La fin de l’Education « nationale »
Dans la partie de cet ouvrage qui s’ouvre ici je souhaite décrire ce que pourrait être l’architecture d’un nouveau système éducatif dans notre pays. Ce projet a la prétention de répondre à deux conditions qui sont l’une et l’autre absolument nécessaires pour qu’il ait un sens.
La première c’est qu’à terme il suscite la réalisation des changements proposés plus haut. Il doit permette aux divers défauts pointés du doigt d’être corrigés, ou du moins significativement améliorés et qu’ainsi les insuffisances du système actuel soient comblées tant pour les élèves que pour les professeurs.
La seconde exigence indispensable pour valider mes propositions est que leur mise en place soit possible. Les cinquante dernières années ont connu une dizaine de tentatives de réformes, plus ou moins lucides et ambitieuses. Elles ont toutes échoué. Soit les révoltes provoquées ont obligé le ministère à faire marche arrière et à abandonner ses projets, soit l’inertie gigantesque du monstre a tout digéré sans que rien ne change. Comme on l’a vu plus haut, les idées de toutes ces réformes ont peu à peu été réduites à quelques changements d’appellation, quelques modifications d’horaires et de modestes ravalements de cursus.
La stratégie que je propose prétend contourner ce mur ou cet édredon qui jusqu’à ce jour ont réussi à faire échouer toutes les tentatives, les sincères, les lucides et les autres.
Pour résumer mon propos, plutôt que de proposer quoi que ce soit qui sera immanquablement rejeté ou digéré, je propose de changer un détail, mais un détail essentiel dans la gouvernance de tout le système. Changer la clé de voûte en quelque sorte. Il s’agit de couper la tête de tout le système, en retirer la gestion au ministère pour en confier la responsabilité aux exécutifs régionaux. Il n’y aurait plus d’Education Nationale mais des Educations Régionales, comme dans tant d’autres pays.
Ce changement est évidemment radical et cardinal mais il a l’avantage d’être initialement indolore car il ne prétend rien changer de particulier dans les fonctionnements actuels. Je pense pouvoir démontrer que cette révolution au sommet de la gouvernance de toute la machine produira peu à peu les effets escomptés : le monstre se disloquera progressivement en morceaux de tailles plus humaines et les évolutions nécessaires pourront enfin se produire. Car les dossiers et affrontements, dès lors éclatés et localisés ici ou là, n’auront pas le même calendrier, échapperont aux débats globaux, aux mises en place nationales de telle ou telle décision et par suite à la force des blocages systématiques habituels. Peu à peu de vrais changements adoptés dans un territoire deviendront contagieux s’ils sont couronnés de succès. D’une façon nécessairement progressive et diversifiée, les réponses attendues pour rénover notre école seront introduites petit à petit partout.
LE FINANCEMENT
Un choix politique et national
Le financement accordé à nos outils éducatifs est évidemment essentiel, et ce n’est pas rendre hommage à la sagacité de nos syndicats que de reconnaître que les moyens attribués sont une donnée primordiale pour faire fonctionner un outil de qualité.
La tradition française depuis plus d’un siècle et la volonté proclamée par presque toutes les forces politiques du pays d’assurer l’égalité des chances pour tous exigent que le financement de notre système éducatif reste national. Car il y a des régions riches et des régions pauvres et les unes et les autres ne pourraient pas mobiliser les mêmes moyens pour leur éducation. Comme on l’a vu au début de cet ouvrage, ce n’est pas un point de vue universellement partagé par nos voisins mais un projet qui violerait cette règle susciterait immédiatement un rejet qui le condamnerait. Si, comme nous allons le proposer, l’idée est de donner aux territoires une très grande responsabilité dans la conception et la gestion de leur système, il est exact que l’inégalité de richesses, et donc de ressources, entre nos régions génèreraient automatiquement des inégalités entre les français. Il ne me semble donc pas possible que les régions assurent le financement de l’éducation des jeunes qui les peuplent par une fiscalité qui leur serait propre. Cette raison exige que ce soit au niveau de la nation toute entière que soient assumées les dépenses d’éducation.
Pour réaliser ce qui sera proposé par la suite, c’est-à-dire donner une réelle autonomie aux différentes composantes de notre système éducatif, la dotation faite doit échapper à une analyse précise et détaillée des dépenses à financer dans chaque région. Il s’agit d’apporter les fonds pour assurer un service que le territoire aura la charge de gérer mais aussi de concevoir, avec les contraintes financières imposées par le budget alloué.
On sait très bien ce que coûte aujourd’hui « in fine » la scolarisation des élèves en France. Actuellement, d’après les chiffres de 2015, cela revient en moyenne par élève et par an à 6200€ dans le 1er degré et à 9700€ dans le second degré. Dans le supérieur, le coût moyen est de 11600€ mais varie beaucoup entre les universités (10800€ en moyenne mais parfois beaucoup moins) et les classes préparatoires (14900€). Sans parler de certaines grandes écoles où il explose, même si pour ces dernières le financement a parfois d’autres sources que le budget de l’état.
Ce coût par jeune, analysé par classe d’âge, doit servir de base à une dotation globale qui devra financer l’ensemble des outils éducatifs d’un territoire. Ce sont les autorités régionales qui seront les gestionnaires de cette attribution nationale pour assurer toutes les charges, y compris salariales, que réclame le fonctionnement de tous les établissements implantés sur leur sol et tous les services qui leur sont dédiés.
Ce financement national et égalitaire est un point essentiel de mes propositions car au-delà des considérations de solidarité entre toutes les régions il permet, en garantissant des ressources égalitaires pour tous, de répondre et, espérons-le, de désamorcer les accusations de privatisation qui ne manqueront pas d’être faites, mêmes si elles ne sont en rien justifiées.
Une solution favorable à plus de justice sociale
En plus de répondre à l’exigence d’apporter par élève les mêmes ressources à toutes les régions du pays, ce financement global offre au parlement l’outil pour maîtriser et donc régler globalement les ressources allouées zone par zone à l’éducation. Aujourd’hui celles-ci sont en grande partie déterminées par l’inertie des structures en place.
Il sera d’ailleurs possible, dans cette attribution, de tenir compte, si c’est le choix du pouvoir politique en place, de certains paramètres objectifs de telle ou telle région pour faire varier les budgets alloués. La ruralité par exemple, ou certaines données concernant des difficultés économiques spécifiques qui peuvent toucher une zone, pourront être prises en compte et déterminer de petites variations dans les dotations faites aux territoires concernés. Les politiques au niveau national garderont la possibilité de tels choix, qui seront votés par le parlement dans le cadre de la loi budgétaire annuelle et donc en toute transparence.
Le gouvernement pourra également imposer que certaines ressources attribuées soient obligatoirement consacrées à certains dossiers qui lui apparaissent particulièrement sensibles. Cela pourra justifier l’attribution de ressources complémentaires, sans cependant pouvoir imposer de méthodes précises à leur utilisation. Ces obligations pourraient cibler obligatoirement des populations particulières. Ce sera une des missions du futur ministère de l’Education Nationale d’analyser ce qui a été fait par les uns et par les autres, d’en comparer les mérites et de vérifier si les obligations fixées et votées ont été correctement respectées, agissant alors un peu comme une Cour des Comptes spécialisée.
Le fait de laisser au niveau national la maîtrise et la responsabilité du financement de notre système éducatif laisse évidemment au niveau politique national du pays un réel pouvoir sur celui-ci, même si on lui en retire la gestion.
La construction des budgets ainsi élaborés, et attribués aux territoires, sera publique. Les critères retenus et les ressources apportées seront connus et leur utilisation sera naturellement surveillée. Dans le système actuel la multiplicité des budgets dépensés par le ministère rend illisible l’analyse des coûts globaux. Dans le respect du cahier des charges national voté et le respect des éventuels mesures spécifiques qui le concernent, chaque territoire responsable déterminera librement la modalité de la répartition des fonds qui lui seront attribués. Dans cette logique, la pression sociale sur les pouvoirs territoriaux responsables sera forte pour que ses choix soient transparents, que les nombreuses rentes de situations actuellement acquises et reconduites d’année en année soient dénoncées, et que les territoires accordent les fonds nécessaires à ceux qui en ont le plus besoin.
J’ai pu démontrer dans un précédent ouvrage (« J’ai rêvé d’une autre école… » L’Harmattan 2003) qu’un collège de centre-ville, que j’avais appelé « Marie Chantal », coûtait au ministère, pour le même nombre d’élèves scolarisés, 16 % de plus qu’un collège de banlieue difficile, que j’avais appelé « La zone ». Les salaires plus élevés des professeurs du premier, du fait de meilleurs diplômes et d’une ancienneté plus élevée des enseignants, l’emportant de beaucoup sur les dotations horaires majorées de l’établissement « La zone », évidemment en ZEP. Cette réalité, bi...