Politique mondiale
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À propos de ce livre

Au Canada, le dossier de l'immigration a toujours Ă©tĂ© sous la responsabilitĂ© du gouvernement fĂ©dĂ©ral, jusqu'Ă  ce que le QuĂ©bec, dans les annĂ©es 1960, exige plus de pouvoirs Ă  ce chapitre. Il faudra quelques dĂ©cennies pour que toutes les provinces entrent dans la ronde et s'occupent sĂ©rieusement de cette question, mais de 1990 Ă  2010, on assiste bel et bien Ă  la fĂ©dĂ©ralisation progressive de la gouvernance de l'immigration. Et mĂȘme si le Canada maintient son approche gĂ©nĂ©rale envers les nouveaux arrivants, les dix provinces n'en Ă©laborent pas moins des stratĂ©gies officielles d'immigration et appliquent diverses politiques de sĂ©lection et d'intĂ©gration. Par le recours Ă  une analyse combinant plus de 70 entretiens et de nombreux documents gouvernementaux et d'archives, le prĂ©sent ouvrage montre que la fĂ©dĂ©ralisation est en grande partie le rĂ©sultat de la mobilisation des provinces. Par leur action et leurs revendications, ces derniĂšres ont entraĂźnĂ© une restructuration considĂ©rable de l'architecture fiscale, Ă©conomique et politique du fĂ©dĂ©ralisme canadien. Elles ont aussi grandement contribuĂ© Ă  redĂ©finir les responsabilitĂ©s, les capacitĂ©s et les rĂŽles respectifs des gouvernements auprĂšs de leur population.

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Chapitre 1

Les provinces, l’immigration
et le changement institutionnel

Depuis 1990, les provinces canadiennes sont devenues des acteurs au sein du rĂ©gime institutionnel de gouvernance de l’immigration et de l’intĂ©gration. Non seulement elles sont actives dans la prestation de services d’intĂ©gration dans leurs champs de compĂ©tence (tels que l’éducation), mais elles sont dĂ©sormais hautement proactives en matiĂšre de sĂ©lection des immigrants, en plus de se mobiliser dans les arĂšnes intergouvernementales Ă  ce propos. Plusieurs politiques et plusieurs institutions fĂ©dĂ©rales ont Ă©tĂ© modifiĂ©es par l’émergence de ces acteurs et, plus largement, cela a remis en cause la capacitĂ© du gouvernement fĂ©dĂ©ral Ă  agir unilatĂ©ralement dans le domaine de l’immigration.
Ce changement constitue une rupture de taille d’avec les pratiques au sein de la fĂ©dĂ©ration canadienne. L’immigration est l’une des deux compĂ©tences formellement partagĂ©es par l’Acte de l’AmĂ©rique du Nord britannique de 1867 (art. 95), un reflet des activitĂ©s d’attraction des colons Ă  des fins de peuplement par les dominions avant la ConfĂ©dĂ©ration. Toutefois, avant 1990, et en particulier depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement fĂ©dĂ©ral exerçait une quasi-domination sur l’élaboration et la mise en Ɠuvre des politiques d’immigration et d’intĂ©gration (Vineberg 1987). Cela reflĂ©tait un manque d’intĂ©rĂȘt des provinces qui, Ă  part le QuĂ©bec, rĂ©pugnaient Ă  agir tant sur le plan de la sĂ©lection des nouveaux arrivants que sur celui de leur intĂ©gration. Une combinaison de facteurs expliquait cette passivitĂ©, dont la crainte des coĂ»ts associĂ©s Ă  une action publique en immigration et l’opinion publique au sein des provinces (Hawkins 1988). En consĂ©quence, la prĂ©dominance d’Ottawa n’était pas remise en question par les deux ordres de gouvernement et l’immigration Ă©tait avant tout l’affaire du gouvernement fĂ©dĂ©ral, malgrĂ© ce qu’en disait la Constitution.
À l’heure actuelle, la situation est tout autre: non seulement les provinces sont ouvertement actives en la matiĂšre, mais elles rejettent aussi de plus en plus la lĂ©gitimitĂ© de la domination fĂ©dĂ©rale. Dans les 10 provinces, des discours positifs sur l’immigration s’élĂšvent, prĂ©sentant celle-ci comme une richesse pour les Ă©conomies et les sociĂ©tĂ©s provinciales. Par la publication de stratĂ©gies officielles d’immigration, les provinces se positionnent officiellement comme des pivots de l’action publique en la matiĂšre. En finançant des programmes, les gouvernements provinciaux crĂ©ent Ă©galement des liens directs avec les immigrants et les organismes communautaires, traditionnellement «clients» du gouvernement fĂ©dĂ©ral. En Ɠuvrant Ă  attirer et Ă  sĂ©lectionner des immigrants permanents et temporaires, les provinces visent aussi Ă  rĂ©pondre aux besoins exprimĂ©s par les acteurs Ă©conomiques dans leurs territoires.
Ces nouvelles actions publiques provinciales sont traduites institutionnellement. Comme l’illustre le tableau 1.1, depuis le dĂ©but des annĂ©es 1990, les 10 provinces font partie d’ententes en matiĂšre d’immigration, allant de la collaboration jusqu’à la dĂ©volution. Ces ententes modifient et codifient le partage des responsabilitĂ©s entre les deux ordres de gouvernement. Dans certains cas, en particulier celui de l’Ontario, elles attribuent aussi des responsabilitĂ©s Ă  d’autres gouvernements ou acteurs privĂ©s, en particulier les municipalitĂ©s (Seidle 2010a).
À l’exception du cas quĂ©bĂ©cois, dont l’accord compte des modalitĂ©s plus sophistiquĂ©es, ces accords codifient les pratiques de collaboration en matiĂšre d’intĂ©gration et mettent sur pied des outils pour une action directe en matiĂšre de sĂ©lection provinciale par le biais du Programme des candidats de la province (PCP). Selon CitoyennetĂ© et Immigration Canada, le PCP permet aux neuf provinces «[...] de dĂ©signer des immigrants Ă©ventuels qui, Ă  leur avis, rĂ©pondront Ă  leurs besoins particuliers et qui ont l’intention de s’établir sur leur territoire» (Canada 2011a, 1). Le fonctionnement du programme est similaire au processus en place depuis 1991 pour la sĂ©lection des nouveaux arrivants par le QuĂ©bec. Les individus demandeurs dĂ©posent des candidatures directement aux provinces et aux territoires. Ces derniers Ă©tudient les candidatures et, le cas Ă©chĂ©ant, Ă©mettent une dĂ©signation pour la sĂ©lection qui est transmise Ă  l’administration publique fĂ©dĂ©rale. Celle-ci rĂ©vise alors la candidature en fonction «[...] des exigences en matiĂšre d’établissement Ă©conomique» (Canada 2011a, 19), des critĂšres de santĂ© publique, de droit criminel et d’autres critĂšres d’admissibilitĂ© tels que dĂ©finis dans la Loi canadienne sur l’immigration et les rĂšglements connexes, avant de l’accepter ou la rejeter. PrĂšs de 96% des dĂ©signations provinciales sont approuvĂ©es, un taux comparable Ă  celui de l’approbation des certificats de sĂ©lection Ă©mis par le gouvernement du QuĂ©bec (Canada 2011a, 20).
Les ententes du PCP comptent des conditions de mise en Ɠuvre (intĂ©gritĂ© et reddition de comptes) et une condition gĂ©nĂ©rale en matiĂšre programmatique: maximiser la contribution Ă©conomique de l’immigration. Toutefois, au-delĂ  de ces conditions, les provinces ont une marge de manƓuvre considĂ©rable quant aux façons de configurer leur programme. En outre, dans plusieurs cas – le QuĂ©bec, l’Ontario, la Colombie-Britannique et le Manitoba –, ces accords impliquent des transferts de fonds considĂ©rables vers les provinces, le plus souvent sous la forme de subventions. Ces transferts de fonds s’effectuent avec des dispositions de conditionnalitĂ© limitĂ©es et avec des mesures de reddition de comptes souvent minimales (Seidle 2010b; Canada 2012a). En consĂ©quence, ces ententes ont comme consĂ©quence d’augmenter la capacitĂ© d’action des provinces, sans poser de rĂ©elles limites Ă  la diffĂ©renciation des activitĂ©s provinciales.
La croissance des activitĂ©s provinciales, soutenue par un discours positif en matiĂšre d’immigration, la crĂ©ation du PCP et la mise en place d’accords bilatĂ©raux diversifiĂ©s en matiĂšre d’immigration sont quelques-unes des caractĂ©ristiques centrales du processus de changement documentĂ© dans cet ouvrage. Toutefois, un aspect de l’évolution rĂ©cente du rĂ©gime canadien est particuliĂšrement important: le maintien des actions du gouvernement fĂ©dĂ©ral, en parallĂšle avec l’éveil des provinces en matiĂšre d’immigration.
L’action autonome des provinces s’effectue dans leurs champs de compĂ©tence et en fonction des balises de la compĂ©tence partagĂ©e en immigration. De mĂȘme, les accords n’ont pas comme effet de limiter les domaines d’intervention des provinces ou ceux du gouvernement fĂ©dĂ©ral. À l’exception des modalitĂ©s de sĂ©lection des immigrants Ă©conomiques et de leurs personnes Ă  charge, mises en place au QuĂ©bec en 1991, le gouvernement fĂ©dĂ©ral conserve des pouvoirs de sĂ©lection des immigrants applicables Ă  tout le territoire canadien. De plus, le transfert des responsabilitĂ©s pour l’administration et la prestation des services d’établissement vers la Colombie-Britannique et le Manitoba ne s’accompagne pas pour le fĂ©dĂ©ral d’une interdiction explicite d’intervenir en la matiĂšre, comme c’est le cas au QuĂ©bec. PlutĂŽt que comme un transfert Ă  somme nulle, la situation est plus adĂ©quatement dĂ©crite comme une superposition graduelle des interventions des deux ordres de gouvernement.
Ce changement du rĂ©gime institutionnel de gouvernance de l’immigration et de l’intĂ©gration du Canada correspond donc Ă  un processus de fĂ©dĂ©ralisation, c’est-Ă -dire l’émergence de nouveaux acteurs ou la modification du statut de ceux dĂ©tenant une forte lĂ©gitimitĂ© institutionnelle ou politique au sein d’un rĂ©gime institutionnel1. Ce processus est diffĂ©rent de la dĂ©centralisation qui dĂ©crit plutĂŽt un transfert d’autoritĂ©, de ressources ou de capacitĂ© d’un gouvernement Ă  un autre. Il se diffĂ©rencie aussi de la dĂ©concentration, correspondant au transfert partiel de responsabilitĂ©s du gouvernement central vers des pĂ©riphĂ©ries, celles-ci devenant les principales responsables de la prestation des politiques publiques. À la diffĂ©rence de ces deux phĂ©nomĂšnes, la fĂ©dĂ©ralisation implique l’augmentation de l’agentivitĂ© des gouvernements provinciaux et l’augmentation des interactions entre gouvernements. Les rĂ©sultats de ce processus vont varier d’une instance Ă  l’autre, passant de l’augmentation des conflits entre acteurs politiques, jusqu’à la rĂ©vision des orientations des politiques publiques de l’ensemble d’un pays.
Le processus de fĂ©dĂ©ralisation du rĂ©gime de gouvernance de l’immigration et de l’intĂ©gration correspond Ă  la concrĂ©tisation graduelle, au cours des vingt derniĂšres annĂ©es, du caractĂšre partagĂ© de la compĂ©tence en matiĂšre d’immigration, tel que dĂ©fini Ă  l’article 95 de la Loi constitutionnelle de 1867. Il rompt avec les pratiques de dominance fĂ©dĂ©rale et de passivitĂ© provinciale ayant eu cours depuis l’établissement des politiques libĂ©rales du pays en matiĂšre d’immigration dans les annĂ©es 1960, et mĂȘme avec celles qui existaient depuis la ConfĂ©dĂ©ration. Les implications de ce changement sont multiples, puisque la fĂ©dĂ©ralisation fait des questions liĂ©es Ă  l’immigration des domaines traversĂ©s par des dynamiques inhĂ©rentes au fĂ©dĂ©ralisme canadien.

Le changement dans la fédération

Face Ă  des institutions politiques complexes et Ă  des conflits sur la nature mĂȘme du fĂ©dĂ©ralisme, les politologues ont mis au point un appareillage riche pour l’étude des relations entre les gouvernements du Canada. En dialogue avec ces apports et avec la recherche sur le fĂ©dĂ©ralisme comparĂ©, ces pages montrent qu’il est hautement fĂ©cond de recentrer l’analyse sur les processus de changement institutionnel afin de comprendre l’évolution de la fĂ©dĂ©ration canadienne contemporaine. Ce faisant, cet ouvrage se distingue des trois façons les plus courantes d’apprĂ©hender le changement chez les experts du fĂ©dĂ©ralisme.
La premiĂšre consiste Ă  dĂ©crire les institutions dĂ©coulant du changement. Afin de bien comprendre les dynamiques contemporaines de gouvernance et de comparer le Canada avec d’autres pays, les chercheurs ont visĂ© Ă  mesurer le degrĂ© de centralisation ou de dĂ©centralisation de la fĂ©dĂ©ration canadienne (Wallner 2008). Ces recherches ont permis de documenter la dĂ©centralisation graduelle du rĂ©gime fĂ©dĂ©ral canadien depuis la ConfĂ©dĂ©ration (Russell 2004; Turgeon et Wallner 2013). Toutefois, la diffĂ©rence entre les institutions formelles, les pratiques et les capacitĂ©s effectives de gouvernement (par exemple, Ă  travers le pouvoir de dĂ©penser fĂ©dĂ©ral) est toujours dĂ©battue, afin de caractĂ©riser le degrĂ© de dĂ©centralisation ayant cours dans la fĂ©dĂ©ration (NoĂ«l 2007; Pelletier 2008; Rocher et Rouillard 1998). En mĂȘme temps, plusieurs auteurs mobilisent de nouveaux concepts pour dĂ©crire des changements encourus par la fĂ©dĂ©ration canadienne. La gouvernance Ă  paliers multiples, par exemple, a Ă©tĂ© utilisĂ©e pour traduire l’inclusion des villes et des nations autochtones dans l’analyse des institutions intergouvernementales (Papillon 2011; Leo et August 2009).
La seconde façon dont le changement au sein de la fĂ©dĂ©ration a Ă©tĂ© considĂ©rĂ© est l’angle des relations intergouvernementales. Depuis la Seconde Guerre mondiale, les politologues se sont Ă©vertuĂ©s Ă  Ă©laborer des classifications de l’état des relations entre le gouvernement fĂ©dĂ©ral et les provinces. Ces ambitions sont le lieu d’innovations conceptuelles importantes. On doit Ă  ces travaux des idĂ©es telles que la diplomatie fĂ©dĂ©rale-provinciale, le fĂ©dĂ©ralisme compĂ©titif, le fĂ©dĂ©ralisme coopĂ©ratif, le fĂ©dĂ©ralisme collaboratif, le fĂ©dĂ©ralisme d’ouverture, le renouveau non constitutionnel et le fĂ©dĂ©ralisme d’ouverture (Simeon 2006; Stevenson 1989; Cameron et Simeon 2002; Banting et al. 2006; Montpetit 2007). Dans ces Ă©tudes, ce sont avant tout les pratiques changeantes des gouvernements et, plus rarement, les institutions qui en dĂ©coulent qui sont Ă©tudiĂ©es.
Il existe une troisiĂšme façon d’aborder le changement parmi les chercheurs spĂ©cialistes du fĂ©dĂ©ralisme canadien: l’évaluation normative de ses consĂ©quences. Ces chercheurs s’intĂ©ressent en effet Ă  l’efficacitĂ© Ă©conomique ou encore Ă  la lĂ©gitimitĂ© politique de l’évolution des arrangements fĂ©dĂ©raux (p. ex.: Bakvis et al. 2009; Bakvis et Brown 2010). Dans le contexte des tensions constitutionnelles tout comme du mouvement indĂ©pendantiste quĂ©bĂ©cois, ces recherches portent sur le degrĂ© de reconnaissance du caractĂšre multinational du Canada au sein des institutions fĂ©dĂ©rales (Gagnon 2006; Mcroberts 2001). D’autres dĂ©crivent les impacts de changements qualifiĂ©s d’«asymĂ©triques» au sein de la fĂ©dĂ©ration, perçus comme positifs ou nĂ©gatifs (Gagnon 2001; Brock 2008; Maclure 2005). Pour ces auteurs, le fĂ©dĂ©ralisme correspond Ă  un idĂ©al particulier et tout changement doit ĂȘtre considĂ©rĂ© relativement Ă  l’atteinte ou encore l’éloignement de cet idĂ©al.
Ces trois tendances contribuent Ă  structurer la vie politique canadienne et la recherche Ă  son sujet. Elles ont aussi permis aux politologues d’établir des dialogues fĂ©conds avec la politique comparĂ©e et, en particulier, avec les Ă©tudes sur le fĂ©dĂ©ralisme ailleurs dans le monde (p. ex.: Wallner et Boychuck 2014; BĂ©land et Lecours 2007). Cet ouvrage propose nĂ©anmoins une autre maniĂšre d’aborder le changement dans la fĂ©dĂ©ration canadienne: l’étude des processus de changement institutionnel graduel. PlutĂŽt que de dĂ©crire les rĂ©sultats des changements – tant en matiĂšre d’institutions que de relations –, nous dĂ©montrons que le changement, en tant que tel, est l’aspect que le champ de la politique canadienne doit maintenant s’atteler Ă  comprendre. En dialogue avec les apports d’une approche institutionnelle, nous nous concentrons sur le comment du changement dans la fĂ©dĂ©ration canadienne. Cet ouvrage n’entend donc pas dĂ©crire les institutions ou les relations issues du processus de fĂ©dĂ©ralisation et encore moins juger de leur lĂ©gitimitĂ©, de leur justice ou de leur validitĂ©. Il vise plutĂŽt Ă  expliquer de quelle façon la fĂ©dĂ©ralisation s’est dĂ©roulĂ©e, car il nous semble que cette explication apporte les donnĂ©es permettant aux acteurs sociĂ©taux et aux chercheurs d’évaluer les impacts de ce changement.
L’accent sur les processus de changement permet de soutenir le dĂ©veloppement thĂ©orique tout en reconnaissant une caractĂ©ristique centrale du rĂ©gime fĂ©dĂ©ral canadien: la rigiditĂ© formelle des institutions du fĂ©dĂ©ralisme qui a forcĂ©, tout au long de l’histoire du pays, les acteurs Ă  inventer et Ă  expĂ©rimenter des stratĂ©gies et des pratiques informelles afin de rĂ©pondre Ă  l’évolution de la sociĂ©tĂ© canadienne. Cette caractĂ©ristique s’est consolidĂ©e dans les annĂ©es 1990, Ă  la suite des Ă©checs successifs des tentatives de refonder la Constitution canadienne pour y inclure le QuĂ©bec. Dans un Canada oĂč plus personne n’ose parler de modifications constitutionnelles, l’analyse des processus de changement institutionnel graduel est donc cruciale pour thĂ©oriser le fĂ©dĂ©ralisme contemporain.

Une approche interactionnelle
pour l’étude du fĂ©dĂ©ralisme

L’analyse du processus de fĂ©dĂ©ralisation prĂ©sentĂ© dans cet ouvrage se distingue Ă©galement par la mobilisation d’une approche interactionnelle du fĂ©dĂ©ralisme. Cette approche, inspirĂ©e des travaux quĂ©bĂ©cois sur le fĂ©dĂ©ralisme et des recherches comparatives sur la politique provinciale, implique d’analyser le fĂ©dĂ©ralisme comme un ensemble d’interactions marquĂ©es par l’interdĂ©pendance et l’autonomie de deux ordres de gouvernement non subordonnĂ©s (Rocher 2006). Elle implique de ne pas ancrer l’analyse dans un postulat quant Ă  la lĂ©gitimitĂ© d’un ordre de gouvernement par rapport Ă  un autre. Elle invite plutĂŽt les chercheurs Ă  considĂ©rer l’impact des relations entre gouvernements sur l’évolution du fĂ©dĂ©ralisme canadien, et ce, quelle que soit la forme, la direction ou la teneur de ces relations. Bien qu’elle demande une attention constante aux deux ordres de gouvernement en relation, l’implication pratique de cette lecture interactionnelle du fĂ©dĂ©ralisme est la rĂ©vision du traitement limitĂ© accordĂ© aux provinces dans l’étude du fĂ©dĂ©ralisme, et ce, de deux façons.
PremiĂšrement, l’approche prĂ©sentĂ©e dans cet ouvrage rejette l’idĂ©e – implicite ou explicite – selon laquelle le fĂ©dĂ©ralisme canadien est avant tout une relation verticale et Ă  sens unique, d’Ottawa vers les provinces. Cette façon de concevoir la vie politique du Canada est parfois le fruit de conceptions normatives du fĂ©dĂ©ralisme ou encore d’idĂ©es par rapport au rĂŽle que devrait jouer le gouvernement fĂ©dĂ©ral dans la gestion du pays. Pour d’autres auteurs, c’est une façon de traduire les inĂ©galitĂ©s de pouvoir, de capacitĂ©s et de ressources entre les ordres de gouvernement. Celles-ci, il faut le reconnaĂźtre, continuent de favoriser le gouvernement fĂ©dĂ©ral et de lui donner une marge de manƓuvre importante dans plusieurs domaines de politiques.
Toutefois, cette conception des rapports entre gouvernements diffuse une vision limitĂ©e du rĂŽle des provinces dans la performativitĂ© du rĂ©gime fĂ©dĂ©ral. D’un cĂŽtĂ©, en considĂ©rant qu’Ottawa est le locus des dĂ©cisions, peu d’attention est portĂ©e aux façons dont les provinces vivent et nĂ©gocient le fĂ©dĂ©ralisme, au jour le jour. De l’autre, cette conception verticale implique plusieurs suppositions quant aux provinces, en premier lieu l’idĂ©e qu’elles sont des rĂ©ceptrices passives des dĂ©cisions et des politiques Ă©manant du gouvernement fĂ©dĂ©ral. Plus largement, cette approche limite implicitement la lecture possible de l’influence des provinces sur la teneur et la gestion des politiques nationales. En considĂ©rant le fĂ©dĂ©ralisme comme une dynamique verticale Ă  sens unique, il devient en effet difficile d’imaginer les multiples maniĂšres dont les provinces peuvent modifier les intĂ©rĂȘts et la capacitĂ© d’agir du gouvernement fĂ©dĂ©ral ou encore, ceux des autres provinces.
DeuxiĂšmement, centrale Ă  l’approche interactionnelle est la rĂ©itĂ©ration que la vie politique et le contexte des provinces ont une grande importance pour l’étude du fĂ©dĂ©ralisme. Cette proposition est alignĂ©e sur plusieurs travaux sur la politique provinciale et, encore plus, sur les travaux portant sur le rĂŽle et la place du QuĂ©bec dans la fĂ©dĂ©ration. L’approche dĂ©fendue dans ce livre se distingue toutefois de ces travaux en affirmant que dans la majoritĂ© des cas, l’influence provinciale n’est pas l’attribut d’une seule province. En cela, elle s’oppose Ă  plusieurs recherches qui se concentrent, non sans raison, sur le rĂŽle central jouĂ© par le QuĂ©bec dans la transformation du fĂ©dĂ©ralisme canadien (Cameron et Krikorian 2002; Fafard et Rocher 2009). Nous soutenons qu’il convient de considĂ©rer avec sĂ©rieux les rĂŽles jouĂ©s par les autres provinces, petites ou grandes, dans l’évolution de ce rĂ©gime politique. Le corollaire de notre approche est ainsi d’élargir le spectre de l’analyse, au-delĂ  des Ă©tudes de cas se concentrant sur une seule province Ă  la fois (Tellier 2011). L’approche interactionnelle milite en faveur de l’étude comparĂ©e des façons dont les provinces ont pu rĂ©agir et agir face aux changements affectant toute la sociĂ©tĂ© canadienne. En cela, elle prĂ©sente des possibilitĂ©s considĂ©rables pour l’étude de la politique provinciale et territoriale, qui est encore souvent cantonnĂ©e aux Ă©tudes de cas sur les politiques publiques, la culture, l’économie ou la politique Ă©lectorale (Dunn 2001).
Dans cet ouvrage, l’approche interactionnelle est utilisĂ©e pour comprendre comment s’est dĂ©roulĂ© le processus de changement qu’est la fĂ©dĂ©ralisation de l’immigration depuis les annĂ©es 1990. Comme les prochains chapitres le montreront, cette approche permet de disqualifier l’idĂ©e que ce processus est avant tout le rĂ©...

Table des matiĂšres

  1. Table des matiĂšres
  2. Remerciements
  3. Liste des acronymes
  4. Introduction
  5. Chapitre 1
  6. Chapitre 2
  7. Chapitre 3
  8. Chapitre 4
  9. Chapitre 5
  10. Chapitre 6
  11. Conclusion
  12. Annexe
  13. Bibliographie
  14. Autres titres de la collection «Politique mondiale»