Economie politique de l'émergence

Mylène Gaulard

• Éditeur: Editions Campus Ouvert
• Année: 2015
• ISBN:
  9782336741529
• Sujet: Social Sciences
• Sous-sujet: Global Development Studies

Cet ouvrage présente l'émergence de nouvelles grandes puissances économiques sur la scène internationale, tels que les membres du groupe des « BIC » (le Brésil, l'Inde et la Chine), ainsi que d'autres pays dits « émergents » comme le Mexique et l'Afrique du Sud. L'accent est mis sur les raisons de l'efficacité des différentes stratégies économiques adoptées, mais aussi sur les difficultés auxquelles ils pourraient être confrontés à l'avenir et auxquelles ils doivent d'ores et déjà faire face.

II.
Les conditions de l’émergence actuelle

La deuxième partie de cet ouvrage présentera les caractéristiques communes des pays dits « émergents » actuellement. Malgré des avantages démographiques et naturels similaires, nous verrons que les modalités de l’intégration financière et commerciale sont très variables d’un pays à l’autre.

A – LES ATOUTS DES PAYS EMERGENTS

1. Les avantages démographiques et naturels

Les pays les plus peuplés et les plus grands du monde

	Population (en millions d’habitants)		Superficie (en milliers de km carrés)
Chine	1 344	Russie	17 098
Inde	1 210	Canada	9 985
États-Unis	313	Chine	9 597
Indonésie	238	États-Unis	9 371
Brésil	192	Brésil	8 514
Pakistan	180	Australie	7 692
Nigeria	170	Inde	3 287
Bangladesh	152	Argentine	2 780
Russie	143	Kazakhstan	2 724
Japon	128	Algérie	2 381
Mexique	111	République démo. du Congo	2 345
Philippines	92	Groenland	2 166
Vietnam	88	Arabie Saoudite	2 150
Éthiopie	84	Mexique	1 964
Égypte	82	Indonésie	1 910

Source : United Nations Statistics Division.

Alors que les dragons asiatiques présentaient a priori de nombreux handicaps de départ, avec une population peu nombreuse, une faible superficie et une grande pauvreté en ressources naturelles, les quatre émergents que nous étudierons dans la suite de cet ouvrage bénéficient d’atouts démographiques et naturels importants.

L’une des caractéristiques communes aux émergents que nous avons choisi de présenter préalablement dans cet ouvrage est leur poids démographique. La Chine (1,3 milliard d’habitants), l’Inde (1,2 milliard) et le Brésil (192 millions) se situent effectivement parmi les cinq pays les plus peuplés du monde, et parmi ceux bénéficiant de la plus grande superficie. L’Afrique du Sud n’arrive qu’en vingt-cinquième position avec ses 49 millions d’habitants et ses 1,2 million de kilomètres carrés, mais nous verrons aussi dans cette partie qu’elle possède de nombreuses ressources naturelles lui permettant de profiter pleinement de cette moindre surface qui n’en est pas moins considérable relativement aux autres pays du monde. Les pays caractérisés comme les prochains émergents, derrière la Chine, l’Inde et le Brésil, sous l’acronyme CIVETS (Colombie, Indonésie, Vietnam, Égypte, Turquie et Afrique du Sud) bénéficient pour la majorité d’entre eux d’une grande richesse en ressources naturelles et d’une population relativement nombreuse, bien qu’ils ne se situent pas tous dans les quinze premières positions du tableau précédent en termes de population et de superficie.

Concernant le poids démographique des émergents, observons ainsi que, alors que l’Europe réunissait 25 % de la population mondiale au début du XXe siècle, elle n’en représente plus que 10 % aujourd’hui. Cela s’explique surtout par le fait que les pays en développement ont effectué leur transition démographique beaucoup plus tard que les pays européens, et certains d’entre eux ont su profiter de cet atout pour stimuler leur croissance économique et occuper une place plus importante dans l’économie mondiale (parmi les pays ayant connu la plus forte croissance du PIB par habitant entre 2008 et 2011, on retrouve dans le graphique ci-après la plupart de ceux situés dans les premières positions du tableau précédent en termes de population et de superficie).

Croissance du PIB par habitant de 2008 à 2011

Effectivement, une population aussi nombreuse joue un rôle important dans la croissance économique de ces pays, car elle permet de peser sur le coût de la main-d’œuvre, tout en stimulant la formation d’une vaste demande intérieure parmi les catégories les plus aisées de la population. Ainsi, la stratégie de promotion des exportations telle qu’elle a pu être mise en place en Asie du Sud-Est (Chine dès la décennie 1980, Indonésie, Philippines, Thaïlande, Malaisie, Vietnam…), à la suite du succès des quatre dragons, semble radicalement distincte de ce qui s’est produit en Corée du Sud et à Taiwan. Contrairement au « fordisme périphérique » observé dans ces deux derniers pays, avec une augmentation progressive du coût de la main-d’œuvre et une baisse des inégalités de revenus, la promotion des exportations dans le reste de l’Asie du Sud-Est mais également dans des pays comme l’île Maurice ou le Zimbabwe, subissant la concurrence des pays peuplés évoqués précédemment, repose sur la présence d’un très faible coût de la main-d’œuvre.

Coût horaire du travail dans l’industrie, en dollars (2008)

Source : US Bureau of Labor Statistics

Avec une main-d’œuvre souvent féminine peu contestataire, les entreprises les plus dynamiques et les mieux insérées dans le commerce international offrent le plus souvent des conditions de travail opposées aux règles établies par le Bureau International du Travail (travail aux pièces, heures supplémentaires obligatoires, semaines allant parfois jusqu’à 80 heures de travail en Chine etc.). Par exemple, en Chine, les 150 millions de ruraux considérés comme excédentaires dans les campagnes constituent encore une réserve de main-d’œuvre majeure pour peser sur l’évolution du coût du travail dans l’industrie manufacturière des grandes régions côtières et, nous le verrons plus loin, rendre les produits chinois compétitifs sur la scène internationale. Malgré cela, comme en Inde, se développe une « classe moyenne » chinoise, susceptible de se procurer les biens de consommation durables produits par l’industrie nationale : cette nouvelle classe sociale, apparaissant parmi les travailleurs les plus qualifiés de l’appareil productif, est estimée à 50 millions de personnes (moins de 5 % de la population de ces deux pays). Nous verrons cependant dans la troisième partie de cet ouvrage que cette demande n’est souvent pas suffisante pour absorber la production industrielle qui ne peut pas être, évidemment, exportée dans son intégralité.

Par ailleurs, cette population considérable permet de bénéficier d’une large diaspora dans le monde entier, et de profiter ainsi de nombreux contacts nourrissant les échanges commerciaux. Si la diaspora chinoise a joué un rôle important dans l’essor économique de Hong Kong et surtout de Taiwan dans les décennies suivant la Seconde Guerre mondiale, elle a aussi contribué, par le biais des 50 millions de personnes expatriées actuellement, au développement économique du pays dès le début de la décennie 1980 : outre des échanges commerciaux facilités avec l’étranger, le retour de ceux que l’on appelle les « tortues de mer », les chinois émigrés ayant profité d’une expérience professionnelle à l’étranger, apporte effectivement un soutien essentiel au développement de l’appareil productif, que ce soit par leur qualification ou par les capitaux qu’ils investissent directement sur place. De même, la diaspora indienne, constituée de 20 millions de personnes, permet de stimuler l’investissement par le biais de transferts effectués depuis l’étranger (environ 50 milliards de dollars par an à la fin de la décennie 2000) ; de plus, le retour des étudiants indiens ayant effectué leurs études aux États-Unis permet de plus en plus de bénéficier d’une main d’œuvre qualifiée indispensable à l’industrialisation.

Outre les atouts d’une population aussi nombreuse, observons aussi que la superficie de pays émergents comme la Chine, l’Inde et le Brésil leur permet également de se distinguer sur la scène internationale grâce à l’abondance de leurs ressources naturelles. La Chine et l’Inde sont aujourd’hui les plus grands producteurs de blé et de riz, et aux côtés du Brésil, ils se situent parmi les ...

Table des matières

• Couverture
• 4e de couverture
• Copyright
• Titre
• INTRODUCTION
• I. UN RETOUR SUR L’ÉMERGENCE DES « NOUVEAUX PAYS INDUSTRIALISÉS »
• II. LES CONDITIONS DE L’ÉMERGENCE ACTUELLE
• III. LES DIFFICULTÉS RENCONTRÉES PAR LES PAYS ÉMERGENTS
• CONCLUSION
• Table des matières