(L)armes d'errance
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(L)armes d'errance

Habiter la rue au féminin

  1. 174 pages
  2. French
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Habiter la rue au féminin

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À propos de ce livre

Cet ouvrage invite le lecteur dans le quotidien des habitantes de la rue. Au travers de récits déployés, l'auteur donne à comprendre les rapports qu'entretiennent ces femmes au temps et à l'espace dans la grande précarité. Les systÚmes de relations et les modes de (sur)vie mettent en lumiÚre des logiques de débrouille et d'ajustements qui viennent contrecarrer les conduites à risques et les dangers affrontés quotidiennement par ces femmes.

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Informations

Éditeur
Academia
Année
2020
ISBN
9782806123152

PARTIE 1

La co-errance du praticien-chercheur

1. Des circonstances de l’ethnographie


« Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit Ă  la barbarie. »
Claude LĂ©vi-Strauss, Race et Histoire.
Parler des circonstances de l’ethnographie revient Ă  rĂ©flĂ©chir sur les Ă©vĂšnements qui sont Ă  la source de cette recherche, Ă  dĂ©voiler une partie de ma trajectoire sociale et des expĂ©riences professionnelles qui ont Ă©tĂ© Ă  l’origine de la prĂ©sente mise en rĂ©flexion. Écrire sur ces Ă©vĂšnements passĂ©s m’a permis de rassembler ces souvenirs dispersĂ©s et de les clarifier d’un point de vue chronologique. Pour commencer, je propose un bref rĂ©cit narratif au contenu biographique qui dĂ©bute en Amazonie brĂ©silienne18 oĂč j’ai vĂ©cu des expĂ©riences dĂ©paysantes qui ont confirmĂ© mon intĂ©rĂȘt pour l’anthropologie. Ensuite, j’évoquerai ma rĂ©alitĂ© actuelle d’éducateur spĂ©cialisĂ©19 dans une fonction d’éducateur de rue au Luxembourg au cours de laquelle j’ai rencontrĂ© de nombreuses situations Ă©ducatives qui ont Ă©veillĂ© mon intĂ©rĂȘt pour ce monde social particulier.

1.1. DĂ©centrement d’un premier terrain lointain

« Je hais les voyages et les explorateurs », c’est ainsi que commence le cĂ©lĂšbre livre Tristes tropiques de Claude LĂ©vi-Strauss (1984[1955]). Et pourtant, c’est bien en voyageant que j’ai explorĂ© des territoires psychiques et gĂ©ographiques qui m’étaient jusqu’alors inconnus. J’ai dĂ©couvert le monde de l’anthropologie bien avant d’en connaĂźtre la teneur scientifique lorsque j’ai rencontrĂ© le Peuple Yanomami20 en Amazonie brĂ©silienne pour la premiĂšre fois. Cette expĂ©rience fut certainement l’une des plus fortes que j’ai pu vivre du haut de mes vingt-six ans : aller sur « le terrain »21 a Ă©tĂ© une expĂ©rience particuliĂšrement intense et inoubliable Ă  la fois. J’en digĂšre encore certaines sensations aujourd’hui, certaines rencontres, certains vĂ©cus, et la prĂ©sente mise en rĂ©cit vient apporter une forme de distanciation aprĂšs ce premier engagement qui remonte Ă  prĂšs de sept ans dĂ©sormais.
L’étendue de ce voyage m’a cependant fait douter de ma dĂ©marche Ă  quelques reprises, surtout lorsque mes pensĂ©es Ă©taient corrompues par l’imaginaire collectif d’une partie de mon entourage qui rĂ©duisait l’Amazonie Ă  des maladies parasitaires (paludisme, onchocercose, etc.) ainsi qu’à des dangers imminents d’origine animaliĂšre (candirĂș, piranha, surucucu, jaguar, caĂŻman, etc.)22. Par ailleurs, l’ethnographie de l’anthropologue amĂ©ricain Napoleon Chagnon (1977[1966]) qui dĂ©peint les Yanomami comme un « peuple fĂ©roce » est venue ajouter une couche d’incertitudes Ă  la prĂ©paration de ce voyage. Ce stigmate attribuĂ© venait clairement discrĂ©diter l’humanitĂ© de ces personnes que je m’apprĂȘtais Ă  rencontrer :
Il va de soi que, par dĂ©finition, nous pensons qu’une personne ayant un stigmate n’est pas tout Ă  fait humaine. [
] Afin d’expliquer son infĂ©rioritĂ© et de justifier qu’elle reprĂ©sente un danger, nous bĂątissons une thĂ©orie, une idĂ©ologie du stigmate, qui sert parfois Ă  rationaliser une animositĂ© fondĂ©e sur d’autres diffĂ©rences, de classe, par exemple (Goffman, 1975).
Les Yanomami ne seraient donc pas « tout Ă  fait humains », puisque « sauvages » car ils sont dans « un Ă©tat de guerre constant » selon Napoleon Chagnon. Cette rĂ©ification rĂ©duit ce peuple Ă  des ĂȘtres infĂ©rieurs au reste de la sociĂ©tĂ© humaine, incapables de gĂ©rer des conflits comme des personnes dites « civilisĂ©es », c’est-Ă -dire sans violence physique. Elle semble cousine des idĂ©ologies colonialistes et capitalistes dont la normativitĂ© a pour effet de rĂ©duire la diversitĂ© culturelle autant que d’empĂȘcher l’émergence de modes de vie « alter-natifs ». Combien de fois ai-je entendu l’atrocitĂ© suivante qui tĂ©moigne avec justesse d’une Ă©poque colonialiste rĂ©volue, mais tant prĂ©sente dans les reprĂ©sentations sociales actuelles : « Un bon Indien est un Indien mort » ?
La lecture d’une partie de cette ethnographie (1977) dĂ©clenchait autant d’énervement que d’étonnement en moi :
The fact that the Yanomamö live in a state of chronic warfare is reflected in their mythology, values, settlement pattern, political behaviour, and marriage practices. [
] There are a few problems, however, that seem to be nearly universal among anthropological fieldworker, particularly those having to do with eating, bathing, sleeping, lack of privacy and loneliness, or discovering that primitive man is not always as noble as you originally thought.
Comment expliquer le manque de nuances des propos de cet anthropologue qui parle essentiellement en termes de certitudes et non d’hypothĂšses ? En quoi un observateur externe, incarnĂ© par le chercheur, peut-il se permettre d’expliquer un terrain lointain avec les mĂȘmes reprĂ©sentations conceptuelles qu’il utiliserait pour un terrain proche qui lui est familier ? La notion de « noble » relĂšve, selon moi, d’une lecture ethnocentrique23 dans le sens oĂč le chercheur semble concevoir ce peuple selon ses propres projections. D’ailleurs, le psychiatre Jean-Claude MĂ©traux (2007) rappelle que l’observateur doit procĂ©der Ă  un « deuil de sens » du sens donnĂ© dans sa culture d’origine Ă  certaines expressions qui peuvent, Ă  tort, ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme Ă©tant universelles ; ce n’est qu’ainsi qu’une reconnaissance mutuelle, c’est-Ă -dire l’opposĂ© du mĂ©pris et de la mĂ©connaissance, pourra s’opĂ©rer selon l’auteur.
Les mots que l’on utilise pour dĂ©crire une personne, un lieu ou encore un Ă©vĂšnement ne sont donc jamais « innocents » puisqu’ils portent en eux des histoires mortes dont personne n’a plus forcĂ©ment conscience, mais Ă©galement des connotations qui, elles, sont bien prĂ©sentes d’aprĂšs le sociologue StĂ©phane Beaud et l’anthropologue et sociologue Florence Weber (2010). DĂšs lors, si violence il y a, je me demande dans quelle mesure celle-ci ne rĂ©side pas davantage dans le regard de l’anthropologue et les mots qu’il emploie pour dĂ©crire les Yanomami plutĂŽt que dans les pratiques culturelles et sociales de ce peuple24.
Je n’avais pas un statut de spĂ©cialiste de la question indigĂšne lors de ce voyage, et je ne l’ai toujours pas, encore moins celui d’un anthropologue expert des peuples amazoniens et cette position m’a permis de me renseigner sur certaines croyances et philosophies indigĂšnes. StĂ©phane Beaud et Florence Weber (2010) soulignent qu’il existe cependant des inconvĂ©nients inhĂ©rents au fait de se rendre sur le terrain de la sorte : « Sachez tout de mĂȘme qu’aller sur le terrain sans base thĂ©orique n’est pas sans risque en soi, mais vous nuira considĂ©rablement lors de la phase d’interprĂ©tation des matĂ©riaux recueillis. C’est alors qu’il vous faudra rattraper ce retard ».
La formation d’éducateur spĂ©cialisĂ© et l’obtention du certificat universitaire « santĂ© mentale en contexte social : multiculturalitĂ© et prĂ©caritĂ© »25 m’ont permis de rĂ©duire « ce retard », et surtout, de donner du sens aux expĂ©riences que je venais de vivre. D’ailleurs, j’apprendrai rapidement que le « sens » est un terme Ă©lĂ©mentaire dans le monde de l’éducation spĂ©cialisĂ©e : « l’éducateur entre dans son mĂ©tier tout comme l’Autre entre dans la vie : par le sens » (Gaberan, 2013). Ainsi, la quĂȘte de sens et les questionnements Ă©thiques m’animent depuis cette expĂ©rience amazonienne. AprĂšs ce dĂ©tour un brin Ă©gocentrique synthĂ©tisant ce premier terrain lointain, je vais dĂ©sormais introduire le monde social qui traverse mon quotidien professionnel dans une fonction d’éducateur de rue.

1.2. Points de basculement

En m’engageant sur le terrain de la rue dans un contexte urbain, je pensais rencontrer des habitants de la rue, certes, sans dĂ©cliner ce terme au fĂ©minin pour autant. Dans mon imaginaire d’alors, ces personnes correspondaient Ă  un certain « profil », Ă  une certaine catĂ©gorie vĂ©hiculĂ©e non seulement par ma propre ignorance de la question, mais aussi par les discours sociĂ©taux divers : un homme « SDF » est « forcĂ©ment » barbu, Ă©dentĂ© au visage ridĂ©, porte des vĂȘtements trouĂ©s et rĂ©pugnants, aime noyer sa peine dans l’alcool et passe ses journĂ©es sur un banc public Ă  cĂŽtĂ© des pigeons qu’il n’hĂ©site pas Ă  nourrir Ă  coup de pain rassis.
Un jour, Bruno et moi discutons autour d’un cafĂ© dans un accueil de jour et il me fait part de son besoin de prendre une douche : « Il me faut une douche, mec. C’est la galĂšre
 Je suis arrivĂ© au point oĂč je peux plus sentir mon odeur ! Tu crois qu’il y a moyen de m’inscrire [pour prendre une douche] ? ».
Sachant que l’horaire Ă©tait dĂ©passĂ©, Bruno voulait que je nĂ©gocie son inscription avec l’équipe Ă©ducative afin qu’il puisse prendre une douche ce jour-lĂ . Je lui confirme que sa demande a Ă©tĂ© acceptĂ©e et qu’il pourra s’occuper de son hygiĂšne corporelle dans une heure. Il me fait signe de le suivre dans un coin prĂšs des toilettes et avant d’arriver sur place, il commence Ă  chuchoter :
Tu sais, Fatima et moi, on dort dans une vieille bagnole. C’est la merde pour dormir, y’a pas de place pour mettre les coussins et tout. Enfin, bref, je m’inquiĂšte pour Fatima
 Elle passe beaucoup de temps Ă  la rue pendant la journĂ©e et c’est pas bien. Moi, ça va, je me dĂ©brouille, j’suis un mec. Mais pour une fille, c’est dangereux. J’ai peur qu’il lui arrive quelque chose
 Tu peux l’aider tu crois ?
Bruno partage l’idĂ©e suivante : la rue est dangereuse pour une femme et il a peur qu’il puisse arriver « quelque chose » Ă  sa compagne. En tant qu’homme, il estime avoir plus de facilitĂ©s Ă  se dĂ©brouiller. De quels dangers voulait-il parler exactement ? S’agit-il d’une simple remarque Ă  caractĂšre sexiste qui enlĂšverait toute capacitĂ© d’agir aux femmes en situation d’errance ou plutĂŽt d’angoisses fondĂ©es sur des expĂ©riences qu’il a vĂ©cues au cours de sa propre trajectoire ? Quoi qu’il en soit, il n’est pas question d’entrer dans une pensĂ©e dichotomique en essayant de trouver laquelle de ces deux hypothĂšses est la plus crĂ©dible, mais de maintenir une posture rĂ©flexive afin de rencontrer ces questionnements qui viennent ajouter de la complexitĂ© au monde social de la rue. Cette interaction est venue secouer et mettre en perspective mes propres reprĂ©sentations au sujet du public que j’étais amenĂ© Ă  rencontrer en tant qu’éducateur spĂ©cialisĂ©. En y rĂ©flĂ©chissant de prĂšs, j’avais une reprĂ©sentation fragmentĂ©e et stigmatisĂ©e des personnes que j’accompagnerais. Bien Ă©videmment, la formation d’éducateur spĂ©cialisĂ© m’avait notamment invitĂ© Ă  me distancier de mes propres prĂ©jugĂ©s et Ă  conscientiser les valeurs qui me sont chĂšres. Toutefois, j’ai certainement manquĂ© de vigilance lorsqu’inconsciemment, je me prĂ©parais Ă  travailler avec des « hommes de la rue » auxquels j’associais des rĂ©alitĂ©s sous-jacentes diverses : consommer de l’alcool, se reposer dans des sacs de couchage en pleine rue, faire la manche sur les grands boulevards urbains, marcher avec des sacs innombrables sur soi, transporter ses affaires personnelles dans des charriots de supermarchĂ©, avoir des dents en trĂšs mauvais Ă©tat et ainsi de suite.

1.2.1. L’errance androcentrique26

Cet Ă©change avec Bruno est venu Ă©veiller ce qui m’était jusqu’alors inconscient : la question du genre n’est pas un simple « dĂ©tail » dans la construction de l’accompagnement psycho-Ă©ducatif qu’un Ă©ducateur spĂ©cialisĂ© peut proposer. Et pourtant, aussi paradoxal que cela puisse paraĂźtre, c’est un homme qui a attirĂ© mon attention quant Ă  cette question lorsqu’il m’a fait part, en toute confiance, de son inquiĂ©tude.
À l’issue de cette rencontre remontant Ă  plus de six ans aujourd’hui, je me suis intĂ©ressĂ© de prĂšs Ă  la maniĂšre dont les femmes peuvent percevoir la vie Ă  la rue. En tant qu’homme, il me paraĂźt difficile d’apprĂ©hender avec justesse les difficultĂ©s que peuvent traverser ces femmes dans un tel contexte, c’est pourquoi j’ai voulu objectiver cette question, et les processus sous-jacents, en questionnant la littĂ©rature. Or, je me suis vite rendu compte que la question du « sans-abrisme » et de l’errance n’étaient que rarement dĂ©clinĂ©es sous leur forme fĂ©minine. Ceci rendait difficile l’accĂšs Ă  des informations de qualitĂ© Ă  ce sujet.
Karine Boinot (2008), psychologue clinicienne, commence son article par le questionnement suivant :
Cette question et les rĂ©flexions qui suivent sont issues d’un constat effectuĂ© suite Ă  diffĂ©rents travaux de recherche portant sur les personnes en errance : rares sont les fois oĂč il y a conjugaison au fĂ©minin. On ne parle que de vagabond, de clochard, d’errant ! D’oĂč la question-titre : la prĂ©caritĂ© serait-elle asexuĂ©e ?
La sociologue Audrey Marcillat (2014) en arrive au mĂȘme constat et avance que « les recherches se faisaient jusqu’alors Ă  partir d’un certain androcentrisme ». Marine Maurin (2016), docteure en sociologie, avance qu’il existe peu d’enquĂȘtes qui se sont intĂ©ressĂ©es essentiellement aux situations « des femmes sans-abri » et rappelle qu’en Occident, le nombre de femmes dans une telle situation ne cesse d’augmenter, bien que les femmes encourent un « risque moindre [
] de se trouver sans abri », selon la statisticienne et sociologue Maryse Marpsat (1999). Par ailleurs, des donnĂ©es quantitatives sur les femmes en situation d’errance sont rares sur le terrain luxembourgeois, et Ă  ce jour, je n’ai rencontrĂ© aucune Ă©tude qualitative qui s’intĂ©resse exclusivement Ă  ce public cible sur ce terrain de recherche.
Dans une dĂ©marche rĂ©flexive, le concept d’errance mĂ©rite d’ĂȘtre approfondi et mis en dialogue avec les descriptions dites classiques et pourtant aliĂ©nantes selon moi : « sans-abri », « sans domicile fixe » (SDF), « sans logis », ou encore « sans-papiers » pour ne citer que ceux-lĂ . DĂ©finir une personne Ă  partir de ce qui lui fait dĂ©faut – selon qui ? – est symptomatique d’une lecture ethnocentrique qui fait l’amalgame entre ce qu’une personne possĂšde, ou ne possĂšde pas (avoir), et ce qu’elle est, respectivement ce qu’elle n’est pas (ĂȘtre). Au Canada, le terme « itinĂ©rance » est le plus souvent employĂ© et dĂ©signe une construction sociologique qui englobe des problĂ©matiques variĂ©es mĂȘlant alcoolisme, santĂ© mentale, toxicomanie ou encore prostitution (Roy et Hurtubise, 2007).
En m’intĂ©ressant de prĂšs Ă  l’étymologie de ce terme, le Larousse en ligne explique que l’errance est le fait de marcher longtemps sans but et direction prĂ©cis27. J’ai Ă©tĂ© frappĂ© qu’au sens littĂ©raire, errer devient synonyme d’erreur : tomber dans l’erreur. Symboliquement, est-ce que l’errance est perçue en tant qu’une erreur humaine ? Si tel est le cas, qui devient l’erreur : la personne en situation d’errance ou l’errance elle-mĂȘme ? La langue française utilise Ă©galement ce terme pour dĂ©signer un chien qui n’a pas de maĂźtre et qui est vouĂ© Ă  la solitude : le chien errant. Reste Ă  savoir si le « maĂźtre » ne pourrait pas ĂȘtre un travailleur social au final, oĂč le « chien » incarnerait la mĂ©taphore d’une personne en errance dont une « p...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. 4e de couverture
  3. Transitions sociales et résistances
  4. Titre
  5. Copyright
  6. Remerciement
  7. Exergue
  8. Introduction générale : Ville nue et dénuement symbolique
  9. PARTIE 1 : La co-errance du praticien-chercheur
  10. PARTIE 2 : Le monde social de la rue
  11. Ceci n’est pas une conclusion

  12. Postface
  13. Bibliographie
  14. TABLE DES MATIÈRES