L'épreuve de l'autre
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L'épreuve de l'autre

Collaborations, cohabitations et disputes interprofessionnelles en éducation

  1. 212 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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L'épreuve de l'autre

Collaborations, cohabitations et disputes interprofessionnelles en éducation

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À propos de ce livre

Le processus en cours de diversification des métiers éducatifs soulève une question: ne comporte-t-il pas un risque d'éclatement et de cloisonnement de l'activité éducative?? Cette crainte liée à l'accroissement de la division du travail, déjà formulée par des pères fondateurs de la sociologie comme Auguste Comte ou Émile Durkheim, est à l'origine, surtout depuis les années1980, de politiques éducatives encourageant les «?partenariats?» entre les professions éducatives.

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Informations

Éditeur
Academia
Année
2020
ISBN
9782806123466

Troisième partie


La fabrique du consensus

Les faux semblants de l’eau qui dort.
Les programmes de réussite éducative :
des dispositifs pacifiés ?

par STANISLAS MOREL
Les problèmes socio-éducatifs sont des arènes où cohabitent de nombreux groupes professionnels. Sans être nécessairement confrontés directement les uns aux autres, ces groupes (ou segments de groupes) professionnels ont souvent des interprétations différentes et concurrentes des difficultés rencontrées par les populations cibles (les enfants et leurs familles) ainsi que des solutions à mettre en œuvre pour les aider. À titre d’exemple, les « problèmes » posés par les déviances comportementales d’un enfant ou d’un adolescent sont régulièrement pris en charge par des enseignants, des enseignants spécialisés, des professionnels de la « vie scolaire » (conseillers principaux d’éducation, chefs d’établissement ou directeurs d’école), des psychologues, des psychanalystes, des médecins, des travailleurs sociaux, voire des policiers et des juges (Mauger 2009). Tous ces groupes professionnels ne proposent pas seulement des « remédiations » différentes, ils s’opposent aussi fréquemment sur les causes du « problème », quand ils ne se reprochent pas mutuellement, en face à face ou par médias interposés, d’être à son origine (Morel 2010). Ainsi les travailleurs sociaux ou les « psys » tendent à percevoir l’école comme une institution normative peu attentive aux singularités des enfants, tandis que les enseignants assimilent le travail social tantôt comme un « sale boulot », tantôt comme une activité ludique peu en prise avec l’activité sérieuse que constituent les apprentissages scolaires (on comprend dès lors les très fortes tensions apparues lors de la récente réforme des « rythmes scolaires » visant à articuler le scolaire et le périscolaire) ; de même, comme on a pu l’observer lors de la controverse autour du dépistage précoce du « trouble des conduites » et de la constitution du collectif « Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans », les « psys » d’orientation psychanalytique et leurs collègues acquis au cognitivisme ou au comportementalisme s’accusent mutuellement de mal interpréter l’échec scolaire et de proposer des traitements inefficaces (Morel 2014). Dans ces deux exemples, de véritables conflits de normes opposent les groupes professionnels : les dispositions scolaires des enseignants s’opposent à l’humeur anti-institutionnelle des travailleurs sociaux (Muel-Dreyfus 1980), l’accent mis sur l’irréductibilité du sujet par les psychologues d’orientation psychanalytique contraste avec l’approche organiciste ou le « behaviorisme » de leurs collègues cognitivistes / comportementalistes.
La tension entre les acteurs impliqués dans le traitement de l’enfance « à problèmes » pouvait, à première vue, laisser augurer de relations difficiles dans un contexte de multiplication des dispositifs « partenariaux » (Barrère 2013), dont l’objectif est, en mettant en œuvre une « logique de projet » (Boltanski & Chiapello 1999), de lutter contre l’éclatement tubulaire de l’action publique en incitant très fortement aux échanges entre les différents professionnels œuvrant dans un même domaine (Damon 2002). Ces dispositifs procèdent de l’avènement d’une « doxa partenariale », véritable « référentiel » (Muller 2000) des politiques éducatives. Celle-ci a été promue par les cadres qui dans les collectivités territoriales, les administrations déconcentrées ou des institutions comme la CAF sont chargés d’organiser les « partenariats » et pour qui l’activité de coordination constitue une véritable « raison d’être » (Pesle 2016). Cette doxa a aussi été diffusée par les adeptes des nouvelles formes de gouvernance (réformateurs de l’État et de l’action publique, personnel administratif), par des partisans de l’Éducation populaire de longue date hostiles à la main mise de l’École sur les questions éducatives et, enfin, par toute une série d’entrepreneurs de démocratie locale (exerçant dans le monde associatif, salariés des collectivités territoriales ou des administrations déconcentrées) qui soulignent l’absence de consultation des acteurs de terrain (professionnels ou profanes) dans la prise de décision politique et cherchent à réintroduire localement des formes de dialogue entre les « partenaires » d’un territoire. Les dispositifs issus de cette « doxa partenariale » ont eu en effet pour conséquence d’institutionnaliser, dans le cadre de réunions, les interactions en face à face entre différentes catégories de professionnels perçus comme pouvant exercer leur travail avec une autonomie qui leur permettait auparavant de ne se rencontrer que rarement, voire de s’ignorer.
C’est avec le projet d’étudier l’expression des concurrences entre groupes ou segments de groupes professionnels exerçant au sein de l’écologie (Abbott 1988) de l’enfance « à problèmes » que nous avons, en 2016, entrepris une enquête sur deux programmes de réussite éducative (PRE), dispositifs de la Politique de la ville assez caractéristiques de cet esprit « partenarial » (Donzelot & Estebe 1994), qui visent à construire une réponse pluridisciplinaire et concertée à des « situations » individuelles problématiques d’enfants et d’adolescents (Goirand 2012 ; Leproux 2017 ; Pesle 2016). À cette fin, nous avons observé pendant plus de six mois la principale instance où se rencontrent les différents « partenaires » participant à ce dispositif, à savoir les « équipes pluridisciplinaires de soutien » (EPS) dans le cadre desquelles plusieurs professionnels examinent successivement des situations individuelles, en essayant de « croiser leurs regards » afin de proposer des réponses d’autant plus adaptées qu’elles sont le fruit d’une réflexion collective.
Or, c’est avec surprise que nous avons constaté que notre hypothèse de départ (celle d’une probable conflictualité ouverte résultant de la confrontation forcée de groupes professionnels concurrents cherchant habituellement à s’éviter) ne se vérifiait pas. L’observation a mis a contrario en évidence des espaces de discussion relativement pacifiés où les tensions et a fortiori les conflits ouverts sont très rares. L’enjeu a dès lors été de prendre cette pacification des relations entre groupes professionnels concurrents dans les dispositifs partenariaux comme objet d’enquête sociologique. Est-elle, comme cela est parfois avancé par les promoteurs du dispositif, le résultat d’un travail, réalisé avant tout par les coordinateurs, d’euphémisation des différences et de dépassement des concurrences professionnelles au profit de tentatives « innovantes » de collaboration pour le « bien de l’enfant » ? Ou est-elle à l’inverse le produit des stratégies de participants qui se refusent à jouer le jeu partenarial et que leurs intérêts particuliers conduisent à des postures de retrait qu’ils jugent plus rentables que l’expression de désaccords pourtant réels ? Notre enquête montre que ces deux logiques coexistent et contribuent à désactiver les conflits, faisant des espaces « partenariaux » des « lieux neutres » (Bourdieu & Boltanski 1976) où, sous couvert de pluralisme, se construit une réponse dépolitisée à la question de l’enfance « à problèmes ».

Présentation de l’enquête

L’enquête ethnographique a porté sur deux programmes de réussite éducative : celui de la ville de Paris et celui d’une banlieue populaire parisienne, que l’on nommera Nitry. Les programmes de réussite éducative, créés en 2005, constituent le principal volet de la politique de la ville. Impulsés et, en grande partie, financés par l’État, mais mis en œuvre par les communes, ils visent à créer dans les quartiers de la politique de la ville (QPV) un dispositif où des professionnels issus d’horizons différents se réunissent une à deux fois par mois pour examiner, dans le cadre d’EPS, des situations individuelles « problématiques » d’enfants de deux à seize ans. Le croisement des regards et le meilleur partage de l’information sont censés contribuer à une meilleure compréhension des difficultés spécifiques de l’enfant et, partant, à l’élaboration de solutions ajustées. Un enfant qui « entre » dans le programme bénéficie d’un « suivi » pendant au maximum deux ans : sa « situation » est donc régulièrement discutée dans les EPS (entrée, bilans intermédiaires, sortie du dispositif). Le dispositif est animé par des « coordinateurs », salariés du PRE, qui se chargent de son animation et par des « référents de parcours » (souvent des travailleurs sociaux eux aussi salariés du PRE, mais pouvant être, à Paris, des professionnels qui effectuent bénévolement cette tâche) dont la mission est d’assurer le suivi des situations et de les présenter dans les EPS. Afin de proposer des aides aux enfants en difficulté, les PRE peuvent s’appuyer sur les dispositifs de « droit commun » (par exemple les ressources éducatives de la commune qui pilote le PRE), mais ils disposent aussi de crédits propres qu’ils utilisent pour financer leurs propres actions (un dispositif « innovant » pour les collégiens décrocheurs par exemple) ou pour subventionner certains projets associatifs qui permettent de répondre aux besoins spécifiques du territoire.

Un dispositif à géométrie variable

Bien que régis par un même cadrage national, les PRE prennent des formes très différentes d’un endroit à l’autre. La composition des EPS varie sensiblement. À Paris, les EPS (il y en a une, voire plusieurs pour chaque QPV) sont ouvertes à l’ensemble des « partenaires » éducatifs : directeurs d’école, chefs d’établissement, coordinateurs de Réseau d’éducation prioritaire, assistantes sociales (scolaires ou de secteur), professionnels du soin, travailleurs sociaux ou autres professionnels travaillant dans les institutions publiques ou semi-publiques des secteurs social, médico-social et sanitaire, responsables ou coordinateurs d’association œuvrant dans des domaines très variés (sport, animation, socioculturel, artistique, etc.). Plus de soixante personnes sont, au moins sur le papier, invitées à chacune des EPS parisiennes. Dans les faits, ces réunions regroupent la plupart du temps entre 10 et 30 personnes. À l’inverse, pour le PRE de Nitry, les EPS (une pour les enfants d’âge primaire, une pour les enfants d’âge secondaire) ne rassemblent que quelques professionnels (entre 5 et 10) pour la plupart choisis pour leur « proximité » et leurs affinités avec les salariés du PRE et leur compatibilité avec l’esprit du dispositif. L’EPS pour les enfants d’âge primaire regroupe ainsi, outre les salariés du PRE : la responsable des assistantes sociales scolaires, une assistante sociale et une enseignante exerçant toutes deux dans un centre médicopsychologique pour adolescent, la responsable du Centre d’information et d’orientation, deux professeurs des écoles médiateurs « prévention violence » exerçant sous la tutelle de l’inspecteur de l’Éducation nationale de la circonscription. L’enjeu institutionnel est de créer un cercle restreint de personnes qui s’apprécient et que les organisateurs du dispos...

Table des matières

  1. Couverture
  2. 4e de couverture
  3. Collection
  4. Titre
  5. Copyright
  6. Les auteurs
  7. Introduction
  8. Première partie : Construction historique et actualisation des relations interprofessionnelles
  9. Deuxième partie : L’issue incertaine de l’épreuve
  10. Troisième partie : La fabrique du consensus