PARTIE I – L’INGÉNIERIE INVERSE SAISIE PAR LE DROIT CIVIL
4.Plusieurs législations spéciales, le plus souvent consacrées à des propriétés intellectuelles, sont de nature à s’opposer à l’ingénierie inverse (Chapitre 1). À défaut d’une telle législation, les règles générales du droit des biens et de du droit de la responsabilité civile demeurent également susceptibles de constituer des obstacles (Chapitre 2).
CHAPITRE I – DROIT CIVIL SPÉCIAL
5.L’ingénierie inverse peut être entravée par une propriété intellectuelle en présence de trois types d’objets : les programmes d’ordinateur (Section 1) ; les bases de données (Section 2) et les semi-conducteurs (Section 3). Par ailleurs, la législation sur le secret des affaires pourra elle aussi susciter des difficultés (Section 4).
SECTION I. LES PROGRAMMES D’ORDINATEUR
6.Il convient au préalable de déterminer ce qu’est un programme d’ordinateur. On admet par principe qu’il s’agit d’une suite d’instructions visant l’accomplissement de fonctions par une machine. Au sens strict, un logiciel est davantage qu’un programme. C’est l’« ensemble des programmes, procédés et règles, éventuellement de la documentation, relatif au fonctionnement d’un ensemble de traitement de données ». Un logiciel inclut donc tous les éléments exigés par le fonctionnement du programme d’ordinateur. L’article premier de la directive 2009/24/CE du 23 avril 2009 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur indique néanmoins que « les termes “programme d’ordinateur”, aux fins de la présente directive, comprennent le matériel de conception préparatoire ». Cette assimilation se comprend aisément, car, dans la pratique, les deux dénominations, « logiciel » et « programme d’ordinateur », sont employées indifféremment. Elles sont en général considérées comme interchangeables. Nous les emploierons donc tels des synonymes dans les développements à venir. En revanche, le programme doit être nettement distingué de l’algorithme. Ce dernier constitue une formule mathématique dont la réalisation dépend de l’intelligence de son exécutant. C’est la forme écrite d’un procédé de calcul composé d’une suite d’étapes. Ainsi, l’algorithme d’une fonction de la vie quotidienne telle que se laver les cheveux, par exemple, serait défini de la sorte : mouiller les cheveux ; appliquer le shampoing sur le cuir chevelu ; masser ; émulsionner ; rincer abondamment. Dans le domaine de l’informatique, l’algorithme correspond à une fonction d’un programme d’ordinateur.
7.L’informatique est née aux États-Unis au cours de la deuxième moitié du vingtième siècle, après que les premiers calculateurs programmables aient été conçus et développés (sur la base et avec l’aide du mathématicien britannique Alan TURING) pour remplir des applications militaires durant la Seconde Guerre mondiale. La question de la protection des programmes d’ordinateur a donc initialement été soulevée outre-Atlantique. En 1966, une commission présidentielle consacrée à l’appréhension des nouvelles technologies par le droit des brevets rendit un rapport défavorable à la protection des logiciels par brevet. Cette exclusion a ensuite été justifiée par le rejet, plus général, de la brevetabilité des théories scientifiques. Il s’agissait alors de considérer qu’un programme d’ordinateur était assimilable soit à un algorithme soit à une suite d’algorithmes, qui ni l’un ni l’autre n’engendre de transformation de la Nature. Dans ce cas, le programme ne peut pas constituer une invention de procédé au sens de l’article 101 du Titre 35 du Code des États-Unis. De plus, il s’agit d’une suite d’étapes intellectuelles qui dépend de l’intelligence d’un exécutant. Sa description ne peut pas suffire à son exécution puis à sa reproduction. Elle est donc insuffisante au sens de l’article 112 du Titre 35 du Code des États-Unis. Ces deux arguments ont été réunis au sein de la théorie dite « des étapes mentales » (mental steps), selon laquelle le procédé dont la réalisation est uniquement subordonnée à l’intelligence de son exécutant n’est pas brevetable.
8.Dès les années soixante, le rejet de la protection des programmes d’ordinateur par la propriété industrielle s’est toutefois accompagné de l’admission de sa protection par la propriété littéraire. En effet, dès 1964, l’US Copyright Office a reconnu que les logiciels étaient protégeables par copyright. Le législateur américain a consacré cette pratique avec la loi du 12 décembre 1980. Les législateurs français et allemand ont adopté des solutions similaires en 1985. La directive 2009/24/CE du 23 avril 2009 et l’Accord sur les ADPIC du 15 avril 1994 reprennent aujourd’hui cette position en vertu de laquelle le logiciel est protégé par le droit d’auteur (§ 1). Parallèlement, la jurisprudence, aux États-Unis puis en Europe, a progressivement admis la brevetabilité d’inventions relatives à des programmes d’ordinateur, en dépit de son rejet originel (§ 2).
§ 1 Le droit d’auteur sur les logiciels
9.Toute reproduction de l’œuvre réalisée sans l’autorisation de l’auteur constitue, en principe, une contrefaçon susceptible d’être sanctionnée autant sur le terrain du droit civil que sur celui du droit pénal. La démarche de l’ingénierie inverse constitue-t-elle une telle reproduction de nature à engager la responsabilité de son auteur ? Pour répondre, il convient, à titre liminaire, de déterminer ce qu’est concrètement la rétroconception d’un programme d’ordinateur : observer et tester pour comprendre fonctionnement pour trouver ses fonctionnalités puis définir sa structure voire retrouver des éléments de code. Et ces éléments du code, s’ils sont retraités, pourront éventuellement permettre de retrouver le code source.
10.La détermination de la licéité de l’ingénierie inverse implique donc, tout d’abord, de déterminer quels éléments d’un programme d’ordinateur sont susceptibles d’être protégés par le droit d’auteur. Or, il est en principe admis que seule sa forme, c’est-à-dire son code source et son architecture, est protégeable (A). La loi prévoit cependant des exceptions en vertu desquelles la reproduction de la forme d’un logiciel est admissible (B).
A. Objet du droit
11.La propriété littéraire et artistique porte sur des œuvres de l’esprit. Ainsi, seul un programme d’ordinateur qualifiable d’œuvre de l’esprit sera protégeable. Ladite œuvre étant comprise comme l’expression formelle originale d’une idée. En d’autres termes, la naissance d’un droit d’auteur est subordonnée à deux critères : l’existence d’une forme (1) ; l’originalité de cette forme (2).
1) Une création formelle
12.Seule une idée communiquée par le biais d’une forme accessible sensible peut constituer l’objet d’un droit d’auteur. L’exigence d’une communication par le biais d’une forme nécessite qu’un auteur donne forme à son idée en en organisant les éléments (composition) et/ou en la formulant à l’intérieur de limites données (expression). Pour le programme d’ordinateur, cela signifie que les idées ne sont, en principe, pas protégeables (a). En revanche, le code et l’architecture (b) ainsi que les interfaces logicielles le sont (c).
a) Les idées exclues : fonctionnalités et les langages de programmation
13.Dans le domaine de l’informatique, l’architecture du programme et son code source constituent respectivement sa composition et son expression. L’idée per se, qui correspond à une fonctionnalité, n’est pas protégeable. Ladite fonctionnalité pouvant être définie comme « la capacité (d’un logiciel) à effectuer une tâche précise ou à obtenir un résultat déterminé ». En d’autres termes, « ce à quoi sert le logiciel ». Mais ces définitions représentent partiellement la réalité visée. Une fonctionnalité peut, en effet, résider dans la fonction finale accomplie par le logiciel. Mais ce peut aussi n’être qu’une fonction réalisée en aval et qui participe à un ensemble permettant d’aboutir au résultat final escompté.
14.Quoi qu’il en soit la fonctionnalité constitue, en tous cas, un but, une idée insuffisamment exprimée pour pouvoir être considérée comme une forme protégeable au sens du droit d’auteur. Ainsi, dans une décision rendue en 2005, la Cour de cassation avait adopté une solution identique. En l’espèce, deux sociétés avaient conclu un contrat autorisant la première d’entre elles à intégrer et à développer des fonctionnalités réalisées au sein de ces logiciels par la seconde. Deux ans plus tard, la convention a été dénoncée par la société bénéficiant de l’autorisation. Le titulaire du droit engagea alors une action en contrefaçon à son encontre. Cette demande a été rejetée par les juges du fond qui ont jugé que la capacité du programme à réaliser une tâche précise ne relevait pas du champ de la propriété littéraire et artistique. Le pourvoi formé à l’encontre de cette décision a été rejeté.
15.Il a cependant été jugé que le constat selon lequel « ni la fonctionnalité d’un programme d’ordinateur ni le langage de programmation et le format de fichiers de d...