Populisme et polarisations
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Populisme et polarisations

Notes théoriques sur le folklore dans les institutions politiques

  1. 96 pages
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Populisme et polarisations

Notes théoriques sur le folklore dans les institutions politiques

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Le folklore reste un concept opératoire pour comprendre les cultures populaires et le populisme aujourd'hui. En retraçant l'histoire de la démo-ethno-anthropologie en Italie, cet ouvrage explique que "nous faisons tous partie du peuple" et encourage les ethnologues à ne pas se couper de la société qu'ils étudient.

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Informations

Année
2020
ISBN
9782336904184

1. Quel est le meilleur outil d’enquĂȘte
pour explorer les polarisations culturelles ?

En amont de cet ouvrage, au-delĂ  de la recherche thĂ©orique, il y a trente ans de travaux d’ethnographie politique que j’ai orientĂ©s, d’une part, sur les rapports existant entre les spĂ©cialistes du folklore et de la « dĂ©mologie » (Ă©tudes sur la notion de peuple), les ethnologues, les anthropologues culturels et, voire, les romanciers ; de l’autre, sur les rapports existant entre les « dĂ©mologues » (anthropologues qui travaillent sur la notion de peuple) et les groupes (communautĂ©s) qu’ils ont observĂ©s.
Les remarques les plus actuelles Ă  ce sujet me sont offertes par les consĂ©quences de la pandĂ©mie COVID-19 qui fait ravage au moment oĂč j’écris (avril 2020). Alors que les seules places dĂ©sormais frĂ©quentables sont celles virtuelles des rĂ©seaux sociaux, les expressions de haine, les menaces et les formes mĂ©diatiques d’intimidation alternent avec les expressions liĂ©es au sentiment d’appartenance Ă  une commune et fragile humanitĂ©, soumise Ă  l’agression bouleversante d’un ennemi invisible. Sur ces places virtuelles rĂ©sonnent – Ă  travers des textes au langage argotique, des vidĂ©os autoproduites, des imitations et des mĂšmes viraux – nombre de rĂ©cits populaires (parfois dĂ©jĂ  vus et connus), des lĂ©gendes et des polarisations qui mĂ©ritent une lecture et une interprĂ©tation anthropologiques. Une vidĂ©o ou un mĂšme peuvent collecter des millions de visualisations en quelques heures et ils revĂȘtent ainsi une signification politique (Ă  noter ici que mĂȘme le fait de dĂ©clencher le rire implique une dimension politique, selon le rĂ©cit proposĂ©). Ces messages se propagent par imitation et s’adressent Ă  une stratification culturelle donnĂ©e. Mais ce genre de produit – qui devient rapidement viral – peut tomber, Ă  une vitesse identique, dans l’oubli total. L’internet avance de maniĂšre pressĂ©e et la quantitĂ© de contenus que chaque individu contemple quotidiennement est de plus en plus Ă©levĂ©e. Cela vaut aussi pour les mĂšmes, en particulier dans ce temps de pandĂ©mie et de rĂ©duction du vis-Ă -vis social, puisque les relations entre les gens confinĂ©s sont maintenues grĂące au partage des mĂšmes et d’autres objets virtuels.
Je m’occupe de culture folklorique ou populaire. Certes, il s’agit d’une catĂ©gorie politique Ă  la dĂ©finition assez prĂ©caire mais je ne dispose pas d’autres termes pour circonscrire mon Ă©tude, qui s’insĂšre dans la tradition disciplinaire des « recherches folkloriques ». Face Ă  mes collĂšgues, j’ai souvent du mal Ă  faire passer comme lĂ©gitime la catĂ©gorie des Ă©tudes folkloriques, surtout lorsque j’approche des savants de haut niveau, censĂ©s juger les autres anthropologues culturels. Parfois, sans prendre vraiment la peine de lire mes ethnographies, quelques chercheurs les qualifient de gĂȘnantes, Ă  partir du fait que je prĂ©tends explorer le « folklore contemporain ». Cet embarras est digne lui-mĂȘme d’approfondissement, car il constitue l’incarnation d’une sorte de forme « folklorique », d’un conformisme, d’une vision stĂ©rĂ©otypĂ©e, d’une polarisation culturelle.
De mes ethnographies, je dĂ©duis que la tradition folklorique incorpore, rĂ©invente et se pose au-delĂ  du message intellectuel, en donnant ainsi d’importantes informations sur les dynamiques culturelles des anthropologues en personne. Un chercheur polarisĂ© et retranchĂ© sur ses certitudes produit un non-savant tout aussi polarisĂ© et retranchĂ©, pire, mĂ©prisant. Pourtant, il y a dix ans, un tournant dans mes perspectives d’étude a eu lieu : une partie consistante de mes informateurs m’a dĂ©clarĂ© qu’elle n’avait plus besoin d’anthropologues puisque le peuple est en mesure, de façon autonome, de s’analyser tout seul, ainsi que de sauvegarder et de protĂ©ger, comme dans un musĂ©e, ses propres coutumes. Ces informateurs ont fortement critiquĂ© le travail des anthropologues en le ressentant comme incomprĂ©hensible, improductif, fermĂ© sur lui-mĂȘme et susceptible d’exploiter les communautĂ©s objet d’observation. En somme, de nos jours, une majoritĂ© ne reconnaĂźt aucune utilitĂ© Ă  cette discipline (Giancristofaro 2010 ; 2017).
Par contre, en parcourant l’histoire des Ă©tudes sur le folklore, on rĂ©alise que, pendant plus d’un siĂšcle, il y a eu une sorte d’alliance politique entre les intellectuels et le peuple, alors que les deux se concevaient comme appartenant Ă  des niveaux sĂ©parĂ©s et distincts. La tradition des Ă©tudes sur le folklore se fondait Ă  l’époque sur une relation dialogique et d’opposition entre les intellectuels et le peuple. Aujourd’hui, une telle relation s’estompe, tandis que l’image de l’intellectuel apparaĂźt dĂ©pourvue d’autoritĂ© et presque inutile. Que l’on pense Ă  ceux qui, sur les places publiques – rĂ©elles ou virtuelles – se qualifient ouvertement comme des « diplĂŽmĂ©s de l’universitĂ© de la vie » ou comme des libres « philosophes » et « anthropologues », en mesure de dĂ©battre, au-delĂ  de compĂ©tences vĂ©rifiables et parfois de maniĂšre agressive, autour de questions complexes, allant du concept de race aux pactes internationaux sur le droit d’asile.
De leur cĂŽtĂ©, les intellectuels semblent ne pas reconnaĂźtre la partie adverse, qu’ils apostrophent de maniĂšre mĂ©prisante. Et c’est souvent sur la base d’un jugement nĂ©gatif de matrice Ă©litiste qu’ils dĂ©crivent les goĂ»ts d’un peuple imaginaire, Ă  la volubilitĂ© politique incarnĂ©e par le populisme. Prendre une position aussi rigide et polarisĂ©e ne correspond cependant pas au rĂŽle progressiste des intellectuels et il Ă©merge ici un premier questionnement : quelles sont les dynamiques culturelles en acte dans la sociĂ©tĂ©, dans les groupes et parmi les anthropologues mĂȘmes ? Est-ce que l’étude folklorique nous aide Ă  saisir la nature narrative de ces durcissements culturels ?
En explorant le contexte ethnographique de la rĂ©gion des Abruzzes en Italie, j’ai observĂ© des groupes et des stratifications pendant un laps de temps allant de 1980 Ă  2020. Je suis moi-mĂȘme originaire de cette rĂ©gion et j’ai entrepris mes analyses folkloriques trĂšs jeune, en ma qualitĂ© de membre d’une Ă©quipe sur le terrain qui s’intĂ©ressait aux formes religieuses populaires et aux fĂȘtes patronales. J’ai Ă©coutĂ© les discours d’anthropologues et de spĂ©cialistes du folklore autour de sujets thĂ©oriques et politiques ardus, en apprenant par Ă©mulation comment on dialogue avec la diversitĂ© culturelle (diversitĂ© qui, selon les savants des derniĂšres dĂ©cennies du XXe siĂšcle, Ă©tait en Italie l’expression des diffĂ©rences de classes). À l’époque, on assistait Ă  une sorte de miracle : grĂące Ă  la force Ă©pistĂ©mologique d’Antonio Gramsci et d’Ernesto De Martino, les spĂ©cialistes du folklore Ă©taient enfin acceptĂ©s par les ethnologues et les anthropologues culturels en tant qu’affiliĂ©s de leur famille scientifique ; tous travaillaient donc ensemble pour le progrĂšs social et pour la libĂ©ration des classes opprimĂ©es. Par ailleurs, en raison de ses collusions avec le fascisme, la « science folklorique » trempait encore dans une nĂ©gativitĂ© Ă©pistĂ©mologique ; pour cela, afin de la rendre acceptable, on avait transformĂ© sa dĂ©nomination en « dĂ©mologie ». Cela ne changeait rien Ă  la substance, du moment oĂč les folkloristes comme les dĂ©mologues se penchaient sur la rĂ©alitĂ© des paysans pauvres des aires rurales, avec une attention particuliĂšre pour les expressions magico-religieuses et pour les visions du monde Ă©laborĂ©es localement. La nouvelle Ă©tiquette permettait surtout de souligner que la recherche scientifique sur les classes sociales subalternes Ă©tait menĂ©e Ă  partir d’une perspective marxiste et Ă©mancipatrice.
C’est de cette alliance entre anthropologues, ethnologues et dĂ©mologues partageant une mĂȘme mĂ©thode, qu’est nĂ©e la dĂ©mo-ethno-anthropologie, soit un sigle tripartite permettant de dĂ©signer, du moins en Italie, le domaine d’études de l’anthropologie culturelle. Au niveau universitaire, le secteur scientifique des matiĂšres dĂ©mo-ethno-anthropologiques est encore actif de nos jours, bien qu’en crise, comme l’atteste la diminution vertigineuse du nombre d’enseignants (descendus Ă  138), face Ă  des sciences proches comme la sociologie ou l’histoire, qui comptent – pour leur part – des milliers de chercheurs (Palumbo 2018).
Pour moi, il a Ă©tĂ© trĂšs formateur de participer Ă  des enquĂȘtes de terrain dans les Abruzzes. Les dĂ©mologues que j’ai suivis vivaient dans les citĂ©s universitaires et se rendaient dans les pĂ©riphĂ©ries pour y observer ce qu’ils dĂ©nommaient les « diffĂ©rences ou dĂ©nivellations culturelles », toutes en phase de dĂ©passement ou de changement. Il s’agissait de difformitĂ©s par rapport Ă  la culture de masse, de persistances de cultures locales, de formes de magisme produites par la souffrance et par l’adaptation de classe. Ce type de recherche dĂ©mologique Ă©tait conduit par des marxistes et moi aussi, comme eux, je croyais que, non seulement, la classe sociale Ă©tait le seul facteur du positionnement culturel des individus dans l’histoire, mais aussi qu’il Ă©tait possible de rĂ©aliser des formes d’égalitarisme Ă©conomique ainsi que des formes d’émancipation collective.

2. Le défaut congénital de la démologie :
une expérience précieuse

Mon attention prĂ©coce pour le domaine de la dĂ©mologie est Ă  attribuer au fait que mon pĂšre est un dĂ©mologue non acadĂ©mique qui a cultivĂ© la recherche sur le terrain comme une passion morale. Il s’appelle Emiliano Giancristofaro (nĂ© Ă  Lanciano en 1938) et son travail s’est dĂ©veloppĂ© en syntonie avec l’émergence d’un intĂ©rĂȘt plus global envers les formes expressives du « monde subalterne », comme on disait autrefois. DĂ©biteur d’Ernesto De Martino et d’Alfonso M. Di Nola en ce qui concerne la posture, ainsi que d’Alberto M. Cirese pour ce qui touche Ă  la technique de documentation (le magnĂ©tophone), mon pĂšre a incarnĂ©, dans son milieu, la figure de l’intellectuel Ă  contresens, par sa façon de se dĂ©finir « ouvrier » d’une recherche folklorique qui se plaçait « au service de la production d’une thĂ©orie anthropologique » (Giancristofaro 2018 : 59-60).
L’aspect intergĂ©nĂ©rationnel entre mon pĂšre et moi ne se traduit guĂšre avec une forme de continuitĂ©, mais au contraire par une discontinuitĂ© disciplinaire, voire une fracture, autant sur le terrain que sur le plan thĂ©orique. Dans les provinces frĂ©quentĂ©es auparavant « par » mon pĂšre et puis par moi « avec » mon pĂšre, je me consacre Ă  une ethnographie qui me situe dans une perspective autre par rapport Ă  celle de sa gĂ©nĂ©ration ; celle-ci s’efforçait en effet d’identifier le « degrĂ© zĂ©ro de l’écriture » (Barthes 1953), en rencontrant les paysans analphabĂštes ou semi-illettrĂ©s des villages de l’Apennin central. Sur le terrain d’une fĂȘte patronale, entre les citoyens Ă©duquĂ©s habillĂ©s Ă  la mode et les vieux pĂšlerins portant le deuil qui baisaient le parterre d’un sanctuaire, il Ă©tait facile d’apercevoir le « thĂšme folklorique », ainsi que le fil rouge de leurs histoires orales de dĂ©sespoir et de rĂ©confort collectif. Il Ă©tait plus compliquĂ© en revanche de tirer une thĂ©orie anthropologique d’un tel matĂ©riel ; nĂ©anmoins, on disposait d’un guide, grĂące aux brillantes intuitions d’Ernesto De Martino sur la magie et sur le rituel comme solutions collectives de support Ă  la crise de la prĂ©sence. Les rĂ©flexions de cet Ă©minent ethnologue enrichissaient d’interprĂ©tations inĂ©dites la littĂ©rature historico-sociologique relative Ă  la « question mĂ©ridionale ».
Certes, depuis longtemps on ne rencontre plus ce genre de sujet folklorique qui semblait distinguer « la plupart de la population Italienne » il y a 50 ou 100 ans. Dans les faits, il ne s’agissait pas vraiment d’une « majoritĂ© », mais plutĂŽt d’une stratification qui ne rĂ©unissait qu’un certain nombre de personnes et non le peuple en gĂ©nĂ©ral. De nos jours, face Ă  une « modernitĂ© en miettes », les gens Ă©duquĂ©s et les semi-illettrĂ©s habitent non seulement les pĂ©riphĂ©ries rurales, mais aussi les villes et les divers contextes socioculturels (Appadurai 1996). L’appartenance de classe ne dĂ©note plus la culture individuelle ou collective : il y a des riches entrepreneurs sans diplĂŽmes et des diplĂŽmĂ©s qui peinent Ă  survivre. À chaque niveau d’alphabĂ©tisation, les sujets observĂ©s par les anthropologues revendiquent des droits et des dispositifs de privacy. La figure de l’intellectuel est en crise, ainsi que celle de l’anthropologue. La communication interpersonnelle ne se rĂ©alise plus exclusivement Ă  travers le contact direct ou les mass medias, mais aussi Ă  travers les social networks, donc par l’intermĂ©diaire des nouvelles technologies interactives, qui sont Ă  la fois individuelles et collectives et qui consentent l’autoproduction puis la diffusion d’audio-vidĂ©os vĂ©hiculant le degrĂ© zĂ©ro de l’écriture, soit des opinions, des prises de position socioculturelles, des croyances et des idĂ©ologies. Bref, la mission scientifique du dĂ©mologue – cherchant le folklore dans une classe sociale prĂ©cise – s’est Ă©puisĂ©e, le rĂŽle social du savant a perdu en crĂ©dibilitĂ©, les conditions sur le terrain ont changĂ© de façon radicale et l’obtention d’une thĂ©orie anthropologique Ă  partir d’un matĂ©riau folklorique vaste et fragmentĂ© s’avĂšre bien plus compliquĂ© qu’auparavant.
Autour de l’incertain destin de la dĂ©mologie, soit de la premiĂšre expression dĂ©signant, par une formule insolite, l’anthropologie culturelle en Italie (dĂ©mo-ethno-anthropologie), un dĂ©bat crucial est en cours (Clemente, Mugnaini 2001 ; Dei 2015 ; 2018 ; Palumbo 2018). Pour ma part, j’ai choisi de rester proche du terrain et d’emprunter un chemin pragmatique fondĂ© sur l’ethnographie. J’ai voulu ainsi mesurer la validitĂ© de l’outil hermĂ©neutique du folklore Ă  l’époque contemporaine. J’ai recensĂ© et interprĂ©tĂ© la circulation des proverbes traditionnels sur les social networks (Giancristofaro 2009, 2012) ; certaines ritualitĂ©s actuelles marquĂ©es par la laĂŻcitĂ©, comme la prĂ©paration collective de la sauce tomate et les reconstitutions historiques (Giancristofaro 2013 ; 2017) ; certains phĂ©nomĂšnes linguistiques et expressifs spĂ©cifiques du « monde traditionnel », de l’intimitĂ© culturelle et des « politiques du nous » (Giancristofaro 2017). De cette maniĂšre, en exerçant une ethnographie de la proximitĂ© culturelle, j’ai pratiquĂ© une modalitĂ© de recherche folklorique distincte de la recherche anthropologique. J’ai en fait centrĂ© mon attention sur le langage et sur les reprĂ©sentations dans la proximitĂ© culturelle, tout en partageant avec l’anthropologie la pratique du terrain et le projet d’étudier, Ă  la fois, l’unitĂ© de l’homme et la diversitĂ© des cultures.
Mon expĂ©rience sur le terrain m’a convaincue de l’importance de rĂ©cupĂ©rer la notion de folklore et de la retourner contre ses propres prĂ©jugĂ©s, Ă  partir d’une perspective d’enquĂȘte inscrite dans la proximitĂ© culturelle. Proverbes en dialecte et rites propitiatoires se reproduisent partout, dans les stratifications qui caractĂ©risent les actes magico-religieux comme dans les fĂȘtes patronales ou les pĂšlerinages. Une telle observation est Ă  Ă©tendre aux pratiques quotidiennes de travail et aux comportements Ă©conomiques. Il devient ainsi possible de suivre le fil rouge du folklore dans une multiplicitĂ© de contextes locaux Ă  travers les dĂ©marches bureaucratiques, l’attitude des fonctionnaires, les Ă©vĂšnements culturels, les confĂ©rences ou les inaugurations des musĂ©es (Giancristofaro 2017). Mais j’ai aussi explorĂ© les campagnes Ă©lectorales nationales et administratives et les mĂšmes politiques associĂ©s qui circulaient sur les rĂ©seaux, dans une complexe ethnographie encore en cours d’élaboration. Deux autres domaines folkloriques intĂ©ressants ont Ă©tĂ© l’élection du doyen de mon universitĂ© (Chieti-Pescara) en 2017 et l’élection du prĂ©sident de la SocietĂ  Italiana degli Antropologi Culturali (SIAC) en 2018, oĂč l’on a assistĂ© Ă  un dĂ©ploiement dynamique de polarisations. L’attitude des individus au sein des institutions politiques et juridiques en conditions de proximitĂ© culturelle emprunte beaucoup aux mĂ©canismes narratifs coutumiers et de l’imitation. Évidemment, mĂȘme le spĂ©cialiste du folklore est en mesure de produire de la thĂ©orie anthropologique, mais la petite diffĂ©rence entre Ă©tude folklorique et Ă©tude anthropologique rĂ©side dans la sensibilitĂ© particuliĂšre de la premiĂšre pour la dimension de l’expression et dans son affinitĂ© avec le groupe objet d’analyse.
L’observation du folklore dans la vie contemporaine m’a permis de relever les processus politiques, en acte dans l’Italie de nos jours, d’un point de vue privilĂ©giĂ©. En approfondissant le langage et les reprĂ©sentations de la proximitĂ© culturelle (du « nous ») rĂ©pandus dans les Abruzzes dans les annĂ©es 2010-2016, j’ai pu prĂ©voir les rĂ©sultats Ă©lectoraux qui, en 2019, Ă  la surprise du reste du monde, ont conduit au pouvoir une majoritĂ© politique menĂ©e par la Lega de Matteo Salvini dans une rĂ©gion du Centre-Sud (Giancristofaro 2017).
Cet exemple dĂ©montre l’utilitĂ© des sciences de la culture et, notamment, de la discipline folklorique laquelle, par sa mĂ©thode rĂ©flexive, entre Ă  fond dans la culture qu’on entend comprendre et interprĂ©ter, surtout lorsqu’elle est pratiquĂ©e par un ethnographe natif. Les problĂšmes politiques d’aujourd’hui ne sont plus interprĂ©tables Ă  la loupe d’une dĂ©mologie qui identifie le folklore avec une classe aux activitĂ©s bien circonscrites, mais ils exigent une perspective renouvelĂ©e d’observation, p...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. 4e de couverture
  3. Titre
  4. Copyright
  5. Ethnologie de l’Europe
  6. SOMMAIRE
  7. INTRODUCTION. L’anthropologie de l’Europe face au populisme
  8. 1. Quel est le meilleur outil d’enquĂȘte pour explorer les polarisations culturelles ?
  9. 2. Le défaut congénital de la démologie : une expérience précieuse
  10. 3. L’inclusion sociale du folkloriste et sa proximitĂ© Ă  l’objet d’étude
  11. 4. L’anthropologie Italienne vue sous l’angle de la province
  12. 5. Il Ă©tait une fois l’étude du folklore : invention et dĂ©veloppement d’une catĂ©gorie « impopulaire »
  13. 6. L’idĂ©e du « bon » peuple : folklore, construction des nations et anthropologie
  14. 7. De la propagande Ă  la conscience de soi
  15. 8. Les études sur le folklore et sur le patrimoine culturel sont-elles « mauvaises » ?
  16. 9. La polarisation (et la popularisation) des intellectuels
  17. 10. Changer de perspective : la culture populaire est lĂ  oĂč le discours se reproduit
  18. 11. Au-delĂ  des barriĂšres sociales : le folklore en miettes
  19. 12. Nous faisons tous partie du « peuple »
  20. 13. Le peuple est-il vraiment « mĂ©chant » ? La catĂ©gorie intellectuelle du populisme comme expression d’un Ă©chec
  21. 14. Au-delĂ  des polarisations, vers une responsabilisation publique
  22. 15. Pour conclure : une interprétation qui va au-delà de la critique
  23. Références bibliographiques