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Corps, Sport, Handicaps
Tome 3 - Expérimentations et expériences de la technologie
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- 208 pages
- French
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Corps, Sport, Handicaps
Tome 3 - Expérimentations et expériences de la technologie
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La modification de l'humain par son activité technicienne suscite à la fois craintes et espoirs. Elle déstabilise certains repÚres anthropologiques profonds comme la frontiÚre entre le soi et le non-soi. Depuis quelques années, les innovations techniques et technologiques sont donc l'objet de nombreuses réflexions. DerriÚre la diversité des registres de discours, on repÚre le constat homogÚne d'une perte de contrÎle. En effet, la technologie, en permettant d'agir sans connaitre les ressorts de l'action, fonctionne par essence sur l'impensé. Cet ouvrage analyse la technologie non pas comme un support ou un médium mais comme un rapport particulier à l'action: expérimental et instrumental.
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Informations
Sujet
Sciences socialesSous-sujet
Handicaps en sociologieDeuxiĂšme Partie
Introduction
De lâinnovation sociotechnique Ă lâinnovation sociale ?
Claire PERRIN1
En sâintĂ©ressant Ă ce que la technologie fait aux personnes en situations de handicap et aux collectifs qui se forment autour dâelles, la deuxiĂšme partie de lâouvrage interroge finalement la notion dâinnovation dans le secteur du handicap. Les deux premiers textes se centrent en effet sur la rĂ©ception par les bĂ©nĂ©ficiaires des biotechnologies dans le monde mĂ©dical, tandis que le troisiĂšme interroge les innovations sociotechniques dans le domaine de pratiques sportives adaptĂ©es, en les confrontant aux nĂ©cessaires amĂ©nagements de lâenvironnement pour garantir leur accessibilitĂ©.
Dans le domaine mĂ©dical, en particulier en mĂ©decine physique et de rĂ©adaptation, le dĂ©veloppement des technologies a permis des compensations de plus en plus sophistiquĂ©es de certaines incapacitĂ©s, favorisant une rĂ©habilitation fonctionnelle Ă dĂ©faut de pouvoir satisfaire Ă lâidĂ©al mĂ©dical qui consiste à « guĂ©rir » ou rĂ©parer le patient.
Dans certains cas dâamputation par exemple, les genoux Ă©lectroniques des prothĂšses de membres infĂ©rieurs donnent accĂšs au rĂ©tablissement dâune marche presque normale. De la mĂȘme façon, les dĂ©veloppements rĂ©cents des capteurs de lâactivitĂ© cĂ©rĂ©brale permettent la commande des muscles malgrĂ© une lĂ©sion de la moelle Ă©piniĂšre. Mais ce modĂšle mĂ©dical entre en tension avec un modĂšle social du handicap dĂ©fendu avec un succĂšs croissant par les associations de personnes handicapĂ©es. Celles-ci ne se sentent pas toujours concernĂ©es par les biotechnologies et peuvent ĂȘtre heurtĂ©es par leur application systĂ©matique indĂ©pendamment des choix de vie des personnes qui vivent avec des possibilitĂ©s diffĂ©rentes. Le modĂšle mĂ©dical sâintĂ©resse Ă lâorganisme et Ă son fonctionnement ; il interprĂšte la diffĂ©rence comme une dĂ©viance par rapport Ă la norme et Ă©value ainsi des dĂ©ficiences indĂ©pendamment des capacitĂ©s des personnes et de leurs environnements Ă sây adapter.
Câest le cas pour les implants cochlĂ©aires destinĂ©s Ă compenser les dĂ©ficiences auditives : leur invention a pu apparaĂźtre au monde mĂ©dical comme une « aubaine » pour les personnes atteintes de dĂ©ficience auditive profonde, de sâaligner sur les possibilitĂ©s auditives moyennes de la population, considĂ©rĂ©es comme la norme de « validitĂ© ». Mais le texte de Sophie Bergheimer, qui Ă©tudie la rĂ©ception des implants cochlĂ©aires par le monde sourd, souligne un malentendu. Ce que le corps mĂ©dical apprĂ©hende comme une prĂ©vention du handicap de surdi-mutitĂ© â justifiant un dĂ©pistage nĂ©onatal de la dĂ©ficience pour des interventions mĂ©dicales trĂšs prĂ©coces â dĂ©clenche des rĂ©sistances importantes dans la communautĂ© sourde. Le texte souligne que des avancĂ©es mĂ©dico-techniques ne peuvent produire le bien sans les personnes, nous rappelant le cĂ©lĂšbre adage « nothing about us without us ». Lâapproche mĂ©dicale positiviste sâapparente pour les Sourds Ă une entreprise de normalisation qui participe Ă la stigmatisation de la surditĂ©. Le processus de rĂ©paration des dĂ©ficiences, portĂ© par la mĂ©decine de rĂ©habilitation, est invitĂ© Ă sortir de son acception technique et positiviste pour embrasser une approche holistique organisĂ©e autour du sujet, de sa subjectivitĂ© et de ses choix, dans un respect de son droit Ă la diffĂ©rence, en envisageant la possibilitĂ© que la rĂ©paration puisse ĂȘtre vĂ©cue comme une perte par le sujet lui-mĂȘme et quâil puisse choisir de la refuser. Si les biotechnologies visent, dans le cadre de la rĂ©habilitation, la compensation des limitations et dĂ©faillances de certaines fonctions anatomiques, motrices ou mĂ©taboliques, elles ne ramĂšnent pas seulement Ă des valeurs normales, mais modifient en profondeur lâidentitĂ© des sujets.
Câest ce que dĂ©veloppe le texte de Denisa Butnaru au travers dâune approche phĂ©nomĂ©nologique des nĂ©gociations et de la redĂ©finition des limites du corps vĂ©cu auxquelles sont confrontĂ©es des personnes vivant avec une infirmitĂ© motrice cĂ©rĂ©brale et des blessĂ©s mĂ©dullaires. Une nouvelle forme de corporĂ©itĂ© est mise en lumiĂšre par incorporation des technologies dans une reconfiguration phĂ©nomĂ©nologique du corps appareillĂ©, qui bouleverse le « systĂšme de pertinences » de lâindividu. Des appareillages comme les exosquelettes â utilisĂ©s en rĂ©habilitation mais Ă©galement dans certaines situations de travail pour augmenter les charges que peuvent porter les travailleurs valides â offrent de nouvelles possibilitĂ©s par lâaccĂšs Ă la position debout Ă forte valeur symbolique. Le corps biologique est apprĂ©hendĂ© en symbiose avec lâobjet technologique, permettant de dĂ©finir un espace de possibilitĂ©s. Lâauteur emprunte Ă Bernard Andrieu (2007) le concept de « techno-corps » qui rend compte de cette nouvelle forme de corporĂ©itĂ© intimement liĂ©e Ă lâindividualitĂ© et Ă lâidentitĂ© des personnes.
Mais au-delĂ de la phase de rĂ©habilitation, le fauteuil roulant, marqueur dâune limitation Ă la position assise, fait-il toujours lâobjet de rĂ©sistances identiques ? Sa perception nâĂ©volue-t-elle pas avec le deuil de la marche autonome en fonction du projet de participation sociale ?
Les deux premiers textes laissent ainsi entrevoir un possible procĂšs de subjectivation et dâempowerment en relation avec lâintervention mĂ©dicale et lâappareillage si tant est que ses conditions de possibilitĂ© puissent ĂȘtre co-crĂ©Ă©es en complĂ©ment de lâintervention mĂ©dicale centrĂ©e sur la compensation des incapacitĂ©s.
En sâintĂ©ressant Ă lâaccessibilitĂ© des domaines skiables aux personnes en situation de handicap, le texte dâĂric Perera, Bastien SoulĂ© et Yann Beldame nous Ă©loigne de lâapproche mĂ©dicale du handicap et de sa rĂ©ception individuelle et subjective, pour entrer dans une approche sociale. Câest Ă un blessĂ© de guerre et amputĂ© fĂ©moral que le handiski doit sa naissance en France dans les annĂ©es 1950, et non plus Ă un mĂ©decin ou Ă un expert qui aurait pensĂ© le bien pour les personnes en situation de handicap. La question posĂ©e par Philippe Berthe est en effet celle de la participation sociale des personnes comme lui aux pratiques sportives dans lâAmicale Sportive des MutilĂ©s de France quâil a crĂ©Ă©e. Comme le souligne GĂ©rald Gaglio (2011), la propagation dâune innovation implique que quelques individus, forts de leur croyance Ă faire ce quâils considĂšrent comme le « bien », rĂ©ussissent Ă impulser une dynamique qui se concrĂ©tise dans un rĂ©seau. LâintĂ©rĂȘt simultanĂ©ment portĂ© Ă lâinnovation technologique du matĂ©riel handiski, Ă lâintervention humaine pour accompagner la pratique et Ă lâamĂ©nagement des sites pour les rendre accessibles, constitue indĂ©niablement une force de lâanalyse sociologique proposĂ©e par les trois auteurs. Si lâinvention par adaptation du matĂ©riel de glisse se rĂ©vĂšle comme Ă©tant princeps, le processus dâinnovation suppose lâĂ©largissement et la diversification des rĂ©seaux dâacteurs enrĂŽlĂ©s. Un intĂ©rĂȘt Ă©quivalent est portĂ© aux acteurs non humains (par exemple les diffĂ©rents matĂ©riels de glisse, lâadaptation des remontĂ©es mĂ©caniques, lâaccĂšs physique aux remontĂ©es, les textes de loi, etc.), et aux acteurs humains (pratiquants de la glisse, Service Technique des RemontĂ©es MĂ©caniques, le Syndicat National des TĂ©lĂ©phĂ©riques de France, etc.). Ainsi, lâanalyse du handiski en tant quâinnovation ne se limite pas Ă la question de la compensation physico-motrice du skieur handicapĂ©, mais sâintĂ©resse Ă la crĂ©ation des conditions de possibilitĂ© de sa pratique Ă partir de lâintĂ©ressement de lâensemble des acteurs concernĂ©s par ces conditions. Il ne sâagit donc pas que le skieur handicapĂ© sâaligne sur la norme du skieur valide, mais plutĂŽt que les acteurs co-construisent de nouvelles normes de pratiques avec les skieurs en situation de handicap (Winance, 2004) pour que ces derniers puissent pratiquer Ă libertĂ© Ă©gale2.
Cela constitue toute la diffĂ©rence entre une approche individuelle qui vise la normalisation et lâapproche sociale qui apprĂ©hende les pratiques selon une approche inclusive engageant toutes les parties de la sociĂ©tĂ© (Valet, 2016). La place centrale du problĂšme de lâaccessibilitĂ© dans les politiques publiques, a certes eu un impact normatif sur lâoffre de tourisme hivernal, mais cet impact reste incomplet. Les auteurs observent que les efforts restent malheureusement Ă fournir du cĂŽtĂ© des bĂ©nĂ©ficiaires et de leur entourage. La revendication dâune sociĂ©tĂ© accessible Ă tous (universal design), portĂ©e depuis les annĂ©es 1980 par les mouvements dâusagers, reste finalement dâactualitĂ© dans les sports de glisse bien que des changements importants soient soulignĂ©s. Au-delĂ dâune application incomplĂšte des cadres normatifs des politiques publiques, les acteurs centraux de lâoffre touristique hivernale pourraient se retrouver Ă devoir faire face aux arguments du droit de tout citoyen Ă lâĂ©galitĂ© en dignitĂ© et en droit dâaccĂšs au domaine skiable.
Si le secteur des sports de montagne est dĂ©jĂ reconnu comme un observatoire privilĂ©giĂ© des situations dâinnovation donnant Ă voir toutes les facettes de cette derniĂšre : innovations de produits, de services, de pratiques, de territoires, de procĂ©dĂ©s et dâorganisation3, lâĂ©tude de lâaccessibilitĂ© des pratiques de montagne rĂ©vĂšle deux formes dâinnovation. La premiĂšre est lâinnovation matĂ©rielle qui a rendu possible la pratique du handiski. Si lâĂ©tude de la trajectoire dâinnovation du handiski nâest pas le propos du chapitre, il en donne quelques Ă©lĂ©ments qui Ă©voquent des proximitĂ©s avec la trajectoire dâinnovation du fauteuil tout-terrain mono-roue appelĂ© joĂ«lette, qui permet dâaccĂ©der aux sentiers de randonnĂ©e non amĂ©nagĂ©s (Kasprzak et Perrin, 2017). De leur invention artisanale pour rĂ©pondre Ă des besoins indi...
Table des matiĂšres
- Couverture
- 4e de couverture
- Titre
- Copyright
- Préface
- Introduction gĂ©nĂ©rale â Penser les liens entre le handicap et la technologieâŠ
- PremiĂšre Partie
- DeuxiĂšme Partie