"J'ai rien à raconter"
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"J'ai rien à raconter"

Une éducation narrative pour apprendre à s'orienter

  1. 124 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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"J'ai rien à raconter"

Une éducation narrative pour apprendre à s'orienter

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Table des matières
Citations

À propos de ce livre

Cet ouvrage questionne les moyens de dispenser un enseignement et de proposer un accompagnement des élèves qui fassent se rencontrer "vivre" et "s'instruire". Pour cela, il donne à lire mais aussi à éprouver la parole d'élèves en situation de difficulté sur leur expérience scolaire, éclairant ainsi l'intensité du travail qu'ils fournissent pour s'approprier la forme scolaire. Il invite à entendre et à comprendre cette expérience afin de penser les pratiques et les enjeux d'"une éducation narrative pour apprendre à s'orienter": construire des compétences à se dire, se repérer se projeter pour construire un rapport plus épanouissant à l'école et au savoir.

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Informations

Éditeur
Téraèdre
Année
2019
ISBN
9782336868011

Troisième partie

Ce que disent les récits des élèves

À partir de l’ensemble des récits d’un même élève et de toutes les autres informations en ma possession, j’ai essayé d’établir une chronologie des faits biographiques afin de comprendre comment l’élève vit objectivement son parcours. Je me suis ensuite attachée à la façon dont ces événements étaient racontés (ou non) et vécus, tentant d’évaluer les marques de subjectivité présentes et leurs évolutions et de mettre à jour ce qui pouvait témoigner de la construction d’une historicité, c’est-à-dire dans une articulation des trois dimensions temporelles de l’existence : passé, présent et avenir qui lui permet d’entrer dans une démarche de construction d’un projet de vie.
J’ai utilisé à cet effet la grille de Heinz (adaptée par Delory-Momberger, 2014, p. 89-92), qui situe les interprétations au croisement des théories de l’expérience et de celles de l’action. J’y ai intégré le triptyque multi-référentiel « agent-acteur-auteur » proposé par Ardoino (1992). Pour lui, si l’agent peut être considéré comme le « rouage dans la mécanique », l’acteur, lui, porteur de sens, choisit la manière d’interpréter son rôle. Mais l’auteur, lui, va créer son rôle, devenant « source et producteur de sens » (Ardoino, 1992). Il s’agissait donc d’observer quand l’élève se définit comme agi par les autres ou la situation (agent), comment il interprète un rôle d’élève prédéfini par les enseignants, sa famille, ses pairs (acteur), quand il se positionne pour agir sur/avec les autres et la situation (auteur).
Trame d’interprétation
Formes du discours
Degré de mise en réflexivité du narrateur (présence du discours explicatif, argumentatif)
Schémas daction et systèmes dactants
Manière dont le narrateur se positionne et positionne les autres actants (actif, passif, agent, acteur, auteur, ressources, obstacles)
Thèmes récurrents
Organisation thématique de l’action et du ressenti du narrateur, c dinterprétation de son vécu
Gestion biographique des thèmes récurrents
Manière dont les narrateurs, interprètent, évaluent, ajustent leurs actions
Ces quatre axes d’analyse me permettaient d’avoir accès à une vision globale de la manière dont les élèves configurent une figure d’élève et subjectivent leur parcours scolaire et d’orientation.
Après avoir analysé les différents récits d’un même élève indépendamment les uns des autres, je les ai comparés pour observer d’éventuelles évolutions dans la narration. Ce n’est qu’après avoir fait ce travail que j’ai comparé l’histoire et la manière de raconter de plusieurs élèves pour dégager quelques tendances communes en essayant néanmoins de ne pas réduire la singularité de chaque récit.

Chapitre 1

Construction d’une figure d’élève et modalités
de subjectivation du parcours scolaire

Les citations d’élèves issues de l’entretien avec la classe de 4ème « ordinaire » sont représentatives de la manière dont ils configurent dans le collectif non pas une mais des figures d’élève singulières.
Il est très vite ressorti des échanges que le passage en 6ème marquait un tournant dans la représentation de l’élève par lui-même. Au primaire, même après l’entrée en CP, « on peut rester soi-même, un peu », « on se pose pas de question ». Mais ensuite, dira Amina, on est « un élève à l’école et une personne en dehors ». Malaise, souffrance, sentiment de culpabilité s’accentuent au collège. Des rythmes, des codes très affirmés séparent deux mondes de façon beaucoup plus flagrante et les élèves sont soumis à une forte ritualisation. Or l’apprentissage des ritualisations scolaires n’est pas sans entrer en confrontation avec d’autres ritualisations. Pendant leur scolarité, en plus et bien souvent avant d’apprendre et d’exercer un « métier d’élève » (Perrenoud 2005), les adolescents se construisent en s’intégrant à des communautés dont la durée de vie est variable et s’opposent à la culture des adultes. Les élèves agissent, s’expriment en fonction des rituels de leur communauté d’adolescents autant que des rituels de leur famille et de l’institution scolaire. Leurs attitudes sont donc l’expression d’une tension entre plusieurs ritualisations qui se juxtaposent et interagissent avec la manière dont ils font signifier leur expérience scolaire.
Pour ces raisons, « le corps de l’élève contraint par les prescriptions scolaires organise, négocie, intègre, refuse ou fuit les propositions biographiques de l’école » (Delory-Momberger, 2005, p. 20). Les jeunes élaborent des stratégies, dans une période d’autant plus intense que leur corps se transforme pendant l’adolescence.
Alors il s’agit bien, comme le met en évidence Perrenoud (2005), de développer des ruses pour ne pas se laisser dévorer par l’école qui attend toujours plus et à laquelle on a du mal à trouver du sens : « L’école on est obligé, c’est obligatoire, mais on l’oublie dès les vacances. On fait pas tout par rapport à ça. L’école, c’est pas la vie. Mais quand même c’est important et faut se débrouiller », explique Marion. Parce que « le plus important, comme l’explique Rima, c’est vivre, profiter, s’amuser, sortir. Y a l’école et le reste ». Les élèves se débrouillent, en effet.
À l’école, ils s’entendent tous à le dire, on n’est pas soi, « on joue un rôle » qui se décline différemment suivant qu’on est en classe ou dans la cour de récréation. Alexandra met en évidence le fait que les moments de récréation eux-mêmes sont investis comme un espace scénique :
Ben quand je suis dans la cour, je joue pas un personnage comme en classe, mais je joue un rôle encore, quand même. Je rigole beaucoup, je délire plus, je crie plus que quand je suis à la maison. Mais dans la classe, je fais moins, je suis presque plus moi, je m’exprime pas.
Même dans la cour, espace de compensation qui reste contrôlé par les adultes, le jeune n’est pas « lui-même ».
Dans l’espace scolaire, entre soustraction et addition de soi, les élèves tentent de trouver un équilibre. Pour supporter les contraintes scolaires, des ruses partagées par les élèves présents sont révélées :
• Au premier trimestre, on peut ne pas travailler et se rattraper au second et surtout au troisième.
• Il y a des matières plus importantes à ne pas négliger et il faut aussi s’appuyer sur celles pour lesquelles on a des facilités afin d’obtenir au final une moyenne correcte tout en s’économisant.
• On essaie d’être apprécié par une partie des professeurs de la classe car il est important d’avoir des alliés au conseil de classe : on ne peut pas être insupportable avec tout le monde.
• On partage les devoirs avec les copains pour avoir moins à en faire chacun. Le tout étant de ne pas trop souvent se faire remarquer par les enseignants pour du travail non fait. Les parents supportent qu’on soit en difficulté mais pas qu’on ne fasse pas le travail demandé.
La limite admise par tous est de ne pas redoubler et de ne pas se faire renvoyer de l’établissement au risque de « se faire tuer par les parents ». « Aller à l’école, c’est quand même sacrifier sa vie, alors on perturbe un peu, ça fait de l’animation, on met de l’ambiance, quoi ! », explique Marion sans complexe. Le groupe-classe est globalement d’accord sur les choix des professeurs que l’on peut chahuter ou pas et les élèves énoncent ensemble clairement certains critères sur lesquels s’appuient ces choix : on provoque l’enseignant qui punit injustement, ne s’adresse pas au bon responsable du désordre ou refuse de donner des explications quand on les demande. On respecte celui qui sait de quoi et à qui il parle, peut nommer les bons responsables de l’agitation et qui est sévère mais encourage ses élèves. S’il réunit ces qualités, on ira même jusqu’à lui pardonner d’être ennuyeux. Certains professeurs sont « intouchables » et une insulte ou une insolence à leur encontre sera formellement condamnée par le groupe. Avec d’autres tout est permis et à l’inverse l’expression d’un mouvement de sympathie pour l’enseignant ou un excès de zèle seront sévèrement réprimés par le groupe. Ces « règles » peuvent suivant les cas être celles de la classe dans son ensemble ou n’être partagées que par un sous-groupe : celui des élèves qui s’associent clairement dans l’art d’« ambiancer un peu les cours », pour reprendre ici une expression de Marion.
Quand j’ai demandé aux élèves si le plus important pour eux était de s’intégrer au groupe-classe ou d’obtenir de bons résultats, Bruna m’a répondu, approuvée par ses camarades, que « le plus important, ce serait avancer en même temps que les autres ». Mais pour Marion, et finalement ses camarades présents aussi, il semblait que la question de l’intégration au groupe était finalement prioritaire : « Au début de l’année je regarde l’attitude des autres et je m’dis, soit je suis calme, soit je vais travailler, soit je peux rigoler. »
Les entretiens collectifs, en permettant à chacun de s’observer lui-même dans l’écoute du récit de l’autre a mis à jour l’interaction entre le groupe et la construction de figures et de postures d’élève. À la représentation que certains élèves seraient passifs à l’école, l’analyse permet d’opposer une activité scolaire constante en matière de développement et d’usages de tactiques permettant de s’approprier ou de résister à l’institution scolaire et à ses normes. Comme le rappelle Charlot, l’enfant adopte une position subjective qui détermine la façon dont il s’approprie son rôle d’élève : « En effet, la place objective, celle que l’on peut décrire de l’extérieur, peut être revendiquée, acceptée, refusée, ressentie comme insupportable. On peut également en occuper une autre dans sa tête et se comporter en référence à cette position imaginaire » (Charlot, 2005, p. 22). Le sentiment d’aliénation ou d’émancipation, construction subjective, ne peut donc être défini extérieurement sans risque de constituer une entrave à un accompagnement respectueux de l’orientation de l’élève. En effet, décider pour l’élève de ce qui est émancipateur ou ne l’est pas, en fonction de ses propres représentations, peut conduire à orienter plutôt qu’à accompagner l’orientation.
Pour les élèves en situation de difficulté, l’activité d’appropriation de la forme scolaire et de résistance à lui opposer domine par rapport à l’activité d’apprentissage. D’autant qu’on associe un peu hâtivement « élèves en situation de difficulté » et attitude passive dans le parcours de formation. En effet, les expériences racontées montrent qu’en résistant au système scolaire, en rusant, certains d’entre eux au contraire restent tout à fait « sujets » à l’école, et se positionnent en acteurs. La question qui en découle est de savoir de quoi et surtout comment les rendre « auteurs » ? Mabilon-Bonfils (2009) va dans ce sens en rappelant que les élèves, comme tous les individus, « ne passent pas seulement leur temps à s’ajuster dans des interactions ou des situations mais produisent, transforment, reconfigurent, qualifient, interprètent des relations, qu’ils vivent ». Ils rusent pour se protéger des attentes institutionnelles tout en utilisant le système pour avancer dans leur parcours. « Acteurs faibles » au sens utilisé par de Certeau (1990), c’est-à-dire souvent dominés par le système éducatif dans son ensemble, ils n’en disposent pas moins de « tactiques » ou « ruses », qui témoignent de leurs capacités créatrices à s’opposer aux stratégies d’éducation qui leur sont imposées.
Ces tactiques ne sont pas des inventions toujours nouvelles. Les élèves s’inscrivent dans une culture qu’ils s’approprient par mimésis sociale, ainsi que l’indique Wulf (1990), et qui leur permet de résister, en se préservant et en sauvant les apparences, aux demandes sans limites de l’école. Ils apprennent donc les uns des...

Table des matières

  1. Couverture
  2. 4e de couverture
  3. Collection « Éclaboussements »
  4. Titre
  5. Copyright
  6. Préface de Bernard Charlot
  7. Introduction
  8. PREMIÈRE PARTIE Les acteurs et le dispositif
  9. DEUXIÈME PARTIE Récits de Marion
  10. TROISIÈME PARTIE Ce que disent les récits des élèves
  11. Conclusion
  12. Références bibliographiques
  13. Table des matières