Christian Lattier. L'enfance ignorée du sculpteur

Louis Reymondon

• Éditeur: Sépia
• Année: 2021
• ISBN:
  9782336930817
• Sujet: Art
• Sous-sujet: Art général

Christian Lattier, figure majeure de la sculpture africaine contemporaine, lauréat des Beaux-Arts de Paris et du Festival mondial des Arts nègres de Dakar en 1966, a été révélé dans toute sa personnalité et son talent par un livre vif et passionnant de Yacouba Konaté, enseignant universitaire de philosophie à Abidjan. Il ne manquait à ce portrait de l'artiste plasticien que la description de son enfance singulière au coeur d'une famille française, avec laquelle il a partagé peines et joies de 1935 à 1948. Voici un ouvrage pour comprendre la période fondatrice de la carrière internationale de ce grand artiste ivoirien.

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Un enfant des lagunes de Côte d’Ivoire en France

Il était une fois un petit village des lagunes de Côte d’Ivoire, ce beau pays des rivages de l’Afrique Occidentale où vient de sévir, il n’y a pas si longtemps, une guerre civile cruelle. L’armée française, à l’appel de ses dirigeants, s’est interposée contre les massacres et les pillages. Dans les années 1920, ce village paisible, habité par de nombreux pêcheurs et planteurs, s’appelait Grand-Lahou, à l’ouest d’Abidjan et de Bingerville, sur la côte. Il y avait là une famille ivoirienne, dont le père, Etienne Lattier, était “médecin africain”.

Comme expliqué en annexe, l’École Jules Cardé de Dakar, recrutant les meilleurs de l’École William Ponty de Gorée, formait, en quatre années seulement, des auxiliaires médicaux de santé pour les villages de campagne.

Ils avaient quatre fonctions principales : les soins médico-chirurgicaux et obstétricaux à donner aux malades et aux futures mamans, la préparation des médicaments, les tournées dans les villages consacrées à la surveillance de l’hygiène, à la vulgarisation des notions de prophylaxie et aux vaccinations, au dépistage des maladies endémiques et sociales et aux mesures de défense sanitaire, et enfin la tenue des écritures et des registres réglementaires.

Cette 3e promotion, de 1924, qu’avait intégrée Etienne Lattier, précédait d’une année celle de Félix Houphouet-Boigny, son major, plus tard Ministre français de la Santé et de la Population, Ministre d’Etat dans la 4e République, puis premier Président de la République de Côte d’Ivoire.

Les deux condisciples ont été militants mais aussi adversaires politiques dans des périodes confuses de transition. Ces écoles ont été en effet de véritables viviers de cadres et de personnalités politiques qui lutteraient contre les abus de la colonisation et prendraient plus tard la relève de l’Administration française dans les Etats décolonisés des anciennes AOF et AEF (Afriques occidentale et équatoriale françaises).

Mais pour l’instant, ce médecin exerçait au poste de santé de Bingerville avant d’aller plus tard à Bobo-Dioulasso, en Haute-Volta, prendre de plus grandes responsabilités dans ce territoire en construction, aujourd’hui Burkina-Faso, le “pays des hommes intègres”. C’était un catholique très croyant, particulièrement fervent envers la Sainte-Vierge. Sa femme, Joséphine, ne savait ni lire, ni parler le français. Leurs deux garçons étaient alors suivis par les Pères du Saint-Esprit, missionnaires d’Afrique Noire que nous avons retrouvés beaucoup plus tard au Dahomey et au Congo, toujours présents et secondés par un jeune clergé africain.

François, le plus jeune garçon, restait dans les jupes de sa mère mais pour Christian, son aîné, venu au monde la nuit de Noël, le 25 décembre 1925, le Docteur Lattier avait beaucoup d’ambition : il voulait qu’il aille jusqu’en France, faire des études complètes de doctorat en médecine et revienne prendre sa succession avec un diplôme solide !

Pendant ce temps, le médecin Etienne Lattier dirigeait son hôpital et faisait aussi des tournées villageoises d’hygiène et de prophylaxie. Il mettait tous ses espoirs et son cœur dans la formation de Christian.

Bien plus tard, lorsque l’enfant, coupé de son pays pendant la guerre de 39-45, y reviendra, il entamera une nouvelle tranche de vie. Celle-ci est très bien racontée, notamment dans la belle monographie que le Pr Yocouba Konaté lui a consacrée en 1993, et dans de nombreux articles de presse ou d’importantes publications comme celle du Tome IV de “ Hommes et Destins ” édité par l’Académie des Sciences d’Outre-Mer sous l’éclairage documenté de son secrétaire perpétuel, Robert Cornevin, avec Richard Bonneau. Un bel hommage lui est aussi rendu en 1978, dans le n° 107 de Présence Africaine, par le cinéaste ivoirien Bassori Timite.

Mais la première partie de sa jeunesse en France n’est décrite sous aucune plume et je suis sans doute le seul survivant à même de témoigner, pour l’avoir vécue dans son intime proximité, de cette étonnante aventure.

En Côte d’Ivoire, le médecin Etienne Lattier conduisait ses tournées en brousse. Il était logé, avec sa famille, dans une toute petite case de fonction près de l’Hôpital.

Christian n’avait que 9 ans ! C’était au mois de novembre 1935 et son père a décidé qu’il fallait qu’il aille dans un collège religieux “portant le nom de la Sainte Vierge”, sous la protection d’un correspondant affectueux mais lointain, Haut Fonctionnaire des Colonies, M. Gaston Joseph… Les Pères fournirent une liste de noms que le médecin inscrivit chacun sur un petit bout de papier. Puis il déposa les papiers pliés en quatre dans son casque colonial et le petit Christian fut invité à tirer celui que le sort désignerait comme sa destination sous la protection de Marie.

Il tira : “ Institution Sainte-Marie, Saint-Chamond (Loire) ” !

Sainte-Marie de Saint-Chamond était un collège secondaire des Pères maristes de Lyon (avec deux classes primaires) d’environ 500 élèves, dont de nombreux pensionnaires venant de loin. Christian s’en trouva évidemment le plus jeune et le plus… exotique ! La gentille professeur de la petite classe de 8e, bien embarrassée mais avec tout son cœur, l’accueillit et deviendra même plus tard sa marraine de baptême. Mon frère Charles sera son parrain.

Mais, arrivant en France, le petit Christian ne savait évidemment ni lire, ni écrire, ni compter. On lui enseignerait parfaitement toutes ces connaissances, pensait-on en Côte d’Ivoire, lorsqu’il serait entre les mains bienveillantes des enseignants français ! Et son père, après avoir télégraphié au Père Supérieur du Collège pour annoncer l’arrivée de son fils, embarqua Christian, plein de confiance, sur un paquebot vers la France. En hâte, le Supérieur, le RP Mulsant, envoya quelqu’un le chercher à Marseille…Il ne pouvait faire autrement car, lorsque la lettre est arrivée à Saint-Chamond, le bateau était déjà en haute mer et près d’accoster à la Joliette ! C’est donc l’économe, le Père Moulin, avec sa barbe blanche de grand-père, qui accueillit Christian, totalement désorienté, débarqué à Marseille par la Compagnie Paquet, en plein hiver et grelottant dans son petit costume de toile blanche à culotte courte !

A la coupée, la famille marseillaise de l’Administrateur François Falquet, père de Françoise (religieuse ursuline de Malet) l’attendait aussi. Venant d’une petite école primaire d’Abidjan, il s’exprimait à peine en français.

Institution Sainte-Marie de Saint-Chamond.

Vieille photo en noir et blanc du Collège comme l’a découvert Christian en 1935.

“Notre Collège”, au milieu des champs et au dessus de la gare, enseigne et éduque toujours la jeunesse, comme l’ont voulu ses fondateurs du XIXe siècle, sous la protection de Notre-Dame de Valbenoîte.

Les 2 garçons et les 3 filles de la famille trouvaient tout à fait naturelle la présence parmi eux de ce petit frère noir et joyeux.

De gauche à droite : Françoise, Louis, Christian, Charles, Anne-Marie et Thérèse.

Collé près du radiateur dans la plus petite classe du collège (on disait : 8e) il ne comprenait rien…La gentille professeur l’occupait à recopier sur un atlas des cartes de géographie en couleurs. Il dessinait très bien et aimait çà. A la récréation, il était la vedette et très entouré ! C’est ainsi que Charles, notre frère aîné, qui était en 6e, s’est pris d’intérêt pour le petit garçon noir qui était très doux et joyeux de tout. Cette rencontre a sans doute été, pour Christian et pour notre famille, une grâce particulière de Notre-Dame de Valbenoîte, patro...

Table des matières

• Couverture
• 4e de couverture
• Copyright
• Titre
• Préface
• L’Expression Sculpturale
• Dédicace
• Introduction
• Exergue
• Présentation
• 1 Un enfant des lagunes de Côte d’Ivoire en France
• 2 Christian découvre une famille d’accueil
• 3 Un virage d’orientation difficile
• 4 Retour au bercail et au Pilat !
• 5 Les Écoles des Beaux-Arts … Et son parcours d’artiste
• 6 Épilogue
• 7 Conclusion
• 8 Annexe
• Remerciements
• Contacts utiles
• Sources bibliographiques
• TABLE DES MATIÈRES