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Des chevaliers armĂ©s d'Ă©pĂ©es en mousse s'affrontent le dimanche sur les flancs du mont Royal. Game of Thrones et The Lord of the Rings sĂ©duisent les foules. Les jeux vidĂ©o plongeant les joueurs dans le passĂ© mĂ©diĂ©val sont nombreux et populaires. On le voit: il y a un engouement pour le Moyen Ăge. Francis Gingras montre comment cette pĂ©riode historique est aussi un objet d'Ă©tude pour beaucoup de disciplines: littĂ©rature, histoire, histoire de l'art, philosophie, etc.Le Moyen Ăge nous paraĂźt familier; l'auteur montre que c'est en fait une pĂ©riode trĂšs Ă©loignĂ©e de la nĂŽtre, Ă©trangĂšre Ă plusieurs Ă©gards, mais qui a encore des choses Ă nous dire.
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Architekturgeschichte1
Les jouets des médiévistes
La tentation des premiers humanistes a largement Ă©tĂ© de sâinventer contre le Moyen Ăge. Or, comme câest souvent le cas des oppositions trop farouchement revendiquĂ©es, ce que lâon a appelĂ© un peu rapidement la «Renaissance» sâappuie aussi tout contre le Moyen Ăge quâelle prolonge dâailleurs Ă plus dâun titre. Mais au dĂ©part, et pratiquement jusquâau xixe siĂšcle, rares sont les Ă©rudits qui se consacrent Ă cette pĂ©riode. Lâun de ces prĂ©curseurs dâexception est le poĂšte et juriste Ătienne Pasquier qui publie en 1596 des Recherches de la France oĂč il prĂ©sente lâhistoire de France, de la langue et mĂȘme de la poĂ©sie française non pas en rupture mais en continuitĂ© avec la pĂ©riode mĂ©diĂ©vale. Il sâintĂ©resse, entre autres choses, Ă lâĂ©volution de la langue française, Ă lâorigine des proverbes, de certains mots ou mĂȘme de la pratique du vouvoiement. Dans un pays profondĂ©ment divisĂ© par les guerres de religion, Ătienne Pasquier cherche, Ă travers la continuitĂ© historique, des arguments pour reflĂ©ter lâunitĂ© de la nation française.
Son contemporain, le magistrat Claude Fauchet, est nommĂ© historiographe du roi Henri IV, ce qui le conduit Ă porter une attention particuliĂšre aux vieux manuscrits dont certains font dâailleurs partie de sa bibliothĂšque personnelle. Ă partir de leur Ă©tude, il prĂ©pare une vĂ©ritable histoire de la langue française (Recueil de lâorigine de la langue et poĂ©sie française, 1581). Cette perspective historique sur le dĂ©veloppement et lâĂ©volution dâune langue Ă©tait alors tout Ă fait originale. Ă titre de comparaison, il faut attendre 1815 et la parution du deuxiĂšme volume de lâHistory of England de Sharon Turner pour que paraisse une Ă©tude aussi systĂ©matique de la langue anglaise, lâhistorien anglais sâappuyant sur la connaissance quâil avait des manuscrits alors dans les collections du British Museum et dans la bibliothĂšque constituĂ©e par le dĂ©putĂ© bibliophile Robert Cotton.
Toujours dans le contexte des guerres de religion, le jĂ©suite HĂ©ribert Rosweyde, qui assiste Ă la quasi-disparition du catholicisme au nord des Pays-Bas dâoĂč il est originaire, sillonne les bibliothĂšques des monastĂšres pour y rĂ©cupĂ©rer les manuscrits qui prĂ©sentent des vies de saint. En sâappuyant sur ces nombreux documents, un autre prĂȘtre jĂ©suite, Jean Bolland, entreprend la publication systĂ©matique et critique des vies de tous les saints composant le calendrier catholique romain. Lâampleur de la tĂąche lâamĂšne Ă sâentourer de collaborateurs qui formeront la SociĂ©tĂ© des bollandistes, toujours active aujourdâhui, laquelle a publiĂ©, entre 1643 et 1794, 53 volumes des Acta Sanctorum couvrant la vie des saints cĂ©lĂ©brĂ©s entre le 1er janvier et le 14 octobre. AprĂšs les troubles qui lâaffectent au tournant du xviiie et au dĂ©but du xixe siĂšcle, la SociĂ©tĂ© des bollandistes se reconstitue Ă Bruxelles et poursuit lâentreprise en ajoutant deux volumes parus en 1845 et 1884 pour complĂ©ter les mois dâoctobre et de novembre. Il a fallu attendre 1940 pour que paraisse le dernier volume avec les saints du mois de dĂ©cembre. On le voit, dĂšs lâorigine, et bien quâelle suppose (ici au sens propre) un «travail de moine», la tĂąche du mĂ©diĂ©viste est souvent collective et de trĂšs longue haleine.
Une congrĂ©gation de bĂ©nĂ©dictins, les moines de Saint-Maur, se lance elle aussi, dĂšs le dĂ©but du xviie siĂšcle, dans lâinventaire des documents mĂ©diĂ©vaux, dâabord pour lâhistoire de France (la Gallia Christiana, seize tomes publiĂ©s entre 1715 et 1865 et, surtout, le Recueil des historiens des Gaules et de la France, treize volumes parus entre 1737 et 1785). On doit aussi aux bĂ©nĂ©dictins de Saint-Maur la premiĂšre Histoire littĂ©raire de la France qui, entre 1733 et 1763, consacre 12 volumes Ă la littĂ©rature des origines jusÂquâau xiie siĂšcle. LĂ encore, le projet ne prend sa pleine mesure que dans la durĂ©e, puisque, sous les auspices de lâAcadĂ©mie des inscriptions et belles-lettres, qui poursuit le travail depuis 1814, le dernier volume sur le xive siĂšcle nâa paru quâen 1995.
Si les savants du siĂšcle des LumiĂšres ont dit beaucoup de mal du Moyen Ăge, qui reprĂ©sentait pour eux tout ce quâavaient de dĂ©testable la superstition et lâobscurantisme, certains y ont nĂ©anmoins consacrĂ© du temps et de lâĂ©nergie, surtout pour faire connaĂźtre des textes de la vieille littĂ©rature. Câest le cas, par exemple, de Nicolas Lenglet du Fresnoy, qui fait notamment paraĂźtre Le roman de la Rose et les MĂ©moires de ComÂmynes, dâĂtienne Barbazan, qui publie de nombreux contes et fabliaux, de Jean-Baptiste Le Grand dâAussy, qui sâintĂ©resse Ă©galement aux fabliaux avant dâĂȘtre nommĂ© conservateur des manuscrits français Ă la BibliothĂšque nationale de France ou de Jean-Baptiste La Curne de Sainte-Palaye, qui Ă©dite aussi bien la chantefable Aucassin et Nicolette que des documents historiques dans ses MĂ©moires sur lâancienne chevalerie. On lui doit par ailleurs le tout premier DictionÂnaire historique de lâancien langage françois, qui ne sera cependant publiĂ© quâĂ titre posthume, prĂšs dâun siĂšcle aprĂšs la mort de son auteur. LĂ encore, le destin de lâĆuvre de ce prĂ©curseur des philologues et des lexicographes enseigne que lâintĂ©rĂȘt et la valeur du travail ne se mesurent pas dans lâinstantanĂ©itĂ©.
Ă la mĂȘme Ă©poque, le marquis de Paulmy cherche aussi Ă faire connaĂźtre des textes mĂ©diĂ©vaux, entre autres Ă travers une BibliothĂšque universelle des romans qui proposait des «notices», sortes de rĂ©sumĂ©s «de tous les romans, anciens et modernes, français et Ă©trangers». Mieux, le marquis avait rĂ©uni une bibliothĂšque personnelle remarquable oĂč figuraient de nombreux manuscrits mĂ©diĂ©vaux. AprĂšs la RĂ©volution, cette bibliothĂšque particuliĂšre fut dĂ©clarĂ©e «BiblioÂthĂšque nationale et publique» et constitue le fonds de ce qui est dĂ©sormais la BibliothĂšque de lâArsenal Ă Paris, lâune des composantes de la BibliothĂšque nationale de France et aujourdâhui lâune des salles de jeu prĂ©fĂ©rĂ©e des mĂ©diĂ©vistes.
Il y a bien une part de jeu dans le travail avec les manuscrits, car leur lecture est dâabord affaire de dĂ©cryptage. En effet, ces livres anciens, copiĂ©s par des scribes il y a plusieurs centaines dâannĂ©es, sont plus ou moins facilement lisibles, puisque les copistes, mĂȘme lorsquâils sâappliquent, ont leur propre main dâĂ©criture, ces variations individuelles sâajoutant aux variations quâont connues les formes des lettres Ă travers le temps (la minuscule, par exemple, nâest apparue que dans les manuscrits mĂ©diĂ©vaux). Les copistes utilisent par ailleurs un certain nombre dâabrĂ©viations et ne procĂšdent pas nĂ©cessairement au dĂ©coupage des mots de la mĂȘme maniĂšre que nous le ferions aujourdâhui. La palĂ©ographie est lâĂ©tude de toutes ces particularitĂ©s des Ă©critures manuscrites anciennes. Elle constitue une des bases les plus fondamentales dans la formation du mĂ©diĂ©viste: elle seule permet un accĂšs direct aux nombreux documents Ă©crits grĂące auxquels il est possible dâentrer en contact avec une part importante de ce qui nous reste du Moyen Ăge.
Parmi la communautĂ© des bĂ©nĂ©dictins de Saint-Maur, dont on a dĂ©jĂ soulignĂ© lâimportance du travail sur les sources mĂ©diĂ©vales, un assistant du bibliothĂ©caire de lâabbaye Saint-Germain des PrĂ©s, dom Jean Mabillon, dĂ©veloppe, Ă la fin du xviie siĂšcle, une vĂ©ritable expertise dans lâĂ©tude des documents anciens. En 1681, il publie le De Re Diplomatica, fondant ainsi une nouvelle discipline, la diplomatique, câest-Ă -dire lâexamen critique des documents officiels, les diplomata, «diplĂŽmes», afin de les dater et dâen vĂ©rifier lâauthenticitĂ©. Dans son ouvrage, dom Mabillon propose aussi une typologie de diffĂ©rents types dâĂ©criture, basĂ©e sur des donnĂ©es chronologiques et gĂ©ographiques.
Encore aujourdâhui, la palĂ©ographie distingue plusieurs types de lettres. On trouve notamment la capitale (notre majuscule), Ă lâaspect gĂ©omĂ©trique, utilisĂ©e par les Anciens pour graver les monuments. Elle est longtemps la seule forme connue dâĂ©criture et demande un temps considĂ©rable au copiste. Dans les documents de la vie quotidienne, on Ă©crit plus rapidement en liant les lettres entre elles: cette Ă©criture est dite cursive (du latin cursus, «courir»). En sâinspirant Ă la fois de la capitale et de la cursive romaines, les scribes du Haut Moyen Ăge dĂ©veloppent une Ă©criture plus arrondie quâon a appelĂ©e onciale. Empruntant aux formes rondes de lâonciale, la minuscule Ă©volue entre lâĂ©poque mĂ©rovingienne et celle de Charlemagne, oĂč lâĂ©cole palatine contribue Ă rĂ©pandre une Ă©criture unifiĂ©e et plus rĂ©guliĂšre. Cette Ă©criture, dite caroline, sâimpose dans toute lâEurope jusquâau xiie siĂšcle, alors que se dĂ©veloppe en Angleterre une forme plus anguleuse que lâon appellera Ă©criture gothique. Cette derniĂšre rĂšgne sur lâEurope pratiquement jusquâĂ la fin du Moyen Ăge, en variant suivant les rĂ©gions et les Ă©poques (sa forme cursive, par exemple, en usage en France et dans le nord de lâEurope Ă partir du xive siĂšcle est qualifiĂ©e de bĂątarde). Au xve siĂšcle, les humanistes italiens reviennent Ă des lettres plus arrondies et trĂšs lisibles, inspirĂ©es de la minuscule caroline, combinĂ©es Ă un usage restreint des capitales antiques. Cette Ă©criture, dite humanistique, est Ă la base des caractĂšres typographiques que les imprimeurs italiens dĂ©veloppent sous le nom de caractĂšres romains, ceux-lĂ mĂȘmes que vous lisez en ce moment. (Leur version inclinĂ©e, plus cursive, dĂ©veloppĂ©e en Italie Ă lâinitiative dâAldo Manuce, afin de rĂ©duire la taille des livres, est appelĂ©e italique.)
Si la palĂ©ographie permet dâabord de dĂ©chiffrer la morphologie des lettres, elle permet aussi de connaĂźtre les diffĂ©rents systĂšmes stĂ©nographiques utilisĂ©s par les scribes, comme les notes dites tironiennes (du nom de Tiron, secrĂ©taire de CicĂ©ron). La plus connue, toujours en usage, est lâesperluette (&), issue de la fusion du e et du t (ât) dans la conjonction et. De mĂȘme, le tilde, toujours en usage en espagnol avec une valeur diffĂ©rente (ñ), sert au Moyen Ăge Ă remplacer les consonnes nasales m ou n (on Ă©crira Ă” pour on ou ĂŁ pour an). Dâautres usages sont plus caractĂ©ristiques des manuscrits mĂ©diĂ©vaux, par exemple le 9 tironien, dâabord utilisĂ© pour noter l...
Table des matiĂšres
- Introduction
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- 2
- 3