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- 270 pages
- French
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eBook - ePub
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Ă propos de ce livre
Contributeurs: Marinette MATTHEY, Alain KAMBER, Maud DUBOIS, Philippe HUMBERT, Alexei PRIKHODKINE, Laurent GAJO, Anne-Christel ZEITER, Antonia VEILLON, Henri BOYER, Bénédicte PIVOT, Sara COTELLI KURETH, Liliane MEYER PITTON, Simone MARTY, Martina ZIMMERMANN, Annette BOUDREAU, Etienne MOREL, Clara MORTAMET, Marion DIDELOT, Isabelle RACINE, Alice KRIEG-PLANQUE
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Informations
Sous-sujet
LinguisticsLA VARIATION AU CĆUR DES REPRĂSENTATIONS
« Pas dâplace pour les fote dâortho » : la rĂ©paration en *et lâaccomplissement situĂ© des reprĂ©sentations langagiĂšres dans la communication par WhatsApp
Etienne MOREL
Université de Neuchùtel/Zurich
1. Ătudier les pratiques graphĂ©matiques :
ortho et néo pour qui ?
LâĂ©change de textos par le biais dâapplications installĂ©es sur les tĂ©lĂ©phones intelligents occupe une place centrale dans les interactions quotidiennes : en juillet 2017, la messagerie instantanĂ©e WhatsApp comptait environ 1 milliard dâutilisateurs actifs quotidiens dans le monde et permettait lâĂ©change de 55 milliards de messages par jour1. Quoique trĂšs apprĂ©ciĂ©e par les utilisateurs, la communication par texto2 est aussi une source dâinquiĂ©tudes en ce quâelle semble dĂ©fier les normes de la langue telles quâelles ont Ă©tĂ© institutionnellement mises en place et telles quâelles sont diffusĂ©es et dĂ©fendues par les institutions, notamment par lâĂ©cole. Dans une rĂ©cente enquĂȘte menĂ©e par les universitĂ©s de Berne et NeuchĂątel auprĂšs de 631 participants3 Ă propos des reprĂ©sentations sociales sur lâorthographe dans le contexte de lâĂ©crit numĂ©rique, le jugement Ă propos de lâimpact de lâutilisation de WhatsApp sur la maitrise de lâorthographe est sĂ©vĂšre : 60,5 % (N=307)4 des participants sont dâaccord ou plus ou moins dâaccord pour dire que les services de messagerie numĂ©rique ont une mauvaise influence sur les compĂ©tences des individus en termes dâorthographe.
Si les participants Ă lâenquĂȘte affirment majoritairement attacher de lâimportance Ă lâorthographe, il est intĂ©ressant de noter que les attentes normatives des participants sont nettement plus Ă©levĂ©es pour les Francophones que pour les autres langues : Ă la question quelle importance ils attachaient Ă leur propre orthographe dans la communication par WhatsApp, 76,2 % (N=147) des Francophones indiquent y porter beaucoup ou Ă©normĂ©ment dâimportance, alors que 64,8 % (N=46) des Italophones, 64,4 % (N=40) des Germanophones et 46,8 % (N=37) des Dialectophones donnent la mĂȘme rĂ©ponse (pour une prĂ©sentation dĂ©taillĂ©e de lâenquĂȘte, voir Morel & Natale 2019)
Le fait que lâorthographe française, peut-ĂȘtre plus que celle dâautres langues encore, puisse ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une « question sociale » (Paveau & Rosier 2008) sâexplique en grande partie par les tensions qui dĂ©coulent de la combinaison de principes phonographiques et idĂ©ographiques qui lui sont propres (Blanche-Benveniste & Chervel 1969). En français, lâorthographe ne se limite en effet guĂšre Ă rendre la prononciation dâun Ă©lĂ©ment (principe phonographique), mais elle encode des informations supplĂ©mentaires par des ressources purement graphiques (principe idĂ©ographique). Il sâagit notamment dâinformations dâordre grammatical, de morphogrammes grammaticaux, liĂ©s Ă la dĂ©sinence verbale (tu marches) ou nominale (de bons livres). Dâautre part, lâorthographe française encode aussi souvent des informations dâordre dĂ©rivationnel et Ă©tymologique, elle recourt donc Ă©galement Ă des morphogrammes lexicaux (Catach 1980) ; Ă titre dâexemple, le mot tard contient la lettre d qui, bien que non prononcĂ©e, permet de renvoyer Ă la racine latine du mot (tarde) et de maintenir une certaine homogĂ©nĂ©itĂ© graphique Ă lâintĂ©rieur de la mĂȘme famille dĂ©rivationnelle (notamment avec lâadjectif tardif ou le verbe retarder).
Cette tension entre phonographie et morphographie devient particuliĂšrement visible dans un contexte communicationnel comme celui du texto, qui est souvent associĂ© Ă la rapiditĂ© et Ă la spontanĂ©itĂ© : câest dans un tel contexte que les participants, pour des raisons liĂ©es Ă lâefficacitĂ©, mais aussi Ă la crĂ©ativitĂ©, procĂšdent Ă des modifications orthographiques diverses. Ainsi, en plus de recourir Ă des procĂ©dĂ©s abrĂ©viatifs et expressifs avec impact sur lâidentitĂ© sonore des Ă©lĂ©ments concernĂ©s, les participants peuvent Ă©galement omettre (ils parle pour ils parlent), permuter (mĂ©son au lieu de maison) ou mĂȘme ajouter des graphĂšmes (seau riz pour sorry) sans que cela ait forcĂ©ment une influence sur la prononciation prĂ©sumĂ©e de lâitem (voir BĂ©guelin 2012 ; Cougnon & Fairon 2014 ; Panckhurst 2009 ; Reinkemeyer 2013).
Contrairement aux idĂ©es reçues, la recherche sâaccorde Ă dire que ces types de variation graphĂ©matique ne reprĂ©sentent pas un danger pour la maitrise de lâorthographe par les individus (Cougnon et al. 2017) et quâelle ne mĂ©rite donc pas la rĂ©probation sociale dont elle fait souvent lâobjet. En rĂ©alitĂ©, elle serait une ressource de valorisation sociale permettant aux participants de sâinscrire dans une mĂȘme catĂ©gorie collective et de sâafficher comme membres pleinement lĂ©gitimes dâun certain groupe social (Jaffe et al. 2012 ; Morel 2017). Ce constat est corroborĂ© par le fait que les participants sont le plus souvent capables dâidentifier les normes de lâĂ©crit momentanĂ©ment pertinentes et quâils dĂ©ploient alors les ressources qui sont en adĂ©quation avec celles-ci (Cougnon et al. 2017). Ainsi, les scripteurs sauraient faire la diffĂ©rence entre diffĂ©rents types dâĂ©crit, notamment entre un Ă©crit traditionnel (Bernicot et al. 2015) et, par exemple, un Ă©crit conforme aux attentes sociales de la communautĂ© de « texteurs ». Cependant, alors que la recherche a soulignĂ©, de façon certes adĂ©quate, la lĂ©gitimitĂ© de la variation graphĂ©matique, elle a Ă©galement contribuĂ©, de maniĂšre plus problĂ©matique, Ă Ă©chafauder une vision bien homogĂšne Ă propos des pratiques graphĂ©matiques considĂ©rĂ©es comme propres Ă la communication par texto : la recherche concourt en quelque sorte Ă renforcer des reprĂ©sentations sociales hautement stĂ©rĂ©otypĂ©es Ă propos de pratiques langagiĂšres prĂ©tendument caractĂ©ristiques pour ce contexte communicationnel.
En effet, lorsquâil sâagit de dĂ©crire la variation graphĂ©matique, la recherche mobilise des concepts tels que la nouveautĂ© (dâoĂč le terme nĂ©ographie), lâacceptabilitĂ© (Meredith & Stokoe 2014), lâĂ©criture non conventionnelle (Anis 2007) et distingue entre textismes, intentionnĂ©s et lĂ©gitimes, et ratages orthographiques, implicitement sous-entendus comme problĂ©matiques (voir Maskens et al. 2015). Ce faisant, elle court le risque de dĂ©crire la variation en appliquant des dispositifs de catĂ©gorisation en soi hautement normatifs, utilisĂ©s en surplomb des activitĂ©s auxquelles sâadonnent les participants et en nĂ©gligeant la maniĂšre dont les pratiques sont catĂ©gorisĂ©es, en tant que dĂ©viantes ou non, nouvelles ou non, lĂ©gitimes ou non, par les participants eux-mĂȘmes.
Lâanalyse des dĂ©tails de lâinteraction peut alors offrir un complĂ©ment descriptif intĂ©ressant en ce quâelle donne Ă voir la maniĂšre dont les reprĂ©sentations sociales de la langue sont localement mises en pratique. Si lâon considĂšre lâexemple (1), tirĂ© dâun large corpus de messages WhatsApp (voir infra pour une prĂ©sentation du corpus), on observe comment lâĂ©tude des structures mĂȘmes de lâinteraction peut servir de base Ă une telle approche praxĂ©ologique des reprĂ©sentations linguistiques (Petitjean 2011).
Dans le message [3], le participant corrige un item du message prĂ©cĂ©dant ([2] faut) en envoyant un nouveau message contenant lâĂ©lĂ©ment corrigĂ© accompagnĂ© dâun astĂ©risque (faux*). Par la reprise, il montre Ă son interlocuteur que lâitem quâil corrige est potentiellement problĂ©matique et rend par lĂ visible quelles sont les attentes normatives localement valables. Câest prĂ©cisĂ©ment en nous intĂ©ressant Ă ce type dâactivitĂ© interactionnelle que nous explorerons ici les implications dâune perspective praxĂ©ologique sur les reprĂ©sentations sociales liĂ©es à « lâĂ©crire juste ».
LâactivitĂ© corrective rĂ©alisĂ©e par le recours Ă lâastĂ©risque peut ĂȘtre comprise comme disposition spĂ©cifique du phĂ©nomĂšne interactionnel appelĂ© rĂ©paration. La rĂ©paration peut ĂȘtre dĂ©finie comme suit :
« [âŠ] a conversational mechanism by which a speaker interrupts the ongoing sequence of talk in order to deal with problems in hearing, speaking, or understanding. »5 (Schegloff et al. 1977, 363)
Ă lâinstar de Schegloff et al. (1977), nous utiliserons le terme de rĂ©paration plutĂŽt que celui de correction en ce quâil est Ă la fois plus englobant et plus descriptif. La correction prĂ©suppose dâune part quâune erreur ait Ă©tĂ© faite et dâautre part que cette erreur soit remplacĂ©e par un Ă©lĂ©ment correct. En rĂ©alitĂ©, la rĂ©paration est souvent aussi effectuĂ©e en lâabsence dâerreur et un remplacement de lâerreur par un item correct nâest pas toujours proposĂ© (Schegloff et al. 1977, 363). Par ailleurs, la question de la perspective sur le statut du rĂ©parable en tant quâerreur avĂ©rĂ©e ou non pose problĂšme : Meredith & Stokoe (2014, 186) considĂšrent par exemple que la correction est une classe de rĂ©paration spĂ©cifique oĂč lâĂ©lĂ©ment rĂ©parĂ© contient une « erreur effective » (actual error). Lâexistence dâune norme objective, indĂ©pendante de lâactivitĂ© situĂ©e des participants, est alors prise comme point de dĂ©part de la distinction. Nous prĂ©fĂ©rons ici subsumer notre objet dâĂ©tude sous lâĂ©tiquette de la rĂ©paration et utiliserons cette ressource analytique pour dĂ©crire non pas ce qui doit ĂȘtre considĂ©rĂ© comme faux du point de vue du chercheur, mais pour comprendre ce qui est traitĂ© comme rĂ©parable par les participants eux-mĂȘmes (repairable ou trouble source ; Schegloff et al. 1977, 363).
La question centrale de cette recherche est de comprendre quand les participants recourent Ă la rĂ©paration et comment ils y procĂšdent pour comprendre Ă©galement pourquoi ils le font. Pour notre corpus et au vu de lâimportante composante purement idĂ©ographique de lâorthographe française, il se pose la question de savoir si les participants rĂ©parent principalement lorsque la rĂ©paration a un impact sur lâidentitĂ© phonographique de lâĂ©lĂ©ment (Meredith & Stokoe 2014, 192) ou si la rĂ©paration porte Ă©galement sur le « surplus orthographique » (Blanche-Benveniste 2003, 345) donc sur ces Ă©lĂ©ments idĂ©ographiques (morphogrammes grammaticaux et lexicaux) qui ne sont a priori pas essentiels Ă la comprĂ©hension du message. Si...
Table des matiĂšres
- Couverture
- 4e de couverture
- Copyright
- Titre
- Cahiers de Linguistique
- Sommaire
- Introduction
- DU CADRE POLITIQUE Ă LâINDIVIDU APPRENANT
- POLITIQUES LINGUISTIQUES EN CONTEXTE
- BILINGUISME VĂCU, PERCEPTION DES LANGUES EN CONTACT
- LA VARIATION AU CĆUR DES REPRĂSENTATIONS
- Un bouquet de revues de linguistique française