Les femmes dans les discours fréristes, salafistes et féministes islamiques
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Les femmes dans les discours fréristes, salafistes et féministes islamiques

Une analyse des rapports de force genrés

  1. 248 pages
  2. French
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Les femmes dans les discours fréristes, salafistes et féministes islamiques

Une analyse des rapports de force genrés

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Quelle est la place des femmes, au sein des espaces privé et public, dans les discours des acteurs fréristes et salafistes et quelles sont leurs positions respectives à propos du voile? La présence d'actrices féministes islamiques, intervenant au sein de la mouvance frériste, engendre-t-elle une remise en question des postulats véhiculés par les acteurs religieux? À partir d'une recherche de terrain, Leïla Tauil répond à ces questionnements qui s'avèrent d'une grande actualité.

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Informations

Éditeur
Academia
Année
2020
ISBN
9782806123176

Chapitre 1


La place des femmes
dans la sphère privée

Dès la Grèce antique, nous rappelle Michel Foucault, le rapport aux femmes est déjà défini par l’institution du foyer et ses obligations en opposition à la cité fondée sur le politique et gérée par les hommes. Le système patriarcal, qui se traduit par le rapport hiérarchique des sexes, institue deux espaces genrés inégaux réservés à la gent masculine (le public) et à la gent féminine (le privé). Le fait de naturaliser ces deux espaces sexués ne précède pas cette conception politique patriarcale, mais au contraire la succède pour constituer une idéologie de la domination masculine qui justifie la séparation des sphères publique (de pouvoir) et privée (de dépendance)1.
Naturaliser a toujours consisté à souligner l’infériorité féminine, selon l’anthropologue Sherry Ortner, la dichotomie « femme/ nature » et « homme/culture », qui n’est pas propre à la culture occidentale, se révèle largement transculturelle. Les raisons évoquées pour justifier cette dichotomie sont nombreuses et sont souvent liées au fait que les femmes sont plus durablement impliquées dans les processus de reproduction et, comme ce sont elles qui allaitent, elles sont assimilées aux enfants qui, eux-mêmes, sont situés du côté de la nature car ils doivent être éduqués. Les femmes sont ainsi assignées au domestique et donc à la sphère privée, qui est considérée comme inférieure à la sphère publique. Cet état de fait explique que les femmes ont longtemps reçu une socialisation qui les place du côté du donné inscrit dans la nature, du concret et du subjectif. Aujourd’hui, l’association des femmes à la nature est une perception largement répandue par des rhétoriques très multiples. La sociologue Colette Guillaumin met en lumière les discours (politiques, sociaux, médiatiques et religieux, etc.) qui diffusent des caractéristiques spécifiquement « féminines » ou « masculines » et contribuent à la pérennisation de la division sociale des rôles et des tâches sexués. Attribuer aux femmes une intelligence plus pratique et concrète est un argument utile pour justifier leur assignation aux tâches domestiques. Même le féminisme différentialiste essentialise « la féminité » et « la masculinité » en les liant à des différences biologiques, voire psychologiques. Enfin, dans l’opinion publique, la perception d’une différence sexuée basée sur le biologique est encore largement répandue2.
Dans le cadre de cette recherche, nous nous focalisons plus précisément sur les discours des acteurs religieux qui participent à l’assignation des femmes à l’espace privé en s’appuyant sur des arguments d’autorité religieuse, tout en mettant en lumière les discours des actrices religieuses qui prônent l’investissement de la gent féminine dans l’espace public.

1. DANS LES DISCOURS DES ACTEURS FRÉRISTES

La mouvance frériste à Bruxelles est composée d’acteurs religieux, mais également d’actrices religieuses, qui se revendiquent du féminisme islamique, s’adressant à un public qui se caractérise par une mixité gérée3. Parmi les acteurs publics intervenant à Bruxelles, issus de la mouvance frériste, il y a lieu de distinguer le juriste-théologien du militant intellectuel engagé. Le premier joue davantage un rôle de prédication tout en assurant des formations au niveau « intra-communautaire ». Le deuxième s’adresse généralement à un public musulman, mais participe aussi aux débats de société devant des publics métissés. Il faut aussi signaler qu’il y a, dans la dynamique bruxelloise, des intervenants locaux et des intervenants glocaux provenant de l’étranger. Nous avons choisi d’étudier deux acteurs publics et influents de ce mouvement frériste, à savoir : Hassan Amdouni, que nous appelons théologien engagé local, et Tariq Ramadan, que nous qualifions de militant intellectuel international4. Rappelons que H. Amdouni est théologien et spécialiste du droit musulman et que T. Ramadan est islamologue et philosophe de formation. Le projet idéologique de ces acteurs religieux de la réislamisation est de rendre conforme le quotidien des citoyennes et citoyens de confession musulmane à la finalité des textes fondateurs de l’islam. Nous sommes donc, avec les acteurs fréristes et salafistes, comme le souligne le sociologue F. Dassetto, dans une « utopie rétrospective5 ». À ce propos, T. Ramadan décrit son parcours et sa volonté d’inscrire son engagement à l’échelle mondiale, dans une perspective de réislamisation à la lumière des textes scripturaires.
« (…) Je suis né en Europe et j’ai vécu ici. J’ai également suivi ma formation islamique avec l’idée de pouvoir répondre aux défis qui étaient les nôtres. Donc, je fais tout un travail qui est spécifiquement lié aux textes [Coran, Tradition] pour extraire un tout petit peu un cadre de référence [en lien avec] un travail de terrain. Mais, ce n’est pas être ambassadeur. C’est simplement essayer d’entendre les questions qui viennent de la base ou du quotidien des gens pour, ensuite, essayer de formuler des réponses en s’appuyant sur les recherches légales de la tradition islamique sur le fiqh et oussoul lfiqh. Et puis, essayer de trouver les voies d’une cohérence, toujours avec le rapport au monde musulman au niveau général. Je ne suis pas seulement en Europe ; je suis beaucoup en Afrique, en Asie et dans le monde musulman. Le souci pour moi, c’est celui de la cohérence ; de ce que disent les textes, la cohérence des objectifs des textes et de ce que nous vivons dans notre quotidien avec toutes les difficultés de la cohérence. Donc, c’est simplement être un acteur de son temps, et sur le plan strictement scientifique, et sur le plan associatif6. »

Hassan Amdouni : un ancrage patriarcal médiéval justifiant l’importance d’une morale et la polygamie

Le juriste-théologien, présent sur le terrain depuis de nombreuses années, est un acteur religieux local très actif à Bruxelles, il jouit d’une autorité religieuse certaine auprès d’une grande audience à Bruxelles. Le discours de l’acteur religieux se caractérise essentiellement par un recours systématique aux références scripturaires, par un retour au modèle des « pieux ancêtres » (salaf) et par un aspect normatif prononcé qui appelle au respect scrupuleux de l’orthodoxie sunnite.
L’approche globalisante de l’islam propre à l’idéologie frériste est constamment défendue par le juriste-théologien. Par exemple, lors d’une conférence sur la question du voile qui se déroule, en janvier 2010, au sein d’une mosquée à Bruxelles (Forest) et à laquelle nous assistons, H. Amdouni établit un lien entre cette vision globalisante et le port du voile islamique.
« Ma troisième remarque, c’est que l’islam est une religion qui aborde les questions qui se rapportent à l’homme d’une manière globale (…) c’est qu’il n’y a pas quelque chose qui interpelle l’homme à laquelle l’islam n’a pas apporté de réponse. On appelle ça l’exhaustivité de l’islam plus que la globalité si on veut expliquer ce terme. Et donc lorsque l’islam va aborder la question de l’habit, de l’habillement féminin, ou de l’habillement tout court, cela s’insère dans le cadre d’une vision que l’islam a de la société et du fonctionnement de la société et de la relation entre l’homme et la femme7. »
À propos de la question des femmes, l’acteur religieux est à la fois proche de la vision salafiste et éloigné du féminisme islamique défendu par T. Ramadan. Mais il rejette toutefois la séparation stricte des sexes et l’assignation des femmes à l’espace privé prônées par les acteurs salafistes. Le sujet « famille » est au cœur de ses interventions et corrobore de la sorte la thèse de la centralité de la valeur famille, dont « la femme » serait le pilier, dans l’idéologie de la réislamisation frériste à Bruxelles.

Statut juridique ancré dans le droit musulman patriarcal médiéval

Tout en défendant l’égalité ontologique des sexes, confirmée selon l’acteur religieux par le silence coranique à propos de l’ordre chronologique de la « création d’Adam et Ève », ce discours prône une essentialisation des rôles féminins et masculins à l’aide d’arguments biologico-religieux. Le juriste-théologien présente « le statut juridique de la femme », devant un public réislamisé à Bruxelles, tel qu’il a été élaboré dans le droit musulman (charî’a) durant la période médiévale sans le contextualiser par une approche critique8. L’acteur frériste développe, au contraire, une rhétorique apologétique pour justifier la conception traditionnelle et patriarcale de « la femme » dans le droit musulman. Conformément aux dispositions chariatiques, H. Amdouni évoque, dans cet extrait de discours, l’autorité maritale, la répudiation et la polygamie tout en rappelant l’autorisation accordée à la femme d’inclure une clause exigeant la monogamie et le droit de divorcer dans son contrat de mariage.
« (…) Et un débat qui n’a pas de sens : est-ce que c’est l’homme qui fut le premier ou la femme qui fut la première ? Allah ne nous a pas informés sur l’ordre chronologique, que ce soit clair. (…) Mais l’unanimité, c’est que l’homme et la femme sont créés d’une même essence, de cette âme unique qui est l’âme humaine. (…) Et donc, on voit ici que, dès l’origine Dieu, va mettre une égalité entre l’homme et la femme. (…) C’est très important ! Ça c’est la première, excepté, c’est ce qu’on va voir après, dans la responsabilité (…) Et c’est tout à fait normal qu’Allah (SWT)9, qui s’appelle le juste par essence, ne va pas ordonner, ne va pas charger l’homme et la femme des mêmes responsabilités. (…) Chargeant la femme, elle, d’enfanter et de s’occuper de son enfant et on lui demande à elle de faire la prière d’al-jumu’a [« du vendredi », la traduction vient de nous] sans la rater et on lui demande d’assumer toutes les obligations sociales et religieuses à l’égal de l’homme ! (…) Autre élément du mariage et du statut de la femme, la femme peut imposer des conditions dans son contrat et nous avons des conditions qui sont citées par des écoles hanifite et malikite, par exemple, la femme, elle, a le droit d’exiger dans son contrat que son mari n’épouse pas une deuxième épouse et il doit le respecter. (…) Elle a le droit de mettre dans son contrat que le divorce est entre ses mains. (…) selon ‘aqd al-Qayrawânî, qu’on appelle le contrat al-Qayrawânî qui se passait vers le IIIe siècle et selon l’école hanafite. Donc c’est pour vous montrer qu’il y a des droits10. »
Précisons que ces clauses du droit musulman médiéval ne sont donc pas des droits systématiquement attribués à la gent féminine comme l’est, par exemple, le droit à la répudiation octroyé inconditionnellement à la gent masculine. Ces clauses peuvent être ajoutées par les femmes, d’une manière courageuse, lorsqu’elles en ont connaissance. Le droit musulman de la famille (médiéval) demeure foncièrement patriarcal et hiérarchique, même s’il contient des « clauses égalitaires », il est loin du principe (moderne) d’égalité totale entre les sexes.

L’islam : religion de morale, de décence et de pudeur justifiant la polygamie

La question de la polygamie est également abordée par le juriste-théologien dans le cadre strict du droit musulman médiéval en rappelant que si l’islam l’autorise, il ne l’a toutefois pas inventée et l’a même découragée. Pour justifier la polygamie, l’acteur religieux fait référence à un célèbre hadîth annonçant la « fin des temps », prédisant que, statistiquement, à cause des guerres, il y aura cinquante femmes pour un homme, cet « état de fait », selon l’acteur frériste, serait déjà d’actualité notamment en Belgique et au Maroc. Aussi, pour des raisons de morale sexuelle, la polygamie demeure nécessaire en cas de guerre où les femmes sont en surnombre, car les relations libres en dehors du cadre strict du mariage sont formellement interdites. Dans cet extrait de discours, H. Amdouni rappelle toutefois que la condition coranique autorisant la polygamie est l’équité entre les épouses, or celle-ci est quasiment irréalisable. En d’autres termes, le Dieu coranique décourage la polygamie mais ne l’interdit pas.
« Donc la question de la polygamie maintenant, sachez que l’islam n’a pas légiféré la polygamie (…). L’islam est venu, il a trouvé la polygamie comme un fait, c’est un fait universellement reconnu partout (…) il y avait la polygamie, il a fait des restrictions et des conditions à la polygamie. Deuxièmement, notre prophète(s) a qui Dieu a donné des prophéties futures, nous a informé que parmi les signes de la turpitude de la fin du monde (traduction en arabe), il a dit : c’est la multiplication des assassinats et des guerres, les hommes vont mourir plus et statistiquement viendra un temps où il y aura cinquante femmes pour un homme. Et nous sommes actuellement dans cette démarche-là, que ce soit en Belgique, au Maroc ou ailleurs (…). L’islam est une religion de morale, de décence et de pudeur, ce n’est pas une religion de libertinage, ce n’est pas une religion de liberté sexuelle. Alors une religion qui propose des règles strictes morales, elle doit donner des solutions. (…) Le mariage légal, structuré avec des responsabilités qui incombent aux deux, si la femme désire être une deuxième épouse, si elle le veut. Et malgré ça l’islam n’a pas encouragé la polygamie (…). Et puis Dieu (SWT) pour nous montrer que la justice entre épouses est difficile (traduction en arabe) “et vous ne saurez jamais être justes envers les femmes même si vous le désirez11” alo...

Table des matières

  1. Couverture
  2. 4e de couverture
  3. Islams en changement
  4. Titre
  5. Copyright
  6. Introduction
  7. Chapitre 1 – La place des femmes dans la sphère privée
  8. Chapitre 2 – La place des femmes dans la sphère publique
  9. Chapitre 3 – Les perspectives développées par les acteurs et les actrices étudiés à propos du voile
  10. Conclusion
  11. Bibliographie
  12. Table des matières