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  1. 75 pages
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À propos de ce livre

La musique, c'est bien connu, est avant tout source d'émotion et de plaisir. Elle accompagne notre vie quotidienne, dont elle constitue le paysage sonore sans même que nous nous en rendions compte. Alors, pourquoi y a-t-il des musicologues, c'est-à-dire des chercheurs qui prétendent aborder la musique d'un point de vue scientifique? Quelles questions se posent-ils? Quels problèmes cherchent-ils à résoudre? Comment travaillent-ils et où? Le discours sur la musique ne serait-il pas quelque peu parasitaire? Que peut-il apporter aux mélomanes et aux amoureux de la musique? Telles sont quelques-unes des questions que le grand public se pose souvent au sujet de la profession de musicologue, et auxquelles Jean-Jacques Nattiez tentera de répondre en empruntant des exemples concrets à ses propres champs de recherche: la musique de Wagner et celle… des Inuit.l'auteurJean-Jacques Nattiez est professeur titulaire de musicologie à la Faculté de musique de l'Université de Montréal et pionnier de la sémiologie musicale, une des branches contemporaines de la discipline. Ses champs de recherche spécifiques ont porté sur les opéras de Wagner, les rapports entre musique et littérature, les écrits du compositeur et chef d'orchestre Pierre Boulez et, en tant qu'ethnomusicologue, sur la musique des Inuit, des Aïnou (Japon), des Tchouktches (Sibérie), des Baganda (Ouganda) et des Amérindiens Nahuas (Mexique).

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Informations

De l’investigation historique
comme enquête policière
L’auteur de ces lignes est un amateur de romans et de films policiers. D’abord parce qu’on a bien le droit de se donner du plaisir dans la vie, ensuite, parce que jouer par la pensée avec l’auteur pour tenter de découvrir, avant qu’il ne nous le dise, quelle est la solution de l’énigme que Maigret ou Hercule Poirot doit résoudre, est une des activités les plus stimulantes qui soient. Mais aussi, puisque leur tâche consiste à découvrir une vérité cachée, je verrais volontiers dans le roman policier la métaphore littéraire de la recherche scientifique. Du reste, le physicien et épistémologue Thomas Kuhn l’a dit avant moi : le travail du savant consiste à tenter de résoudre des énigmes. Cela est encore plus vrai de celui du musicologue historien. En quoi consiste en effet l’enquête du détective ? Il part de traces, par exemple, des empreintes de pas sur la neige conduisant à la maison de la personne assassinée. En les étudiant, il peut tenter de déterminer quelle était la marque des chaussures de l’assassin et quel était son poids, etc. De fil en aiguille, en y ajoutant d’autres informations convergentes, il remontera jusqu’au coupable et tentera d’obtenir ses aveux. L’historien de la musique ne procède pas autrement, à ceci près que les traces laissées par les compositeurs (manuscrits, partitions, esquisses, lettres, propos) ne sont pas, le plus souvent, contemporaines de nos investigations et que le compositeur ne sera plus jamais là — en admettant que, de toute façon, il dise vrai sur lui-même — pour confirmer si le musicologue s’est fourvoyé ou non. Par contre, le musicologue peut réunir, sur la base de faits bien étayés, contrôlés et vérifiés, un faisceau de preuves philologiques et textuelles en faveur d’une interprétation ou d’une explication donnée, en disqualifier d’autres, et tenter de convaincre de la justesse de ses vues la corporation musicologique, les musiciens et les mélomanes.
Une pièce pour piano de Wagner peu connue
Grâce à un ami américain qui m’en a transmis une copie, j’écoute une courte pièce pour piano de Richard Wagner dont le titre serait Widmung (Dédicace). (On peut entendre un enregistrement de cette pièce sur le site www.pum.umontreal.ca/musicologue/.) Si je n’étais pas un spécialiste de Wagner, je m’étonnerais bien sûr que Wagner ait écrit pour le piano, puisque les mélomanes cultivés le connaissent essentiellement pour ses dix opéras (même s’il en a écrit d’autres) entrés au répertoire, parmi lesquels ceux dont je parlerai ici, Tristan et Isolde (1857-1859) et Parsifal (1877-1882). En réalité, le Wagner Werk-Verzeichnis, le catalogue de l’œuvre de Wagner (en abrégé, WWV), qui est, à mon sens, un des monuments de la musicologie historique allemande et sans lequel le présent chapitre n’aurait pu être écrit, recense 113 œuvres, achevées ou non, ou restées à l’état de projet. Mais si j’ai déjà eu l’occasion d’entendre une sonate pour Mathilde Wesendonck, l’inspiratrice de Tristan, cette Widmung m’est, a priori, inconnue. Je me précipite dans une bibliothèque musicale et j’en sors l’édition critique des œuvres pour piano de Wagner qui constitue le volume XIX de ses œuvres complètes publiées chez Schott. J’y trouve une table qui annonce onze pièces pour piano (sonates, polonaises, polkas, pages d’album, etc.), mais de Widmung, point. Je feuillette le volume page par page. Rien qui ressemble à la pièce que j’ai entendue. Je compulse une biographie classique de Wagner, celle d’Ernest Newman, et j’y trouve le fac-similé du manuscrit de cette courte pièce, mais sous un autre titre : « The “Porazzi” Theme ». (Ce fac-similé est un peu différent de celui qui est publié ici, car il ne contient pas l’inscription manuscrite qu’on voit en bas de l’exemple 2 et qui sera décisive.) Oui, il s’agit bien, semble-t-il, d’une pièce pour piano en la bémol majeur, avec deux lignes écrites respectivement en clef de sol et en clef de fa, comme pour une partition de piano. Newman renvoie à un article détaillé, au titre alléchant : « Le Thème-Porazzi. À propos d’une mélodie inédite de Richard Wagner et de son étrange destin. » Comme il est signé d’Otto Strobel, un ancien conservateur de ce qui s’appelle aujourd’hui les Archives nationales de la Fondation Richard Wagner à Bayreuth (ci-après « les archives Wagner »), j’y écris pour tenter d’obtenir cet article, car il a paru dans un guide publié en 1934 dans le cadre du festival de Bayreuth — ce festival de Bavière où on joue, tous les étés depuis 1876 (avec quelques interruptions au fil des années), une sélection des opéras de Wagner. Comme le personnel de ces archives est extrêmement diligent avec les musicologues qui se consacrent à Wagner, on me répond pratiquement par retour. J’ouvre l’enveloppe en tremblant : je vais sans doute connaître la clef du mystère.
Ex.2. Richard Wagner, manuscrit d’une pièce en la bémol majeur (WWV 93), avec une note d’Eva Chamberlain-Wagner
L’enquête de l’inspecteur Strobel
On y apprend beaucoup de choses. Que le manuscrit en question a été donné, comme le rapporta la presse de l’époque, en juillet 1931, au célèbre chef d’orchestre Arturo Toscanini par Mme Eva Chamberlain (1867-1942), une des deux filles de Richard Wagner et de son épouse Cosima (la fille de Franz Liszt), à la suite d’une impressionnante représentation de Parsifal qu’il venait de diriger à Bayreuth pour la première fois. Strobel en publie une photographie dans son article, différente, on verra pourquoi, de celle qui est reproduite ici à l’exemple 2. Ce manuscrit, nous dit-il, aurait été glissé dans la partition manuscrite de Parsifal et aurait constitué le dernier hommage musical de Wagner à sa femme Cosima, ce qui expliquerait le titre « Dédicace » de l’exécution que j’ai entendue. Selon « la maison Wahnfried », c’est-à-dire les descendants de Richard Wagner qui habitaient dans la demeure de Wagner en 1934, écrit-il, cette mélodie portait le nom de « Porazzi-Thema » du fait que « Wagner doit avoir écrit ce thème durant son séjour à Palerme, alors qu’il habitait sur la place Porazzi, dans la villa du prince Gangi », où il a effectivement résidé du 2 février au 19 mars 1882. Voilà qui permet la datation approximative de cette pièce, préoccupation essentielle pour un historien de la musique ! C’est ce titre que Strobel retrouve dans le Journal que Cosima Wagner a tenu durant toute la période de sa vie qu’elle a partagée avec Wagner, mais qui, en 1934, ne lui était accessible que par les extraits qu’Eva Chamberlain lui avait communiqués au compte-gouttes. (Le Journal était la propriété jalousement gardée de la famille Wagner jusqu’à ce qu’il soit publié au complet en 1977.) On lit dans l’entrée du 2 mars 1882 : « [Richard] fait quelque temps les cent pas sur la terrasse, puis dans le petit jardin, puis je l’entends improviser au rez-de-chaussée, il écrit une mélodie, me la montre ensuite et me dit qu’il a enfin trouvé la ligne mélodique qu’il souhaitait. » Toujours dans son Journal, le 13 mars de la même année, Cosima note : « Juste avant que les enfants ne chantent, R. a joué la mélodie des Porazzi à laquelle il a donné la courbe [die Biegung] qu’il recherchait. » La même allusion à cet aspect précis des hésitations compositionnelles de Wagner semble confirmer que la pièce dont il était question le 2 mars était bien le « Porazzi-Thema ». Le 18 avril, Cosima précise : « Je trouve ensuite sur la table […] la mélodie », et Strobel pense être encore en présence du « Porazzi-Thema » : il s’agit « sans aucun doute, affirme-t-il, de la mélodie dont la mise au propre se trouve aujourd’hui en possession de Toscanini et que le Maître avait terminée pour son épouse ».
Mais Strobel n’en reste pas là. Pour lui, quand on la joue au piano, c’est une « certitude remarquable » que les six premières mesures de la pièce, tout comme les mesures 10 et 11, ont pour origine l’« univers affectif » (Gefühlsbereich) de Tristan (voir l’exemple 1). Alors il tire un lapin de son chapeau et fait part du « heureux hasard » qui lui a fait découvrir dans les archives Wagner une autre feuille de musique qui contient une esquisse confirmant « de manière surprenante » cette impression (ci-après exemple 3.)
Strobel ne publie pas cette esquisse, sans doute parce que le « guide du festival » n’est pas une revue musicologique. Mais, comme le fait tout musicologue qui travaille sur une esquisse, Strobel en donne une description matérielle, incomplète, mais assez précise. D’une part, il en explique le contexte, qui est décisif, car il confirme l’analogie stylistique avec Tristan qu’il avait perçue : au verso de la feuille où nous trouvons, avec deux autres esquisses non identifiées, le « Porazzi-Thema », figure, au crayon, l’esquisse d’un passage de la deuxième scène du deuxième acte de Tristan dont il précise les vers : « Celui que tu as enveloppé, celui à qui tu as souri, comment pourrait-il sans angoisse t’être arraché par le réveil ? » Au recto, et à l’encre noire, on trouve huit mesures dont les sept premières sont celles du « Porazzi-Thema » dans la version de 1882, comme on peut le voir en comparant l’exemple 3 et les exemples 1 et 2. Non seulement le lien avec Tristan est-il ainsi établi, mais il est possible de dater sinon exactement la composition de cette première version du « Porazzi-Thema », du moins d’en indiquer la date approximative pour les sept premières mesures : dans une lettre de décembre 1858, Wagner annonce à Mathilde Wesendonck qu’il s’est remis à la composition de Tristan et qu’il travaille au deuxième acte. Quand, vingt-quatre ans plus tard, il en eut l’occasion, nous dit Strobel, et après avoir terminé la composition de Parsifal le 13 janvier 1882, Wagner biffa une première version de la mesure 8 et y ajouta, à l’encre violette, les mesures 8 à 12. On est donc certain que cette esquisse a été complétée à l’époque de Parsifal, car cette encre est celle que Wagner a utilisée pour le manuscrit de cet opéra, ce qu’il n’a fait pour aucun autre. Avec cette prolongation, Wagner aurait réussi à donner à cette mélodie, selon les mots de Cosima dans l’entrée du 2 mars 1882, l’inflexion (die Biegung) qu’il cherchait. Ajoutant une profondeur certaine à son examen, Strobel en conclut que, commencé en 1858 et terminé en 1882, le « Porazzi-Thema » réunit deux périodes créatrices de Wagner éloignées l’une de l’autre dans le temps, « le monde de Tristan et celui de Parsifal ».
Ex.3. Richard Wagner, esquisse de la pièce en la bémol majeur (WWW 93)
D’autre part, Strobel rapporte le témoignage de Carl Friedrich Glasenapp, le premier biographe de Wagner, selon qui, le 12 février 1883, veille de sa mort, le compositeur se mit au piano pour y jouer une « mélodie merveilleuse, délicatement écrite sur une belle feuille, qu’il avait retrouvée ces jours-là dans ces papiers et qu’il avait voulu glisser dans un exemplaire relié de la réduction pour piano [Klavierauszug] de Parsifal qu’il voulait offrir à Mme Wagner [Cosima] »....

Table des matières

  1. Couverture
  2. Page titre
  3. La collection
  4. Copyright
  5. Le ou les musicologues ?
  6. De l’investigation historique comme enquête policière
  7. L’enquête ethnomusicologique comme expérience humaine et exploration de l’inconnu
  8. Difficultés et bonheur de la profession de musicologue
  9. Lectures complémentaires