Objectivité(s)
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Objectivité(s)

  1. 212 pages
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Objectivité(s)

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Dans un climat marqué par un scepticisme grandissant devant les discordes scientifiques et par une montée des populismes qui s'appuient sur des fake news ou « vérités alternatives », il est important de pouvoir encore s'appuyer sur la notion d'objectivité. Mais qu'est-ce qu'être objectif aujourd'hui? Au-delà d'un état de l'art théorique sur la question, Objectivité(s) mobilise des chercheuses et chercheurs d'horizons divers pour remettre cette notion au goût du jour.

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Informations

Éditeur
Academia
Année
2021
ISBN
9782806123817

Première partie

Objectivité et théories

IÀ partir de quelles modalités constituons-nous l'objectivité scientifique ?

Catherine Allamel-Raffin
AHP-PREST UMR 7117, UNIVERSITÉ DE STRASBOURG, UNIVERSITÉ DE LORRAINE, CNRS

1.1. Introduction

Peut-on élaborer une définition du concept d'objectivité? Dans un premier temps, nous allons circonscrire le champ de notre réflexion en limitant celle-ci à« l'objectivité méthodologique», celle qui prévaut en particulier dans la recherche scientifique et qui ne présuppose pas d'engagement ontologique déterminé. Dans un deuxième temps, nous préciserons un des traits essentiels de cette objectivité méthodologique : sa nature graduelle, le fait qu'elle doit être pensée en termes de plus ou de moins. Nous procéderons sur ce point en abordant brièvement la question du rapport entre objectivité et subjectivité. Dans un troisième et dernier temps, nous répertorierons successivement six « modalités objectivantes » qui nous paraissent constituer les éléments clés d'une définition du concept d'objectivité méthodologique. Par « modalité objectivante », nous entendons des types de procédures dont on peut identifier la présence dans les pratiques scientifiques effectives. Ces types de procédures sont les éléments constitutifs de la démarche d'objectivation. L'idée sous-jacente, que nous reprendrons brièvement dans la conclusion, est que ces procédures ne sont pas toutes simultanément présentes dans les processus et les résultats auxquels on applique le qualificatif « objectif ». Mais il en faut toujours au moins une, les combinaisons les plus variées de modalités objectivantes pouvant être relevées lorsqu’on observe un grand nombre de pratiques scientifiques en adoptant un point de vue synoptique.

I.2. Une brève détermination de ce qu’il faut entendre par « objectivité méthodologique »

Pour délimiter le champ de notre investigation, nous allons partir d’une première distinction fondamentale qui a été présentée de multiples façons par les philosophes. Nous la caractériserons de manière très générale en distinguant dans un premier temps l’« objectivité ontologique » de l’« objectivité épistémique ». Pour mener à bien ce travail d’analyse conceptuelle, nous partirons des catégories forgées par John R. Searle dans La construction de la réalité sociale (Searle 1998 : 21-22). Entendus en un sens ontologique, « objectif » et « subjectif » sont des prédicats d’entités et de types d’entités et ils permettent d’attribuer des modes d’existence. Une douleur est une entité ontologiquement subjective parce que son mode d’existence dépend de ce qu’elle soit éprouvée ou non par un sujet. Une montagne est une entité ontologiquement objective parce que son mode d’existence est indépendant de tout sujet percevant. Sur le plan épistémique, « objectif » et « subjectif » sont surtout des prédicats de jugements.
(1) « Rembrandt est un meilleur peintre que Rubens. »
(2) « Rembrandt a vécu à Amsterdam durant l’année 1632. »
Nous parlons de jugements tels que (1) comme étant « subjectifs » parce que leur vérité ou leur fausseté ne peut être établie « objectivement ». Il ne s’agit pas avec (1) d’une question de fait, mais d’un jugement qui dépend de certaines attitudes, sentiments et points de vue de leur auteur. En revanche, (2) est épistémiquement objectif, car le fait qui rend ce jugement vrai est indépendant de toute attitude, sentiment ou point de vue.
Ces distinctions proposées par Searle ne vont pas de soi et la pertinence même de certains de leurs termes a de tout temps été vivement contestée. Ainsi, ce qu’il désigne au moyen de l’expression « objectivité ontologique » : celle-ci ne concerne évidemment pas seulement les montagnes, selon Searle, mais bien plutôt l’ensemble des entités existant dans le monde, dont on affirme qu’elles existent indépendamment de tout sujet percevant. On parle dans ce cas « du monde tel qu’il existe indépendamment de nous », ce qui s’apparente à l’affirmation d’une « objectivité externe » (Hannah 2003, 343), et suppose un engagement ontologique auquel refusent de souscrire bon nombre d’auteurs. On peut aller encore plus loin et reconnaître une pertinence à des formules telles que « le Réellement Réel », « ce que les choses sont réellement en elles-mêmes ». Quel que soit le degré d’engagement que l’on choisira de retenir en définitive, les définitions d’une objectivité ontologique ont suscité et suscitent encore les polémiques les plus vives. Au sein de la philosophie, de l’histoire et de la sociologie des sciences, elles constituent une pomme de discorde entre tenants du réalisme et tenants de l’antiréalisme (à propos des inobservables) d’une part, et entre tous ces derniers et les auteurs qui affichent des positions sceptiques ou constructivistes d’autre part. Ce débat a, comme on le sait, donné lieu à des échanges d’arguments multiples, qui ne constituent pas l’horizon de mon propos dans ce chapitre.
C’est pourquoi nous allons limiter notre investigation à ce que Joseph F. Hannah, par contraste avec « l’objectivité externe », a choisi d’appeler « l’objectivité interne » ou « méthodologique » : celle qui se rapporte aux procédures et aux méthodes au moyen desquelles, dans la vie quotidienne et dans les sciences, nous nous livrons à nos investigations sur le monde (Hannah 2003, 343). On pourrait la qualifier également au moyen de l’expression « objectivité procédurale ». L’application de procédures et de méthodes conçues comme objectives en ce sens permet d’aboutir à des résultats dont certains au moins se présentent sous la forme de jugements de connaissance, eux-mêmes considérés comme objectifs au sens de l’objectivité épistémique de Searle. Ces jugements de connaissance s’intègrent dans les corps de savoir développés au sein des différentes sciences. Pour résumer, notre propos portera dans la suite de ce chapitre sur « l’objectivité scientifique », circonscrite à sa dimension d’objectivité méthodologique, observable dans les pratiques effectives des chercheurs, et ne supposant pas d’engagement ontologique déterminé a priori.

I.3. La polarité objectivité-subjectivité

Avant d’entrer dans le cœur de mon analyse du concept d’objectivité méthodologique, il nous faut encore au préalable préciser ce qu’il en est de la relation entre objectivité et subjectivité. Comme le signale à juste titre Steven Shapin (2011), celui qui se livre à un examen rapide des encyclopédies philosophiques récentes constate que l’item « subjectivité » est le plus souvent raccordé à l’item « objectivité » et n’a pas droit à une entrée spécifique, où ses déterminations propres seraient étudiées pour elles-mêmes. La conclusion que l’on peut en tirer est que le concept de subjectivité est abordé essentiellement comme « une source de trouble philosophique : il est ce qui vient polluer la connaissance objective » (Ibid., 171). Il fonctionne donc davantage comme un repoussoir, insuffisamment interrogé pour lui-même, et s’apparente du même coup à un point aveugle. À ce titre, il vient hanter comme un Doppelgänger, un « jumeau diabolique » la plupart des considérations philosophiques sur la production de connaissances scientifiques.
À la décharge de l’ensemble des auteurs accusés de se rendre ainsi coupables de négligence à l’égard du concept de subjectivité, il faut bien reconnaître l’extrême variété des éléments qui constituent son champ d’extension. Shapin le reconnaît lui-même : s’il est bien un Doppelgänger du concept d’objectivité, le concept de subjectivité a également eu une riche vie propre au cours de l’Histoire. Cette vie, pour aller très vite, n’a même pas d’origine discernable, du moins qui ne serait soumise à aucune contestation. De surcroît, celle ou celui qui souhaite saisir ses traits définitoires au travers des emplois qui en sont faits est contraint d’emprunter des voies qui tendent très largement à s’éloigner les unes des autres, et au sein desquelles ont été élaborées des problématiques propres et développés des concepts permettant de traiter ces dernières : dans le cadre de la philosophie anglophone, tel est par exemple le cas de la philosophie de l’esprit ; dans celui de la philosophie continentale, c’est de Descartes jusqu’aux exégètes de l’œuvre de Michel Foucault qu’on a tenté de prendre en charge la question de la définition de la subjectivité. Ne s’expose-t-on pas, dès lors, à un risque de dispersion totale, en cherchant à rendre compte des emplois du concept ?
Dans le cadre du présent chapitre, il ne saurait être question de nous livrer à une réflexion sur ce point en vue d’apporter une réponse positive ou négative. En particulier, nous ne constituerons pas de liste de déterminations subjectives. Nous nous limiterons à souligner une caractéristique essentielle à la fois des concepts de subjectivité et d’objectivité épistémiques : leur dépendance réciproque dès lors qu’on vise à les définir. Plusieurs philosophes ont fourni des formulations simples de cette dépendance réciproque, en termes de continuum. Ainsi, Hilary Putnam :
Considérons nos énoncés comme reposant sur un continuum (de manière à ce qu’il n’y ait aucun point où commence l’objectivité) ; et disons que les énoncés qui dépendent éminemment de nos intérêts et de nos points de vue, et tout particulièrement ceux qui procèdent d’un point de vue idiosyncrasique, ou qui sont émis par des personnes indifférentes aux intérêts des autres ou à d’autres points de vue appropriés se situent à l’extrémité « subjective » du continuum, tandis que les énoncés deviennent plus « objectifs » au fur et à mesure que leur prétention à la vérité dépend moins de ces points de vue idiosyncrasiques et de l’indifférence à l’égard des points de vue et des intérêts des autres. (Putnam 2003, 141).
Putnam souscrit à une conception gradualiste de l’objectivité : celle-ci est une affaire de degrés. Ce point de vue est aujourd’hui couramment admis et formulé en ces termes, en particulier au sein de la philosophie des sciences.
Dès lors que l’on reconnaît la pertinence de cette conception gradualiste de l’objectivité – et donc de la subjectivité – cette dernière peut être comprise comme incluant dans son champ d’extension tout ce qui est situé et référable à un sujet connaissant X donné.

I.4. Les modalités de l’objectivité méthodologique dans les sciences de la nature

Nous affirmerons comme un postulat de départ que là où l’objectivité méthodologique est supposée s’appliquer, on doit impérativement disposer des éléments suivants : un sujet connaissant X, une représentation R, un objet Y, des finalités ou des usages déterminés de la représentation de Y dans un contexte épistémique donné. C’est sur la base d’une prise en compte de ces éléments et de l’analyse des relations qu’ils entretiennent les uns avec les autres que l’on peut constituer une liste finie de modalités objectivantes, celles-ci étant plus ou moins présentes, selon les types d’activité, dans le travail des scientifiques soumis à une exigence d’objectivité méthodologique.
Les modalités qui rendent possible l’objectivation dans les sciences de la nature doivent satisfaire un certain nombre de réquisits. Nous ne pouvons fournir, en raison de l’espace qui nous est imparti ici, de justification de leur pertinence, mais ils devraient paraître pour la plupart intuitivement acceptables pour le lecteur, au regard de l’acception courante de ce que nous entendons par objectivité : la possibilité d’introduire une distance entre le sujet connaissant X et l’objet à connaître Y ; la communicabilité qui présuppose une accessibilité universelle à l’objet Y ; l’existence d’une représentation R transmissible en droit à tout individu qui souhaite en prendre connaissance ; l’idée d’interconnexion associée à celle de l’invariance de l’objet Y. En tenant compte de ces exigences, nous distinguerons dans la suite de cette section de chapitre six modalités. Nous les avons dénommées la formalisation, la mécanisation, l’indiciarité, la manipulabilité, l’interconnexion, l’auto-objectivation du sujet connaissant.

I.4.1. La formalisation

L’entreprise scientifique moderne a radicalisé un trait apparu dès l’Antiquité dans la quête de savoir : il s’agit de ce que nous appellerons ici la formalisation. En quoi consiste précisément ce trait ? Il renvoie à un ensemble d’opérations cognitives : celles qui consistent, dans les sciences de la nature plus qu’ailleurs, à ne retenir que certains aspects, fixés au moins provisoirement, des objets du domaine, en faisant abstraction de leur identité, de leur « essence » ou plus simplement de leurs autres propriétés éventuelles. (Andler 2002, 1106)
Si la formalisation est bien repérable dans l’ensemble des activités humaines, le degré de formalisation y est pour l’essentiel peu poussé, à la différence de ce qui se passe dans les sciences en général, et dans les sciences de la nature en particulier. La formalisation va de pair avec plusieurs options délibérément retenues par ces dernières :
chaque science délimite un domaine d’objet qui lui est propre. Elle détermine pour ce faire un référentiel de description de l’objet (Granger 1999, 21) qui n’est pas la « chose » que nous rencontrons dans la vie quotidienne. En d’autres termes, chaque science particulière impose un ensemble de normes qui ont un effet d’exclusion, par rapport à d’autres modes d’appréhension possibles de la même « chose », y compris ceux des autres sciences. Si on parcourt l’histoire de ces derniers siècles, c’est la « normalisation » galiléo-newtonienne qui exemplifie le mieux cette démarche : la nouvelle mécanique prend pour objet le mouvement, notion abstraite définie par des relations spatio-temporelles, en s’opposant à la physique d’Aristote ;
une telle démarche suppose le recours à un langage. Il peut s’agir du langage ordinaire, d’un langage spécialisé quelconque, de règles de transformation visuelles ou, comme dans le cas de la physique galiléo-newtonienne, du langage des mathématiques ;
comme on l’a vu dans la définition proposée par Daniel Andler, une opération joue un rôle essentiel dans ce que nous appelons ici au sens large la formalisation : la « sélection, parmi les propriétés des objets, de celles qui sont pertinentes pour les relations que chaque objet entretient avec les autres. » (Andler 2002, 1107). De ce fait, l’objet Y, en l’occurrence l’objet scientifique, est susceptible de se résoudre dans un simple réseau de relations formelles et de règles de combinaison ;
un corollaire du point qui précède est relatif à l’utilité pratique de l’activité de formalisation : « Une fois formalisés, une opération, un processus, une représentation sont transportables ou transposables : on peut s’en resservir dans une foule d’occasions. » (Andler 2002, 1098).
Si nous avons classé la formalisation parmi les modalités du détachement objectivant, c’est parce que ce qui est en jeu à travers elle, c’est le fait de dégager des invariants, qui par le biais de la communication linguistique ou visuelle, se conforment au réquisit d’une accessibilité universelle. La visée poursuivie, en l’occurrence, est...

Table des matières

  1. Couverture
  2. 4e de couverture
  3. Titre
  4. Copyright
  5. Introduction : traiter de l’objectivité en théoricien·ne·s
  6. Première partie – Objectivité et théories
  7. Deuxième partie – Objectivité et pratiques
  8. Table des matières