I
Écouter, recevoir, accompagner
Une grossesse est une création, un mouvement, des transformations.
De la femme, de l’enfant à naître. Une et deux. Un devenir.
Durant cette période, la transparence psychique amène de la vulnérabilité chez celle qui porte. Les défenses psychiques deviennent perméables.
Les pensées vagabondent, insaisissables, imprévisibles. Elles s’entremêlent, s’entrechoquent. Et même si nous sommes au plus près de la nature, il y a parfois de l’étrangeté dans une grossesse.
Nous avons à accompagner ces transformations, à écouter ces pensées, folles parfois, qui ne sont présentes que pour le jour où on les entend.
Sans avoir peur. Pouvoir tout entendre, tout envisager. Et contenir les peurs, les angoisses, pour aider la femme enceinte à porter son bébé.
Être là, présente, sans autre prétention que de se mettre à son pas.
Et toujours veiller à la bonne santé de l’une et de l’autre.
Être présente aussi pour l’homme devenant père.
Sortie de maternité
Début de matinée, juste avant mon départ pour ma journée de visites à domicile : Alexandra A. me téléphone pour savoir si je peux me rendre à son domicile aujourd’hui comme convenu. Initialement, il était prévu un monitoring, mais elle a accouché il y a 4 jours et aujourd’hui, elle rentre à la maison. Elle souhaite néanmoins maintenir ma visite, malgré l’examen de sortie fait le matin même à la maternité…
Je connais bien Alexandra. À sa demande, j’ai suivi à domicile ses deux grossesses en lien avec l’hôpital. Elle habite une petite maison dans un quartier calme d’un gros bourg. Tout y est rangé et bien ordonné. Alexandra est une femme réservée, qui ne s’étend pas sur ses ressentis. De la sobriété partout : pas un faux pli, pas une émotion qui s’échappe. Elle a une histoire familiale compliquée. Elle l’aborde avec beaucoup de discrétion, de pudeur, un mot lâché entre deux, à savoir entendre sans trop interroger… Elle-même travaille dans le soin. Elle a l’habitude de donner sans compter et s’écoute peu. Elle prendra, de moi, la surveillance médicale et à peine plus…
Je ne pose pas plus de questions au téléphone et me rends chez elle : « – Comment allez-vous ? – Mal, ça s’est très mal passé, j’ai eu très mal pour l’accouchement et j’ai mal aux seins depuis 4 jours. Je n’en peux plus, je n’en peux plus d’avoir mal. Plus jamais ça. Je n’aurai plus jamais d’enfant. »
Je l’écoute. D’abord écouter… la laisser déverser ce qui l’envahit. Je me doute que si elle m’a fait venir dès sa sortie de la maternité, c’est qu’elle a certainement besoin de s’alléger de choses difficiles.
Pour la première fois, Alexandra exprime de la colère, un ras-le-bol, du regret… Enfin, elle s’autorise à me faire part de son vécu :
– Comme pour mon premier, le travail a été très long. J’ai bien eu la péridurale mais à la fin, on m’a fait beaucoup attendre. J’ai même failli avoir une césarienne car le bébé ne descendait pas : on m’a fait attendre deux heures à dilatation complète. Quand j’ai poussé, le bébé est sorti tellement vite que j’ai eu une déchirure. J’ai eu trop mal puis, ensuite, j’ai fait une hémorragie de la délivrance. Je me demande s’il n’aurait pas mieux valu que j’ai une césarienne. J’ai eu des crevasses quatre heures après le début de l’allaitement, aujourd’hui je veux arrêter, c’est pour cela que je suis sortie et que je vous appelle.
Recevoir cette somme de mal-être, de douleurs accumulées.
– Je comprends que cela a été très difficile pour vous.
Lui faire raconter dans le détail les événements, c’est une façon de l’aider à se délester un peu de ce mauvais vécu.
– Avez-vous reparlé avec une sage-femme de la maternité de votre accouchement et de ce qui s’est passé ?
– Oui, elle m’a dit qu’il valait toujours mieux un accouchement par voie basse. Moi je n’en sais rien, je ne peux pas revivre ça.
Je pense que si j’allais consulter le dossier, je découvrirais très vraisemblablement un déroulement très proche de la normale. Cet exemple montre une fois de plus, pour nous professionnels, le décalage qui peut exister entre la description clinique et médicale d’un accouchement et le vécu d’une femme pour ce même accouchement.
Quand je travaillais en maternité j’ai été très régulièrement frappée par ce décalage. Combien de fois des femmes décrivaient un accouchement long et difficile, alors que le dossier médical révélait un accouchement normal et une durée de travail tout à fait acceptable selon les critères médicaux ? Et, inversement parfois, quand je demandais à une maman comment s’était passé son accouchement, car j’avais lu dans son dossier des épisodes critiques, elle me disait : « Tout s’est bien passé, je garde un bon souvenir ! »
Le vécu d’une femme est indiscutable : elle seule sait ce qu’elle a traversé et l’énergie que cela lui a demandé. Quelques explications supplémentaires en cours de travail auraient peut- être allégé son ressenti. Peut-être… Lui expliquer que la voie basse est toujours préférable à une césarienne est tout à fait compréhensible de la part de la sage-femme. Mais malgré tout, c’est la mère et elle seule qui sent ce qui, au bout du compte, est préférable pour elle…
Pour éviter qu’un mauvais vécu ne se transforme en un traumatisme, il est d’abord nécessaire de recevoir la parole telle qu’elle est livrée, sans jugement. Lui permettre d’en parler, encore et encore. Parfois reprendre le dossier avec une sage-femme de la maternité pour l’éclairer et la rassurer. Certaines femmes pensent avoir frôlé la mort alors que la lecture du dossier est tout à fait rassurante… Le mal-être est tel que parfois, les peurs vécues sont abordées du bout des lèvres. Et nous savons combien le traumatisme de l’accouchement peut influer sur les premiers liens d’une mère avec son bébé, sur la relation ...