Qu'est-ce que la raison développementaliste?
eBook - ePub

Qu'est-ce que la raison développementaliste?

Du fardeau de l'Homme blanc aux négropôles du développement

  1. 384 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub

Qu'est-ce que la raison développementaliste?

Du fardeau de l'Homme blanc aux négropôles du développement

Détails du livre
Aperçu du livre
Table des matières
Citations

À propos de ce livre

Le processus de développement a divisé le monde entre un monde arriéré et un monde avancé depuis 1945. Un tel phénomène ne peut se réaliser sans être sous-tendu par une forme de raison. Est-ce une raison pure, blanche ou nègre? Que fait-elle des sociétés des Suds en général et d'Afrique en particulier? La raison développementaliste serait-elle un impérialisme, un ethnocentrisme, un ethnocide et un racisme?

Foire aux questions

Il vous suffit de vous rendre dans la section compte dans paramètres et de cliquer sur « Résilier l’abonnement ». C’est aussi simple que cela ! Une fois que vous aurez résilié votre abonnement, il restera actif pour le reste de la période pour laquelle vous avez payé. Découvrez-en plus ici.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptés aux mobiles peuvent être téléchargés via l’application. La plupart de nos PDF sont également disponibles en téléchargement et les autres seront téléchargeables très prochainement. Découvrez-en plus ici.
Les deux abonnements vous donnent un accès complet à la bibliothèque et à toutes les fonctionnalités de Perlego. Les seules différences sont les tarifs ainsi que la période d’abonnement : avec l’abonnement annuel, vous économiserez environ 30 % par rapport à 12 mois d’abonnement mensuel.
Nous sommes un service d’abonnement à des ouvrages universitaires en ligne, où vous pouvez accéder à toute une bibliothèque pour un prix inférieur à celui d’un seul livre par mois. Avec plus d’un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu’il vous faut ! Découvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l’écouter. L’outil Écouter lit le texte à haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l’accélérer ou le ralentir. Découvrez-en plus ici.
Oui, vous pouvez accéder à Qu'est-ce que la raison développementaliste? par Thierry Amougou en format PDF et/ou ePUB ainsi qu’à d’autres livres populaires dans Sciences sociales et Sociologie. Nous disposons de plus d’un million d’ouvrages à découvrir dans notre catalogue.

Informations

Éditeur
Academia
Année
2020
ISBN
9782806123510

PARTIES VI

La mise en valeur suivant
la raison développementaliste :
une reproduction
particulière des choses,
des gens et de leurs ordres

Chapitre 13

Capitalisme, reproduction inégalitaire
et transition développementaliste

Jean-Jacques Rousseau figure certainement parmi les derniers auteurs qui, avant l’avènement de l’économie politique au 18e siècle, posèrent le problème des inégalités en questionnant non leurs conséquences dans le fonctionnement des lois économiques, mais leur origine et leur destin politique. Dans Le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les Hommes (1755), l’auteur du Contrat social distingue deux types d’inégalités : les inégalités naturelles ou physiques parce qu’établies par la nature et se manifestant par des différences de morphologie, de taille, de force, de santé et de qualité de l’esprit entre les Hommes, et les inégalités non naturelles, qu’il qualifie de politiques et morales parce qu’autorisées et rendues possibles par le consentement des Hommes : puissance, privilèges, honneur, richesse, pouvoir.
Pour Rousseau, c’est la société qui est à l’origine des inégalités non naturelles, formes de maux sociaux dont on peut sortir via le contrat social, dans la mesure où résoudre le problème de la théodicée ‒ coexistence illogique du mal et du bien dans la société alors que Dieu et l’Homme naturel sont bons ‒ est consubstantiel à la lutte contractuelle contre les inégalités. D’où le fait que Rousseau place son curseur critique sur les inégalités non naturelles (construites), auxquelles il ne faut en aucun cas se résigner, mais en faire un problème politique. La résignation est pour lui d’autant plus malvenue que l’apparition de la propriété privée, cause première des inégalités construites, est aussi le moment où l’Homme bascule dans la vie politique avec la naissance d’une société civile.
Dès le 18e siècle, l’économie politique va privatiser la question des inégalités au point de devenir la seule discipline ayant le droit et la compétence scientifique d’en parler, par l’entremise du discours des lois économiques. Cela va se faire via l’essor doctrinal de l’économie politique, le déplacement de la focale analytique des causes sociopolitiques explicatives des inégalités aux causes compatibles au bon fonctionnement des lois économiques, puis par le glissement progressif de la préoccupation des penseurs des inégalités en général à la pauvreté économique en particulier. La question sociale devient donc non seulement étriquée à sa seule dimension économique, mais aussi confinée au périmètre de sécurité analytique défini par le bon fonctionnement des lois économiques. Celles-ci contraignent ainsi les solutions politiques à apporter au problème des inégalités, au lieu d’être contraintes par les dispositifs de sortie des inégalités.
L’idée d’un marché autorégulateur, c’est-à-dire naturel, s’ajustant de lui-même, et celle de son apurement optimal, si sociopolitiquement désencastré, sont donc déjà en gestation. C’est la raison pour laquelle la typologie rousseauiste entre inégalités naturelles et inégalités non naturelles est intéressante ; car c’est à partir d’elle que nous pouvons mettre en évidence non seulement l’acceptable et l’inacceptable dans la répartition des ressources (et penser les dispositifs redistributifs), mais aussi le fait que les économistes se partagent, grosso modo, en quatre écoles de pensée par rapport à la problématique des inégalités. Comment la typologie rousseauiste éclaire-t-elle ces écoles, leur pensée, le statut politique qu’y ont les inégalités et, le cas échéant, les instruments correctifs postulés ? Répondre à cette question se fera à travers cinq écoles de pensée.
Les adeptes de la première école de pensée économique se situent entre moralisme et naturalisme libéral. La première partie s’appesantira sur eux, leurs espoirs et leurs limites. La deuxième école de pensée économique, le libéralisme décomplexé, raisonne en faveur du bon fonctionnement du marché et, ainsi, exclut toute politique volontariste de lutte contre la pauvreté. Notre deuxième partie consistera à analyser de façon critique sa pensée. La troisième école de pensée économique est tantôt révolutionnaire, tantôt réformiste et/ou interventionniste. Elle critique l’économie politique, fait de la société l’origine des inégalités et propose des instruments correctifs. Notre troisième partie va s’y pencher.
La quatrième école de pensée économique est l’école développementaliste. Elle fait de la reproduction inégalitaire le moteur de la transition dès la naissance, dans les années 1950, de la problématique du sous-développement. C’est l’objet de notre quatrième partie à travers laquelle nous analyserons la dynamique inégalitaire des modèles de transition. Depuis les années 1990, des filiations et des oppositions sur l’analyse des inégalités dans la pensée économique du développement resurgissent à travers une économie politique internationale des inégalités. Ce sera le point focal de notre cinquième et dernière partie.

1.Inégalités entre moralisme et naturalisme libéral : Smith et Malthus

Adam Smith est une figure typique de l’ambivalence de cette école. Son positionnement analytique par rapport aux inégalités, plus moral au sein de La théorie des sentiments moraux (1759), devient naturaliste et libéral dans Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776)41. Dans Les sentiments moraux, Smith pose les bases de ce qui deviendra plus tard la célèbre main invisible. Il le fait en montrant que sous certaines conditions les comportements individuels (le goût du luxe, le vice, les dépenses somptuaires…) et égoïstes peuvent être positifs pour la collectivité, notamment pour ses pauvres qui en profitent en étant mis au travail par les dépenses des riches. Les conditions de possibilité d’une telle occurrence sont au nombre de deux : que l’évaluation des actions individuelles et égoïstes vienne de la société et non d’un individu qui, de façon délibérée, se serait décidé à agir moralement pour une telle occurrence ; que le bien-être sociétal soit synonyme de la prospérité globale de toute la société et que celui-ci soit évalué suivant des paramètres économiques.
Sous ces deux conditions, certains comportements égoïstes, certains actes individualistes et certains vices sont les bienvenus s’ils ont des conséquences positives sur le taux d’accumulation collectif de la société. Suivant un tel raisonnement, le fait que la majeure partie des richesses mondiales soit aujourd’hui concentrée entre les mains d’une infime minorité n’est pas un problème ; car cette richesse sert aux pauvres, ce qui ne serait pas le cas dans une situation où tout le monde serait pauvre. Ces idées smithiennes sont encore extrêmement vivaces de nos jours. Deng Xiaoping, successeur de Mao à la tête du parti communiste et père du capitalisme chinois, pensait ainsi que mieux valait une Chine avec des riches et des pauvres qu’une Chine où tout le monde était pauvre ; car la frugalité ne crée pas d’emplois, alors que les dépenses des riches le font pour les pauvres : « La richesse consiste dans une multitude de pauvres au travail » (Mandeville, 1714).
Autre exemple : l’aide financière faite par les États occidentaux aux banquiers aux lendemains de la crise des crédits hypothécaires a été justifiée maintes fois par l’assurance tout risque que le renflouement des banques garantît à l’épargne populaire : en d’autres termes, si la richesse bancaire disparaissait, les pauvres y auraient plus à perdre que les riches banquiers. Enfin, le refus de plusieurs gouvernements de légiférer sur les salaires abyssaux des grands patrons est également fondé sur l’idée que ceux-ci iraient faire valoir leur compétence ailleurs et entraîneraient le déclin de la prospérité générale du pays qui baisserait leurs salaires.
Ce type de raisonnement est moralement justifié dans « Les sentiments moraux » de Smith : « La providence, en partageant […] la terre entre un petit nombre d’hommes riches, n’ont pas abandonné ceux à qui elle paraît avoir oublié d’assigner un lot, et ils ont leur part de tout ce qu’elle produit. Pour tout ce qui constitue le véritable bonheur, ils ne sont en rien inférieurs à ceux qui paraissent placés au-dessus d’eux. Tous les rangs de la société sont au même niveau, quant au bien-être du corps et à la sérénité de l’âme, et le mendiant qui se chauffe au soleil le long d’une haie, possède ordinairement cette paix et cette tranquillité que les rois poursuivent toujours […] L’estomac du riche n’est pas en proportion avec ses désirs, et il ne contient pas plus que celui du villageois grossier. Il est forcé de distribuer ce qu’il ne consomme pas ; et tous ceux qui satisfont à ses plaisirs et à son luxe, tirent de lui cette portion des choses nécessaires à la vie, qu’ils auraient en vain attendue de son humanité ou de sa justice. Ils ne consomment guère plus que le pauvre ; et […] ils partagent avec le dernier manœuvre le produit des travaux qu’ils font faire […] Une main invisible semble les forcer à concourir à la même distribution des choses nécessaires à la vie qui aurait eu lieu si la terre eût été donnée en égale portion en chacun de ses habitants ; et ainsi, sans en avoir l’intention, sans même le savoir, le riche sert l’intérêt social et la multiplication de l’espèce humaine » (1759).
Il en sort que pour Smith, la distinction rousseauiste entre inégalités naturelles et inégalités construites n’existe pas. Il trouve une cause aux inégalités, mais cette cause est préexistante à la nature et à la société, c’est la providence. Or, que nous prenions la providence au sens du destin ou du sage gouvernement de Dieu, la cause des inégalités pour Smith reste exogène à la société et au monde. Cela fait de ces inégalités des données non obligatoirement négatives pour la société, car la cohérence involontaire des transferts économiques des riches vers les pauvres est, ex ante, assurée par la providence.
Par ailleurs, Smith fait des carences multiples des pauvres un argument de la quiétude de leurs âmes et de leur paix spirituelle, contrairement aux tourments perpétuels des riches. Autrement dit, la quiétude de l’esprit du pauvre est la contrepartie positive de son état social, quand son absence chez le riche en est la contrepartie négative. C’est le principe smithien du rééquilibrage providentiel. Le statut politique des inégalités n’existe donc pas pour cet auteur qui non seulement laisse inexpliqué le problème de la théodicée posé par Jean-Jacques Rousseau, mais ne cherche pas non plus à réduire les inégalités. La pauvreté des uns et la richesse des autres ont une cohérence naturelle adaptée au fonctionnement des lois économiques. Smith soutient que les choses sont justes tel qu’elles se présentent. Sa variable impondérable est donc la prospérité de la société qu’assurent les riches. Le salut du pauvre, c’est son antithèse sociale.
Adam Smith a cependant une autre figure en dehors de ce raisonnement économique enrobé de considérations morales. Cette autre figure de Smith est celle du naturaliste libéral qui ne s’encombre pas de moralisme. Lorsque les économistes approchent la mondialisation comme l’apothéose de la tendance naturelle de l’Homme à échanger, c’est Adam Smith la référence analytique. La croissance smithienne, contrairement à sa version schumpetérienne, a en effet pour moteur une plus grande et meilleure division du travail qui, grâce à un marché de plus en plus étendu, induit tant de faibles coûts de production que de meilleurs gains pour la société dans son ensemble. Tout acteur qui poursuit corps et âme la maximisation de son accumulation individuelle se retrouve, malgré lui, en train de défendre le bien-être général, grâce à l’harmonie spontanée des intérêts individuels.
Le Smith adepte d’un naturalisme libéral n’accorde aucune attention, ni à qui fait quoi dans la division internationale du travail, ni aux conditions historiques de cett...

Table des matières

  1. Couverture
  2. 4.de couverture
  3. Dans la même collection
  4. Titre
  5. Copyright
  6. Introduction générale : Le développement et l’esprit de Berlin
  7. PARTIE I – Adam Smith, raison développementaliste et sociétés extra-occidentales
  8. PARTIE II – La couleur et l’identité de la raison développementaliste
  9. PARTIE III – L’invention des Suds par l’Occident : La bibliothèque coloniale, la bibliothèque néoclassique et la bibliothèque populaire du développement
  10. PARTIE IV – Extrémismes de la raison développementaliste et leurs conséquences sociopolitiques et économiques
  11. PARTIE V – La justice de la raison développementaliste
  12. PARTIES VI – La mise en valeur suivant la raison développementaliste : une reproduction particulière des choses, des gens et de leurs ordres