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Stratégies narratives des romancières des Lumières

  1. 186 pages
  2. French
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Stratégies narratives des romancières des Lumières

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Les romancières du siècle des Lumières ont été les premières à poser la question du bonheur au féminin de façon aussi stratégique. Les passages obligés de la féminité, tels que le mariage, la maternité et la vertu, sont-ils garants de bonheur? Les femmes mises en scène peuvent-elles s'affranchir de l'idéal féminin façonné par l'ordre établi? Peuvent-elles échapper à la culpabilité qui les presse de suivre fidèlement le chemin tracé pour elles? Quels recours sont à leur disposition pour être heureuses?C'est autour de ces questions, d'une troublante actualité, que les auteurs du XVIIIe siècle tracent le parcours de la destinée féminine, avec tous les détours, les obstacles et les enjeux qu'il peut comporter. Leur discours laisse surtout entendre que le bonheur n'est pas possible sans une remise en question des rôles et de la place des femmes dans la société.

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Informations

CHAPITRE I

Le mariage, contrat de bonheur ?

Le moment du mariage est celui où le règne
des hommes commence, et où le nôtre finit.
Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, Lettres de madame
du Montier à la marquise de *** sa fille, avec les réponses
Si les romanciers s’intéressent surtout aux manifestations de la passion, les romancières font plutôt porter leur attention sur les problèmes liés au mariage, dont elles dénoncent les méfaits sur les femmes. Étape obligatoire et moment critique dans le parcours de la féminité à l’époque des Lumières, le mariage est au centre du regard qu’elles posent sur le couple. Alors que celui-ci octroie à l’époux une autorité presque totale sur les biens et sur la personne de son épouse dans la société des Lumières, Mme de Lambert estime qu’«entre des gens mariés tout est égal. Un mari n’a pas moins de devoirs à remplir qu’une femme 1 ». Cette conception du couple marié, qui refuse d’asseoir l’autorité masculine sur une explication naturelle quelconque, fait reposer l’entente conjugale sur les responsabilités individuelles de chacun et rejette la supériorité du sexe masculin. On le devine, plusieurs romancières font valoir cet idéal. L’aphasie et l’apathie qu’éprouvent les héroïnes lors de la cérémonie nuptiale révèlent leur embarras à prendre part à un événement qui signe leur aliénation. De la publication de La comtesse de Mortane (1699) de Mme de Bédacier à celle de Malvina (1801) de Sophie Cottin, le nombre de personnages féminins stupéfaits de se marier est considérable. Tandis que l’héroïne du roman de Mme de Bédacier se «laisse parer comme une victime 2 », l’épistolière mise en scène dans les Mémoires de Mme de Batteville (1756) « signe sans savoir ce qu’[elle] faisai[t] 3 ». À son tour, l’épistolière des Lettres de milady Juliette Catesby (1759) ne croit pas à la validité de son mariage tant il a été rapidement exécuté. Dans l’Histoire de miss Jenny (1764), Jenny admet que « [son] désordre [avait contraint] Lidy à répondre pour [elle] 4 » et Adeline Hymore reste « surprise, interdite, confondue, immobile et presque stupide 5 » lorsqu’elle apprend qu’elle doit épouser le comte d’Arundel. L’héroïne des Lettres de Sophie de Vallière (1772) n’arrive plus à réfléchir ni ne prend part aux préparatifs matrimoniaux, alors que celle qu’imagine Mme de Kéralio dans Adélaïde ou Les mémoires de la marquise de M*** (1776) s’évanouit après la cérémonie. Enfin, Malvina ressent une « terreur auguste dont elle avait peine à se défendre 6 » dans le roman de Sophie Cottin. La peur du mariage que manifestent les héroïnes s’ajoute à l’abattement qu’elles éprouvent et témoigne de leur désarroi par rapport à cette obligation sociale.
De nombreux personnages féminins sont abusés par le faste et l’éclat que promet cet engagement et qui fait miroiter l’illusion du bonheur. Dans un roman d’Isabelle de Montolieu, Caroline de Lichtfield consent que «le bonheur conjugal, fondé sur la danse, les papillons et la parure, parût la chose du monde la plus assurée 7 ». Pour sa part, la cousine de la narratrice des Mémoires de miledi B*** (1760) est convaincue que le mariage la rendra heureuse lorsqu’elle contemple les bijoux que son futur époux lui a envoyés : « c’est le plus aimable de tous les hommes; que je vais être heureuse avec lui 8 », s’exclame-t-elle. Le recul fait constater à la narratrice des Confidences d’une jolie femme (1775), qui jadis se plaisait à « faire trophée de [s]on nouvel état », que
le tourbillon des plaisirs, l’attrait de la propriété, la chimère de l’indépendance, jettent [les jeunes personnes qui débutent dans le mariage] dans une douce ivresse, d’où il résulte ordinairement un goût très vif pour celui qui leur procure cette délicieuse existence 9.
Ravie d’assister aux spectacles, de paraître dans le monde et de fréquenter la cour, la jeune mariée s’amuse à briller et jouit des égards que lui accordent ceux et celles qu’elle rencontre. Or, ce moment de délectation qui flatte surtout la vanité féminine et qui est vite passé ne contribue en rien à nourrir chez les figures de femmes mariées les sentiments de paix intérieure et de contentement.
Plusieurs personnages féminins s’efforcent de conférer un caractère plus personnel à un engagement dépersonnalisé et de prendre part aux discussions relatives à leur établissement, ou du moins d’être consultés au sujet du choix de leur époux 10. De l’héroïne du roman de Marguerite de Lussan, qui exerce toute l’emprise qu’elle a sur l’esprit de son père pour épouser un homme de son choix, à la marquise de ***, qui confie à sa mère, dans un roman de Mme Leprince de Beaumont, qu’elle aurait espéré que son père eût plus d’égard à son goût qu’à son ambition personnelle 11, les personnages féminins témoignent depuis le début du siècle du désir de se détacher d’un univers de référence qui fait d’eux une véritable monnaie d’échange. Déterminée à tenir tête à son père qui, sous l’influence de sa seconde femme, s’obstine à la marier à un homme qu’elle méprise, l’héroïne de Mme d’Andlau se demande s’il est «possible que [sa] désobéissance pût [la] rendre jamais aussi malheureuse que [la] rendrait [sa] soumission 12 ». La question qu’elle se pose et qui met en cause les codes et les règles qui fondent son aliénation laisse deviner une attitude contestataire. Si la désobéissance et la soumission réduisent également les chances des héroïnes à accéder au bonheur, celles qui choisissent de se soustraire à l’autorité paternelle trouvent au moins la satisfaction d’être fidèles à elles-mêmes.
Certes, les personnages masculins n’échappent pas davantage aux attentes sociales dans la société des Lumières, selon laquelle chacun doit tenir un rôle précis, mais ils acceptent plus facilement les règles et les codes sociaux parce qu’ils y trouvent sens à leur vie et valorisation. À ce sujet, Colette Cazenobe observe qu’après 1761, le mariage apparaît comme un échec particulièrement douloureux pour les personnages féminins qui, contrairement à leur époux, ne peuvent pas se consoler par des exploits guerriers ou politiques, mais doivent continuer à subir leur rôle d’épouse sans y trouver la possibilité de s’épanouir :
Le mariage est une fatalité sociale pour les deux sexes, mais il ne pèse pas également sur les deux. Les héroïnes doivent s’y soumettre en faisant comme si, d’y consentir, pouvait permettre aux femmes de satisfaire toutes leurs aspirations personnelles, alors qu’il a plutôt pour conséquence de leur interdire de les réaliser 13.
Dans les Lettres d’Émerance à Lucie (1765) de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, Émerance convient qu’« une fille qui se marie s’engage à renoncer à ses inclinations, à ses caprices, à sa liberté », mais elle ajoute que «ces premiers sacrifices, quelque durs qu’ils paraissent, sont les premiers pas qu’elle doit faire vers le bonheur 14 ». À l’instar de ses contemporaines, cette héroïne dénonce la logique sacrificielle sous-jacente au mariage, mais au lieu d’y répondre par le combat, elle invite les femmes à jouer le jeu afin d’éviter de se heurter à des oppositions immuables. D’ailleurs, elle signale que pour se déterminer à tenir une telle conduite, il suffit de « faire la comparaison de ce qu’il doit coûter pour s’[y] résoudre, ou des désagréments qu’il lui faudra essuyer pendant tout le cours de sa vie dans une contradiction perpétuelle 15 ». Au terme de sa réflexion, elle convient qu’il y a moins de difficultés à se soumettre à l’ordre établi qu’il y en a à s’y opposer. Malgré tout, l’idée de résister à un système de valeurs aliénant a traversé son esprit. Pour sa part, Mme de Beccary incite son héroïne à la patience. À l’image de Julie de Wolmar, qui subit son sort héroïquement et qui s’efforce d’exceller dans les rôles de mère et d’épouse, milady Bedfort est appelée à se soumettre aux règles et aux codes sociaux en vigueur. Malgré sa docilité apparente, ce personnage, à l’inverse de Julie, manifeste le désir de changer d’état et l’espoir d’être libre suffit à la consoler :
Que la volonté d’un mari est despotique; et que la qualité de femme douce et soumise est triste et humiliante. Céder sans délibération et par devoir à celui à qui le Ciel n’a pas accordé ni plus de lumières ni plus de raison, c’est en vérité une condition dure à remplir ; cependant il le faut, pour l’ordre général du bien des choses: soumettons-nous-y donc, et prenons patience, jusqu’à ce qu’enfin la tâche soit finie 16.
Convaincue qu’une fois l’épreuve du mariage de convenance réussie, elle trouvera la liberté, ce personnage féminin témoigne du désir d’échapper à un rôle qui échoue à la rendre heureuse. Les stratégies de la résignation et de l’attente auxquelles a recours ce personnage pour composer avec le mariage font entendre le discours dominant, gardien du bien commun, à la différence près qu’elles reconnaissent à cette femme une force quasi héroïque et qu’elles font poindre à l’horizon l’espoir de nouvelles conditions de vie.
Au milieu du siècle, la dénonciation des règles et des codes qui fondent l’aliénation féminine augmente d’un cran. Résolues à faire triompher leurs valeurs et principes, certaines héroïnes résistent aux forces sociales qui les oppriment et donnent la préférence à des stratégies de lutte et de révolte. Dans les Lettres de mylord Rivers (1776), Marie-Jeanne Riccoboni donne à voir une solution paradoxale pour échapper à l’empire du désir masculin et pour faire valoir l’égalité: il s’agit d’être vieille, laide et maussade. Dans une lettre à Francis Lesley, mylady Rutland écrit :
Mais n’est-il pas fâcheux d’être riche, jeune, d’une figure passable; de s’entendre continuellement prier, conjurer, de quoi ? de contenter la fantaisie d’un autre, comme si je n’avais pas la mienne. Quelquefois je voudrais être aussi vieille, aussi laide, aussi maussade que mylady Morton 17.
Le travestissement auquel font appel de nombreuses héroïnes de Mme de Tencin remplit une fonction semblable. Prêtes à renier leur identité sexuelle, Mme de Granson dans Le siège de Calais (1739), Pauline dans Les malheurs de l’amour (1747) et Adélaïde dans les Mémoires du comte de Comminge (1735) triomphent du rapport de force qui gouverne les relations entre les hommes et les femmes. Si, en dissimulant leur identité et leur sexe, ces héroïnes échouent à s’affirmer en tant que femme, elles parviennent néanmoins à contourner l’interdit sexuel qui nie leur accès à la liberté et réussissent à connaître l’égalité qui fait défaut à leur sexe.
Le recours à l’ironie participe du mouvement de dénonciation des conditions qui réduisent les chances des femmes au bonheur. Grâce à cette approche énonciative, chargée d’une valeur transgressive et contestatrice, les épistolières mises en scène dans les romans de Mme Riccoboni et de Mme d’Épinay remettent en question la sujétion dont elles sont victimes. En créant un écart «transparent» entre « le message littéral et le message vrai 18. », l’ironie fait entendre un discours différent de celui qu’elle reproduit. L’ironiste, qui prend pour cible l’injustice dont il souffre, feint de célébrer ce qu’il déteste, mais son éloge produit un effet contraire.
Dans l’Histoire de Mme de Montbrillant (1818), la Présidente de Sally est amenée à constater le fossé qui se creuse entre ses sentiments et les attentes associées à la conduite d’une femme mariée : «Il me faudrait écrire vingt-huit pages, et pour vous mander quoi? Que mon mari m’adore, et que cela m’ennuie. Vous me croiriez folle, et vous ne vous tromperiez que de date; car si tout cela continue, je finirai par le devenir 19 », écrit-elle à sa cousine. Ce personnage dénonce les contraintes qu’impose le modèle de la bonne épouse. Son ironie lui donne le droit de s’irriter de l’attachement d’un époux qu’elle n’a pas choisi. Ainsi, grâce à ce trait d’esprit, elle rompt avec la nécessité de se conduire en femme raisonnable et met à distance un modèle qui ne lui sied pas.
Exutoire de la colère et de la haine, l’ironie est investie d’une charge émotive très forte qui cache le désir de faire reconnaître sa valeur propre, ses aspirations et surtout ses revendications par rapport à l’ordre établi. Un personnage féminin des Lettres de mylord Rivers (1776), mylady d’Orrery, une ...

Table des matières

  1. Introduction
  2. Tableau de la condition féminine
  3. - I - LES PASSAGES OBLIGÉS DE LA FÉMINITÉ, GARANTS DU BONHEUR ?
  4. CHAPITRE I Le mariage, contrat de bonheur ?
  5. CHAPITRE 2 La maternité, bonheur en soi ?
  6. CHAPITRE 3 La vertu, source de bonheur ?
  7. - II - RESSOURCES POUR TROUVER LE BONHEUR
  8. CHAPITRE 4 L’étude ou apprendre à être heureuse
  9. CHAPITRE 5 L’amitié entre femmes, gage de bonheur
  10. CHAPITRE 6 L’amour, un sentiment salutaire
  11. CONCLUSION
  12. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
  13. Table des matières
  14. Crédits