Morphologie du divertissement
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Morphologie du divertissement

L'Ă©mission "N'oubliez pas les paroles" comme nouveau paradigme

  1. 236 pages
  2. French
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  4. Disponible sur iOS et Android
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Morphologie du divertissement

L'Ă©mission "N'oubliez pas les paroles" comme nouveau paradigme

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À propos de ce livre

Morphologie du divertissement, est une Ă©tude du divertissement tĂ©lĂ©visuel. L'Ă©mission est prise, comme un rĂ©cit, avec une structure dĂ©finie selon les principes de l'analyse sĂ©miotique de textes. Le divertissement tĂ©lĂ©visuel a un but: la diffusion et l'endoctrinement de l'idĂ©ologie libĂ©rale-libertaire qui entreprend de reconstruire le monde. L'Ă©mission « N'oubliez pas les paroles » n'est pas prise pour elle-mĂȘme, mais comme nouveau paradigme pour toutes les Ă©missions tĂ©lĂ©visuelles: divertissement, culture, politique, sport, jeux.

Foire aux questions

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Informations

Année
2018
ISBN
9782336855929

Les cabrioles chaotiques
d’un divertissement

§ 1. Qui est Nagui ?

Nagui tient de la marionnette Pinocchio que ce pauvre menuisier italien Gepetto a fabriquĂ©e par accident dans un morceau de bois. À l’instar de Pinocchio dont le nez s’allonge Ă  chaque mensonge, la bouche de Nagui se fige en un rictus Ă  chaque Ă©vĂ©nement. Le plateau de l’émission « n’oubliez pas les paroles » avec son prĂ©sentateur, l’orchestre, le public et le candidat constituent le pays des jouets. Au lieu d’ĂȘtre transformĂ© en Ăąne, le prĂ©sentateur s’est lui-mĂȘme transformĂ© en manche Ă  balai. Car la raideur est l’essence mĂȘme de Nagui. Toujours le mĂȘme costume, toujours la veste entr’ouverte de la mĂȘme façon, toujours le col de chemise qui tombe de façon dĂ©penaillĂ©e, une tenue sans vĂ©ritable essence (on dit bien que l’habit ne fait pas le moine), celle du collecteur d’impĂŽts ou du sacristain, et surtout toujours la mĂȘme fixitĂ© dans un rire Ă  l’état de rictus. Nagui c’est l’anti-Lepers, le prĂ©sentateur phare de « Questions pour un champion » qui a un costume et une cravate diffĂ©rents Ă  chaque Ă©mission et toujours en mouvement, qui a Ă©tĂ© contraint de laisser sa place Ă  Samuel Étienne, prĂ©sentateur aussi raide que Nagui mais dans la position assise. On pourrait faire une Ă©tude sur la volontĂ© de nos dirigeants mĂ©diatiques Ă  choisir et Ă  affubler les tĂ©lĂ©spectateurs d’animateurs raides ou rigides autant dans leurs attitudes que dans leur façon de parler, des prĂ©sentateurs au caractĂšre sans Ă©paisseur, chez qui on ne sent pas en eux la pulsion vitale, ni la complexitĂ© personnelle. Se pourrait-il qu’il arrive Ă  Nagui ce qui est arrivĂ© Ă  Pinocchio, Ă  savoir se rĂ©veiller un beau jour transformĂ© en vĂ©ritable homme en chair et en os.
Mais voilĂ  que Nagui est un ĂȘtre en qui tout est programmĂ©, Ă  mille lieues de l’extravagance d’un Dickens. C’est un ordinateur Ă©quipĂ© d’un systĂšme d’exploitation propre, le « naguiel ». Le naguiel ne peut rĂ©aliser que quelques fonctions assez simples : prĂ©sentation du candidat, agiter le doigt qui dĂ©clenche une sonnerie, dire « aaaalllleeezzz », dĂ©clencher la sĂ©quence 1000, 2000, 5000, 10000 et la totale, tel un automate infaillible. Le naguiel gĂ©nĂšre ses propres inconsistances, il est prĂ©muni contre toute correction possible, donc il ne corrige automatiquement aucun bogue, il est impossible de le « patcher », de l’« upgrader », il conserve ses virus autant que ses algorithmes. La fonction principale du naguiel est une opĂ©ration de totalisation : l’anti-babelisation de l’équivoque. C’est un relativisme radical. Le plantage dans une Ă©mission est intrinsĂšquement inatteignable. Le flux de paroles, sous la forme d’une sĂ©quence qui se rĂ©pĂšte en se disloquant, frĂŽle toujours plus intensĂ©ment la totalitĂ©, une totalitĂ© que Nagui s’efforce de maintenir et de laquelle il tente constamment de s’en extraire. Dans un geste quasi dcleuzien, il s’en approche toujours de façon asymptotique. Du coup, il affronte une totalitĂ© totale qui excĂšde la dimension computationnelle. Comprendre Nagui c’est d’abord avoir bien assimilĂ© La MĂ©thode d’Edgar Morin, qui explique que le processus de la comprĂ©hension est un processus computationnel (Edgar Morin, un des personnages adulĂ©s par les chroniqueurs de radio du matin, n’est ni philosophe, ni thĂ©ologien, ni sociologue, ni anthropologue, c’est une sorte de DalaĂŻ-Lama de la pensĂ©e, un « sage » qui profĂšre des incantations dont la sonoritĂ© relĂšve du bruit de fond de l’univers). Le naguiel, contrairement aux autres logiciels d’exploitation, a d’une certaine maniĂšre anticipĂ© les mises Ă  jour. Il est parfaitement portable parce qu’il ne dĂ©pend d’aucun processeur ni d’aucune plateforme. Il frappe d’obsolescence toute amĂ©lioration Ă  venir, toute mise Ă  jour est vouĂ©e Ă  l’échec. Le naguiel est-il autre chose qu’une construction arbitraire ou aveugle d’algorithmes ? RĂ©fĂšre-t-il Ă  un monde qui reste Ă©tranger au langage ordinaire ?

§ 2. Qu’est-ce que le naguiolage ?

Le verbalisme est ce qu’il n’est pas, il n’est que le vide des idĂ©es car il repose sur le vide, sur le rien qui se glisse Ă  travers le prĂ©sentateur, c’est un vertige, sans fin. Le verbalisme n’est qu’une distraction excentrique. Le naguiol, langue parlĂ©e uniquement, est comme une terre qui n’est jamais mise en jachĂšres d’un terrain parmi d’autres, afin que la terre puisse se reposer, c’est un verbalisme qui ne s’arrĂȘte jamais. Le naguiol ne laisse jamais le temps au temps, pour assurer la fĂ©conditĂ© d’une pensĂ©e. Il ne connaĂźt pas le silence, jamais d’élasticitĂ©. Le naguiol est une langue qui laisse une large place aux bruitages, aux feulements, aux sonoritĂ©s disloquĂ©es, aux interjections ressemblant aux premiers balbutiements de l’enfant, toutes choses de l’ordre du nĂ©ant auditif, dans laquelle nous ne savons pas toujours oĂč cesse le bruit et oĂč commence la parole signifiante. Une des spĂ©cialitĂ©s de Nagui est le hennissement de la voix qu’il accompagne d’une rĂ©volution quasi-totale de l’Ɠil dans son orbite. Avec le bruit, grandeur nĂ©gative qui affecte la musique considĂ©rĂ©e comme mĂ©dium, on a envie de se boucher les oreilles. On ne peut pas dire que le bruit cesse lorsque l’ordre apparaĂźt, car il est assez souvent difficile de repĂ©rer l’ordre ou l’organisation dans le discours de Nagui. Cela se remarque de façon criante lors de ses envolĂ©es morales Ă  caractĂšre puritaines, compassionnelles sur des problĂšmes de sociĂ©tĂ©, sur le vivre-ensemble.
Le naguiolage n’est pas naguiol. On sait que les arts comme l’architecture, la sculpture, la peinture, la musique, la poĂ©sie sont Ă©galement des sortes de langage, puisque toute expression de l’idĂ©e est toujours un langage. À ce titre le naguiol est une sorte de langage, appelons-le naguiolage. Le sensible est partie intĂ©grante de l’Ɠuvre. Comprendre le naguiol c’est tenter de dĂ©terminer l’indĂ©terminable ce que Nagui confirme chaque fois qu’il fait un geste d’effacement du tableau noir de la main complĂ©tĂ© par un lĂ©ger raclement ou toussotement de la gorge en disant qu’il n’y avait rien Ă  comprendre.

§ 3. La présentation du candidat

Dans N’oubliez pas les paroles, la prĂ©sentation du candidat est un moment important, une sorte d’acte religieux qui ressemble Ă  la mise Ă  mort du pharmakos. Nagui c’est l’anti-Stoufflet. Nicolas Stoufflet, animateur du trĂšs cĂ©lĂšbre « Jeu des 1000 € » diffusĂ© par France Inter et crĂ©Ă© en 1958 par Henri Kubnick sous le nom de « Jeu des Mille Francs », passe son temps Ă  mettre en valeur le candidat. Pour ce faire, la technique est assez simple : poser une question et attendre la rĂ©ponse. Nagui procĂšde d’une toute autre façon, il harcĂšle le candidat par des moqueries, des crocs-en-jambe intempestifs, des dĂ©stabilisations permanentes. La question « que faites vous ? » permet la cible la plus facile : une sĂ©rie de mĂ©tiers prĂȘte Ă  rire plus que d’autres comme contrĂŽleur des impĂŽts, femme garagiste, policier. Tous ces mĂ©tiers sont dignes d’intĂ©rĂȘt et respectables, ils permettent de gagner un peu d’argent Ă  chaque fin de mois, mais pour Nagui c’est le sarcasme.
Dans l’émission, le candidat doit assumer, malheureusement, le rĂŽle de la victime originelle. Il sourit en permanence, Nagui ne peut pas se dĂ©faire de son rictus rigolard, la peau est plissĂ©e dans ce sens de façon dĂ©finitive, le public applaudit sans cesse, Ă  chaque mot, comme une sĂ©rie d’incantations reprises en chƓur rendant peu Ă  peu inaudibles les propos, les questions et les rĂ©ponses. Nagui pose des questions sans attendre la rĂ©ponse car les questions sont des questionnaires Ă  choix multiple, sous la forme d’un simulacre de rodĂ©o. Nagui harcĂšle le candidat mais sans hostilitĂ© rĂ©elle, tout en sourire, trĂšs souvent il propose lui-mĂȘme la rĂ©ponse, le candidat ne peut qu’acquiescer. DĂšs la premiĂšre phase, l’agression est dĂ©jĂ  prĂ©sente, sous une forme rituelle. Par moments, de temps Ă  autre, Nagui prend Ă  tĂ©moin quelqu’un (du public, de l’orchestre, de la famille du candidat) pour en ajouter une couche sur un candidat attachĂ© Ă  un piquet. Du coup, le rite n’est ni statique ni figĂ© ; il se transforme rapidement en dynamique collective.
Comme dans le sacrifice Dinka1, le candidat est immolĂ© Ă  coups de mots, de jeux de mots, de sarcasmes. En l’occurence, les mots sont fondamentalement les mĂȘmes que l’accusation jetĂ©e par TirĂ©sias contre ƒdipe. Quant au jeu semi-conflictuel qui se dĂ©roule entre Nagui et certaines personnes de l’orchestre (plus particuliĂšrement Magali, Fabien, le batteur) il tient des Bouphonies grecques, cĂ©rĂ©monie dans lesquelles les participants se querellent entre eux avant de s’en prendre, tous ensemble, Ă  la victime2. On ne peut pas s’empĂȘcher de faire le parallĂšle de la situation du candidat avec celle de la victime originelle accusĂ©e de parricide et d’inceste ou de toute autre transgression sexuelle comme ƒdipe. Les mots Ă©changĂ©s entre Nagui et les musiciens font penser aux Ă©changes entre le poĂšte Trissotin et le savant Vadius de MoliĂšre dans le salon de Philaminte3. Ils se font constamment, et mutuellement, des Ă©loges exagĂ©rĂ©s sur leur talent et leur esprit, mais dĂšs que l’un d’eux s’avise de faire une remarque, elle devient mĂ©prise entre beaux esprits se situant entre fausse querelle et vraie flatterie.
L’entretien prĂ©tend condenser en quelques secondes, la vie et le projet d’un ĂȘtre humain. C’est l’essence du jeu : rĂ©sumer, contracter, dĂ©gager un caractĂšre auquel toute une vie n’a pas suffi pour s’exprimer Ă  fond. Nous sommes dans une tragĂ©die qui dilate et contracte, comme l’accordĂ©on qui dilate le vent pour mieux resserrer la mĂ©lodie et le contracte pour mieux l’amplifier.
Voici un exemple dans l’échange entre Nagui et Fabien lorsqu’OphĂ©lie affronte le maestro Guillaume. Nagui engage le dialogue avec OphĂ©lie : « — OphĂ©lie, vous ĂȘtes en rĂ©gion, grande rĂ©gion parisienne, vous y faites quoi
 etc
 — je suis vendeuse en boucherie — aaaahhhh
 hheeeiiinnn
 hheeeiiinnn, c’est bien, c’est bien de le dire. Vous gagnez vingt mille euros
 », Fabien coupe la parole Ă  Nagui, s’ensuit un Ă©change entre eux deux : « — apprĂȘtez vous Ă  passer une des meilleures super agrĂ©able, — mais pourquoi ? — parce que tu les dĂ©testes, — pourquoi ? tu sous-entends, mais pas du tout, — tu les hais cordialement, — mais pas du tout, — mais si, tu es prosĂ©lyte, — hhhaaannn, — mais si bien sĂ»r que si
 — mais pas du tout, — si on ne mange pas des graines toute la journĂ©e, on n’existe pas Ă  tes yeux ». Notons dans cette sĂ©quence l’échange type « cours de rĂ©crĂ©ation d’école primaire » dans laquelle on se dispute pour des billes : — j’ai tiquĂ© ta bille, — non, c’est moi, — pas vrai, c’est moi, — non, — si
 », etc
 Nagui se tourne vers OphĂ©lie : « — ne l’écoutez pas, — on ne va pas ĂȘtre copains, — si, on va ĂȘtre copains, mes enfants mangent de la viande et je vais acheter des viandes chez le boucher, — çà va alors », interrompu par Fabien : « — nous, on a plus de viande », la conversation reprend avec OphĂ©lie : « — donc vous gagnez 20000 euros, que voulez vous en faire ? — mettre des sous de cĂŽtĂ© pour avoir ma ferme », OphĂ©lie explique qu’elle veut Ă©lever des animaux en particulier, « — et vous voulez en faire quoi aprĂšs que vous les avez Ă©levĂ©s ? » et se tournant vers Fabien : « — et c’est lĂ  en effet oĂč tout peut basculer » [ce qui signifie en faire des animaux pour la boucherie], qui du coup, intervient : « — tout allait bien, tout allait bien, — oui, tout allait bien, jusqu’à un incident de parcours. Blague Ă  part, vous voulez quoi, du bĂ©tail ? des chevaux ? », OphĂ©lie rĂ©pond : « — des chevaux, des vaches, des cochons
 — d’accord, une ferme, une ferme ! », suivent quelques Ă©changes sur ses goĂ»ts pour la ferme, sur le travail que cela reprĂ©sente, puis on entend une vache meugler au fond de la scĂšne, Nagui conclut : « — ah !, il y en a une que vous avez pas rĂ©ussi Ă  choper »4.
Une autre situation, digne des Femmes savantes, atteint son paroxysme lorsque Fabien (en gĂ©nĂ©ral) ou un chanteur donne la solution au candidat. Les chanteurs doivent s’arrĂȘter lorsque les traits jaunes apparaissent au candidat, mais parfois, dans leur Ă©lan ils prononcent les mots donnant ainsi la solution au candidat. Dans le duel entre Anthony et Yann, c’est Fabien qui a « dĂ©rapĂ© » en quelque sorte. S’ensuit un dialogue ente Nagui et Fabien qui illustre parfaitement Les Femmes savantes. Les deux protagonistes entament le dialogue du chef qui admoneste son subordonnĂ© et qui doit maintenir en mĂȘme temps l’égalitĂ© de traitement au nom du relativisme absolu. Le chef [Nagui] passe son temps Ă  sermonner le subordonnĂ© [Fabien] pour sa « faute professionnelle » tout en gardant la posture du chef-sans-ĂȘtre-chef, et Fabien se dĂ©fend d’une faute tout en gardant la posture du coupable-sans-ĂȘtre-coupable. Le rire Ă  chaque rĂ©plique qui se veut Ă  chaque fois un mot d’esprit maintient le positionnement de chacun. On obtient le dialogue suivant. C’est Nagui [le chef] qui fait remarquer au candidat Yann : « — “tout le monde cherche Ă  s’échapper”, avez vous dit », le candidat confirme cette rĂ©ponse mais qui a Ă©tĂ© chantĂ©e par Fabien. Alors Nagui [le chef] gronde le subordonnĂ© [Fabien] : « — il y a eu quand mĂȘme une espĂšce de vĂ©rification faite par Fabien » [Cette phrase veut dire tout bĂȘtement “Fabien a donnĂ© les mots”, mais au lieu de dire les choses de façon claire et distincte, Nagui prĂ©fĂšre une formule Ă  lui, dans un langage Ă  lui, avec des mots Ă  lui, une grammaire Ă  lui, une syntaxe Ă  lui, Ă  savoir “il y a eu quand mĂȘme une espĂšce de vĂ©rification faite”], et ajoute « — c’est parfait, 30 points pour Yann, mais je prĂ©cise, mĂȘme si Fabien a rechantĂ© ces paroles, vous les aviez dites avant mĂȘme si chaque fois nous Ă©vitons, Ă©videmment, que cet incident se produise et il ne se reproduira pas, n’est-ce pas Fabien ? ». L’acrobatie consiste Ă  disculper le candidat de toute aide, il avait bien trouvĂ© les trois mots de lui-mĂȘme avant la soufflerie de Fabien, et du coup Ă  disculper Fabien par le fait que sa soufflerie n’a finalement servi Ă  rien. Fabien rĂ©plique « — de quoi, pardon, excuse moi, j’étais en train de parler de la chanson d’avant », ce qui permet d’ajouter au crĂ©dit de Fabien. Mais Nagui, comme tout chef qui se respecte ne veut pas en rester lĂ  : « — oui, moi aussi
 en fait on parlait de la mĂȘme chose », Fabien reconnaĂźt qu’il doit lĂącher du lest : « — ce qui s’est produit et ne devait pas se reproduire ? », Nagui prĂ©cise bien la faute : « — que tu as donnĂ© la rĂ©ponse ». On comprend qu’il s’agit bien d’une faute et qu’il ne faudrait pas que cela se reproduise, sous peine de sanction, peut-ĂȘtre. Pour ne pas laisser le dernier mot Ă  Nagui, Fabien fait l’étonnĂ© : « — lĂ  maintenant ? mais non, ah bon ? ». Cette fois-ci, Nagui prĂ©cise en ajoutant un reproche supplĂ©mentaire : « — tu vois, t’en parlais, mais tu ne t’en es mĂȘme pas rendu compte », Fabien a commis une faute et ne s’en est mĂȘme pas rendu compte, en principe c’est plus grave. Fabien ne se laisse pas faire, il y a en fait un coupable, autre que lui : « — normalement il y a des gens qui m’insultent dans mes oreillettes, et lĂ  personne n’a rien dit ». Nagui prend (sciemment ou non ?) l’attaque frontale pour lui, en disant « — oui, je suis lĂ  ! je suis lĂ  ! ». Fabien trouve la parade : « — oui, mais toi tu n’es pas dans l’oreillette, toi t’es devant les français ». Nagui rĂ©torque, sans se dĂ©faire de son sourire-rictus : « — non, non, non ». Peut-ĂȘtre qu’à cet instant Nagui en a assez de ce dialogue commĂ©rage qui n’en finit pas, ils aimeraient bien que chef et le subordonnĂ© reprennent leurs rĂŽles, ce qui veut dire que le subordonnĂ© doit se taire quand le chef parle, en application du fameux rĂšglement intĂ©rieur5. Fabien tente de s’en sortir en sauvant la face par un acte de contrition, il s’adresse Ă  tous (ce qui signifie qu’il refuse quand mĂȘme le tĂȘte-Ă -tĂȘte avec Nagui) : « — Ă©coutez je suis dĂ©solĂ© ». Nagui a flairĂ© le subterfuge : « — mais tu ne sais pas de quoi je parle ! ». Fabien se lance alors dans une grande tirade pĂ©nitentielle : « — du coup, non, mais j’ai appris Ă  m’excuser quoi qu’il arrive, je commence ma journĂ©e en disant “pardon”, pour tout ce qui va se passer, je sais qu’il y a des gens quand ils me voient apparaĂźtre ils demandent Ă  se faire rembourser la redevance tĂ©lĂ© ». À noter, ici, que Fabien demande pardon pour des choses qui vont arriver, non qui sont arrivĂ©es. Nagui sous-entend que son pardon, ses excuses sont dĂ©placĂ©es pour un motif ridicule : « — comme les paroles sont revenues ! » et donc que toute cette discussion n’avait pas lieu d’ĂȘtre. Fabien comprend que tout cela doit s’arrĂȘter fait mine de quitter son poste de travail en tournant le dos ostensiblement, Ă  la Giscard d’Estaing6, et en faisant deux pas de retrait vers les coulisses7.
Le traitement du candidat subit la technique communĂ©ment employĂ©e aujourd’hui dans tous les medias, Ă  savo...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. 4e de couverture
  3. Copyright
  4. ƒuvres de Claude Brunier-Coulin, aux Ă©ditions Orizons
  5. Titre
  6. Parus dans la mĂȘme collection
  7. PrĂ©face – Le sens retrouvĂ© de la critique
  8. Introduction – D’un divertissement autre
  9. Chapitre premier – Les rùgles du jeu
  10. Les cabrioles chaotiques d’un divertissement
  11. Conclusion – Vers la dĂ©personnalisation de la pensĂ©e
  12. Table des matiĂšres