Deux économistes à contre-courant
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Deux économistes à contre-courant

Sylvia Ostry et Kari Polanyi Levitt

  1. 126 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Deux économistes à contre-courant

Sylvia Ostry et Kari Polanyi Levitt

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À propos de ce livre

Sylvia Ostry et Kari Polanyi Levitt comptent parmi les figures importantes de l'économie du XXe siècle au Canada, mais aussi dans le monde. Chacune à sa manière, elles ont influencé les politiques publiques nationales et la coopération économique mondiale, et ont participé à la construction de la politique étrangère canadienne.Le récit édifiant qui résulte de leur engagement professionnel expose d'un même tenant les transformations politiques, économiques et sociales des cent dernières années ainsi que l'évolution de la pensée de deux intellectuelles animées par les idéaux de justice sociale qui ont marqué leur époque.Michèle Rioux est professeure au Département de science politique de l'Université du Québec à Montréal. Ses travaux portent sur la culture et le numérique, la gouvernance globale du travail ainsi que sur la régulation de l'économie politique internationale.Hughes Brisson est un chercheur indépendant. Il travaille sur le droit de la consommation ainsi que sur le régime international de prohibition des drogues.

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Informations

Année
2018
ISBN
9782760638792

Chapitre 1

Sylvia Ostry, statistiques
et coopération économique internationale

Sylvia Ostry a contribué à construire le monde que nous connaissons aujourd’hui. Au fil des décennies, elle a laissé sa marque dans le monde universitaire de même que dans les instances gouvernementales canadiennes et au sein de grandes institutions internationales. Le legs qu’elle fait au monde universitaire est fondé sur ses recherches sur la place des femmes dans le monde du travail. Elle a par la suite piloté une réforme d’envergure au sein de Statistique Canada. Son héritage se fait encore sentir aujourd’hui par le rôle décisif qu’elle a joué dans la négociation de nombreux accords commerciaux entre le Canada et d’autres pays. Elle a aussi pu mettre à contribution sa maîtrise des mathématiques et des statistiques ainsi que sa vaste compréhension du commerce international à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). À chaque poste qu’elle a occupé, Sylvia Ostry a œuvré pour que les processus de prises de décisions politiques s’appuient sur une information empirique solide et des analyses contextualisées. Son travail en ce domaine a été un travail de bâtisseuse.

Une nouvelle culture organisationnelle
à Statistique Canada

En 1972, Sylvia Ostry est nommée statisticienne en chef de Statistique Canada. Les années qu’elle y passe allaient amener la redéfinition de l’institution et de son rôle dans la société canadienne. Outre la réforme visant à centraliser les données qu’on lui demande de traiter, Sylvia Ostry institutionnalise deux valeurs qui formeront l’assise de l’excellence et de la réputation mondiale enviable de Statistique Canada: sa capacité d’adaptation et son expertise en analyse de données. Sous la direction de Sylvia Ostry, l’institution quasi désuète est devenue un système d’information moderne d’une grande efficacité, en phase avec les défis contemporains et le renouvellement constant des priorités politiques (McCracken, 2004). Cette capacité de s’adapter aux nouvelles réalités existe toujours aujourd’hui à Statistique Canada. On peut concevoir qu’il ne fut pas aisé d’introduire un tel changement puisque le fer de lance des institutions de statistiques est en général la continuité.
La réforme menée par Sylvia Ostry a permis d’y mettre en place une nouvelle culture organisationnelle fondée sur le maintien d’une forte expertise analytique et sur le souci d’établir des statistiques pouvant servir concrètement la conception des politiques. Ce faisant, Ostry a frayé la voie à l’élargissement du mandat de Statistique Canada. Auparavant, les institutions de statistiques officielles ne voyaient pas l’intérêt qu’il y avait à accompagner leurs données d’analyses contextuelles, craignant que celles-ci nuisent à l’objectivité des chiffres. Aujourd’hui, les experts s’entendent pour dire que toute publication de données statistiques n’est pas complète sans analyse permettant de les comprendre, et que celle-ci fait partie de la mission des institutions fournissant des statistiques officielles.
L’analyse des statistiques ne sert pas seulement les décideurs dans la conception des politiques: elle sert aussi le débat public en permettant à la population de débattre des résultats concrets et réels des politiques adoptées, sur la base d’une information claire et lisible. Sylvia Ostry se trouve parmi les experts qui sont à l’origine de ce changement avant-gardiste2, d’abord opéré chez Statistique Canada, mais qui s’est ensuite répandu plus largement dans le monde de la statistique.

Le commerce international et la mondialisation
au service des populations

Un autre des legs incontournables de Sylvia Ostry repose sur l’influence directe qu’elle a pu exercer sur les processus d’élaboration des politiques économiques, sur les plans tant national qu’international. Durant les années où Sylvia Ostry était à la tête du Conseil économique du Canada, elle avait l’oreille du gouvernement canadien et ses conseils avaient une influence certaine sur les décideurs et les hauts fonctionnaires responsables de l’élaboration des politiques économiques. L’économiste David Dodge, qui a été sous-ministre au ministère des Finances de 1992 à 1997, affirme qu’«elle nous harcelait de façon charmante pour faire adopter des politiques sociales, travaillistes et économiques plus efficaces3» (Dodge, 2004, p. vii).
Les conseils qu’elle a prodigués aux décideurs ne suivaient pas les lignes rigides de modèles théoriques, mais émanaient du pragmatisme qu’appellent les problèmes concrets et l’obligation de donner des solutions rapidement. L’expertise de Sylvia Ostry était respectée et convoitée, car elle n’était pas figée dans des considérations idéologiques. Cela ne veut pas dire pour autant que Sylvia Ostry n’était pas guidée par un ensemble de principes, car elle a continuellement tenté de convaincre, contrairement aux idées promues par Milton Friedman, que les politiques de libéralisation des marchés devaient être accompagnées d’un système de régulation pour assurer que cette libéralisation se fasse à l’avantage des populations plutôt que seulement à l’avantage des acteurs économiques les plus puissants.
Les idées de Milton Friedman connaissaient une forte influence dans les années 1970 et 1980, particulièrement au sein de l’élite politique et économique des pays développés. Le but était de libérer le marché des rigidités structurelles, donc d’amoindrir l’État et les filets sociaux, pour favoriser la croissance économique. Sylvia Ostry proposait une voie mitoyenne entre une économie planifiée et le libre-échange pur. C’est notamment ainsi que, dans le discours qu’elle livre en 1981 devant le Bilderberg Group, elle oppose le modèle américain de libre-échange au modèle européen, plus social, et avance l’idée que le modèle idéal serait une combinaison des deux. Sylvia Ostry regardait avec méfiance le dogme non interventionniste du néolibéralisme et elle mettra continuellement en garde les décideurs contre une telle politique en soulignant ses limites et ses effets négatifs pour les sociétés. Elle rappellera sans cesse que la croissance du commerce international doit assurer la croissance économique et améliorer le niveau de vie des populations4. Pragmatique et ne croyant pas en la force autorégulatrice du marché, elle a toujours pensé que les politiques comptent. En ce sens, elle est keynésienne.
Durant les années 1970 et au début des années 1980, Sylvia Ostry constate que le système d’échanges commerciaux international qui émerge est dysfonctionnel, qu’il lui manque un cadre réglementaire commun et qu’il est mû par des rapports de force qui permettent aux pays les plus forts d’imposer leur volonté aux pays les plus faibles. Il s’agit selon elle d’un système malsain, puisque cet assemblage de divers cadres réglementaires hétérogènes empêche les ajustements nécessaires pour que les différentes économies nationales puissent se sortir de la stagnation dans laquelle elles se trouvent. Si l’économie mondiale stagne, c’est que les économies nationales sont dans l’incapacité de s’adapter aux transformations d’un monde en changement perpétuel. Cette résistance aux changements est due au fait que certains groupes ont trop à perdre dans les ajustements nécessaires pour que la croissance reprenne.
Ces idées sont prépondérantes dans les analyses économiques auxquelles elle se livre pour l’OCDE et dans sa façon d’aborder les négociations entourant les sommets du G7. Elle y prônera une ouverture toujours plus grande des marchés nationaux et l’établissement de règles communes encadrant le commerce international. La solution selon elle est d’encadrer ce dernier par des règles universelles et homogènes favorisant le libre-échange et la concurrence tout en cherchant à rendre plus égalitaires les rapports de force entre les pays5. Elle souhaite une interdépendance réelle entre les marchés et les États fondée sur des règles et des institutions multilatérales qui viennent contre-balancer les rapports de force favorisant les économies et les acteurs les plus puissants.

La critique du processus d’intégration des marchés

À la suite de la création de l’OMC, Sylvia Ostry adopte une attitude critique envers la libéralisation commerciale et les résultats qui en découlent. Selon elle, le processus de libéralisation du commerce qui a permis l’intégration des marchés tant des marchandises que des investissements, de l’information, de la communication et des technologies a favorisé certains groupes et certaines nations au détriment d’autres. Les pays développés, particulièrement les États-Unis, ont réussi à imposer un modèle de libre-échange qui servait d’abord leurs intérêts nationaux et ceux de leurs entreprises. Le système alors mis en place, constate-t-elle dans une entrevue accordée en 2014 à OpenCanada, une revue en ligne publiée par le Conseil international du Canada pour expliquer les enjeux d’actualité internationale, fonctionne surtout à l’avantage des multinationales américaines:
Je ne comprenais pas tout ce qu’impliquait le cycle de négociations de l’Uruguay, même si j’y étais totalement engagée. Je ne comprenais pas l’importance du rôle des multinationales américaines – et j’aurais dû. Ce n’était pas le gouvernement américain qui était aux commandes, mais plutôt les grandes sociétés. Elles ont présenté ce qu’elles voulaient inclure dans ce cycle et elles voulaient faciliter le commerce, la propriété intellectuelle, les investissements internationaux et les services: les sujets les plus importants et les plus épineux6 (Open Canada Staff, 2014).
Sylvia Ostry explique dans cette entrevue qu’elle avait encouragé les États développés à faire une concession qu’elle appelait «the grand bargain» – une expression reprise à maintes reprises dans la littérature économique –, qui consistait à montrer une ouverture aux pays en développement en acceptant de libéraliser les secteurs des textiles et de l’agriculture, en retour de quoi ces pays approuveraient la libéralisation des services ainsi que les mesures de protection de la propriété intellectuelle (Ostry, 2002). Malheureusement, ce «grand marché» avait laissé un goût amer aux pays en développement qui avaient fait d’importants compromis en ouvrant leurs marchés, mais n’avaient obtenu en échange que de timides concessions de la part des pays développés sur la question de la libéralisation des produits agricoles et des textiles, concessions qui d’ailleurs n’ont jamais été mises en œuvre. Devant un tel échec, il est compréhensible que les pays en développement soient ensuite devenus réticents à s’engager dans de nouveaux accords multilatéraux. Ainsi, dans le cadre du cycle de Doha, amorcé en 2001, les États membres de l’OMC ne sont jamais arrivés à s’entendre et l’avenir de ces négociations est incertain.
Sylvia Ostry déplore le fait qu’après le cycle de l’Uruguay, le multilatéralisme a été délaissé au profit de négociations bilatérales7. Les États-Unis et l’Union européenne ont favorisé la négociation d’accords bilatéraux au détriment d’une approche multilatérale qui, selon Sylvia Ostry, permet de mettre en place un système d’encadrement et de régulation du commerce international. Dans ce cadre, une majorité de pays peuvent participer aux négociations en même temps et établir un ensemble de règles communes et homogènes, ainsi que développer des fronts communs en fonction d’intérêts qui leur sont plus spécifiques. Les accords bilatéraux engendrent au contraire une prolifération de règles hétérogènes et favorisent les pays les plus puissants dans les négociations, car il est plus facile d’orienter et de contrôler le cours des négociations en traitant avec une seule partie qu’en traitant avec plusieurs à la fois. D’un point de vue général, Ostry conclut que deux systèmes de commerce international coexistent aujourd’hui: un premier, qu’on pourrait dire légaliste, qui se fonde sur des règles strictes mais n’a que peu d’impact sur la réalité de l’économie mondiale, et un second système fait d’accords bilatéraux, dont les termes sont dictés par les plus forts en fonction de leurs intérêts particuliers, qui prédomine et qui a subverti l’idée même du système commercial multilatéral. Sylvia Ostry croit que les puissances moyennes, tel le Canada, pourraient jouer un rôle clé pour concilier les intérêts des grandes puissances avec ceux des pays en développement et pour renouer avec le multilatéralisme (Open Canada Staff, 2014).
Mentionnons que Sylvia Ostry estime que certains secteurs d’activité devraient être encadrés. Par exemple, elle est critique vis-à-vis de la possibilité d’inclure le secteur culturel dans les accords commerciaux. À ce propos, elle raconte que, constatant son refus catégorique d’envisager l’ouverture du secteur culturel au libre-échange, un émissaire américain l’avait taquinée en lui disant que si le Canada avait une culture forte, il n’aurait pas besoin de la protéger de la concurrence étrangère (Rioux et Langlois, 2014). Ce à quoi elle avait répondu que les États-Unis étaient l’un des rares pays persistant à croire que la culture était une marchandise comme les autres.

Vers de nouveaux enjeux

En fin de carrière, Sylvia Ostry se penche surtout sur des questions touchant à la gouvernance et à la régulation, tant nationales qu’internationales, dans un monde globalisé. Elle consacre en particulier plusieurs de ses écrits à un nouveau phénomène, le «système de convergence», qui résulte des développements du système commercial multilatéral depuis la création de l’OMC et de l’augmentation des secteurs commerciaux libéralisés qui, ainsi, entrent dans le domaine du commerce international.
Elle constate que la période de la guerre froide est marquée par une intégration économique qui consiste exclusivement à éliminer les barrières tarifaires érigées aux frontières de chaque pays et qui freinent la libre circulation des biens. Or, à partir des années 1990, le système d’échanges commerciaux devient beaucoup plus complexe, la dynamique d’intégration concerne une variété beaucoup plus large de secteurs commerciaux et démantèle un plus grand nombre de mesures susceptibles d’entraver le libre commerce entre les nations. Ce système élargi pousse les États à harmoniser leurs diverses politiques nationales, ce qu’Ostry appelle le «système de convergence».
Cet élargissement s’avère une suite logique aux succès obtenus par la libéralisation. Les barrières tarifaires levées au fil des différentes rondes de négociations du GATT représentent les obstacles au libre-échange les plus évidents et les plus faciles à éliminer. L’objectif de libéralisation pousse ensuite à harmoniser des politiques qui concernent des questions traditionnellement perçues comme des questions d’ordre national. Parmi celles-ci, on trouve la protection de l’environnement, de la propriété intellectuelle, des droits des travailleurs, la concurrence, ou encore l’investissement.
La pression pour l’harmonisation des législations et des politiques nationales s’est amorcée avec l’inclusion de nouveaux secteurs – les services, les investissements et la propriété intellectuelle – dans les accords commerciaux signés durant les années 1990. Les tentatives subséquentes d’élargir la portée des accords commerciaux multilatéraux ont toutefois systématiquement échoué. Par contre, dans d’autres institutions internationales à vocation...

Table des matières

  1. Introduction
  2. Chapitre 1
  3. Chapitre 2
  4. Chapitre 3
  5. Chapitre 4
  6. Conclusion
  7. Sélection d’écrits de Sylvia Ostry
  8. Sélection d’écrits de Kari Polanyi Levitt
  9. Bibliographie
  10. Table des matières