L'enfer de la rédemption nazie
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L'enfer de la rédemption nazie

Essai sur les carnets de Goebbels et Rosenberg

  1. 214 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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L'enfer de la rédemption nazie

Essai sur les carnets de Goebbels et Rosenberg

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À propos de ce livre

«Goebbels, c'est du pus!» s'exclame son complice Rosenberg à l'adresse de celui que l'Observatore romano appellera le «cannibale sanguinaire». Christian Thys suit le parcours intellectuel des deux complices d'une tragédie mondiale par le détournement de la tradition populaire, des philosophes, des médecins, des juristes et des anthropologues, pour se forger une foi inébranlable en une rédemption de l'Allemagne au mépris du reste du monde.

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Informations

Éditeur
EME Editions
Année
2019
ISBN
9782806661838
Sujet
History
Sous-sujet
World War II

Chapitre 1

Un mythe redoutable en guise
de réponse à une crise économique
et à une crise morale

La jeune philosophe Simone Weil1, lorsqu’elle débarque en Allemagne en juillet 1932, dresse un tableau saisissant de la manière dont les Allemands, toutes classes confondues, vivent la précarité2.
On voit, en Allemagne, d’anciens ingénieurs qui arrivent à prendre un repas froid par jour en louant des chaises dans les jardins publics ; on voit des vieillards en faux-col et en chapeau melon tendre la main à la sortie des métros ou chanter d’une voix cassée par les rues. Des étudiants quittent leurs études, et vendent dans la rue des cacahuètes, des allumettes, des lacets ; leurs camarades jusqu’ici plus heureux, mais qui n’ont pour la plupart aucune chance d’obtenir une situation à la fin de leurs études, savent qu’ils peuvent d’un jour à l’autre, en venir là. Les paysans sont ruinés par les bas prix et les impôts. Les ouvriers des entreprises reçoivent un salaire précaire et misérablement réduit ; chacun s’attend à être un jour ou l’autre rejeté à cette oisiveté forcée qui est le lot de près de la moitié de la classe ouvrière allemande ; ou, pour mieux dire, à l’agitation harassante et dégradante qui consiste à courir d’une administration à l’autre pour faire pointer sa carte et obtenir des secours. […] L’ouvrier, le petit-bourgeois allemand, n’a pas un coin de sa vie privée, surtout s’il est jeune, où il ne soit touché ou menacé par les conséquences économiques et politiques de la crise. Les jeunes, pour qui la crise est l’état normal, le seul qu’ils aient connu, ne peuvent même pas y échapper dans leurs rêves. Ils sont privés de tout dans le présent, et ils n’ont pas d’avenir.
Cette crise est un terreau idéal pour une révolution qui s’avèrera conservatrice et qui associe une mythologie archaïque à une rationalité instrumentale et bureaucratique. Tous les historiens en conviennent : cette situation économique joue un rôle déterminant dans la conversion au nazisme et atteint les travailleurs et les intellectuels. Non moins déterminants sont le scepticisme et le découragement qui frappent les populations victimes dans la perte de leurs proches, du désastre militaire et de l’effondrement d’un régime impérial. Or la jeune démocratie de Weimar s’insère dans une continuité autoritaire qui déteste le débat politique et ses atermoiements. Un sentiment de décadence, dont Nietzsche est le témoin dès 1874, trouve à se renforcer en raison des difficultés que la jeune république rencontre et qu’elle ne peut tenter de surmonter qu’avec l’appui de la tradition prussienne3 :
Les eaux de la religion sont en baisse et laissent derrière elles des marécages ou des étangs ; les nations s’opposent de nouveau dans de vives hostilités et cherchent à se déchirer. Les sciences, cultivées sans mesure et avec le plus aveugle laisserfaire, émiettent et dissolvent tout ce qui était l’objet d’une ferme croyance ; les classes cultivées et les États civilisés sont balayés par un courant d’affaires magnifiquement dédaigneux. Jamais le siècle ne fut plus séculier, plus pauvre d’amour et de bonté. Les milieux intellectuels ne sont plus que des phares ou des refuges au milieu de ce tourbillon d’ambitions concrètes. De jour en jour ils deviennent eux-mêmes plus instables, plus vides de pensée et d’amour. Tout est au service de la barbarie approchante, tout y compris l’art et la science de ce temps. L’homme cultivé est devenu par dégénérescence le pire ennemi de la culture, car il imagine des mensonges pour nier la maladie générale, et il gêne les médecins. Ils s’aigrissent, les pauvres hères débiles, quand on parle de leur faiblesse et qu’on résiste à leur néfaste esprit de mensonge. »
Cette réaction négative à la modernité sera partagée par la Révolution conservatrice allemande autant que par la droite fascisante française.
Mais ce que Nietzsche rejette est tel – démocratie, libéralisme, socialisme – que la seule issue possible à cette décadence du politique ne peut se trouver que dans une dictature rédemptrice. Toute solution venant de la gauche serait considérée par Nietzsche comme « vulgaire ». C’est à cette conclusion qu’aboutit PierreAndré Taguieff qui s’est longtemps penché sur l’origine de la violence nazie dans ses rapports avec celle du discours nietzschéen4 :
Après la démystification dévastatrice opérée par la pensée de Nietzsche, dès lors qu’on le suit dans ses conséquences ultimes sur le terrain politique, aucun espoir ne s’offre plus, qui s’accomplirait dans les limites de la démocratie moderne. Il ne reste plus, après elle, que l’appel exalté au « coup de force », et le rêve d’une dictature rédemptrice. C’est cette terrible conclusion logique que des générations d’esthètes nietzschéisants et d’exégètes pieux se sont efforcées de ne pas voir, et de cacher ou de masquer.
Manès Sperber, autrichien communiste et professeur de psychologie apporte un témoignage qui en dit long sur la profondeur de l’adhésion des étudiants à la révolution conservatrice5 :
J’ai dû interrompre mon cours à Berlin. Devant moi, j’avais eu auparavant un nombre toujours croissant de jeunes gens qui, dès que je commençais à faire mon cours, fermaient leurs cahiers, leurs livres, croisaient les bras : il s’agissait d’une démonstration. (…) De plus en plus, en regardant ces jeunes visages, sentant dans ces jeunes gens un grand élan vers quelque chose qu’ils considéraient comme noble et bon, je me demandais avec une urgence poignante ce que je pouvais faire pour les arracher à ce néant meurtrier dans lequel ils s’engageaient.
Cet aveu, désabusé, témoigne de l’impuissance d’une pensée critique devant l’obstination d’une jeunesse envoutée par l’idée d’une rédemption, unique issue qui puisse à ses yeux lui rendre dignité et avenir.
Il est clair qu’aux yeux de ses étudiants, le professeur Manès Sperber incarnait désormais « le communiste », donc l’ennemi total. Preuve est faite que ces étudiants avaient déjà adhéré à un nouveau cadre moral qui leur permettait de se donner bonne conscience pour préparer le jour d’un éventuel engagement guerrier. Et nous verrons que la majorité de leurs mentors en droit, en philosophie et en médecine adopteront cette nouvelle échelle de valeurs sans trop d’opposition et de mauvaise conscience.
Quant à Rosenberg, il manifeste ses sentiments antisémites dans la presse et se livre ensuite à son opus magnum, Le Mythe du XXe siècle, une somme faussement historique des guerres de races qui, à l’entendre, constituent l’âme de l’humanité ou le ressort ultime de l’Histoire. Il situe donc sa philosophie de l’histoire sous un principe à la fois biologique et spirituel.
Le jeune Rosenberg acquiert rapidement la conviction que son protestantisme familial dissimule en fait une obéissance aveugle à des convictions sans fondements historiques ou au départ de sources peu sûres, mais réaffirmées à travers les siècles par le judéochristianisme. Sa fuite de l’Estonie, sa patrie d’origine, lui laisse le mauvais souvenir de l’invasion de l’Armée rouge et les lectures philosophiques le persuadent de l’alliance effective entre judaïsme et marxisme dont les révolutionnaires de la première génération sont effectivement nombreux.
Dès son arrivée en Allemagne, ses convictions antisémites sont très affirmées et sa radicalisation le fait remarquer par le directeur du magazine Auf gut Deutsch6 (En bon allemand) auquel il est rapidement invité à collaborer. Or ce magazine, comme beaucoup de l’après-guerre, dénonce le traité de Versailles et prend pour cibles les sociaux-démocrates et les Juifs, qu’il rend responsables de la défaite allemande. Dietrich Eckart, son directeur, joue un rôle important dans la diffusion des idées pré-nazies en fondant avec Gottfried Feder et Anton Drexler le DAP, Parti Ouvrier Allemand, qui deviendra plus tard le NSDAP. Grâce à ses solides convictions nationalistes, Rosenberg devient le rédacteur en chef du Münchener Beobachter, futur journal officiel du Parti qui paraîtra cette fois sous le titre de Völkischer Beobachter (L’Observateur populaire.)
D. Eckart décède en 1923, tandis que son essai Le Bolchevisme de Moïse à Lénine paraît à titre posthume en 1925. Ne serait-ce que par son titre, ce pamphlet renforce l’opinion depuis longtemps répandue dans toute l’Europe d’un complot international traversant les siècles. Mais ce sont ses actions de militant qui favorisent la rencontre avec le chef du NSDAP. En effet, Eckart a été compagnon du Putsch de la brasserie et de l’emprisonnement d’Hitler à Landsberg. Grâce à ses relations avec Hitler, Rosenberg cherche à devenir la référence idéologique première du nazisme, idéologie qui devrait à ses yeux remplacer les religions jugées décadentes. Il est prêt à en découdre avec la tradition judéo-chrétienne, car il est assuré qu’éliminer les croyances religieuses est toucher au plus intime de l’âme d’une nation. Mener de manière implacable une purification idéologique dépassant même les limites de l’Allemagne devient pour lui et pour tout intellectuel allemand qui se respecte la tâche prioritaire. Cet impératif deviendra catégorique quand, en 1934, Goering exprimera ses propres convictions sur l’infaillibilité du Führer7 :
De même que les catholiques considèrent le pape comme infaillible dans toutes les questions de religion et de morale, de même nous croyons avec la même conviction profonde que le Führer est infaillible dans toutes les matières qui concernent les intérêts nationaux et sociaux du peuple.
En 1920, Rosenberg publie La Piste des Juifs à travers les âges8, essai où il appuie les thèses d’Eckart et renforce à gros traits les caricatures du commerçant fourbe, conspirateur, déraciné, rapace…, pour finir par adopter les inepties des Protocoles des Sages de Sion9 dont la véracité est pourtant mise en cause dès 1921, constat contradictoire qui le laisse tout à fait indifférent. La quintessence de son antisémitisme s’y retrouve de même que les premières mesures à prendre contre l’enjuivement. Rosenberg met en évidence la haine juive pour l’humanité. À l’antipode de la judéité se lève la nation allemande, ce qui explique que la pensée juive allemande est l’ennemie jurée. En Russie aussi la haine juive triomphe, alors que sa cible aurait dû se limiter au tsarisme. Il en conclut à l’urgence de prendre conscience de l’enjuivement et de prendre des mesures pour chasser les Juifs des institutions et des postes dirigeants. Du moins, dans un premier temps.

Jésus, rédempteur aryen

Pour son combat anticommuniste et antisémite, et pour ses services rendus au parti, Hitler adoube Rosenberg du titre de « penseur ». Alors que le Führer du NSDAP est arrêté à Munich après le coup d’État manqué des 8 et 9 novembre 1923, Rosenberg se voit momentanément confier la présidence du parti. Mais le dauphin d’Hitler parvient difficilement à se hausser au-dessus des factions et des rivalités qui traversent le groupement.
Sorti de prison en 1924, Hitler reprend les rênes du pouvoir, non sans ménager son partisan dont la position est fortement affaiblie et qui s’est fait une réputation de bavard abstrait et parfois ésotérique, selon les propos de son rival Goebbels. Il est vrai que pour garantir son succès politique auprès des masses, le parti a davantage besoin d’un programme clair à l’instar de celui de Mein Kampf que des savantes élucubrations de Rosenberg.
Ce dernier entreprend son opus magnum de 1925 à 1930, une synthèse de ses lectures empruntées aux racismes de l’époque dont la conviction première est que la lutte des races est au fondement de l’Histoire : le mal coule dans le sang contaminé des Juifs et le christianisme comme tout internationalisme est un facteur de décadence. La preuve en est donnée par l’Empire romain qui se trouve, après sa chute, régénéré par les Germains. Ce racisme, Rosenberg la retrouve affirmée chez des autorités comme Johann Gottlieb Fichte (1762-1814) Johann Gottfried Herder (17441803) qui exprime ouvertement son nationalisme dans l’extrait suivant10 :
Chaque nation porte en elle son élan de félicité, de même que chaque sphère a en elle son centre de gravité.
Mais alors que devient la leçon de la morale universaliste d’Emmanuel Kant (1724-1804), une référence indépassable pour tous les intellectuels allemands de l’époque ? J. Herder, disciple de E. Kant, hésite lui-même entre un i...

Table des matières

  1. Couverture
  2. 4e de couverture
  3. Copyright
  4. Titre
  5. Introduction
  6. Chapitre 1 : Un mythe redoutable en guise de réponse à une crise économique et à une crise morale
  7. Chapitre 2 : Le racisme avant Rosenberg et Goebbels
  8. Chapitre 3 : L’évolution selon Darwin et son annexion par le nazisme
  9. Chapitre 4 : Échos à Rosenberg
  10. Chapitre 5 : La réception de Rosenberg et du nazisme en France
  11. Chapitre 6 : Autour de Rosenberg et de Goebbels
  12. Chapitre 7 : Le grand rival de Rosenberg : Joseph Goebbels
  13. Chapitre 8 : La profondeur de la contamination nazie
  14. Conclusion
  15. Bibliographie
  16. Annexes
  17. Table des matières
  18. Dans la collection « Histoire en Mouvement »