La mort médicalement assistée comme habitus
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La mort médicalement assistée comme habitus

Un paradoxe de la société thanatophobe ?

  1. 120 pages
  2. French
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  4. Disponible sur iOS et Android
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La mort médicalement assistée comme habitus

Un paradoxe de la société thanatophobe ?

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De nos jours, peut-on encore soutenir qu'il y a un déni généralisé de la mort dans notre société? La mort médicalisée n'a-t-elle pas effacé ce déni? En Europe et en Amérique du Nord où l'on craint de vieillir mal et où l'on craint de mourir mal, la mort y est de plus en plus médicalisée. Une conséquence découle de cette réalité: mourir aidé par la médecine ou mourir en milieu médicalisé est devenu une pratique courante admise comme une habitude sociale.

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Informations

Éditeur
Academia
Année
2019
ISBN
9782806123053

III.
NOUS VIVONS DANS UNE SOCIÉTÉ
THANATOPHOBE : QU’EST- CE QUE
CELA VEUT DIRE ?

« Nous vivons dans une société thanatophobe. » Cette thèse fut soutenue et propagée entre autres par l’anthropologue français, créateur de la thanatologie, Louis-Vincent Thomas (1922-1994)54. Pour lui, la culture occidentale entretient un déni généralisé de la mort ; c’est une culture qui nie la mort ; la mort y est taboue. Le déni social de la mort est encore dominant aujourd’hui, soutenait-il. Depuis lors, cette thèse a été reprise et théorisée des milliers des fois par des scientifiques et chercheurs de tout bord : sociologues, ethnologues, anthropologues, théologiens, philosophes, éthiciens, professionnels de la santé… À ce sujet, voici ce que note Pierre-Alexandre Poirier dans son article « De la mort occultée au renouveau de la mort » : « Alors que la mort occupait une place relativement importante dans nombre de sociétés traditionnelles religieuses, il semble qu’elle ait été lentement, mais progressivement occultée lors de la modernité. L’occultation de la mort dans les sociétés modernes a été décrite par nombre d’auteurs tels que l’anthropologue Louis-Vincent Thomas, les historiens Philippe Aries et Michel Vovelle, le psychologue Michel Hanus et le sociologue québécois Denis Jeffrey. Pour ce dernier, la modernité se caractérise notamment par la croyance en une toute-puissance de la volonté permettant un déni du deuil et de la souffrance. Le moderne est celui pour qui le fait de souffrir de la perte de quelqu’un est devenu interdit. Lorsqu’on est moderne, affirme Denis Jeffrey, il est mal vu de parler de la mort, d’enterrer ses morts, d’assister à un rituel funéraire et d’afficher sa tristesse d’être en deuil. »55 Ceci étant souligné, parmi les très nombreux arguments avancés pour soutenir la thèse selon laquelle la société moderne est thanatophobe, j’en retiens seulement deux à cause, selon moi, de la pertinence de leur lien possible avec la mort médicalement assistée : il s’agit d’une part, du jeunisme et de la gérontophobie dont font preuve les sociétés occidentales, et d’autre part, de la médicalisation permanente de la vie et de l’acharnement thérapeutique.

I. Le déni généralisé de la mort dans la société moderne : explication de Louis-Vincent Thomas

À la suite de l’historien français Philippe Ariès et son livre Essai sur l’histoire de la mort en Occident. Du Moyen-âge à nos jours56, les scientifiques de tous bords (historiens, anthropologues, sociologues, éthiciens…) ont souligné à l’envi que les sociétés occidentales se sont peu à peu détournées de la mort. Selon cet historien, plus récemment, c’est-à-dire, au cours du XXe siècle, avec la médicalisation de la mort, on observe qu’il y a eu un changement plus profond dans les mentalités vis-à-vis de la mort : « La mort, si présente autrefois, tant elle était familière, va s’effacer et disparaître. Elle devient honteuse et objet d’interdit. » Comme si techniquement, notre civilisation n’acceptait plus l’idée de la mort. « La mort est maintenant si effacée de nos mœurs que nous avons peine à l’imaginer et à la comprendre. … elle fait si grand-peur que nous n’osons plus dire son nom. »57 Dans la même perspective, selon l’expression Louis-Vincent Thomas : les sociétés occidentales sont devenues, « thanatophobes et mortifères ». Elles ont évacué la mort de leurs préoccupations ; elles ont mis la mort à distance de leurs questions fondamentales. C’est ainsi que dans son célèbre ouvrage Anthropologie de la mort, Louis-Vincent Thomas (1922-1994), professeur d’Université et fondateur de la Société française de thanatologie, affirme que : « Progressivement, l’Europe imitant en cela l’Amérique, la mort est chassée des préoccupations des vivants. Elle est exclue de nos vies quotidiennes et l’on s’efforce de l’oublier. Ce silence, nouveau tabou, s’étend peu à peu. » La mort est côtoyée quotidiennement et pourtant toujours inacceptable, voire refoulée. L’universitaire français Louis-Vincent Thomas suivi par bien d’autres scientifiques et observateurs des sociétés occidentales argumente comme suit la « thanatophobie » dont font preuve les individus dans ces sociétés : le « déni de la mort » qu’il qualifie de thanatophobie dans la société moderne ne signifie pas seulement le refus ou la peur de la mort, mais le fait de faire comme si la mort n’existait pas, comme si elle n’avait aucune importance, de l’ignorer ou de manifester l’indifférence à son égard comme si elle ne faisait partie de la vie. Selon lui, la société moderne se construit sur le refus de la mort. Notre société vit dans le déni de la mort. La mort est mise à distance et apparentée à une maladie que l’on peut combattre. C’est une attitude qui nous est contemporaine, « le déni de la mort n’a jamais autant existé », disait-il souvent. « La société moderne est thanatophobe et mortifère… une société où le rapport à la mort est en faillite… »58. Louis-Vincent Thomas regrette le fait que le « déni de la mort dans nos sociétés soit devenu un lieu commun ». La mort n’a plus de place dans les discours importants de notre société, elle est refoulée et souvent effacée de la mémoire collective comme horizon possible. La culture occidentale entretiendrait donc un déni généralisé de la mort. Voici ce qu’il écrit dans « La mort aujourd’hui : de l’esquive au discours convenu » : « Le rejet de la mort est en relation avec notre système socioculturel : société à accumulation des biens, plus riche en outils et signes qu’en rites et symboles, axée sur la rentabilité et le profit, où l’homme n’est plus qu’un producteur-consommateur. Parmi les facteurs qui entrent en ligne de compte, évoquons, dans le hasard :
– la perte des valeurs religieuses, malgré tout apaisantes ;
– une forte poussée individualisante dans un monde collectif, anonyme et indifférent (déréliction) ;
– le pouvoir excessif accordé à la science et à la technique ; la mort est une maladie que l’on saura guérir ; la technique peut nous sauver ;
– les incidences de la vie urbaine : un habitat exigu (difficulté d’accompagner le mourant et de veiller le cadavre) ; les exigences du transport (interdiction des cortèges funéraires pour ne pas gêner la circulation) ; le coût élevé des terrains (source de difficiles problèmes pour l’aménagement des cimetières) ; enfin le rythme de vie, le travail des femmes, la famille nucléaire qui rendent malaisée la disponibilité d’être au service de celui qui souffre ou qui va mourir. Tout ceci engendre une stratégie de la coupure Vie/Mort, Vivant/Mourant, Survivant/Défunt. »59 On trouve cela particulièrement développer par Louis-Vincent Thomas dans son ouvrage Anthropologie de la mort publié en 1975 aux éditions Payot. Dans celui-ci, à propos de la mort et de son vécu sociétal, Louis-Vincent Thomas compare et oppose les civilisations occidentales et capitalistes aux civilisations africaines traditionnelles. Selon lui, contrairement aux Africains, les Occidentaux ont abandonné les rituels traditionnels porteurs de symboles collectifs pour l’imaginaire individuel qui accompagnaient la mort considérée comme un fait sociétal total. L’individualisme étant prégnant dans les civilisations occidentales capitalistes, chacun se trouve seul devant sa mort, à charge à lui seul de lui trouver un sens ou d’assumer qu’elle n’en a pas. Et contre l’angoisse et la peur causées par la mort, les sociétés occidentales n’ont pas trouvé mieux que de chasser la mort à la fois de leur vue et de leur souvenir. Vivant désormais dans le déni de la mort et dans le refoulement collectif de celle-ci, les individus dans les civilisations occidentales capitalistes sont laissés à eux-mêmes face à cette réalité éprouvante de la fin de leur existence. Dès lors, la mort s’intériorise alors sous forme de fantasmes obsessionnels inconscients, générateurs de troubles mentaux. On dirait qu’à force d’être niée, la mort se venge.
Dans son analyse de l’œuvre intellectuelle de Louis-Vincent Thomas, Patrick Baudry, professeur de sociologie à l’Université Bordeaux 3 en France indique dans son article que : « Le déni de la mort est une notion introduite par Louis-Vincent Thomas ». Le déni de la mort dans le réel et le quotidien de la vie fait disparaître la mort comme horizon. Le « déni de la mort » selon Louis-Vincent Thomas est bien plus qu’une simple peur de la mort ou une angoisse provoquée par celle-ci. Selon lui, le « déni de la mort » désigne le fait que la mort résonne comme un interdit dans notre société contemporaine. Le « déni de la mort » reflète l’état d’esprit de la majorité des gens vivant dans la société moderne. Le « déni de la mort » est la marque de la société moderniste et modernisée. Et donc, si on comprend bien, c’est la modernisation de la société qui accentuerait ce déni de la mort. Cette société a comme caractéristique et principale préoccupation « l’accumulation des biens » opposée à « l’accumulation des hommes ». Elle est reconnaissable par « la montée de l’individualisme associé à la compétition et à la recherche du profit, la domination des valeurs de consommation et de production, et l’hégémonie d’une Science et d’une Technique donnant l’espoir fou d’une mort vaincue ou qui pourrait se ravaler au rang de la maladie, étaient selon lui les sources d’un déni de la mort » indique Patrick Baudry qui présente la pensée de Louis-Vincent Thomas. Et c’est ce déni en société qui ferait perdre aux individus « des repères essentiels »60 selon Patrick Baudry auteur du livre La Place des morts61. La modernité a forgé en nous une illusion, dit-il. Elle a mis en place la culture de la science qui dicte la conscience que nous sommes faits pour contrer la mort, ce qui explique en partie pourquoi la mort reste un sujet peu évoqué dans les discours importants de la société. La mort est vécue comme une incongruité, un échec et, à ce titre, largement occultée. La mort provoque la fuite, elle est expulsée de la vie sociale. En Occident, c’est la mort elle-même qui devient le tabou par excellence, les interdits thanatologiques n’étant plus visibles. Le professeur Patrick Baudry continue d’expliquer la notion du « déni de la mort » chez Louis-Vincent Thomas en soulignant que ce dernier adopte une posture critique vis-à-vis d’une société de profit et de consommation qui vit comme si la mort n’existait pas. Le « déni de la mort » signifie principalement deux choses : non pas la peur ou le refus de la mort, ou son interdiction, mais le fait de faire comme si la mort n’existait pas, ou comme si elle n’avait aucune importance. Faire comme si la mort n’existait pas, cela renvoie par exemple à la disparition des signes sociaux de la mort. Le propos de Louis-Vincent Thomas est d’interroger « une société d’accumulation des biens », comme il disait, en opposition à « une société d’accumulation des hommes ». L’expression de « déni de la mort » permet de caractériser une société qui, se détournant de la mort, se détourne finalement de la vie, se détourne de l’humanité ; une société qui est celle de l’accumulation, dans le sens du profit, de la rentabilité, de la productivité. Donc une société où prime l’avoir sur l’être et qui donne au fond de l’importance – mais faussement – à l’individu, au détriment de la solidarité du groupe. La notion de « déni de la mort » est une manière de critiquer la société capitaliste. Le « déni de la mort » est structurellement lié à la logique de production d’une société capitaliste. Faire comme si la mort n’existait pas, ne penser qu’à la vie et donc à la jouissance, c’est aussi finalement se couper de toute une part de ce qui fait la relation de l’un avec l’autre, de ce qui se joue dans le monde humain. C’est cette même société qui prétend que la mort n’existerait pas qui génère les pratiques les plus mortifères. Une des thèses de Louis-Vincent Thomas était de dire « nous sommes dans une société thanatophobe et mortifère. Mortifère parce que thanatophobe » disait-il. Tout ça, on le trouve très clairement énoncé par Louis-Vincent Thomas dans son ouvrage Mort et pouvoir62. Le « déni de la mort » signifie autre chose de plus fou encore que de faire comme si la mort n’existait pas, c’est de faire comme si elle n’avait aucune importance. Nous serions dans une société à ce point folle que la mort pourrait s’y vivre comme n’importe quel événement63. Pour Louis-Vincent Thomas, le déni de la mort dans les sociétés modernes représente une rupture anthropologique majeure. L’homme contemporain ne s’inscrit plus dans une communauté dont il sait qu’elle va lui survivre, il vit comme si la mort est une maladie dont il trouvera un jour un remède. La vie est la valeur suprême à ses yeux et, en la perdant, il perd tout. Les progrès de la science permettent d’envisager l’amortalité, c’est-à-dire, une prolongation de la vie pour une période non définie sans être éternelle.
Gaëlle Clavandier, maître de conférences en sociologie à l’Université Jean-Monnet de Saint-Étienne et chercheur au Centre Max Weber à l’Université de Lyon affirme elle aussi que : « c’est l’ouvrage Anthropologie de la mort de Louis-Vincent Thomas qui va véritablement révolutionner le regard scientifique… il faut en mesurer les apports. … La spécificité de la société contemporaine est d’introduire une ligne de fracture dans son rapport à la mort, faisant de celle-ci un objet extérieur et pourtant sans réelle distance. D’où l’idée d’une désocialisation et d’une déritualisation qui débouchera sur la thèse du déni de la mort. Les expressions ne manquent pas pour qualifier la société moderne, laquelle serait “thanatophobe”, “profondément mortifère”, mais aussi paradoxalement “nécrophile” et “nécrophobe”. Synonyme d’échec, la mort fait obstacle à un vécu positif ; or ce vécu est fondamental dans une société où la consommation est promue au rang des icônes de la modernité. L’urbanisation croissante, l’individualisation des consciences, le progrès technique, l’accroissement important du décès en structure hospitalière sont des facteurs de cette désocialisation »64. Dans son analyse de la pensée de Louis-Vincent Thomas, Gaëlle Clavandier montre le cheminement de celle-ci dans ce qu’elle considère comme les caractéristiques d’une société thanatophobe. Dans celle-ci, la mort provoque la fuite, elle est expulsée de la vie sociale, les mourants sont isolés et les vieillards méprisés. Le deuil, qu...

Table des matières

  1. Couverture
  2. 4ème de couverture
  3. Copyright
  4. Titre
  5. I. LES TERMES EXPLICATIFS DE LA MÉDICALISATION DE LA MORT ENGLOBANT LA « MORT MÉDICALEMENT ASSISTÉE »
  6. II. LA MORT MÉDICALEMENT ASSISTÉE COMME HABITUS DANS LA SOCIÉTÉ EUROPÉENNE ET DANS LA SOCIÉTÉ NORD-AMÉRICAINE
  7. III. NOUS VIVONS DANS UNE SOCIÉTÉ THANATOPHOBE : QU’EST- CE QUE CELA VEUT DIRE ?
  8. IV. LA MORT MÉDICALEMENT ASSISTÉE PARTICIPE-T-ELLE À LA CULTURE DU DÉNI DE LA MORT QUE L’ON ATTRIBUE À LA SOCIÉTÉ MODERNE ?
  9. CONCLUSION
  10. BIBLIOGRAPHIE
  11. Table des matières