La Révélation inachevée
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La Révélation inachevée

Le Personnage à l'épreuve de la vie romanesque

  1. 284 pages
  2. French
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La Révélation inachevée

Le Personnage à l'épreuve de la vie romanesque

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À propos de ce livre

Longtemps soupçonné d'être frivole, de cultiver le mauvais goût et d'entretenir chez son lecteur des rêveries chimériques, le roman, au moins depuis Don Quichotte, s'est curieusement retourné contre lui-même au nom de la réalité qu'on lui reprochait de fuir. Ce faisant, il s'est transformé radicalement, bien sûr, en se séparant des vieux romans idéalistes qu'il désignait désormais comme ses ennemis. Mais il est aussi resté, plus discrètement peut-être, fidèle à ses origines, c'est-à-dire au mensonge et à l'illusion dont les romanciers n'ont cessé de réaffi rmer la profonde et secrète nécessité.Cet essai se présente comme une réflexion sur l'art du roman, et plus particulièrement sur l'ambiguïté du savoir dont cet art est investi; s'il est vrai que le roman nous apprend quelque chose sur l'homme, il nous apprend aussi et surtout que l'homme n'est pas seulement l'objet d'un savoir. En s'intéressant aux oeuvres de Cervantès, Balzac, Flaubert, Valéry et Kundera, l'auteur entend démontrer que tout romancier, même le plus lucide, concède au personnage le mystère de sa liberté.Yannick Roy enseigne la littérature au niveau collégial et a publié de nombreux essais dans la revue L'Inconvénient, dont il est l'un des fondateurs. Il est l'auteur de La caverne de Montesinos, un essai sur les personnages de romans qui lisent trop.

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Informations

Chapitre 1

La souveraineté du roman et l’objet de son réalisme

L’histoire du roman débute pour certains au XVe siècle avec Boccace[ 1 ], pour d’autres au XVIe avec Rabelais[ 2 ], pour d’autres encore, sans doute les plus nombreux, au XVIIe avec Cervantès[ 3 ] ; mais ces divergences d’opinions ne reposent pas sur des visions radicalement différentes ni inconciliables de l’art du roman. La grande majorité de ses historiens et de ses théoriciens, sans oublier les romanciers eux-mêmes, quel que soit le moment précis où ils situent sa naissance, s’accordent pour lui reconnaître un caractère essentiellement « moderne », c’est-à-dire une certaine forme de réalisme, une sorte de lucidité désenchantée, ou disons, pour reprendre le mot célèbre de Nathalie Sarraute, un « soupçon[ 4 ] » fondamental à l’égard de croyances, d’usages, de symboles et de mythes dont sa naissance marquerait le « dépassement » (terme à vrai dire quelque peu problématique, comme j’aurai l’occasion de le démontrer, mais dont on peut se contenter pour la première phase de ma démonstration). C’est sur cette distinction que repose la thèse défendue par René Girard dans Mensonge romantique et vérité romanesque, dont il sera question plus loin, et c’est sur elle aussi que s’appuie Milan Kundera quand il propose, sur un mode plus métaphorique, d’inscrire l’histoire du roman dans la filiation d’un geste inaugural de dévoilement qu’il attribue à l’auteur de Don Quichotte : « Un rideau magique, tissé de légendes, était suspendu devant le monde. Cervantès envoya Don Quichotte en voyage et déchira le rideau. Le monde s’ouvrit devant le chevalier errant dans toute la nudité comique de sa prose[ 5 ]. » On pourrait au même titre invoquer la célèbre définition de Lukacs, pour qui le roman est la forme de la « virilité mûrie[ 6 ] », métaphore qui désigne bien entendu une maturité collective et historique, à laquelle s’oppose la relative jeunesse des « civilisations closes », mais qu’on peut aussi interpréter dans un sens plus personnel et plus concret : si l’art du roman naît une fois pour toutes, historiquement, autour de la Renaissance, on peut dire également qu’il naît et renaît sans cesse dans la conscience de chaque romancier et de chaque lecteur, c’est-à-dire chaque fois que le « rideau » se déchire et qu’un individu, rompant avec les illusions dont il se berçait jusque-là, trace au milieu de sa propre vie, entre son présent et son passé, une frontière qui a le caractère d’un apprentissage, d’une révélation négative, d’une désillusion.
Mais les métaphores comme celles de la « virilité mûrie » et du « rideau déchiré », si elles semblent à la fois belles et justes, ne sont pas d’une grande utilité sur le plan théorique, car elles peuvent être interprétées dans des sens divers et se prêter à de fâcheux malentendus. Une fois admise l’idée que l’art du roman est essentiellement réaliste, il faut encore définir l’objet de ce réalisme, ce qui est loin d’être aussi simple qu’on pourrait le croire de prime abord, et d’autant plus important que la reconnaissance du roman comme art spécifique est suspendue à cette question. Définir ce réalisme, c’est ni plus ni moins assigner au roman une raison d’être ou, si l’on préfère, une essence, c’est-à-dire tracer une frontière[ 7 ] autour du domaine esthétique sur lequel il règne et le confier, suivant le mot de Milan Kundera, aux soins d’une Muse qui serait chargée de veiller sur lui seul, en tant qu’art sui generis, permettant d’accéder à une forme de beauté unique et irremplaçable[ 8 ].
La conception « unifiée » du roman défendue par Thomas Pavel
L’occasion de préciser le sens de cette beauté m’est fournie par un essai de Thomas Pavel intitulé La pensée du roman[ 9 ], ouvrage remarquable à bien des égards, mais dont la thèse centrale me semble reposer sur une méconnaissance de la frontière que je viens d’évoquer. L’intention dont procède ce livre est ouvertement polémique, et c’est d’ailleurs pour répondre à un article dans lequel Yves Hersant proposait une réflexion sur le « réalisme » ou la « fonction critique » du roman que Pavel en a d’abord publié le premier chapitre[ 10 ]. Hersant distinguait dans cet article le roman proprement dit des récits romanesques qui, au fil des siècles, jusque dans la culture populaire contemporaine, à travers des incarnations « thématiques » diverses, entretiennent une vision illusoire et mensongère de la vie ; le roman s’oppose au romanesque, écrivait-il, « comme la lucidité à la chimère » ou « comme la connaissance à l’évasion[ 11 ] », ce dont témoigne de manière exemplaire la thématique centrale de Don Quichotte, auquel il reconnaissait le statut de roman fondateur. À l’encontre de cette thèse qui assigne au romanesque le rôle purement négatif du mensonge et au roman celui, positif, de l’instrument permettant de dévoiler la vérité, Pavel, dès les premières lignes de son livre, se porte à la défense du romanesque, et plus précisément des trois grandes formes de l’« idéalisme prémoderne » que sont à ses yeux le roman hellénistique, le roman de chevalerie et le roman pastoral :
L’ouvrage que je recommande à la bienveillance du public a son origine dans le désaccord entre mes goûts littéraires et les idées reçues sur l’histoire du roman. En tant que lecteur, j’éprouve une délectation infinie à lire de vieux ouvrages comme Les Éthiopiques, Amadis de Gaule, L’Astrée. Je ne suis pas le seul à les apprécier: certains parmi les plus grands écrivains du passé, Cervantès, Mme de Sévigné, Racine, les ont aimés avec ferveur.
De nombreux historiens du roman, en revanche, estimant que ces œuvres sont ennuyeuses et mal conçues, exaltent les progrès censés avoir été accomplis au cours des siècles par le réalisme – de plus en plus exact, de plus en plus profond, de moins en moins semblable au schématisme réputé puéril des romans prémodernes. Le soleil de la vérité, nous assurent-ils, baigne de ses rayons le roman moderne, chassant à jamais le mensonge propagé par les romans anciens.
Il est vrai que ces ouvrages s’attachaient moins aux détails empiriques de la condition humaine qu’aux idéaux qu’elle poursuit, mais en vertu de quel axiome caché étais-je obligé d’identifier l’idéal au mensonge et la précision empirique à la vérité[ 12 ] ?
Le rôle dans lequel se campe ici Pavel n’est pas sans rappeler celui du curé et du barbier qui, lors de l’« exacte et plaisante enquête » menée dans la bibliothèque de Don Quichotte[ 13 ], se mettent d’accord, en amateurs éclairés, pour soustraire aux flammes du bûcher quelques ouvrages que la gouvernante et la nièce du héros, moins cultivées et plus sévères, voudraient voir brûler avec tous les autres. Parmi les livres ainsi rescapés se trouvent Amadis de Gaule, au titre qu’il est le premier roman de chevalerie, et la Diane de Montemayor, dont le mérite est pareillement d’être le premier roman pastoral. Je le dis sans ambages: je suis d’accord avec Pavel, le curé, le barbier, sans oublier Madame de Sévigné, Racine et Cervantès lui-même, pour épargner ces ouvrages, qu’on ne saurait tenir pour seuls responsables de la folie donquichottesque et dont la valeur, du reste, ne tient pas seulement au fait qu’on puisse les lire et les apprécier sans perdre la raison. Mon intention n’est pas de prétendre qu’ils sont « ennuyeux et mal conçus », et les belles pages que Pavel leur consacre suffiraient, si besoin était, à me convaincre du contraire; ce n’est d’ailleurs pas le moindre mérite de son livre que de réhabiliter les monuments méconnus et injustement méprisés de l’« idéalisme prémoderne ».
Mais il n’en demeure pas moins que ces vieux livres, quelles que soient la valeur et la beauté qu’on leur trouve, ne font pas partie de ce que j’ai appelé le « domaine esthétique » du roman ; sans aller jusqu’à placer le « moderne » au-dessus du « prémoderne », ni même la « vérité » au-dessus de l’« idéal », il importe d’établir ici une distinction, ou disons, pour filer la métaphore, de faire respecter le tracé d’une frontière. Or, c’est bien à cette frontière que s’en prend Pavel quand il situe la naissance du roman non pas au début des Temps modernes, sous la plume de l’un ou l’autre des fondateurs que j’ai évoqués, mais beaucoup plus tôt, vers la fin de l’Antiquité, ce qui implique non seulement une réévaluation radicale de son âge (qui passe de 4 ou 5 siècles à 16 ou 17) mais aussi et surtout une altération de son essence. Tout en admettant « l’hypothèse selon laquelle l’origine du roman moderne se trouve dans le dialogue polémique avec les “vieux romans”[ 14 ] », Pavel tend en effet à minimiser l’importance de ce « dialogue » et la portée de cette « polémique »; la rupture survenue autour de la Renaissance s’inscrit à ses yeux dans une continuité plus profonde qui la transcende, la contient, et d’une certaine manière l’annule, ou du moins lui retire son caractère décisif. Il perçoit certes une différence entre les chefs-d’œuvre du roman « prémoderne » et les chefs-d’œuvre du roman « moderne » ; mais cette différence, à ses yeux, n’est pas fondamentale, ou mieux : elle n’est pas ontologique, en ceci qu’elle ne représente pas le passage d’un art à un autre. Le fait qu’il insiste pour parler du « roman moderne », en soulignant l’épithète, est d’ailleurs significatif. Le mot « roman » désigne implicitement le roman moderne, et doit être accompagné d’un adjectif ou d’un complément quand on s’en sert pour désigner les romans grec, latin, picaresque, pastoral, de chevalerie ou autres; or Pavel s’insurge contre cet usage qui tend à faire de l’expression « roman moderne » une sorte de pléonasme, et insiste pour considérer le roman critique et réaliste apparu autour de la Renaissance comme une sorte de roman parmi d’autres.
Il est vrai que le débat, vu sous cet angle, se ramène aux dimensions d’une dispute purement verbale et apparemment vaine ; car qu’importe après tout qu’on dise simplement «roman» ou qu’on dise «roman moderne », dès lors qu’on veut dire à peu près la même chose ? Pourtant une pareille dispute n’est vide de sens que si l’on choisit de la considérer d’un point de vue strictement logique, ou disons « aristotélicien » ; dès qu’on cède à ce qu’on pourrait caractériser plutôt comme un penchant « platonicien » – c’est-à-dire au penchant naturel de tout esprit, car malgré ce qu’on sait du caractère arbitraire des signes linguistiques, on ne peut s’empêcher de voir spontanément, dans une langue qu’on maîtrise, ce que Borges appelle « la carte de l’univers[ 15 ] » –, il cesse d’être indifférent que la dimension critique, réaliste et moderne du roman soit confinée à un adjectif, marginalisée, réduite au rang de simple accident, ou au contraire incarnée verbalement dans un substantif qui lui soit propre et puisse en contenir l’essence. C’est pourquoi les mots « roman moderne», sous la plume de Pavel, ont le sens d’un argument ou d’un procédé rhétorique, qu’on pourrait traduire en filant encore un peu la métaphore frontalière: si Pavel reconnaît l’existence d’une frontière autour de ce qu’il appelle le « roman moderne », cette frontière est à ses yeux celle d’une province plutôt que celle d’un pays souverain.
Je voudrais opposer, au cours des pages qui suivent, deux objections à cette vision unifiée et relativement indifférenciée du roman. La première est une objection de principe, d’ordre épistémologique, qui concerne la manière dont Pavel conçoit son propre travail d’historien du roman, et plus précisément son attitude à l’égard du passé, qu’il envisage avec une espèce d’objectivité radicale dont on peut se demander si elle est possible, ou même seulement souhaitable. La seconde touche à la nature même du « réalisme » qui définit, dans son esprit, la « province » du roman moderne ; dans son refus de reconnaître la souveraineté de cette province au sein du vaste territoire qui inclut l’idéalisme moderne et prémoderne, Pavel s’appuie en fait sur une définition à la fois vague et simpliste de cette notion, et méconnaît la nature même de la vérité qui se cache derrière le « rideau déchiré » dont parle Kundera.
L’histoire du roman comme élaboration rétrospective
Ce n’est certes pas un hasard si l’auteur de La pensée du roman cite, au nombre des grands écrivains d’autrefois qui admiraient les romans idéalistes, et plus particulièrement Les Éthiopiques, le nom de Cervantès ; en rangeant sous cette rubrique celui que la majorité des défenseurs du « roman moderne » considèrent comme un maître et un fondateur, il souligne implicitement le caractère illusoire et fictif de la filiation dans laquelle ils s’inscrivent, ou de l’histoire du roman telle qu’ils se la représentent, et plaide en faveur de sa propre conception « élargie » et « unifiée » du roman. Le fait que l’auteur de Don Quichotte, dont le nom est si fréquemment associé à la naissance du «roman moderne», ait été un admirateur et un imitateur d’Héliodore, est la preuve, dit Pavel en substance, qu’il n’y a pas de contradiction entre l’inspiration « réaliste » de Don Quichotte et l’inspiration « id...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Remerciements
  4. Introduction : Un art indéfinissable
  5. Chapitre 1 : La souveraineté du roman et l’objet de son réalisme
  6. Chapitre II : La clarté excessive de la théorie girardienne
  7. lecture I : L’humour à l’envers de Paul Valéry
  8. Chapitre III : Bakhtine et la « foi poétique »
  9. Lecture II : Le dialogisme flaubertien
  10. Chapitre IV L’oubli de l’auteur
  11. Lecture III : Le monologisme balzacien
  12. Chapitre V : Trois métaphores récapitulatives
  13. Conclusion : Le paradoxe de Don Quichotte
  14. Bibliographie
  15. Table des matières
  16. CRÉDITS