IV
Réformer les ordonnances Debré
et les 3 secteurs du soin
(IV)
Refondre l’organisation des soins de ville
La médecine en France s’est structurée à partir des ordonnances de 1958 autour de l’hôpital, permettant à la France de développer une médecine de haut niveau. Formation initiale et continue, fléchage des fonds, organisation administrative, culture dominante, etc. Bref, l’hospitalo-centrisme marque encore notre système de santé.
Ce contexte a favorisé le développement de spécialités, voire d’hyperspécialités. La spécialité médecine générale est une création récente dans les textes (dont la création d’un diplôme d’études spécialisées en 2004). Cette reconnaissance tardive de la spécialité médicale dédiée aux soins primaires ambulatoires illustre le retard français dans le virage ambulatoire induit par la triple transition démographique, épidémiologique et technologique.
Hospitalo-centrisme du système et manque de reconnaissance (y compris financière) ont plongé la profession dans une crise profonde. Moins de 10 % des jeunes médecins s’installent à la sortie de la faculté, alors que 45 % des médecins généralistes installés ont plus de 55 ans.
Si la couverture médicale du territoire reste correcte en France, aujourd’hui, nul ne peut nier qu’elle se dégrade d’année en année. Alors qu’en 2007, 600 000 personnes habitaient dans un désert médical, elles sont dix fois plus, soit près de 6 millions en 2015. Les populations vivant en milieu rural souffrent particulièrement de la pénurie, mais le caractère isolé du territoire n’est pas la seule explication. Ainsi, un Francilien sur dix vit dans un désert médical. Le pire est à venir puisque la moyenne d’âge des médecins dans les zones sous-dotées (dites désertiques) est de 55 ans contre 52 ans en moyenne, avec des départs en retraite massifs à court terme.
Ces dernières années, la dégradation de l’accès à ce premier recours, qui est le corollaire de la crise de l’exercice libéral, est probablement multifactorielle (évolution sociologique des soignants, faible valeur des actes, conditions de travail peu attractives, manque de moyens technologiques des cabinets, etc.).
Les travaux de l’Institut Santé mettent en exergue les points suivants :
-la dégradation de la fonction soins en ambulatoire ;
-la faible valorisation des actes médicaux et chirurgicaux par l’assurance maladie qui génère des problèmes de reconnaissance professionnelle, de pertinence des soins et de financement de ces actes (point traité dans la partie financement) ;
-la faible structuration des autres fonctions enseignement et recherche nuit à l’attractivité des carrières en ambulatoire ;
-l’abandon de fait de la permanence des soins et de la gestion des urgences non vitales en ambulatoire met la pression sur l’hôpital, bloque le virage ambulatoire des moyens humains et financiers et nourrit la crise de l’exercice libéral ;
-une pression croissante des agences régionales de santé, qui agissent de façon trop bureaucratique et éloignée des préoccupations et des réalités du terrain.
Cette révolution des soins primaires, indispensable pour acter le virage ambulatoire, annoncée à chaque loi depuis 20 ans sans être effective, nécessite de :
·refondre une gouvernance territoriale pilotée par les professionnels de santé ;
·concevoir un environnement professionnel et une qualité de prise en charge de haut niveau ;
·donner accès dans des conditions aussi valorisantes qu’à l’hôpital à des fonctions d’enseignement et de recherche.
I.
Pour une gouvernance territoriale
des soins primaires
Définition du territoire
Pour réfléchir à la restructuration du premier recours, nous devons réfléchir à la gouvernance locale qui pilotera cette offre.
L’échelle régionale actuelle est trop grande pour envisager un pilotage opérationnel des soins primaires à cette échelle. Il faut piloter à un échelon local, celui du territoire. Ce dernier doit représenter une entité connue des acteurs (dans laquelle ils se reconnaissent), de taille suffisante pour mener des actions efficaces mais pas excessives, pour éviter des structures trop lourdes.
Les bassins de vie (BV) : selon l’INSEE, la France comptait, en 2012, 1 666 bassins de vie dont 1 644 en métropole et 22 en DOM. Le bassin de vie constitue le plus petit territoire dans lequel les habitants ont accès aux équipements et services les plus courants.
Dans un système de santé qui fait de la liberté de choix de son professionnel de santé un point cardinal, l’unité géographique territoriale doit proposer un nombre suffisant de structures de premiers recours pour permettre l’exercice de cette liberté. Cette taille critique du territoire est également importante pour éviter une gouvernance technocratique autoritaire qui remplace l’incitation par la coercition vis-à-vis des acteurs du terrain.
La gouvernance territoriale (GT) pourrait être à l’échelle de 1 à 4 BV, selon la densité démographique du territoire, ce qui conduirait à environ 550 structures de GT, couvrant en moyenne 120 000 habitants. Une gouvernance territoriale dans un territoire très rural pourra compter jusqu’à 4 bassins de vie pour couvrir 120 000 habitants, alors qu’en milieu urbain, un seul BV peut le permettre. Une GT pourrait être à cheval sur deux départements. La GT devra être revue tous les 5 ans pour s’adapter à l’évolution de la démographie.
Exemple du département de la Haute-Garonne.
Application de cette proposition sur le département de Haute-Garonne (31) :
https://france.comersis.com/carte-bassins-de-vie.php?dpt=31
29 bassins de vie, soit 9 GT en HG. 1318 000 habitants soit 146 000 habitants par territoire.
La H.-G. a une densité de population parmi les plus élevées en France avec une hausse de la population de 1,3 % par an (+18 000).
Remarque : En prenant la densité médicale moyenne de médecins généralistes en France (1,5 pour 1 000 habitants) et la part de médecins libéraux (60 %), on arrive à une densité de 0,90 MG libéraux pour 1 000 habitants. En moyenne, une GT aurait 108 MG libéraux (retenons le chiffre de 100).
Une certaine souplesse dans la définition du territoire (nombre de BV) sera nécessaire pour certains territoires spécifiques (ruralité profonde, montagne, grandes métropoles). L’indicateur local de l’accessibilité potentielle localisée (APL) sera utilisé pour affiner la définition du territoire, de façon à prendre en compte l’offre et la demande de soins.
De plus, cette gouvernance territoriale ne doit pas se prévoir uniquement en fonction du nombre d’habitants, mais aussi en fonction des besoins de la population. Les critères démographiques doivent être corrigés en fonction des besoins sanitaires de la population.
Cette définition du territoire sera aussi appliquée aux autres professions médicales et paramédicales. Dès 2008, les infirmiers libéraux ont inscrit dans leur convention un dispositif de régulation démographique sur la base d’un zonage calé sur les bassins de vie INSEE. Les négociations conventionnelles en cours visent à actualiser ce dispositif en utilisant comme modalité de calcul de zonage l’APL.
Composition de la gouvernance territoriale (GT)
La gouvernance territoriale comprendra un bureau composé de représentants des professionnels de santé, des usagers et des institutions impliquées dans l’activité de soins, d’enseignement et de recherche.
Ainsi, trois collèges seraient constitués :
-un Collège de représentants des professionnels de santé : des professionnels de santé locaux élus dans les Unions régionales de professionnels de santé (URPS), dont au moins la moitié de professionnels du premier recours, siégeront au bureau de cette gouvernance territoriale. Composé de personnes engagées et aguerries aux arcanes administratifs, ce pool de professionnels apportera sa connaissance du système ;
-un collège de professionnels non-inscrits dans des structures syndicales : face aux enjeux très locaux de la GT, une place sera faite à des professionnels de santé locaux, dont au moins la moitié de professionnels du premier recours, non engagés dans des instances régionales ou nationales, mais qui souhaitent s’impliquer dans la gestion de l’offre de soins locale. Ils pourront provenir d’associations médical...