Chapitre 1
Les provinces, lâimmigration
et le changement institutionnel
Depuis 1990, les provinces canadiennes sont devenues des acteurs au sein du rĂ©gime institutionnel de gouvernance de lâimmigration et de lâintĂ©gration. Non seulement elles sont actives dans la prestation de services dâintĂ©gration dans leurs champs de compĂ©tence (tels que lâĂ©ducation), mais elles sont dĂ©sormais hautement proactives en matiĂšre de sĂ©lection des immigrants, en plus de se mobiliser dans les arĂšnes intergouvernementales Ă ce propos. Plusieurs politiques et plusieurs institutions fĂ©dĂ©rales ont Ă©tĂ© modifiĂ©es par lâĂ©mergence de ces acteurs et, plus largement, cela a remis en cause la capacitĂ© du gouvernement fĂ©dĂ©ral Ă agir unilatĂ©ralement dans le domaine de lâimmigration.
Ce changement constitue une rupture de taille dâavec les pratiques au sein de la fĂ©dĂ©ration canadienne. Lâimmigration est lâune des deux compĂ©tences formellement partagĂ©es par lâActe de lâAmĂ©rique du Nord britannique de 1867 (art. 95), un reflet des activitĂ©s dâattraction des colons Ă des fins de peuplement par les dominions avant la ConfĂ©dĂ©ration. Toutefois, avant 1990, et en particulier depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement fĂ©dĂ©ral exerçait une quasi-domination sur lâĂ©laboration et la mise en Ćuvre des politiques dâimmigration et dâintĂ©gration (Vineberg 1987). Cela reflĂ©tait un manque dâintĂ©rĂȘt des provinces qui, Ă part le QuĂ©bec, rĂ©pugnaient Ă agir tant sur le plan de la sĂ©lection des nouveaux arrivants que sur celui de leur intĂ©gration. Une combinaison de facteurs expliquait cette passivitĂ©, dont la crainte des coĂ»ts associĂ©s Ă une action publique en immigration et lâopinion publique au sein des provinces (Hawkins 1988). En consĂ©quence, la prĂ©dominance dâOttawa nâĂ©tait pas remise en question par les deux ordres de gouvernement et lâimmigration Ă©tait avant tout lâaffaire du gouvernement fĂ©dĂ©ral, malgrĂ© ce quâen disait la Constitution.
Ă lâheure actuelle, la situation est tout autre: non seulement les provinces sont ouvertement actives en la matiĂšre, mais elles rejettent aussi de plus en plus la lĂ©gitimitĂ© de la domination fĂ©dĂ©rale. Dans les 10 provinces, des discours positifs sur lâimmigration sâĂ©lĂšvent, prĂ©sentant celle-ci comme une richesse pour les Ă©conomies et les sociĂ©tĂ©s provinciales. Par la publication de stratĂ©gies officielles dâimmigration, les provinces se positionnent officiellement comme des pivots de lâaction publique en la matiĂšre. En finançant des programmes, les gouvernements provinciaux crĂ©ent Ă©galement des liens directs avec les immigrants et les organismes communautaires, traditionnellement «clients» du gouvernement fĂ©dĂ©ral. En Ćuvrant Ă attirer et Ă sĂ©lectionner des immigrants permanents et temporaires, les provinces visent aussi Ă rĂ©pondre aux besoins exprimĂ©s par les acteurs Ă©conomiques dans leurs territoires.
Ces nouvelles actions publiques provinciales sont traduites institutionnellement. Comme lâillustre le tableau 1.1, depuis le dĂ©but des annĂ©es 1990, les 10 provinces font partie dâententes en matiĂšre dâimmigration, allant de la collaboration jusquâĂ la dĂ©volution. Ces ententes modifient et codifient le partage des responsabilitĂ©s entre les deux ordres de gouvernement. Dans certains cas, en particulier celui de lâOntario, elles attribuent aussi des responsabilitĂ©s Ă dâautres gouvernements ou acteurs privĂ©s, en particulier les municipalitĂ©s (Seidle 2010a).
Ă lâexception du cas quĂ©bĂ©cois, dont lâaccord compte des modalitĂ©s plus sophistiquĂ©es, ces accords codifient les pratiques de collaboration en matiĂšre dâintĂ©gration et mettent sur pied des outils pour une action directe en matiĂšre de sĂ©lection provinciale par le biais du Programme des candidats de la province (PCP). Selon CitoyennetĂ© et Immigration Canada, le PCP permet aux neuf provinces «[...] de dĂ©signer des immigrants Ă©ventuels qui, Ă leur avis, rĂ©pondront Ă leurs besoins particuliers et qui ont lâintention de sâĂ©tablir sur leur territoire» (Canada 2011a, 1). Le fonctionnement du programme est similaire au processus en place depuis 1991 pour la sĂ©lection des nouveaux arrivants par le QuĂ©bec. Les individus demandeurs dĂ©posent des candidatures directement aux provinces et aux territoires. Ces derniers Ă©tudient les candidatures et, le cas Ă©chĂ©ant, Ă©mettent une dĂ©signation pour la sĂ©lection qui est transmise Ă lâadministration publique fĂ©dĂ©rale. Celle-ci rĂ©vise alors la candidature en fonction «[...] des exigences en matiĂšre dâĂ©tablissement Ă©conomique» (Canada 2011a, 19), des critĂšres de santĂ© publique, de droit criminel et dâautres critĂšres dâadmissibilitĂ© tels que dĂ©finis dans la Loi canadienne sur lâimmigration et les rĂšglements connexes, avant de lâaccepter ou la rejeter. PrĂšs de 96% des dĂ©signations provinciales sont approuvĂ©es, un taux comparable Ă celui de lâapprobation des certificats de sĂ©lection Ă©mis par le gouvernement du QuĂ©bec (Canada 2011a, 20).
Les ententes du PCP comptent des conditions de mise en Ćuvre (intĂ©gritĂ© et reddition de comptes) et une condition gĂ©nĂ©rale en matiĂšre programmatique: maximiser la contribution Ă©conomique de lâimmigration. Toutefois, au-delĂ de ces conditions, les provinces ont une marge de manĆuvre considĂ©rable quant aux façons de configurer leur programme. En outre, dans plusieurs cas â le QuĂ©bec, lâOntario, la Colombie-Britannique et le Manitoba â, ces accords impliquent des transferts de fonds considĂ©rables vers les provinces, le plus souvent sous la forme de subventions. Ces transferts de fonds sâeffectuent avec des dispositions de conditionnalitĂ© limitĂ©es et avec des mesures de reddition de comptes souvent minimales (Seidle 2010b; Canada 2012a). En consĂ©quence, ces ententes ont comme consĂ©quence dâaugmenter la capacitĂ© dâaction des provinces, sans poser de rĂ©elles limites Ă la diffĂ©renciation des activitĂ©s provinciales.
La croissance des activitĂ©s provinciales, soutenue par un discours positif en matiĂšre dâimmigration, la crĂ©ation du PCP et la mise en place dâaccords bilatĂ©raux diversifiĂ©s en matiĂšre dâimmigration sont quelques-unes des caractĂ©ristiques centrales du processus de changement documentĂ© dans cet ouvrage. Toutefois, un aspect de lâĂ©volution rĂ©cente du rĂ©gime canadien est particuliĂšrement important: le maintien des actions du gouvernement fĂ©dĂ©ral, en parallĂšle avec lâĂ©veil des provinces en matiĂšre dâimmigration.
Lâaction autonome des provinces sâeffectue dans leurs champs de compĂ©tence et en fonction des balises de la compĂ©tence partagĂ©e en immigration. De mĂȘme, les accords nâont pas comme effet de limiter les domaines dâintervention des provinces ou ceux du gouvernement fĂ©dĂ©ral. Ă lâexception des modalitĂ©s de sĂ©lection des immigrants Ă©conomiques et de leurs personnes Ă charge, mises en place au QuĂ©bec en 1991, le gouvernement fĂ©dĂ©ral conserve des pouvoirs de sĂ©lection des immigrants applicables Ă tout le territoire canadien. De plus, le transfert des responsabilitĂ©s pour lâadministration et la prestation des services dâĂ©tablissement vers la Colombie-Britannique et le Manitoba ne sâaccompagne pas pour le fĂ©dĂ©ral dâune interdiction explicite dâintervenir en la matiĂšre, comme câest le cas au QuĂ©bec. PlutĂŽt que comme un transfert Ă somme nulle, la situation est plus adĂ©quatement dĂ©crite comme une superposition graduelle des interventions des deux ordres de gouvernement.
Ce changement du rĂ©gime institutionnel de gouvernance de lâimmigration et de lâintĂ©gration du Canada correspond donc Ă un processus de fĂ©dĂ©ralisation, câest-Ă -dire lâĂ©mergence de nouveaux acteurs ou la modification du statut de ceux dĂ©tenant une forte lĂ©gitimitĂ© institutionnelle ou politique au sein dâun rĂ©gime institutionnel. Ce processus est diffĂ©rent de la dĂ©centralisation qui dĂ©crit plutĂŽt un transfert dâautoritĂ©, de ressources ou de capacitĂ© dâun gouvernement Ă un autre. Il se diffĂ©rencie aussi de la dĂ©concentration, correspondant au transfert partiel de responsabilitĂ©s du gouvernement central vers des pĂ©riphĂ©ries, celles-ci devenant les principales responsables de la prestation des politiques publiques. Ă la diffĂ©rence de ces deux phĂ©nomĂšnes, la fĂ©dĂ©ralisation implique lâaugmentation de lâagentivitĂ© des gouvernements provinciaux et lâaugmentation des interactions entre gouvernements. Les rĂ©sultats de ce processus vont varier dâune instance Ă lâautre, passant de lâaugmentation des conflits entre acteurs politiques, jusquâĂ la rĂ©vision des orientations des politiques publiques de lâensemble dâun pays.
Le processus de fĂ©dĂ©ralisation du rĂ©gime de gouvernance de lâimmigration et de lâintĂ©gration correspond Ă la concrĂ©tisation graduelle, au cours des vingt derniĂšres annĂ©es, du caractĂšre partagĂ© de la compĂ©tence en matiĂšre dâimmigration, tel que dĂ©fini Ă lâarticle 95 de la Loi constitutionnelle de 1867. Il rompt avec les pratiques de dominance fĂ©dĂ©rale et de passivitĂ© provinciale ayant eu cours depuis lâĂ©tablissement des politiques libĂ©rales du pays en matiĂšre dâimmigration dans les annĂ©es 1960, et mĂȘme avec celles qui existaient depuis la ConfĂ©dĂ©ration. Les implications de ce changement sont multiples, puisque la fĂ©dĂ©ralisation fait des questions liĂ©es Ă lâimmigration des domaines traversĂ©s par des dynamiques inhĂ©rentes au fĂ©dĂ©ralisme canadien.
Le changement dans la fédération
Face Ă des institutions politiques complexes et Ă des conflits sur la nature mĂȘme du fĂ©dĂ©ralisme, les politologues ont mis au point un appareillage riche pour lâĂ©tude des relations entre les gouvernements du Canada. En dialogue avec ces apports et avec la recherche sur le fĂ©dĂ©ralisme comparĂ©, ces pages montrent quâil est hautement fĂ©cond de recentrer lâanalyse sur les processus de changement institutionnel afin de comprendre lâĂ©volution de la fĂ©dĂ©ration canadienne contemporaine. Ce faisant, cet ouvrage se distingue des trois façons les plus courantes dâapprĂ©hender le changement chez les experts du fĂ©dĂ©ralisme.
La premiĂšre consiste Ă dĂ©crire les institutions dĂ©coulant du changement. Afin de bien comprendre les dynamiques contemporaines de gouvernance et de comparer le Canada avec dâautres pays, les chercheurs ont visĂ© Ă mesurer le degrĂ© de centralisation ou de dĂ©centralisation de la fĂ©dĂ©ration canadienne (Wallner 2008). Ces recherches ont permis de documenter la dĂ©centralisation graduelle du rĂ©gime fĂ©dĂ©ral canadien depuis la ConfĂ©dĂ©ration (Russell 2004; Turgeon et Wallner 2013). Toutefois, la diffĂ©rence entre les institutions formelles, les pratiques et les capacitĂ©s effectives de gouvernement (par exemple, Ă travers le pouvoir de dĂ©penser fĂ©dĂ©ral) est toujours dĂ©battue, afin de caractĂ©riser le degrĂ© de dĂ©centralisation ayant cours dans la fĂ©dĂ©ration (NoĂ«l 2007; Pelletier 2008; Rocher et Rouillard 1998). En mĂȘme temps, plusieurs auteurs mobilisent de nouveaux concepts pour dĂ©crire des changements encourus par la fĂ©dĂ©ration canadienne. La gouvernance Ă paliers multiples, par exemple, a Ă©tĂ© utilisĂ©e pour traduire lâinclusion des villes et des nations autochtones dans lâanalyse des institutions intergouvernementales (Papillon 2011; Leo et August 2009).
La seconde façon dont le changement au sein de la fĂ©dĂ©ration a Ă©tĂ© considĂ©rĂ© est lâangle des relations intergouvernementales. Depuis la Seconde Guerre mondiale, les politologues se sont Ă©vertuĂ©s Ă Ă©laborer des classifications de lâĂ©tat des relations entre le gouvernement fĂ©dĂ©ral et les provinces. Ces ambitions sont le lieu dâinnovations conceptuelles importantes. On doit Ă ces travaux des idĂ©es telles que la diplomatie fĂ©dĂ©rale-provinciale, le fĂ©dĂ©ralisme compĂ©titif, le fĂ©dĂ©ralisme coopĂ©ratif, le fĂ©dĂ©ralisme collaboratif, le fĂ©dĂ©ralisme dâouverture, le renouveau non constitutionnel et le fĂ©dĂ©ralisme dâouverture (Simeon 2006; Stevenson 1989; Cameron et Simeon 2002; Banting et al. 2006; Montpetit 2007). Dans ces Ă©tudes, ce sont avant tout les pratiques changeantes des gouvernements et, plus rarement, les institutions qui en dĂ©coulent qui sont Ă©tudiĂ©es.
Il existe une troisiĂšme façon dâaborder le changement parmi les chercheurs spĂ©cialistes du fĂ©dĂ©ralisme canadien: lâĂ©valuation normative de ses consĂ©quences. Ces chercheurs sâintĂ©ressent en effet Ă lâefficacitĂ© Ă©conomique ou encore Ă la lĂ©gitimitĂ© politique de lâĂ©volution des arrangements fĂ©dĂ©raux (p. ex.: Bakvis et al. 2009; Bakvis et Brown 2010). Dans le contexte des tensions constitutionnelles tout comme du mouvement indĂ©pendantiste quĂ©bĂ©cois, ces recherches portent sur le degrĂ© de reconnaissance du caractĂšre multinational du Canada au sein des institutions fĂ©dĂ©rales (Gagnon 2006; Mcroberts 2001). Dâautres dĂ©crivent les impacts de changements qualifiĂ©s dâ«asymĂ©triques» au sein de la fĂ©dĂ©ration, perçus comme positifs ou nĂ©gatifs (Gagnon 2001; Brock 2008; Maclure 2005). Pour ces auteurs, le fĂ©dĂ©ralisme correspond Ă un idĂ©al particulier et tout changement doit ĂȘtre considĂ©rĂ© relativement Ă lâatteinte ou encore lâĂ©loignement de cet idĂ©al.
Ces trois tendances contribuent Ă structurer la vie politique canadienne et la recherche Ă son sujet. Elles ont aussi permis aux politologues dâĂ©tablir des dialogues fĂ©conds avec la politique comparĂ©e et, en particulier, avec les Ă©tudes sur le fĂ©dĂ©ralisme ailleurs dans le monde (p. ex.: Wallner et Boychuck 2014; BĂ©land et Lecours 2007). Cet ouvrage propose nĂ©anmoins une autre maniĂšre dâaborder le changement dans la fĂ©dĂ©ration canadienne: lâĂ©tude des processus de changement institutionnel graduel. PlutĂŽt que de dĂ©crire les rĂ©sultats des changements â tant en matiĂšre dâinstitutions que de relations â, nous dĂ©montrons que le changement, en tant que tel, est lâaspect que le champ de la politique canadienne doit maintenant sâatteler Ă comprendre. En dialogue avec les apports dâune approche institutionnelle, nous nous concentrons sur le comment du changement dans la fĂ©dĂ©ration canadienne. Cet ouvrage nâentend donc pas dĂ©crire les institutions ou les relations issues du processus de fĂ©dĂ©ralisation et encore moins juger de leur lĂ©gitimitĂ©, de leur justice ou de leur validitĂ©. Il vise plutĂŽt Ă expliquer de quelle façon la fĂ©dĂ©ralisation sâest dĂ©roulĂ©e, car il nous semble que cette explication apporte les donnĂ©es permettant aux acteurs sociĂ©taux et aux chercheurs dâĂ©valuer les impacts de ce changement.
Lâaccent sur les processus de changement permet de soutenir le dĂ©veloppement thĂ©orique tout en reconnaissant une caractĂ©ristique centrale du rĂ©gime fĂ©dĂ©ral canadien: la rigiditĂ© formelle des institutions du fĂ©dĂ©ralisme qui a forcĂ©, tout au long de lâhistoire du pays, les acteurs Ă inventer et Ă expĂ©rimenter des stratĂ©gies et des pratiques informelles afin de rĂ©pondre Ă lâĂ©volution de la sociĂ©tĂ© canadienne. Cette caractĂ©ristique sâest consolidĂ©e dans les annĂ©es 1990, Ă la suite des Ă©checs successifs des tentatives de refonder la Constitution canadienne pour y inclure le QuĂ©bec. Dans un Canada oĂč plus personne nâose parler de modifications constitutionnelles, lâanalyse des processus de changement institutionnel graduel est donc cruciale pour thĂ©oriser le fĂ©dĂ©ralisme contemporain.
Une approche interactionnelle
pour lâĂ©tude du fĂ©dĂ©ralisme
Lâanalyse du processus de fĂ©dĂ©ralisation prĂ©sentĂ© dans cet ouvrage se distingue Ă©galement par la mobilisation dâune approche interactionnelle du fĂ©dĂ©ralisme. Cette approche, inspirĂ©e des travaux quĂ©bĂ©cois sur le fĂ©dĂ©ralisme et des recherches comparatives sur la politique provinciale, implique dâanalyser le fĂ©dĂ©ralisme comme un ensemble dâinteractions marquĂ©es par lâinterdĂ©pendance et lâautonomie de deux ordres de gouvernement non subordonnĂ©s (Rocher 2006). Elle implique de ne pas ancrer lâanalyse dans un postulat quant Ă la lĂ©gitimitĂ© dâun ordre de gouvernement par rapport Ă un autre. Elle invite plutĂŽt les chercheurs Ă considĂ©rer lâimpact des relations entre gouvernements sur lâĂ©volution du fĂ©dĂ©ralisme canadien, et ce, quelle que soit la forme, la direction ou la teneur de ces relations. Bien quâelle demande une attention constante aux deux ordres de gouvernement en relation, lâimplication pratique de cette lecture interactionnelle du fĂ©dĂ©ralisme est la rĂ©vision du traitement limitĂ© accordĂ© aux provinces dans lâĂ©tude du fĂ©dĂ©ralisme, et ce, de deux façons.
PremiĂšrement, lâapproche prĂ©sentĂ©e dans cet ouvrage rejette lâidĂ©e â implicite ou explicite â selon laquelle le fĂ©dĂ©ralisme canadien est avant tout une relation verticale et Ă sens unique, dâOttawa vers les provinces. Cette façon de concevoir la vie politique du Canada est parfois le fruit de conceptions normatives du fĂ©dĂ©ralisme ou encore dâidĂ©es par rapport au rĂŽle que devrait jouer le gouvernement fĂ©dĂ©ral dans la gestion du pays. Pour dâautres auteurs, câest une façon de traduire les inĂ©galitĂ©s de pouvoir, de capacitĂ©s et de ressources entre les ordres de gouvernement. Celles-ci, il faut le reconnaĂźtre, continuent de favoriser le gouvernement fĂ©dĂ©ral et de lui donner une marge de manĆuvre importante dans plusieurs domaines de politiques.
Toutefois, cette conception des rapports entre gouvernements diffuse une vision limitĂ©e du rĂŽle des provinces dans la performativitĂ© du rĂ©gime fĂ©dĂ©ral. Dâun cĂŽtĂ©, en considĂ©rant quâOttawa est le locus des dĂ©cisions, peu dâattention est portĂ©e aux façons dont les provinces vivent et nĂ©gocient le fĂ©dĂ©ralisme, au jour le jour. De lâautre, cette conception verticale implique plusieurs suppositions quant aux provinces, en premier lieu lâidĂ©e quâelles sont des rĂ©ceptrices passives des dĂ©cisions et des politiques Ă©manant du gouvernement fĂ©dĂ©ral. Plus largement, cette approche limite implicitement la lecture possible de lâinfluence des provinces sur la teneur et la gestion des politiques nationales. En considĂ©rant le fĂ©dĂ©ralisme comme une dynamique verticale Ă sens unique, il devient en effet difficile dâimaginer les multiples maniĂšres dont les provinces peuvent modifier les intĂ©rĂȘts et la capacitĂ© dâagir du gouvernement fĂ©dĂ©ral ou encore, ceux des autres provinces.
DeuxiĂšmement, centrale Ă lâapproche interactionnelle est la rĂ©itĂ©ration que la vie politique et le contexte des provinces ont une grande importance pour lâĂ©tude du fĂ©dĂ©ralisme. Cette proposition est alignĂ©e sur plusieurs travaux sur la politique provinciale et, encore plus, sur les travaux portant sur le rĂŽle et la place du QuĂ©bec dans la fĂ©dĂ©ration. Lâapproche dĂ©fendue dans ce livre se distingue toutefois de ces travaux en affirmant que dans la majoritĂ© des cas, lâinfluence provinciale nâest pas lâattribut dâune seule province. En cela, elle sâoppose Ă plusieurs recherches qui se concentrent, non sans raison, sur le rĂŽle central jouĂ© par le QuĂ©bec dans la transformation du fĂ©dĂ©ralisme canadien (Cameron et Krikorian 2002; Fafard et Rocher 2009). Nous soutenons quâil convient de considĂ©rer avec sĂ©rieux les rĂŽles jouĂ©s par les autres provinces, petites ou grandes, dans lâĂ©volution de ce rĂ©gime politique. Le corollaire de notre approche est ainsi dâĂ©largir le spectre de lâanalyse, au-delĂ des Ă©tudes de cas se concentrant sur une seule province Ă la fois (Tellier 2011). Lâapproche interactionnelle milite en faveur de lâĂ©tude comparĂ©e des façons dont les provinces ont pu rĂ©agir et agir face aux changements affectant toute la sociĂ©tĂ© canadienne. En cela, elle prĂ©sente des possibilitĂ©s considĂ©rables pour lâĂ©tude de la politique provinciale et territoriale, qui est encore souvent cantonnĂ©e aux Ă©tudes de cas sur les politiques publiques, la culture, lâĂ©conomie ou la politique Ă©lectorale (Dunn 2001).
Dans cet ouvrage, lâapproche interactionnelle est utilisĂ©e pour comprendre comment sâest dĂ©roulĂ© le processus de changement quâest la fĂ©dĂ©ralisation de lâimmigration depuis les annĂ©es 1990. Comme les prochains chapitres le montreront, cette approche permet de disqualifier lâidĂ©e que ce processus est avant tout le rĂ©...