Chemins de l'in(ter)disciplinarité
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Chemins de l'in(ter)disciplinarité

Connaissance, corps, langage

  1. 216 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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À propos de ce livre

Si l'interdisciplinarité constitue l'interrogation fondamentale posée dans cet ouvrage, elle y est abordée à travers le prisme de l'indisciplinarité, manière nouvelle d'interroger des champs de connaissance et de pratique d'origines diverses dans une démarche de pensée collective.

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Informations

Éditeur
Academia
Année
2019
ISBN
9782806122490

PARTIE I
De deux attracteurs dans le monde du savoir

Placebo

VRAI-SEMBLABLE OU FAUX-SEMBLANT ?
Pourquoi les médecins cherchent-ils d’avance la créance de leur patient avec tant de fausses promesses de guérison, si ce n’est afin que l’effet de l’imagination supplée à l’imposture de leur décoction ? Ils savent ce qu’un des maitres de ce métier leur a laissé par écrit, qu’il s’est trouvé des hommes à qui la seule vue de la médecine faisait effet.
(Montaigne, Les Essais)

Placebo, agent double ou agent trouble ?

Ce phénomène – ce mot ? – est resté une pierre d’achoppement dans la recherche biomédicale, surtout dans les études pharmacologiques. Comme une sorte d’artefact à éliminer, l’acteur de supercheries douteuses, bref, un semeur de trouble à la fois bienveillant et redoutable, subversif à sa manière. Il est susceptible de mettre en échec une approche purement rationnelle et scientifique, il pourrait valider des traitements obscurs, voire obscurantistes. Il souligne la part des transformations physiologiques du sujet sous l’effet de sa relation à son entourage.
La tentation est grande de le désavouer clairement, pour éviter qu’il ne jette le discrédit et le doute sur des traitements fondés scientifiquement. Mais le rusé placebo s’entête, il résiste à une telle destitution. Puisque c’est un mot, il appartient à ses utilisateurs, il échappe au pouvoir de la science. Son fan club est vite repéré. Il regroupe tous ceux qui ont besoin d’arguments simples et à première vue imparables. Complètement obscur dans ses fondements, placebo joue la transparence. Il offre à des phénomènes inattendus l’explication incontestée… qui n’en serait pourtant pas une. « Mais bien sûr, c’est un effet placebo », circulez, il n’y a rien à voir !
Il a même poussé les chercheurs à établir le profil génétique des personnes chez lesquelles une telle réponse est particulièrement probable ! On le chasse par la porte, il veut sortir par la fenêtre.
Force est donc de se concentrer sur cette personnalité multiple et insaisissable en mobilisant des ressources au carrefour des approches disciplinaires. En questionnant l’origine du terme, ses nombreux aléas dans la recherche clinique, ses démêlés avec une causalité trop mécaniste, son ancrage dans un contexte relationnel, dit parfois contexte de soin ou « contextual healing ». En soulignant que l’évolution récente de la psychophysiologie révèle un sujet simulateur de son futur, susceptible de se modifier biologiquement pour donner corps aux transformations qu’il peut ainsi envisager. En faisant la part du sujet dans son devenir, sans cependant l’affirmer en mesure de faire des choix délibérés et réussis, comme le soulignent les aléas de la pensée psychosomatique depuis une quarantaine d’années. Si le sujet est acteur de son devenir somatique, il n’est certes pas le seul et les actions par lesquelles ce devenir somatique passe restent bien obscures. Tout comme placebo, elles échappent certainement à un contrôle volontaire explicite.

Phénomène vraisemblable ou faux-semblant ?

Le terme placebo est devenu si familier que ce sens commun affaiblit la curiosité qu’il devrait éveiller. Cette usure par la dénomination courante a banalisé de nombreux termes1 et le phénomène placebo n’échappe pas à cette anesthésie de la curiosité2. À tel point que Tobie Nathan et Isabelle Stengers soulignent qu’il peut être défini comme « ce qui fait guérir pour de mauvaises raisons » (Nathan et Stengers 2012). Il met en question la rigueur scientifique dans l’évaluation des effets cliniques d’un traitement pharmacologique et dans le langage courant, reçoit la mission de rendre compte de tout traitement qui n’aurait pas produit les effets attendus prévus par des explications scientifiques reconnues. Il fait des patients des objets vulnérables à toutes sortes de manipulations parasites. Enfin, l’affirmation « c’est dans la tête », par laquelle on l’éludait au siècle dernier, a fini par se matérialiser dans les endorphines et leurs récepteurs, l’explication qui a fourni un mobile « scientifiquement fondé » à la pratique du jogging.
Cependant on ne peut éluder la dimension « magique », échappant en grande partie au contrôle conscient et à l’explication scientifique, du phénomène placebo. C’est bien le sujet lui-même qui traduit son contexte en vue d’une réponse placebo, ou d’une réponse nocebo (à savoir, une réponse non pas tournée vers une amélioration mais vers une détérioration). Cette traduction est donc bien une lecture de signes, la mise en relation d’éléments extérieurs au sujet avec des processus internes sur lesquels les intentions conscientes ont tout au plus un retentissement indirect.
La physiologie de ce phénomène soulève deux questions distinctes. Pourquoi et à quelles conditions est-on en droit de considérer qu’il s’agit d’une adaptation dynamique à un changement anticipé ? La seconde question vise à comprendre comment, et surtout pourquoi, la douleur peut être modulée, à travers l’effet placebo, par le sujet même qui la ressent. Ce qui va nous entraîner vers quelques réflexions physiologiques concernant les mécanismes adaptatifs et leur évaluation par la douleur.
Dans ce chapitre, nous allons distinguer entre la matérialité simple du traitement (le plus souvent l’administration d’un médicament) et son effet (par exemple, la réduction de symptômes). En effet, le placebo ne peut avoir lui-même le statut d’une cause produisant des effets : de quoi pourrait-il être la cause puisqu’il est censé être un stimulus neutre, une illusion ? Quel que soit le placebo, une grosse pastille rouge, une injection ou la présence d’une blouse blanche, il peut agir sur le patient. On pourrait dès lors être tenté d’abandonner – sans vraiment le dire – le terrain de la recherche médicale pure et de ses dispositifs expérimentaux soigneusement contrôlés, imprégnés par la rationalité scientifique, pour ne garder que le soin, que l’heureuse conséquence des illusions dans l’optique d’un thérapeute habile qui considère cette heureuse conjecture comme un élément de connaissance pratique.
La première partie de ce chapitre traite de l’étymologie du mot placebo et du développement progressif de son utilisation en recherche médicale et pharmaceutique. Elle montre comment la pratique scientifique des essais de substances actives comparés avec un traitement dit placebo, celle des essais dits contrôlés, s’est développée à partir d’un malentendu de traduction. En effet, dans une de ses premières acceptions, placebo signifiait « faire-semblant » pour plaire à autrui. La feinte reste présente dans la mesure où l’administration du placebo en lieu et place du traitement actif est généralement effectuée à l’insu du patient en procédure de simple aveugle ; cette feinte est apparemment le fait du thérapeute. La mystification du sujet s’accroît encore avec l’introduction d’une procédure de double aveugle où l’expérimentateur ignore également à qui a été administré le placebo et à qui le principe actif. On évite ainsi le biais que cette connaissance pourrait introduire dans la récolte et le traitement des données, l’analyse des résultats et leur interprétation. Cette mystification devient encore plus troublante quand elle cesse de l’être, c’est-à-dire si des effets heureux demeurent lorsque l’expérimentateur et le patient ou le sujet savent que le placebo en est bien un. Le rationalisme strict d’une science rigoureuse et théorique paraît difficilement tenable devant la ruse et l’habileté d’une pratique qui respecterait ce qui marche, guérit et fait du bien, sans pour autant tout à fait le comprendre. Or, la médecine scientifique repose sur une compréhension théorique, pas uniquement sur un empirisme aveugle.
Dans une deuxième partie, on explique l’effet placebo à partir des recherches qui évaluent la part du placebo et celle du traitement « réel » dans les processus thérapeutiques. On montre qu’il est pour le moins difficile de faire la part des choses, même en distinguant les différents types de stimuli qui peuvent conduire à un effet placebo. Il est alors nécessaire d’envisager une sémiologie du placebo qui prend en compte l’individu, car c’est lui qui interprète des signes iconiques, indiciels, symboliques. Il est pertinent de réintroduire l’individu dans notre tentative de comprendre le placebo. Le discours scientifique tend à réifier les sujets de ses expériences. Ce faisant, il ignore les théories que les individus peuvent eux-mêmes avoir de leur processus de guérison. Ces théories sont souvent qualifiées de vernaculaires, elles n’en sont pas moins pertinentes : elles créent des attentes reconnues, explicitement ou non par le sujet, qui peuvent influer sur le fait d’aller mieux, d’avoir moins mal, voire de guérir. Autrement dit, dans le cas du placebo, ce ne sont pas uniquement les théories des scientifiques, ni même leurs pratiques qui comptent, mais aussi celles des individus qu’ils manipulent dans le but – infiniment respectable – de faire progresser la connaissance.
La troisième partie est fondée sur des avancées récentes en psychophysiologie, essentiellement centrées sur le sujet individuel. Elle décrit comment la dynamique de l’effet placebo peut s’expliquer finalement à travers des stratégies adaptatives qui visent à prévenir la perturbation. Ces réponses résultent d’anticipations faites par les sujets et d’un couplage complexe entre physique et mental. Cette incessante dynamique d’élaboration de conjectures peut se redéfinir en termes d’abduction, tant l’individu est pris dans un processus d’interprétation modifiant tout à la fois son environnement et ses décisions. Dans le cas de la douleur, la réponse placebo influe sur le même type de processus avec souvent une réduction de la douleur ressentie.
Afin d’embrasser les différentes dimensions en jeu dans le placebo, nous mettons en lien perspectives épistémologique, sémiologique et ontologique. Cette triade est pour nous indispensable et indissociable dans une approche interdisciplinaire.

Histoire du placebo : du mot aux pratiques médicales et expérimentales, et retour

Dans notre entreprise de compréhension de la notion placebo, il convient tout d’abord de se demander qui il est, d’où il vient, dans quel contexte il est situé, à l’égal du patient à qui on va l’administrer. C’est la raison pour laquelle on considère en premier lieu le trajet historique de ce mot : de son origine latine et biblique à ses diverses pérégrinations dans les langues et les cultures. Cette trajectoire souligne une alliance heureuse entre un JE et un TU3 que la médecine expérimentale va bientôt s’efforcer de déconstruire pour se distinguer des pratiques de charlatans. Il fallait donc montrer que l’efficacité d’un traitement dépendait de celui-ci quelle que soit la relation entre les partenaires de la rencontre thérapeutique.

L’origine biblique

Placebo, en latin, signifie « je plairai ». L’usage de ce terme dans le sens qui va nous intéresser ici provient d’une traduction de la Bible réalisée par Jérôme d’Hippone à la fin du IVe siècle de l’ère chrétienne (Aronson 1999 ; Finiss et al. 2010). Saint Jérôme avait été sollicité par le pape Damase pour réaliser une nouvelle traduction latine de la Bible, rendue nécessaire par la multiplicité des versions existantes dont la fidélité aux textes d’origine s’était perdue. Pour l’Ancien Testament de cette Vulgate, Jérôme réalisa une traduction en latin à partir d’originaux hébreux. C’est elle qui donne naissance à la singulière destinée du mot « placebo ». En effet, le verset 9 du Psaume 116 se lit, dans une traduction correcte de l’hébreu : « … pour que je marche devant le Seigneur au pays des vivants » (Traduction œcuménique de la Bible). Or, dans la version de Saint Jérôme, on lit : « … je plairai (“placebo”) au Seigneur au pays des vivants ». Comme ce verset était chanté aux Vêpres lors l’Office des Morts, le mot « placebo » par lequel il commençait fut utilisé progressivement pour désigner l’entier de ce service. Dès le XIIIe siècle, placebo désigna les chanteurs de cet office qui attendaient, comme rétribution de leur engagement, une juste récompense de la part de la famille du défunt. Il est difficile de suivre la trace du placebo dans le domaine français, et on le trouve ensuite en anglais pour désigner le flatteur et sycophante. Geoffrey Chaucer, auteur...

Table des matières

  1. Couverture
  2. 4e de couverture
  3. Copyright
  4. Titre
  5. AVANT-PROPOS
  6. PARTIE I – De deux attracteurs dans le monde du savoir
  7. INTERMÈDE
  8. PARTIE II – De la science dansun monde de symboles
  9. ÉPILOGUE
  10. Table des matières