Écritures anthropologiques
  1. 340 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
Détails du livre
Aperçu du livre
Table des matières
Citations

À propos de ce livre

En deux décennies, l'anthropologie s'est réformée: les sujets de recherches, les méthodes mobilisées et les manières de rendre compte de l'expérience du terrain se sont diversifiés. Si l'écriture (la célèbre « monographie » de l'ethnologue) résiste à l'usure du temps, il était urgent de montrer comment, par son dynamisme contagieux, la discipline mobilise désormais toutes les ressources à sa disposition, pour relater l'expérience de l'anthropologue sur son terrain.

Foire aux questions

Il vous suffit de vous rendre dans la section compte dans paramètres et de cliquer sur « Résilier l’abonnement ». C’est aussi simple que cela ! Une fois que vous aurez résilié votre abonnement, il restera actif pour le reste de la période pour laquelle vous avez payé. Découvrez-en plus ici.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptés aux mobiles peuvent être téléchargés via l’application. La plupart de nos PDF sont également disponibles en téléchargement et les autres seront téléchargeables très prochainement. Découvrez-en plus ici.
Les deux abonnements vous donnent un accès complet à la bibliothèque et à toutes les fonctionnalités de Perlego. Les seules différences sont les tarifs ainsi que la période d’abonnement : avec l’abonnement annuel, vous économiserez environ 30 % par rapport à 12 mois d’abonnement mensuel.
Nous sommes un service d’abonnement à des ouvrages universitaires en ligne, où vous pouvez accéder à toute une bibliothèque pour un prix inférieur à celui d’un seul livre par mois. Avec plus d’un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu’il vous faut ! Découvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l’écouter. L’outil Écouter lit le texte à haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l’accélérer ou le ralentir. Découvrez-en plus ici.
Oui, vous pouvez accéder à Écritures anthropologiques par Bernard Charlier, Christine Grard, Frédéric Laugrand, Pierre-Joseph Laurent, Saskia Simon en format PDF et/ou ePUB ainsi qu’à d’autres livres populaires dans Scienze sociali et Antropologia. Nous disposons de plus d’un million d’ouvrages à découvrir dans notre catalogue.

Informations

Éditeur
Academia
Année
2020
ISBN
9782806123121

Partie 1

Comprendre les interlocuteurs

Comment parler de ce qu’on ne connaît pas a priori ? Sur quels principes s’appuie l’écriture (les écritures) anthropologique pour faire science ? L’écriture anthropologique implique que le chercheur accède à des données issues de réalités multiples et à des éléments de contexte pour les interpréter au plus proche des intentions des personnes rencontrées : par quels chemins procède-t-elle ?

1« L’écriture du terrain.
La recherche du moment

ethnographique
de l’anthropologie »

Laurent Pierre-Joseph1

Introduction
Faudra-t-il un jour défendre un droit à la monographie ? Survivra-t-elle au dictat des rankings ? Ce que produisent les anthropologues sont des monographies. Elles tiennent leur scientificité de l’enchaînement cohérent de détails relevant de l’expérience du terrain. L’expérience du terrain et l’expérience de l’écriture du terrain forment un ensemble que je propose d’appeler le « processus ethnographique ».
À la suite de longs cheminements, personnels surtout, l’incorporation lente et patiente de pratiques vues, entendues et vécues, tend vers la schématisation que l’écriture – la description et l’interprétation –, vient conclure. La description équivaut à la réécriture du terrain ; elle implique l’expérience préalable qui permet de relever ce qui fait sens et donc de repérer les motifs, tels ceux d’une pièce musicale, éparpillés dans les innombrables informations consignées dans nos cahiers de terrain. L’interprétation repose aussi sur cette expérience, cruciale, pour assigner aux données un sens proche de celui des personnes rencontrées. Le « processus ethnographique » conduit le chercheur à franchir une certaine distance culturelle à la faveur de l’instauration d’une familiarité avec les personnes rencontrées sur le terrain. L’écriture ethnographique, plus que la traduction d’une conversation2, renvoie à la schématisation et à l’interprétation de données issues de « réalités multiples »3.
Des années sont nécessaires pour que naissent quelques certitudes et pour oser prendre la parole. On peut alors parler d’un « pacte ethnographique »4 : il lie le chercheur aux lecteurs dans le fait de savoir, par l’expérience d’une familiarité acquise, que la singularité de telles données plutôt que telles autres, conduit, sans s’égarer, au cœur de la société à décrire.
Comprendre ces processus mériterait de longs développements. Je n’ai cependant que quelques pages pour évoquer mon expérience de cette épistémologie singulière, exigeante, efficace, dérangeante, où les hypothèses émergent tardivement, où le sens provient d’avoir osé lâcher prise et où la narration supplante souvent la théorie ! Il est question de se perdre, de se méprendre et de se reprendre pour décrire des arrangements inédits liés au vivre ensemble de groupes humains.
À l’écart de la marchandisation du savoir sanctionné par l’accès aux revues standardisées gardées par des armées d’évaluateurs prêts à éliminer toutes aspérités, des stratégies de publication pour prendre pied sur Google scholar et sa statistique muette ramenant le chercheur à un chiffre, mais aussi du bruit des rencontres académiques planétaires où s’entrecroisent des promoteurs de leur « propre marque » (un nom, un laboratoire, un label, ou encore, des concepts considérés comme des appellations contrôlées), juste un souffle ; un rythme lent, voué à un apprentissage à la fois collaboratif et solitaire : un artisanat, un savoir-faire acquis patiemment, une expérience humaine articulée à des souvenirs d’une vie partagée qui débouchent, par l’écriture, sur la certitude d’un savoir scientifique ancré, impliqué, robuste et durable.
1.La familiarité et le franchissement d’une certaine distance culturelle
De mon expérience de l’écriture en anthropologie, je me permettrai de revenir sur des étapes de la rédaction d’une monographie intitulée « Amours pragmatiques », publiée en 2018. Confronté aux impasses d’un premier terrain, induites de ma fréquentation longue du Burkina Faso, entre 1988 à 2010, désireux de retrouver l’ardeur du jeune « thésard », j’avais opté pour le Cap-Vert. Lors d’un premier voyage en décembre 2004, j’ai compris que j’aurais à tout recommencer. J’ai alors maudit ce projet audacieux, voire présomptueux, de m’extraire de routine et d’astuces d’écriture qui me sécurisaient en tant que spécialiste du Burkina Faso. Peut-on prétendre à un second terrain ?
Quittant le Burkina Faso, j’avais aussi abandonné des acquis, un certain statut et des certitudes instaurées au fil des années. Du Cap-Vert, je mesurais l’impact sur la recherche, de détails, d’implicites : le recours à des réseaux de complices, d’amis et d’interlocuteurs mais aussi à la familiarité acquise d’une vie partagée avec des hôtes, de la maitrise d’une langue et de l’incorporation des traits culturels. L’archipel me fascinait mais me désorientait. En quête de ce qui faisait sens pour les insulaires, je resterai longuement muet. J’avais tout à (ré) apprendre, mais quoi et comment ? Y consacrer le temps nécessaire : assimiler une autre langue, partager des tranches de vie avec des familles, lire, collaborer avec des collègues cap-verdiens, accompagner progressivement des travaux d’étudiants. Est-ce aussi simple ? Cela suffit-il ? Comment y étais-je parvenu au Burkina Faso ? Est-ce par le temps long d’un premier séjour de plus de trois ans et de nombreux autres voyages ensuite ? Hanté par l’idée de m’approcher de ce fait sens pour la société cap-verdienne, et donc d’écarter l’exotisme et l’anecdotique, je m’échinais à identifier les conséquences sur cette société de ce que furent l’esclavage, la colonisation, la sécheresse, les famines et aujourd’hui les migrations. Fin 2013, convié à participer à une modeste rencontre académique très lusophone, me sentant en sécurité, j’ai pour la première fois traité du thème, inédit pour moi à l’époque, mais omniprésent au Cap-Vert, de la famille, de la migration et de la sexualité. L’expérience tourna court : mes propos maladroits suscitèrent l’indignation de consœurs qui virent dans l’exposé comme une provocation portant atteinte aux luttes féministes. Je pensais avoir relayé les dires d’interlocutrices des îles de Brava et de Fogo désireuses de migrer aux États-Unis5. Surpris, je pris néanmoins la mesure de l’inédit de l’expérience acquise de ma fréquentation, une décennie durant, de familles cap-verdiennes. Piqué au vif de n’avoir pas su m’expliquer, je cherchai des stratégies narratives et des astuces pédagogiques. Malgré moi, sur la pointe des pieds, sans l’avoir vraiment planifié, je rentrais dans l’écriture d’un second terrain.
Une précision encore. Au Cap-Vert, j’ai plus encore privilégié l’observation participante et, à cette fin, j’ai vécu au sein de familles. Quotidiennement, à la faveur de moments de réflexivité, lorsque je me retrouvais seul, je consignais dans des cahiers de terrain, les données glanées lors de moments de vie partagés avec ces familles. Ces rencontres conduisaient fréquemment à des échanges plus formels et parfois aux confidences. Le recueil des données mobilisées dans le livre Amours pragmatiques s’étale sur treize ans et près de trente voyages. Sans le prévoir, ce temps long m’a familiarisé avec des stratégies migratoires planifiées sur plusieurs générations. Ce processus conduit à l’incorporation d’un contexte, c’est-à-dire d’une manière de vivre, de sentir et de penser d’un peuple. L’écriture anthropologique s’en nourrit : elle en est la remémoration permanente, pour interpréter les données au plus près du sens que leur accordent les personnes rencontrées. Quels sont les processus mobilisés par le chercheur impliqué dans un « processus ethnographique » et plus précisément dans l’écriture d’un terrain ?
2.L’entrée en écriture
Pour ce travail d’écriture de ce terrain cap-verdien, je m’étais assigné un strict protocole de recherche. Lors d’une première étape, l’été 2013, que je qualifierais aujourd’hui de « désir de domination », afin de me remémorer une décennie d’enquêtes à large spectre, j’ai commencé, dix jours durant, par relire mes cahiers de terrains, en prenant quelques notes. Pour me faciliter la tâche et me repérer dans un millier de pages manuscrites, souvent surchargées, je me repose sur le logiciel FileMaker, un gestionnaire de fichiers. De manière simple et rapide, à l’issue de chaque terrain, je note dans mes cahiers, pour chaque thème abordé, des mots-clés, assez standardisés que je transcris ensuite dans les fiches virtuelles du logiciel. J’y consigne aussi le nom de la personne qui m’informe, le lieu, la date, la page et le numéro du cahier de terrain. Pour retrouver ce que j’ai consigné en treize ans d’enquête sur telle personne ou tel sujet, j’interroge la base de données qui établit un tableau. Il me permet d’identifier les pages des cahiers de terrain concernées pour lire de manière transversale, diachronique en quelque sorte, tout ce que j’ai pu noter sur une question. Dans mes cahiers, je note à droite mes interactions avec le terrain. En soi, ces notes constituent déjà une réécriture du terrain : avec l’expérience, je me fie essentiellement à ces notes que j’espère précises et schématiques lorsque je me concentre sur des détails qui me semblent pertinents pour une éventuelle écriture. Je réserve les pages de gauche à moi-même, à mes premières interprétations, à mes impressions ; j’y colle aussi des photos de petit format. Lorsque j’écris, ces photos m’aident à me rappeler des personnes, des ambiances et des détails de l’environnement. J’enregistre peu, parfois, selon les circonstances, car, si les ambiances sonores sont importantes, le bavardage et la transcription sont chronophages.
Longtemps après l’expérience du terrain, installé à la table où j’aime écrire, à la vue de ces cahiers ouverts qui articulent pour chaque double page, des notes de terrain, des photos collées et des premières interprétations, la mémoire des expériences du terrain se ravive et des ambiances se reconstituent. Le sens émerge de la mise en relation ; des associations s’établissent et des schématisations sont tentées. Sur le terrain, absorbé par la nécessité de comprendre un sens pratique à la faveur de la familiarité acquise avec nos hôtes, ce sont les tranches de vie qui se déroulent sous nos yeux que l’on mémorise pour les consigner dans nos cahiers. Ce n’est que plus tard, par l’écriture, que finalement le terrain prend tout son sens, reliant ainsi intimement le terrain et l’écriture du terrain.
Avec FileMaker pour m’y promener, j’ai donc relu mes cahiers avec l’intention, à peine avouable, de comprendre ce que j’avais voulu faire durant ces années. Je ne m’étais pas donné de consignes ni thématiques ni hypothèses fortes. De cette relecture et des quelques pages de notes, émergeront des thématiques récurrentes.
Sûr de cette méthode qui invite à soumettre mes choix d’écriture au terrain, je comptais orienter le thème de cet ouvrage. Plus que sur le religieux, la gouvernance locale, les systèmes fonciers et d’irrigation, pour lesquels je disposais de nombreuses données, la séduction, les relations hommes femmes, la famille, l’alliance, les migrations, les inégalités, la séparation, la souffrance mentale, le désir d’accumulation émergeaient de ma relecture. Même, si je m’y sentais moins à l’aise, attentif à la méthode et plutôt conscient des processus qui président au choix des thématiques de recherche en sciences sociales, je décidai de travailler sur ces sujets émergents d’une relecture raisonnée.
Dans la foulée, tandis que j’avais en mémoire cette relecture globale de mes cahiers de terrain, secondé par FileMaker, je me suis attelé à la construction d’une table des matières. À force de tentatives et d’hypothèses provisoires, je parvins à produire un plan détaillé et raisonné, où apparaissaient des parties, subdivisées en chapitres… J’avais d’indiqué les données de terrain à mobiliser et les récits clés qui pourraient rendre compte de la thématique. J’avais consacré deux semaines à la production de ce document programmatique, schématique, précis, d’une dizaine de pages. Le sentiment du devoir accompli, je me rassurais à l’idée de dominer le processus et surtout mes données. En quelque sorte, je pensais avoir réalisé l’essentiel ; il me restait à simplement rédiger un livre que j’espérais bref, incisif et efficace : une question de temps. À ce stade, je n’avais pas encore vraiment formulé d’hypothèses solides ; je me réconfortais à la rigueur de la méthode anthropologique appliquée à la lettre, privilégiant l’empirie. Les dernières semaines de cet été, je me suis lancé, tête baissée, dans la rédaction. Je suivais mon plan et mes prévisions. Satisfait d’un été fructueux, je redémarrais l’année universitaire, avec trente pages engrangées d’un petit ouvrage que je pensais terminer rapidement. C’était sans compter sur la complexité du processus ethnographique.
3.Repérer des objets précieux de la vie quotidienne
De retour d’un voyage qui m’a mené au Cap-Vert et ensuite à Boston pour y retrouver des familles cap-verdiennes installées aux États-Unis, j’escomptais, ce début d’été 2014, reprendre et terminer une première version de ce livre.
Avec l’oubli et l’entrecroisement d’autres activités, j’ai toutefois dû tout reprendre : relire pour me remémorer les acquis de l’année précédente, afin de reconstituer l’environnement propice à l’écriture. Avec la distance, les trente pages initialement rédigées me parurent fades, insensibles et surannées ; elles étaient inutilisables. Je rentrais dans une phase de doute et d’incertitude.
Durant des mois, j’avais ressassé les thématiques repérées l’année précédente. Des images me revenaient, surtout celles de vitrines chargées des bibelots, kitsch et insignifiants à mes yeux, mais auxquels mes hôtes semblaient attachés ! Chaque objet était traité comme une relique. Je me suis alors souvenu qu’il s’agissait de cadeaux reçus à...

Table des matières

  1. Couverture
  2. 4e de couverture
  3. Collection
  4. Titre
  5. Copyright
  6. Introduction
  7. Partie 1 : Comprendre les interlocuteurs
  8. Partie 2 : L’indexicalisation
  9. Partie 3 : La déprise de soi
  10. Partie 4 : Les dispositifs
  11. Partie 5 : Interprétationsagissantes
  12. Partie 6 : Les écritures dialogiques
  13. Conclusion
  14. Biographies
  15. Table des matières