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Comment peut-on expliquer l'attrait pour la France de l'intelligentsia iranienne des années 1830 aprÚs deux traités humiliants imposés par la Russie? Notre hypothÚse est que la diaspora iranienne francophone, née au 19e siÚcle, se nourrirait essentiellement d'une proximité culturelle et littéraire, de recherche d'un asile politique; dans les années 1980, elle se serait étendue à un large éventail d'individus de parcours légal ou clandestin, au regroupement familial.
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Sujet
Social SciencesSous-sujet
Sociology1
La dynastie des Qadjar
Quelles sont les origines historique, culturelle et sociale de la dynastie Qadjar ? Pourquoi sâintĂ©resser Ă la dynastie Qadjar pour Ă©tudier la ? En quoi la France a-t-elle Ă©tĂ© concernĂ©e par lâhistoire politique iranienne de cette pĂ©riode ? Comment sâincarne le prisme francophile en Iran Ă cette Ă©poque ? Quelles ont Ă©tĂ© les consĂ©quences des Ă©checs militaires lors des deux guerres de 1813 et 1828 pour les relations franco-iraniennes ?
GĂ©ohistoire dâune dynastie
La tribu et les clans des Qadjar, issus de groupes turcs, se rĂ©partissaient de lâouest et du sud de la mer Caspienne jusque dans des pays de lâAsie centrale. Ils ont vĂ©cu pendant plusieurs siĂšcles sous une organisation tribale et leur prĂ©sence politique remonte aux 14e et 15e siĂšcles dans le vaste territoire de lâIran oĂč ils participent Ă la « confĂ©dĂ©ration des Qizilbash ». Cependant, selon lâhistorien Nasser Takmil Homayoun, la connaissance historique de cette tribu dans le cadre de lâ« IranitĂ© » sur le plan culturel et social nâest pas encore arrivĂ©e Ă son terme25.
Pour lâhistorien Mohammad Reza Djalili, la dynastie Qadjar, issue dâune tribu dont les premiĂšres traces en Iran remontent au 10e siĂšcle, a tenu les rĂȘnes de lâempire jusquâen 1925. Câest une tribu turcomane dâĂ©leveurs nomades originaires dâune rĂ©gion qui sâĂ©tend du Mazandaran, au bord de la mer Caspienne, jusquâĂ la grande province du Khorasan, situĂ©e au nord-est de lâIran. Ă lâĂ©poque safavide, les Qadjar appartiennent Ă la confĂ©dĂ©ration des tribus disciples de lâordre soufi chiite des Safavides ; tribus sur lesquelles sâappuie la dynastie safavide pour Ă©tablir son pouvoir26.
Dans ce territoire, grand comme trois fois la France, il fallait des semaines pour relier les villes Ă la capitale. En 1800, lâIran comptait cinq ou six millions dâhabitants et la population Ă©tait clairsemĂ©e. En raison de la prĂ©sence du plateau dĂ©sertique, les villages sâĂ©taient regroupĂ©s dans les fonds de vallĂ©es, seuls endroits (outre la plaine caspienne qui jouit de pluies abondantes) oĂč pouvait sâimplanter un habitat rural. Lâirrigation Ă©tait assurĂ©e soit en surface, soit par drainage des eaux de piĂ©mont. Le modĂšle par excellence de cet habitat Ă©tait le jardin irriguĂ© par des canaux savamment disposĂ©s et protĂ©gĂ© du vent sec par de hauts murs de pisĂ©27.
Lâenvironnement gĂ©ographique et climatique avait entraĂźnĂ© une autre forme particuliĂšre dâoccupation du sol, le nomadisme. Profitant en Ă©tĂ© des pĂąturages dĂ©gagĂ©s par la neige dâaltitude et en hiver de la douceur des plaines, les nomades dâIran nâeffectuaient pas des dĂ©placements saisonniers trĂšs lointains : trois cents kilomĂštres en moyenne. Leur structure sociale Ă©tait trĂšs hiĂ©rarchisĂ©e, tribale, car le groupe devait pouvoir dĂ©fendre son territoire Ă tout moment contre les empiĂštements dâun rival. Au dĂ©but du 19e siĂšcle, on estime que lâIran comptait un demi-million de nomades, soit environ un dixiĂšme de la population, soit environ un tiers selon les sources. En proportion, le peuplement nomade va diminuer avec la croissance dĂ©mographique gĂ©nĂ©rale, mais il restera numĂ©riquement presque constant et symboliquement central, bien quâaujourdâhui il reprĂ©sente seulement une frange nĂ©gligeable de la population28.
La prise du pouvoir par Agha Mohammad Khan
La tribu des Qadjar se divise en deux branches rivales : les Qovanlu et les Davanlu. Agha Mohammad Khan (1742-1797), le fondateur de la dynastie, est le chef du clan des Qovanlu. AprĂšs lâĂ©chec de son pĂšre dans une guerre au Khorassan29, il a Ă©tĂ© chĂątrĂ© Ă lâĂąge de six ans par Adel Shah Afshar (1719-1749) pour lâempĂȘcher de rĂ©gner un jour ; dĂšs lors, il rĂȘve de se venger et de reconstituer le royaume safavide mais il passe quinze annĂ©es Ă Chiraz comme otage de Karim Khan Zand (1705-1779), dont la dynastie rĂšgne sur le sud du pays de 1750 Ă 1794.
AprĂšs la mort de Karim Khan en 1779, Agha Mohammad Khan sâĂ©chappe de prison et se lance dans la lutte contre ses proches pendant une dĂ©cennie, de 1779 Ă 1789, pour rĂ©unifier les factions Qadjar et imposer son autoritĂ© sur le nord de lâIran. Par la suite, il Ă©tend son entreprise sur lâensemble de ce qui constitue aujourdâhui le territoire iranien plus le Caucase du sud.
Le groupe turcoman et turcophone qui nomadisait au nord de lâIran, comptait environ mille personnes lorsquâil sâempara du pouvoir par les armes en rĂ©duisant les principautĂ©s qui sâĂ©taient disputĂ© la domination du plateau iranien aprĂšs la mort de Nader Shah (1688-1747). Il Ă©tablit sa capitale Ă TĂ©hĂ©ran. De lĂ , il pouvait aller facilement au nord par des cols ouverts pendant une grande partie de lâannĂ©e et oĂč passaient les caravanes reliant Tabriz Ă Mashhad. Il fallut encore une dizaine dâannĂ©es Ă Agha Mohammad Khan pour rĂ©unifier les terres persanes30. Mais comme Nader Shah, il devient de plus en plus obsĂ©dĂ© par le pouvoir et se livre Ă des atrocitĂ©s. Lors du siĂšge de la ville de Bam, encore sous lâautoritĂ© du dernier rescapĂ© de la dynastie Zand, Agha Mohammad Khan ordonne le massacre gĂ©nĂ©ral des habitants de la ville et aprĂšs la chute de celle-ci, il crĂšve lui-mĂȘme les yeux de Lotf Ali Khan Zand (1769-1794)31.
Devenu cruel et narcissique, il fut assassinĂ© par trois de ses serviteurs Ă lâĂąge de 57 ans lors dâune guerre Ă Shoush, dans la rĂ©gion de GĂ©orgie. AprĂšs des erreurs commises par ses serviteurs, Agha Mohammad Khan avait en effet dĂ©cidĂ© de les tuer mais ceux-ci en furent informĂ©s. Comme lâexĂ©cution avait Ă©tĂ© reportĂ©e en raison du vendredi soir, les trois hommes, pour sauver leur peau, entrĂšrent dans la tente dâAgha Mohammad Khan pendant la nuit et le tuĂšrent de coups de couteau pendant son sommeil32.
Fath Ali Shah
LâĂtat quâAgha Mohammad Khan a fondĂ© sâinspire du modĂšle safavide mais avec une administration aux dimensions trĂšs modestes. Câest de cette structure quâhĂ©rite son neveu et successeur dĂ©signĂ©, Baba Khan, qui rĂšgne sous le nom de Fath Ali Shah (1772-1834) de 1797 Ă 1834. Il dirige un Ătat extrĂȘmement pauvre avec une population dâenviron 6 millions dâhabitants dont un large tiers est nomade, difficile Ă contrĂŽler et vivant autour dâune grosse bourgade, la capitale TĂ©hĂ©ran. Celle-ci a Ă©tĂ© prĂ©fĂ©rĂ©e Ă Ispahan, la vieille capitale des Safavides, en raison de sa proximitĂ© avec le territoire traditionnel des Qadjar et avec le Caucase convoitĂ© par Agha Mohammad Khan. Sa population ne dĂ©passe pas 30 000 habitants. Sur le plan militaire, lâĂtat dispose de forces armĂ©es peu nombreuses, composĂ©es dâenviron 35 000 cavaliers et 15 000 fantassins mis Ă la disposition du shah par les tribus33.
Tout au long de leur rĂšgne, malgrĂ© certains efforts de modernisation des forces armĂ©es sur le modĂšle des rĂ©formes entreprises dans lâempire ottoman voisin, parfois avec lâaide dâinstructeurs Ă©trangers, les Qadjar demeurent faibles sur le plan militaire, ce qui pose le problĂšme gĂ©opolitique du facteur extĂ©rieur, Ă savoir la prĂ©sence de deux Ătats aux visĂ©es impĂ©rialistes : au nord la Russie et au sud lâAngleterre.
Les deux guerres et les deux Ă©checs fatals
La premiÚre guerre russo-iranienne (1804-1813) : le Traité de Golestan
Ă la mort du roi de GĂ©orgie en dĂ©cembre 1800, la Russie qui maintenait des troupes dans ce territoire depuis 1799 veut lâannexer. Mais TĂ©hĂ©ran rĂ©siste, considĂ©rant que cette rĂ©gion Ă©tait sous sa souverainetĂ©. Le prince Abbas Mirza envoie ses troupes pour faire la guerre, mais en dĂ©pit dâune victoire initiale et en raison du manque de logistique et de lâabsence de soutien de la cour, son armĂ©e est complĂ©tement dĂ©faite en octobre 1812 Ă Aslandouz, sur le fleuve Araxe. Fath Ali Shah doit signer en octobre 1813 le TraitĂ© de Golestan, un village du QarabĂągh, par lequel il abandonnait la majoritĂ© de ses provinces caucasiennes : le Karabagh, le Daghestan, le Shirvan, la GĂ©orgie, une partie du Talesh et les villes de Ganja et Bakou34.
Ce traitĂ© de Golestan mettant fin Ă la premiĂšre guerre irano-russe de 1804 Ă 1813, est humiliant pour lâIran qui doit non seulement cĂ©der le Caucase Ă la Russie, mais lui garantir Ă©galement lâexclusivitĂ© de lâactivitĂ© militaire sur la mer Caspienne. De plus, le tsar de Russie se voit attribuer des droits Ă reconnaĂźtre le prince hĂ©ritier du trĂŽne, une disposition vague qui offre Ă Saint-Petersbourg la possibilitĂ© de sâimmiscer dans la succession royale de son voisin.
Lâanalyse de cet Ă©chec met en Ă©vidence des facteurs intĂ©rieurs mais fait Ă©galement intervenir un facteur extĂ©rieur, celui de la suspension des relations avec la France. En effet, aprĂšs lâĂ©chec de NapolĂ©on en Russie et la retraite de lâhiver 1812, la France ne sâintĂ©resse plus Ă lâIran et ne peut apporter aucun soutien militaire comme cela avait Ă©tĂ© prĂ©vu par le TraitĂ© dâalliance de Finckenstein de 1805 ; nous y reviendrons plus en dĂ©tail dans le prochain chapitre.
La deuxiÚme guerre : le Traité de Torkmanchay
Les termes du traitĂ© de Golestan sont difficilement admis par les Iraniens. Treize ans plus tard, en 1828, Fath Ali Shah, tente de prendre sa revanche mais le gĂ©nĂ©ral PaskĂ©vitch rĂ©siste efficacement. AprĂšs la prise dâErĂ©van, dĂ©fendue par Abbas Mirza (1788-1833), les troupes russes entrent en AzerbaĂŻdjan et sâemparent de Tabriz. Face Ă ce dĂ©sastre, Fath Ali Shah demande la paix qui est signĂ©e le 10 fĂ©vrier 1828 dans le village de Torkmanchay. LâIran cĂšde ses possessions dâErĂ©van, du Nakhitchevan, les territoires au nord du fleuve Araxe qui devient la frontiĂšre entre la Russie et lâIran et le reste du Talesh ; cela reporte la frontiĂšre qui sĂ©pare les deux pays jusquâĂ la Caspienne. La Russie obtient le droit exclusif du commerce et de la navigation en mer Caspienne et lâIran doit payer une trĂšs forte indemnitĂ© de guerre35.
Le traitĂ© de Torkmanchay de 1828, qui met fin Ă la deuxiĂšme guerre irano-russe dirigĂ©e par le prince Abbas Mira, accentue donc lâamertume ressentie par les Iraniens aprĂšs le TraitĂ© de Golestan, car il est encore plus sĂ©vĂšre pour lâIran qui, aprĂšs avoir perdu tous ses territoires au nord de lâAraxe, subit dĂ©sormais un « rĂ©gime de capitulation » : lâexterritorialitĂ© juridique est en effet accordĂ©e aux commerçants Ă©trangers sur le sol iranien et provoque la fureur des commerçants persans. En rĂ©sumĂ©, lâIran sort du conflit amputĂ© au nord et lâAngleterre a utilisĂ© ces deux pĂ©riodes de guerre pour tenter dâimposer des privilĂšges commerciaux et diplomatiques en tant que mĂ©diateur entre la Russie et la Perse.
Ă partir de 1828, câest donc lâinfluence de deux puissances Ă©trangĂšres, en lâoccurrence la Russie et lâAngleterre, qui dĂ©termine la lĂ©gitimitĂ© dâune succession.
Le prince Abbas Mirza (1789-1833) disparaĂźt en 1833, son successeur, Fath Ali Shah (1772-1834) meurt quelques mois aprĂšs son accession au trĂŽne. ObsĂ©dĂ© par le harem, il est surtout connu pour ses prouesses sexuelles, ses innombrables Ă©pouses et concubines. Selon les sources, il entretenait un millier de femmes, si lâon compte les suivantes, servantes et jeunes filles en attente dâun mariage. On dit quâil a eu 60 garçons et 55 filles pour lesquels il fallut sans cesse agrandir le harem royal et sa descendance Ă©tait estimĂ©e Ă 10000 personnes une quinzaine dâannĂ©es aprĂšs sa mort36.
AprĂšs un tel rĂšgne succĂ©dant Ă deux Ă©checs militaires et deux traitĂ©s humiliants, lâIran recherche des appuis et se tourne alors vers un pays qui nâa pas dâemprise coloniale en Iran ; câest le sujet prĂ©sentĂ© dans le chapitre suivant.
Conclusion
La dynastie Qadjar, issue de tribus turcomanes dâĂ©leveurs nomades, a vĂ©cu depuis le 10e siĂšcle sous une organisation tribale au nord et au nord-est de la mer Caspienne. Certaines sources estiment quâau dĂ©but du 19e siĂšcle, il y avait environ un demi-million de nomades. Leur activitĂ© politique remonte aux 14e et 15e siĂšcles, quand ils participaient Ă la « confĂ©dĂ©ration des Qizilbash » sous la dynastie safavide. Câest en 1779 quâAgha Mohammad Khan, aprĂšs le dĂ©cĂšs de Karim Khan Zand, sâĂ©chappe de prison et Ă©limine ses concurrents au sein de sa tribu pour ensuite, de 1779 Ă 1789, imposer son autoritĂ© sur le nord de lâIran. Puis, Ă©tendant son pouvoir dans le territoire iranien jusquâau Caucase du sud, il fonde en 1794 la dynastie Qadjar et dĂ©place la capitale Ă TĂ©hĂ©ran. Devenu tyrannique, sanguinaire et assoiffĂ© de pouvoir, il est tuĂ© une nuit par trois de ses serviteurs. Son neveu, Fath Ali Shah (1772-1834), dirige ensuite un Ătat e...
Table des matiĂšres
- Couverture
- 4e de couverture
- Copyright
- Du mĂȘme auteur
- Titre
- Dans la mĂȘme collection
- Remerciements
- Introduction
- 1. La dynastie des Qadjar
- 2. Le réchauffement des relations franco-iraniennes
- 3. La révolution constitutionnelle de 1906
- 4. Lâapparition de lâexilĂ© politique
- 5. Le tournant migratoire de la révolution de 1979
- 6. Les réfugiés politiques en France métropolitaine
- 7. La population iranienne en France métropolitaine
- Conclusion générale
- Bibliographie
- Index tableaux et illustrations
- Résumé en français
- Résumé en anglais
- Résumé en iranien
- Table des matiĂšres