Une maternité impensée
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Une maternité impensée

Devenir mère suite à un déni de grossesse

  1. 128 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Une maternité impensée

Devenir mère suite à un déni de grossesse

Détails du livre
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Table des matières
Citations

À propos de ce livre

Cet ouvrage est destiné aux professionnels du soin et du social. Il donne à penser un accompagnement ajusté de femmes ayant vécu un déni de grossesse. Ces mères y évoquent le choc du déni et sa culpabilité, la quête de sens par-delà le stigmate et les débrouilles pour faire face aux effets du déni de grossesse sur leur vie affective, sociale et professionnelle. Leur parcours est un combat individuel, social et sociétal pour la reconnaissance de toutes les maternités impensées.

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Informations

Éditeur
Academia
Année
2019
ISBN
9782806123039

Dire que je suis mère !

La découverte d’une grossesse inattendue
Au coucher du soleil, cette méditerranée semble beaucoup plus profonde qu’en journée, je trouve. En journée, c’est juste bleu et là, il y a une profondeur qui est donnée. Par les changements de bleu. Pour moi, voir ce bleu-là, c’était le bleu par lequel j’étais passée […] Tu tombes dans l’océan.
Yaëlle
J’ai invité chacune de ces femmes à me raconter la découverte de leur grossesse. J’ai supposé que cette invitation à retracer cet événement hors de l’ordinaire – comme on conte une histoire – les aiderait à sentir la confidence qu’elles souhaitaient me partager. Elles m’ont emmenée au-delà des apparences et leur intimité dévoilée est un don sur lequel j’ai veillé. Nos discussions ont moins porté sur les aspects factuels du déni que sur ce qu’elles ont éprouvé et subi suite à la découverte de la grossesse dans leur quotidien de mère et de femme. Cette entrée en matière, somme toute assez banale, touche cependant le point névralgique du sujet puisqu’il correspond au basculement de leur vie par l’arrivée soudaine d’un enfant qu’elles n’attendaient pas. Le fil de nos discussions nous a menées vers des aspects de leur vie qu’elles ne liaient pas directement à cette grossesse impensée. Dans ce chapitre, elles témoignent sans tabou du choc qui suit la découverte de la grossesse et de leurs sentiments ambivalents. Elles racontent comment elles ont fait face à cet imprévu d’envergure.

Ce n’était pas du tout le bon moment

Bien que les typologies comportent l’inconvénient d’uniformiser des singularités, il me semble que trois contextes de vie défavorables à l’arrivée d’un bébé émergent à travers leurs histoires :

Ambition professionnelle versus maternité

Je rencontre Bénédicte dans un café bruxellois très bruyant. Nous avions déjà pu converser brièvement par téléphone. Elle a vingt-huit ans et est de nationalité française. Elle vit et travaille à Bruxelles depuis quelques années. Ce jour-là je la découvre, les cheveux bruns attachés en chignon flou. Elle est installée à une petite table accolée à d’autres, sur laquelle un jus de fruits maison est posé. Bénédicte est lumineuse et pleine d’énergie. Elle me dit avoir une heure trente à m’accorder car elle a plusieurs choses à préparer pour l’accouchement prévu la semaine suivante. Bénédicte se lance dans le récit de sa « grossesse surprise »15 qui est venue contrecarrer ses projets. Jusqu’à la levée du déni au sixième mois, Bénédicte et son compagnon avaient choisi de donner une priorité à leurs ambitions professionnelles et de reporter leur projet de parentalité à plus tard. Elle explique son état d’esprit avant la levée du déni :
J’étais un peu dans le schéma classique, traditionnel. D’abord, j’me marie puis après j’ai des enfants […] [Mes collègues] ont plus des enfants à partir de trente-cinq ans, quoi. Elles se posent enfin. Moi j’avais un peu ça comme exemple autour de moi. J’me suis dit « tiens ça me convient bien » mais c’était un projet de vie quand même pour moi d’avoir des enfants.
En effet, « la naissance du premier enfant est d’autant plus retardée que le niveau de formation des mères est élevé » (Ferrand, 2004). Au-delà de la carrière, il semble important pour Bénédicte d’être mariée avant d’avoir un enfant puisqu’elle épouse son compagnon entre la levée du déni et l’accouchement. J’y interprète un attachement à certaines valeurs traditionnelles mais elle m’explique que ce mariage précipité est avant tout lié à des raisons administratives – le visa de son compagnon installé à l’étranger expire avant la naissance de leur fils – et à leur volonté de donner un cadre juridique solide à leur enfant.
Télia est devenue mère pour la seconde fois depuis un mois lorsque je la rencontre à son domicile. Elle semble fatiguée et débordée. Elle m’accueille néanmoins chaleureusement durant deux heures, son bébé dans les bras et son fils de quatre ans courant aux quatre coins de l’appartement. Télia a repris des études d’infirmière depuis près de deux ans quand elle découvre sa grossesse. Ce projet d’études était très important pour elle, après avoir gardé et allaité deux ans et demi son aîné à la maison. Elle et son compagnon, en arrêt maladie prolongé, n’envisageaient pas si tôt un second enfant. Télia n’aime pas parler de moment opportun pour avoir un enfant mais elle aurait préféré l’accueillir dans un appartement plus spacieux. Ils vivent dans un trois-pièces avec un petit jardin mais ils disposent d’une seule chambre. Télia y dort avec ses deux enfants tandis que son compagnon s’allonge dans le canapé. Le moindre mètre carré est utilisé pour entreposer des caisses, des jouets, des livres pour enfants ou pour décorer. Je suis impressionnée par la quantité d’objets et la capacité de Télia à savoir où se trouve chaque chose. Au-delà du projet d’études de Télia, la situation économique du couple et l’espace de vie dont ils disposent, leur permettent difficilement de penser l’arrivée d’un nouvel enfant.

Un moment de fragilité émotionnelle

Lorsqu’elle découvre sa grossesse au sixième mois, Lucie a trente-et-un ans. Elle est déjà mère de trois filles. Son mari est aussi le père de deux jeunes femmes d’une vingtaine d’années, enfants d’une union précédente. Toute la famille vit en France. À cette époque, Lucie ne travaille plus depuis un peu plus de six mois. Une dépression liée à du harcèlement moral sur son lieu de travail l’a mise à l’écart. Elle découvre sa grossesse en réalisant des examens liés à une douleur ressentie au niveau de l’aine qui s’est finalement révélée en être la manifestation. L’arrivée du petit dernier, seul garçon de la fratrie, crée la surprise. Son mari et leur entourage se réjouissent qu’il s’agisse enfin d’un garçon. Mais Lucie ne vit pas la situation de la même manière : « moi, je m’en foutais du sexe, je n’en voulais plus ! ». Son âge, son état dépressif et la gestion d’une famille déjà nombreuse sont, pour Lucie, autant de facteurs défavorables à l’arrivée d’un nouvel enfant.
Yaëlle est âgée de trente-deux ans et déjà mère d’un petit garçon lorsqu’elle découvre qu’elle est enceinte de cinq mois. Elle vit avec son compagnon dans un appartement un peu étriqué mais qu’ils affectionnent beaucoup. À cette époque, Yaëlle est très occupée par la préparation de sa thèse et vit douloureusement le deuil de sa maman, décédée trois mois plus tôt. Les deux semaines qui ont suivi la découverte de la grossesse, « je les ai passées dans mon fauteuil en pleurant parce qu’en vérité, je voulais ma maman et pas un enfant » me confie-t-elle. Comme Lucie, Yaëlle se sentait trop fragile pour vivre une nouvelle maternité.

Jeunes majeures sans situation financière pérenne

Lorsque le déni est levé au terme de la grossesse pour Madisson ou à deux mois de celui-ci pour Cheima, elles ont à peine vingt ans et vivent chez leurs parents dont elles sont dépendantes financièrement. Madisson est française, Cheima est belge. Toutes deux sont célibataires lorsqu’elles apprennent leur grossesse. L’ex-compagnon de Madisson a reconnu sa paternité et la soutient alors que le premier amour de Cheima n’a pas voulu assumer son rôle de papa et a disparu sans laisser aucune trace.
Diane a vingt-et-un ans lorsqu’elle tombe enceinte. Elle ne connaît le papa que depuis un mois. Ils sont tous deux étudiants. Neuf mois plus tard, aux urgences de l’hôpital, ils découvrent qu’ils vont être parents. Diane a mis au monde un petit garçon et elle est toujours en couple avec le papa. Ils cohabitent dans un 20m², en France.
Le bébé s’est imposé à chacune d’entre elles dans un contexte de vie qui s’y prêtait mal. Souvent, le projet de maternité existe dans l’imaginaire de ces femmes mais il est remis à plus tard. Pour devenir mères, elles désiraient un contexte de vie économique et affectif plus approprié. Cependant, l’enfant du déni, « l’enfant inconcevable […] arrive discrètement, sans prendre de place jusqu’à ce qu’un jour il ne puisse plus se cacher » (Marinopoulos, 2007).
Un déni de grossesse contraint les femmes à vivre leur grossesse jusqu’au bout. Toutes celles que j’ai rencontrées disent être devenues mères à partir du moment où elles ont conscientisé et accepté l’existence de l’enfant. Ce moment important pour favoriser la relation à son bébé arrive rapidement chez certaines alors qu’il se manifeste plus tardivement pour d’autres. Dans la suite de ce chapitre, je tenterai de rendre compte du chemin psychique qu’elles ont parcouru, entre la découverte de leur grossesse et l’auto-reconnaissance de leur rôle de mère.

Ondes de choc : l’annonce

Ces femmes sont toutes accompagnées d’un proche au moment où elles découvrent leur grossesse. À l’exception de Yaëlle qui s’est présentée seule à une visite gynécologique de routine. Pour toutes les autres, l’accompagnateur est le mari ou compagnon, un parent ou une amie. Elles avaient ressenti quelque chose d’inhabituel dans leur corps. Trois d’entre elles soupçonnent une grossesse, une autre craint un kyste et les deux dernières sont sur le point d’accoucher. Dès lors, l’appel à une personne de confiance pour affronter l’inconnu et être soutenue semble faire sens chez chacune d’entre elles. Toutes ces femmes insistent sur la présence essentielle de cette personne à leurs côtés ; peut-être pour être, malgré tout, retenues dans cette sensation de « tomber de vingt étages » comme me l’explique Madisson : « c’était l’enfer. Je me suis écroulée [et] j’ai pleuré ». Madisson découvre qu’elle est enceinte quelques heures avant d’accoucher.
Une grossesse découverte au quatrième mois ou au neuvième mois est un bouleversement. Quelques femmes multiplient les tests afin de s’assurer que ce qu’elles n’attendaient pas, est sur le point d’arriver. Plusieurs jours passés dans les angoisses, les incertitudes et les questionnements. Toutes ces femmes parlent de « choc » pour caractériser la découverte de leur état. Une sorte de secousse sismique psychique dont les répercussions se prolongent au-delà de l’accouchement. Le choc de l’annonce aux « allures traumatiques […] demande alors à la femme de construire en un temps extrêmement court une grossesse » (Marinopoulos, 2007). Des mois ou des années plus tard, cet impensable demeure marqué et affecte encore leur confiance en elles, leur sexualité et leur contraception.
Au cours de la même année, Yaëlle a perdu deux êtres chers, sa maman et une amie proche ; elle a ensuite accouché de son deuxième enfant, une petite fille totalement inattendue. « [Ces] dix mois [sont] une parenthèse dans ma vie tout à fait noire, quand même. [Une période] où ma vie n’a pas vraiment existé » confie-t-elle. Elle murmure ces mots, elle prend le temps de les choisir, de les partager. Yaëlle parle de périodes entières pour lesquelles les souvenirs ont disparu sauf le sentiment de panique constant : « Cette année n’a pas existé » dit-elle. Yaëlle est une femme qui semble forte, dynamique et déterminée. Avant cet entretien, je l’ai rencontrée quelquefois brièvement sans connaître son histoire. Le cadre des échanges était plus formel. Elle m’est toujours apparue vigoureuse et inébranlable. Dans ce nouveau contexte, un bar à vin branché peu fréquenté ce soir-là, sur fond de musique éclectique, je rencontre une femme plus fragile, encore ébranlée par sa grossesse invisible, révélée six ans plus tôt. Elle me confie :
J’ai complètement perdu tout repère [elle insiste sur le mot]. Ce sentiment […] est quand même avant tout lié aux pertes de contrôle, de ne plus savoir ce que fait ton corps. Comment t’as pu louper ça ? Qui quoi comment ? Comment je vais pouvoir travailler ? Et les premiers jours, [se demander] est-ce qu’il est en bonne santé ? Et s’il n’est pas en bonne santé, est-ce que [ma fille] sera en état suffisamment mauvais pour qu’on l’enlève sans faire trop de tracas ? Parce que si on a en plus un enfant handicapé, au premier étage sans ascenseur ben là, on quitte notre vie, en fait ! Peut-être que ça aurait été. Peut-être que là aussi on aurait pu s’adapter au final ?
La grossesse avancée de Yaëlle ne lui permet pas d’opter pour une IVG, si tel avait été son choix. Son analyse pragmatique de l’événement la pousse à se représenter des scénarios dramatiques et les différentes issues possibles.

Hors délais : l’IVG n’est plus une option

La majorité de ces femmes, rencontrées dans un café ou sur le groupe Facebook dédié au déni de grossesse, évoque l’avortement mais sous différents angles. D’abord comme une option envisagée – à condition de se rendre aux Pays-Bas – mais à laquelle elles ont renoncé. Ensuite l’avortement comme une éventualité, si elles n’avaient pas découvert leur grossesse si tardivement (sans pour autant affirmer qu’elles y auraient eu recours). Enfin comme un soulagement car, les délais étant dépassés, elles étaient libérées du poids que représente ce genre de décision. Bénédicte qui symbolise la levée du déni par une « décharge électrique émotionnelle qui est au-delà de tout entendement » me confie : « J’étais un torrent de larmes, je ne savais plus quoi penser. Ma vie changeait du tout au tout parce qu’à vingt-trois semaines16, on ne fait plus d’IVG, on ne peut plus se poser la question si on en veut un ».
Et puis il y a Yaëlle qui m’interpelle à la fin de l’entretien sur une question que je lui ai posée plus tôt. Elle m’avait exprimé la colère qu’elle ressentait envers un médecin consulté deux mois avant que sa gynécologue ne constate sa grossesse, déjà avancée de cinq mois. Elle regrette amèrement que le médecin ne lui ait pas proposé d’examen complémentaire. Je lui ai demandé ce que cela aurait changé de découvrir sa grossesse plus tôt. Surprise, Yaëlle m’avait répondu qu’elle « l’aurait su à trois mois […] Ce qui voudrait dire que [sa] décision d’avorter potentiellement aurait été beaucoup plus facile à prendre. Et qu’[elle] aurait pu avoir ce fameux choix ». Une heure plus tard, elle souhaite revenir sur sa réponse. Elle m’explique qu’après réflexion, elle ne se voit pas retourner dans un centre de planning familial pour une IVG parce que cela demande beaucoup trop d’initiative et d’énergie. Or elle « était noyée » par la perte de sa maman et par l’accompagnement de son papa dans la maladie. Elle « était prise dans d’autres choses ». Néanmoins, elle pense qu’il faudrait revoir le cadre légal belge de l’IVG :
Les délais devraient être étendus en Belgique aussi. Ça, ça me semble clair. Mais ça n’empêche qu’après, tu peux encore, en âme et conscience, dire « ben et alors [si je gardais l’enfant] ? » Et ça ne veut pas dire que je vais la tuer. [Enfin], pas tout de suite [Elle rit].
Lors d’une consultation, ma médecin-gynécologue m’a confié avoir reçu en examen plusieurs femmes pour pratiquer une IVG. Celles-ci ne savaient pas encore qu’elles avaient fait un déni de grossesse et qu’il était trop tard pour avorter. Je ne sais pas si Cheima a envisagé l’avorte...

Table des matières

  1. Couverture
  2. 4e de couverture
  3. Titre
  4. Remerciements
  5. Introduction – Rencontrer l’improbable
  6. Tentatives de définition d’un phénomène communément appelé déni de grossesse
  7. Dire que je suis mère ! La découverte d’une grossesse inattendue
  8. La violence du stigmate Les enjeux d’un accompagnement psychomédicosocial et relationnel ajusté
  9. Dans l’isolement, retrouver du lien Bricoler un semblant de vie normée
  10. Ce qui est impensable n’est pas impossible Regarder au-delà du déni de grossesse
  11. Références
  12. Table des matières