Légalité et légitimité
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Légalité et légitimité

Présentation et notes par Augustin Simard

  1. 154 pages
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Légalité et légitimité

Présentation et notes par Augustin Simard

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À propos de ce livre

Rédigé dans l'urgence à l'été de 1932, ce petit traité accompagne l'échec de la première expérience démocratique allemande. Il jette un regard incisif sur la crise qui emporte la République de Weimar et évalue les chances de sauver le régime face aux extrémistes de droite et de gauche. Philosophie politique, commentaire juridique et raison d'État se conjuguent ici sous l'effet d'une rhétorique vigoureuse et rusée, digne des plus grands publicistes.Écrit dans un contexte tragique et marqué par la carrière sulfureuse de son auteur, l'ouvrage a connu des échos aussi multiples qu'inattendus dans les démocraties d'après-guerre. La démocratie est-elle foncièrement un régime sans défense? Doit-elle accepter l'existence de partis politiques attachés à la renverser? Les mesures d'exception et de sécurité sont-elles justifiables au nom du salut public? Peut-on préserver l'esprit d'une constitution et en nier la lettre? Les questions que pose cet ouvrage résonnent encore dans d'innombrables conflits politiques. Catholique et conservateur, Carl Schmitt (1888-1985) fut un analyste perspicace de la crise des démocraties d'entre-deux-guerres, avant d'adhérer au nazisme en 1933. Arrêté par les Alliés en 1945, il est libéré deux ans plus tard. Il est l'auteur d'une oeuvre imposante et controversée, croisant le droit, la pensée politique, la théologie et la critique culturelle.Première traduction française complète

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Informations

II. Les trois législateurs extraordinaires
de la Constitution de Weimar

1. Le législateur extraordinaire rationae materiae:
les droits fondamentaux garantis par la Constitution

Dans l’État législatif-parlementaire, la loi est la décision de la majorité parlementaire du moment – dans la démocratie directe, c’est la décision de la majorité du peuple à un moment donné. Parmi les conséquences du principe majoritaire démocratique, on trouve en premier lieu la nature temporaire et, en second lieu, la majorité simple, c’est-à-dire l’exigence du 51%. Certes, la plupart des constitutions démocratiques comportent des exceptions au principe de la majorité simple; elles exigent un quorum plus bas dans certains cas, plus élevé dans d’autres. Il faut déterminer s’il s’agit d’exceptions au principe de la majorité simple relatives à des questions de procédure – par exemple lorsque, aux termes de l’article 29 de la Constitution, une majorité qualifiée des deux tiers est requise pour exiger le huis clos ou lorsque seulement un tiers suffit pour la convocation du Reichstag d’après l’article 24 – ou si l’exception s’applique à des décisions déterminées quant à leur contenu, en fonction d’un principe de droit matériel. La question de la révision constitutionnelle (article 76 de la Constitution)26 est essentiellement différente, selon ce que l’on entend par «constitution» des règles organisationnelles ou procédurales, ou des principes de droit matériel. Seuls les cas relatifs à des normes de droit matériel comportent une exception et une déviation fondamentale par rapport au principe de la majorité simple. Certes, il s’agit toujours ici de renforcer et non de simplifier le processus décisionnel, en ce qu’une majorité supérieure à 51% est exigée pour l’adoption d’une loi. Dans la seconde partie de la Constitution de Weimar, de telles exceptions de droit matériel sont introduites avec une ampleur sans précédent dans l’histoire constitutionnelle, par d’innombrables «ancrages», garanties, déclarations d’inviolabilité, protections et autres dispositions de droit matériel27. Cette seconde partie de la Constitution du Reich porte un titre inexact, voire trompeur: «Droits et devoirs fondamentaux des Allemands». Il s’agit en réalité d’une seconde constitution, hétérogène par rapport à la première partie, celle qui institue l’État législatif-parlementaire.
L’exception au principe de la majorité simple tient ici à ce que, pour les décisions législatives d’un contenu déterminé en droit matériel, la majorité qualifiée des deux tiers est exigée aux termes de l’article 76. Si, pour simplifier, l’on considère ici le Reichstag comme le législateur ordinaire, laissant de côté le droit de regard du Reichsrat, la «garantie» consiste essentiellement en ce que, au lieu de 51%, ce sont 66 2/3% qui doivent approuver l’adoption d’une loi. La différence arithmétique est de 15 2/3%. Cette différence, qui n’est jamais que quantitative, n’en introduit pas moins un changement qualitatif lourd de conséquences, qui va jusqu’à bouleverser la légalité de l’État législatif-parlementaire. Car la question est posée de savoir comment justifier cet ajout de 15 2/3%. Sur quoi reposent donc la qualité et la dignité de cette quantité supplémentaire, pour qu’elle soit à même, face au simple législateur, d’élever une espèce supérieure de législateur et de légalité? La décision à la majorité simple peut se justifier comme une méthode pour constater une volonté préexistante, de manière à ne pas violer le présupposé démocratique de l’homogénéité du peuple. Il en va évidemment autrement de cette exigence des 15 2/3% supplémentaires.
On rétorquera peut-être qu’il ne s’agit ici que d’un problème technique et pratique, soit celui de rendre plus difficile la décision. Soixante-six ou 67% ne sont pas aussi faciles à réunir que 51%. La question serait alors simplement de faire obstacle, avec peut-être l’idée qu’on augmente la probabilité d’une décision meilleure et plus juste. À y regarder de plus près, cette explication, en soi parfaitement plausible, ne signifie rien d’autre que le fait que 66 est quantitativement supérieur à 51, ce qui est certes exact mais ne touche pas à la question constitutionnelle concrète. Du point de vue de la doctrine constitutionnelle, la question concerne plutôt la valeur fondamentale de l’État législatif, du législateur, du concept de loi et de la légalité. Si les 15% supplémentaires établissent une nouvelle espèce de législateur, invoquer le simple besoin de rendre plus difficile la prise de décision ne suffit guère, dès lors que l’on refuse toute qualité particulière aux 15% supplémentaires et qu’on ne tient aucun compte du présupposé démocratique de l’homogénéité. Si la majorité simple et la majorité qualifiée sont un seul et même législateur, s’il ne s’agit somme toute que d’une modification interne, de l’ordre du règlement intérieur, il n’y a alors pas de contradiction entre une norme inférieure et une norme supérieure. Les exigences plus élevées, conçues exclusivement de manière quantitative, ne peuvent être qu’au mieux des moyens de renforcement négatifs; elles ne procèdent ni d’un principe général de justice ou de raison, ni d’un point de vue constitutionnel distinctif. Elles ne sont pas non plus particulièrement démocratiques. De manière générale, ce serait une bien curieuse espèce de «justice» que de déclarer qu’une majorité serait d’autant meilleure et juste qu’elle est imposante, et de prétendre que 98 personnes qui en maltraitent deux est chose bien moins injuste que 51 personnes qui en maltraitent 49. Les strictes mathématiques deviennent ici pure inhumanité. Il ne serait aussi guère plus démocratique d’affirmer que la qualité et la justice d’une décision législative doivent être jugées d’après la taille de la majorité, et que par conséquent, sans le moindre égard au contenu, une décision prise à 67% des voix serait une norme supérieure de 16 degrés à une décision qui n’aurait recueilli que 51%. Dans les cas qui nous intéressent, la distinction entre de simples lois et des lois supérieures ne repose pas sur le principe du quorum, mais sur la volonté de la constitution. Or, d’après les principes généraux de la démocratie, cette volonté peut être établie à la majorité simple.
L’exigence d’un seuil de voix supplémentaires, venant s’ajouter à la majorité simple, n’est pas justifiée par des principes démocratiques et encore moins par des idées de justice, d’humanité ou de raison, mais seulement par des considérations techniques et conjoncturelles. Toute démocratie, même parlementaire, repose sur le présupposé d’une homogénéité fondamentale et indivisible. Si la démocratie doit continuer d’exister, chaque vote ne trouve sens, avons-nous dit, que d’exprimer un accord, de confirmer l’unanimité qui existe toujours à un niveau plus profond, et non de mettre la minorité sous la coupe d’une majorité prédatrice. Or, comme il ne saurait y avoir légitimement en démocratie une division durable du peuple entre minorité et majorité, il n’y a pas non plus d’intérêts dignes d’être protégés ou nécessitant de l’être face à la majorité. Dans les faits, ce besoin de protection peut être très grand. Mais il faut alors reconnaître que la démocratie est déjà compromise et qu’il n’y a guère lieu d’attendre d’une démocratie «vraie» ou supérieure qu’elle protège ses minorités. Dès que le souhait ou le besoin d’une telle protection d’intérêts et de droits déterminés font irruption dans la constitution, non seulement le principe démocratique se trouve modifié, mais c’est une constitution d’un tout autre genre qui s’instaure. De cette manière, ou bien une méfiance antidémocratique vient s’exprimer à l’endroit de la simple majorité; ou bien certains domaines, personnes ou groupes définis sont soustraits à la démocratie, exemptés et par là privilégiés à titre de communautés particulières, plus ou moins exclusives, vis-à-vis de la majorité. Si elle était pensée jusqu’à ses dernières conséquences, la reconnaissance d’un besoin de protection de certains intérêts ou de certains groupes déterminés, menacés par la majorité, conduirait à ce que ces intérêts ou groupes soient entièrement soustraits aux aléas du fonctionnalisme des votes parlementaires et démocratiques. Ce qui serait conséquent avec cette logique, ce serait la pleine exemption avec itio in partes ou la reconnaissance d’un droit à la sécession. Ce n’est certes pas l’intention derrière la deuxième partie de la Constitution de Weimar. Elle n’est qu’un fragment d’une constitution d’un autre genre, qui s’oppose à la neutralité axiologique de la constitution propre à l’État législatif-parlementaire démocratique.
Si la matière protégée contre la majorité l’est en vertu de sa valeur intrinsèque et particulière, voire de son caractère sacré, la garantie offerte par le fait qu’aux 51% de la majorité simple doivent s’ajouter 16% représente une demi-mesure et un pis-aller. Car les 16% additionnels ne sont pas, quant à eux, qualifiés quant au contenu de la matière protégée. On ne leur suppose aucune propriété qui les distinguerait des autres 51%. Ils n’entretiennent en outre aucun rapport spécifique, objectif ou personnel à la matière protégée qui justifierait que, eux précisément, doivent donner leur accord pour intervenir sur cette matière et violer la garantie. Ce n’est pas comme si, par exemple, lorsqu’on veut abroger la garantie particulière dont jouissent les intérêts des sociétés religieuses, une représentation quelconque de ces sociétés religieuses devait être convoquée et donner son accord; ou comme si les droits acquis des fonctionnaires, déclarés inviolables à l’article 129 de la Constitution, ne pouvaient être abrogés qu’avec la volonté unanime d’une députation de fonctionnaires. C’est plutôt qu’on en reste à un calcul purement arithmétique et quantitatif. Ceci ne signifie pas autre chose que, comme il en va pour la majorité arithmétique simple, on doit présupposer une homogénéité inconditionnelle dans le cas de la majorité renforcée, car sinon l’addition ne serait pas possible en vertu des principes élémentaires de l’arithmétique. À partir de ce présupposé de l’homogénéité, aucune méthode de calcul des voix autre que celle de la majorité simple ne peut être justifiée, à tout le moins lorsqu’il s’agit d’intérêts et de groupes déterminés matériellement. Si en revanche l’on abandonne le présupposé de l’homogénéité générale, s’il est reconnu que la masse des citoyens ne pense pas de façon uniforme, mais qu’elle est répartie de manière pluraliste dans une quantité de groupes organisés hétérogènes, il faut également reconnaître que tout principe de majorité arithmétique perd son sens. On ne peut jamais qu’additionner des grandeurs de même nature. Ou bien un groupe politique organisé dispose seul des majorités requises, qu’elles soient simples ou renforcées; et alors tout ce qu’il fait est sans conteste légal, et il n’existe plus de protection pour les parties adverses. Dans ce cas, les 15 ou 16% supplémentaires ne représentent pas une justification nouvelle, puisque ces votes additionnels participent de la même homogénéité que les 51% de la majorité simple. Ils motiveraient bien plutôt un besoin accru de protection. La méfiance ressentie envers la majorité simple s’accroît encore face à une majorité des deux tiers, puisque la menace représentée par une majorité imposante est manifestement plus grande que celle représentée par une majorité simple. Ou alors, la majorité requise n’est produite que par un compromis de plusieurs groupes partisans hétérogènes. La loi est alors le compromis contingent entre des agrégats de pouvoir hétérogènes. Mais alors, tout compte précis des voix est inadmissible, et l’introduction d’une majorité renforcée à la place d’une majorité simple signifie seulement que les 15 ou 16% supplémentaires sont hétérogènes et obtiennent, de manière entièrement gratuite, une position-clé qui leur permet de réclamer des compensations sans contrepartie. Par exemple, face à un groupe chrétien conservateur d’un côté, et à un groupe radical de l’autre, un parti des classes moyennes pourrait faire dépendre son accord d’une politique de déchristianisation et de sécularisation de l’abolition de l’impôt foncier. De tels marchandages politiques sont, comme on sait, envisageables et possibles en tout temps et sous toutes les formes d’État, et plusieurs arrangements entre les conseillers du monarque absolu et ses maîtresses reposaient vraisemblablement sur des motifs et des points de vue très hétérogènes. Mais pour la formation de majorités simples et a fortiori de majorités qualifiées dans le Parteienstaat pluraliste, ce genre de «compromis» devient typique et, pour ainsi dire, institutionnel. Pour les partis de petite et de moyenne taille, la pratique de telles coalitions est carrément une question de survie. Comme J. Popitz28 l’a fait remarquer avec insistancer, ils ont même intérêt à affirmer qu’une loi projetée entraîne une révision de la constitution, car ils devront alors être comptés parmi la majorité nécessaire à ce genre de révision. Mais pour la question de principe qui nous occupe ici, la dérogation au principe de la majorité simple devient un problème spécifique d’abord et avant tout parce que l’exigence renforcée introduite pour des raisons matérielles doit conserver un rapport direct avec l’objet auquel on accorde protection. Or ce n’est justement pas le cas dans l’état actuel du droit en vigueur. L’aspect le plus contradictoire de ce genre de dérogations au principe démocratique de la majorité réside justement dans l’absence de tout rapport entre le motif invoqué pour renforcer la procédure quant à une matière donnée, et les modalités par lesquelles on renforce ladite procédure sans établir de lien avec la matière en question. Dès lors qu’on ne fait pas confiance à la majorité démocratique, on gagne peut-être beaucoup, mais peut-être aussi très peu, selon la conjoncture, si quelques voix de plus sont exigées. En vertu de quel droit ces voix supplémentaires peuvent-elles restaurer la confiance qui fait défaut? Lorsque, pour des raisons pratiques, certains intérêts et groupes doivent recevoir des garanties, il faut les soustraire au processus démocratique de formation de la volonté par des dispositions spéciales qui ne sont plus démocratiques. C’est-à-dire qu’on doit les exempter et les privilégier. Il n’est toutefois pas cohérent de les exempter par des renforcements purement quantitatifs, propres au fonctionnalisme arithmétique, et de les y laisser soumis en même temps. On délaisse ainsi le principe démocratique de la majorité simple, qui repose sur le présupposé de l’homogénéité, sans pour autant lui substituer un nouveau principe. Comme on l’a dit, une telle issue doit être reconnue comme un pis-aller pratique et technique, caractérisant un moment de transition encore indéterminé.
Il ne s’agit pas ici de savoir si des garanties juridiques matérielles ou les constitutions du type de la seconde partie de la Constitution de Weimar sont raisonnables ou justifiées. Elles le sont sans doute. Néanmoins, elles entrent en contradiction structurelle avec la neutralité axiologique de l’État législatif-parlementaire établi dans la première partie. Elles n’imposent pas seulement des limites à cette neutralité, mais elles la détruisent. D’abord, parce que chacune de ces garanties signifie une protection face au législateur ordinaire, soit la majorité parlementaire. De la sorte, la fondation de l’État législatif-parlementaire à laquelle on s’accrochait jusqu’alors – la confiance inconditionnelle dans le législateur ordinaire – est minée par des voies constitutionnelles. La portée des garanties juridiques matérielles de la seconde partie de la Constitution de Weimar est en outre extraordinairement vaste et indéterminée. Elle pourra s’étendre encore davantage, et de manière imprévisible, à mesure que les concepts, principes et lignes directrices contenus dans celle-ci vont se «positiviser» et s’«actualiser». Mais dans le contexte qui nous intéresse ici, il convient surtout de remarquer comment de telles garanties matérielles viennent jeter la confusion dans le fonctionnalisme, par ailleurs largement intact, d’un État législatif aux yeux duquel la loi est la volonté quelconque d’une majorité momentanée. Les garanties constitutionnelles matérielles doivent justement protéger contre le caractère momentané et contingent du législateur ordinaire, et assurer un contenu défini face à un fonctionnalisme des majorités dépourvu de contenu, qui soumet toutes les valeurs substantielles à la majorité du moment, tandis qu’à l’inverse le processus législatif de la démocratie parlementaire se doit de demeurer ouvert à tout contenu, opinion, tendance et objectif. Voilà donc qu’apparaît, avec l’exigence d’une majorité renforcée, une nouvelle espèce de contingence et de momentanéité (voir note 32): la loi supérieure (la légalité constitutionnelle) est alors simplement la volonté quelconque d’une majorité momentanée des deux tiers. Mais cette espèce nouvelle et «supérieure» de contingence entre en contradiction avec la première («inférieure»), parce qu’elle n’est pas neutre quant aux valeurs, sans égard au contenu, et ne peut donc pas être conçue de manière fonctionnaliste. Elle part du principe qu’il existe des contenus axiologiques qui sont privilégiés par la Constitution elle-même, voire même des institutions et des droits sacrés tels que le mariage (article 119) et la pratique religieuse (article 135), qui doivent demeurer sous la «protection de la Constitution», tandis que la contingence fonctionnelle de l’État législatif-parlementaire, dans sa neutralité axiologique absolue, voudrait justement pouvoir abolir ces choses sacrées. Cette «teneur axiologique», ce «système de sens» substantiel (R. Smend), ou peu importe comment on veut nommer les perspectives anti-fonctionnalistes contenues dans la deuxième partie de la Constitution, s’oppose de façon évidente au fonctionnalisme absolu de la première partie, organisationnelle, neutre et indifférente tant à l’égard d’elle-même que de son propre système de légalité (selon l’interprétation dominante de l’article 7629). On ne peut pas placer solennellement sous la protection de la Constitution le mariage, la religion, la propriété privée, et offrir dans la même Constitution une méthode légale pour les abolir. On ne peut pas en même temps répudier solennellement le «radicalisme culturel athée» et lui ouvrir tout grand les «vannes» légales en lui offrant l’égalité des chances. C’est un faux-fuyant pitoyable, immoral même, que de déclarer qu’il serait légal d’abolir le mariage et les églises, tout en espérant qu’on ne parvienne pas aux majorités simples ou renforcées qui pourraient supprimer le mariage ou mettre en place un État athée de façon légale. Si la légalité de telles possibilités est reconnue – et cela va de soi aux yeux du fonctionnalisme dominant la théorie constitutionnelle –, toutes les déclarations contenues dans la seconde partie de la Constitution sont vides de sens. La doctrine et la pratique juridiques font alors face à un choix: sacrifier soit la neutralité axiologique – moralement, juridiquement et politiquement cohérente – de la partie organisationnelle, soit le «système de sens» substantiel de la seconde partie de la Constitution. Car la Constitution est un tout, et les «conséquences lointaines» de ses axiomes, tout comme les proches, contraignent même les organes administratifs et les juridictions les plus subalternes. Entre la neutralité axiologique du système de légalité fonctionnaliste et la teneur axiologique de...

Table des matières

  1. PRÉSENTATION
  2. AVERTISSEMENT DES TRADUCTEURS
  3. INTRODUCTION
  4. I. Le système de légalité et l’État législatif-parlementaire
  5. II. Les trois législateurs extraordinaires de la Constitution de Weimar
  6. CONCLUSION
  7. NOTES