirme le droit pour les enfants d’être «traités avec considération», non seulement par les personnes en charge de leurs soins ou de leur bien-être, mais de la part de la société en général, et ce, à l’abri des moqueries ou de la «pitié démoralisante35». Proposées par Edgar Allen, président de la Société internationale, appuyées par Paul Harris, fondateur du Rotary International, l’assemblée adoptera à l’unanimité les dix résolutions au terme de la conférence. On diffuse largement le document dans le monde entier, y compris au Québec où des philanthropes sont sensibilisés à la cause.

L’Association catholique de l’aide
aux enfants infirmes de Montréal

En 1885, un pasteur ouvre le premier hôpital-école pour «mutilés, estropiés et éclopés» en Suède, instaurant un programme de réhabilitation qui lie les domaines médical et pédagogique. Des institutions semblables sont simultanément fondées au tournant du xxe siècle dans les pays scandinaves, en Angleterre et aux États-Unis. Ce modèle en émergence en Occident influence directement les philanthropes montréalais. Les premiers services pour les jeunes handicapés québécois naissent donc dans le giron des hôpitaux pédiatriques, ce qui traduit, au Québec aussi, cet amalgame entre les sphères médicale et pédagogique.
En 1926, Lucie Lamoureux-Bruneau, une des cofondatrices de l’hôpital Sainte-Justine, met sur pied l’Association catholique de l’aide aux enfants infirmes (ACAEI) qui dirige plusieurs services destinés aux jeunes handicapés: une école pour infirmes, une école pour épileptiques et un camp d’été. L’Association est dirigée par un groupe de femmes issues de la bourgeoisie montréalaise, impliquées au sein du conseil d’administration de l’hôpital Sainte-Justine, un établissement membre de la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste. L’œuvre vise à «exercer une action maternelle auprès des enfants infirmes pauvres36». L’objectif de l’ACAEI ainsi énoncé correspond largement à la définition du maternalisme, idéologie selon laquelle les femmes de la bourgeoisie ont revendiqué des droits sociaux au nom de leur «propension naturelle» à exercer leur fonction de mère, comme l’explique Karine Hébert. Souhaitant étendre à l’ensemble de la société les responsabilités exercées à l’intérieur du foyer, les philanthropes justifient cette incursion dans la sphère publique, traditionnellement réservée aux hommes, par leur capacité «innée» à bien accomplir leur rôle de mère et à prendre soin des plus faibles. Ces femmes ont ainsi remis en question les frontières établies entre le public et le privé, et revendiqué simultanément certains droits. Cette «action maternelle», poursuit l’énoncé de mission de l’ACAEI, s’effectue à l’égard des jeunes infirmes «sans distinction de race ou de religion». Dans les faits, il est peu probable que le recrutement des protégés se soit effectué sans tenir compte de leur appartenance religieuse et linguistique puisque, dans le contexte nationaliste de l’époque prônant «la survie de la nation canadienne-française», l’œuvre d’éducation des enfants infirmes visait surtout à maintenir ces enfants dans le droit chemin que représentait la religion catholique et, dans un deuxième temps, à préserver la langue française. Pour les cercles nationalistes, auxquels appartiennent Lucie Bruneau et ses compagnes, un véritable péril pèse sur les Canadiens français, dont la population a subi un exode important vers les États-Unis, conjugué au taux de mortalité infantile le plus élevé d’Amérique du Nord.
Les bénévoles de l’ACAEI inaugurent d’abord une classe pour les enfants hospitalisés à Sainte-Justine qui devient l’École pour enfants infirmes le 21 novembre 1926, puis un camp d’été à la campagne afin de procurer à ces enfants «estropiés, infirmes moteurs, épileptiques37» des divertissements au grand air. Quelques années plus tard, en 1932, ces philanthropes fondent une école pour les enfants épileptiques que n’admet pas la Commission des écoles catholiques de Montréal. Les dirigeantes de l’ACAEI, tout comme les administratrices de l’hôpital Sainte-Justine ou celles de l’Assistance maternelle, «exercent un pouvoir adminis...

Table des matières

  1. Remerciements
  2. Liste des sigles et des abréviations
  3. Introduction
  4. Chapitre 1
  5. Philanthropes et gouvernements entre prise en charge et défense des droits des enfants handicapés
  6. Chapitre 2
  7. Représentations sociales des enfants handicapés au Québec
  8. Chapitre 3
  9. Dépistage, traitement et réadaptation
  10. Chapitre 4
  11. Des écoles entre instruction et traitement
  12. Chapitre 5
  13. La vie de famille et les loisirs
  14. Conclusion
  15. Bibliographie
  16. Annexe 1
  17. Guide d’entrevue avec des personnes handicapées
  18. Annexe 2
  19. Notices biographiques des informateurs