Politique pétrolière de la France de 1861 à 1974

à travers le rôle de la compagnie privée Desmarais Frères

Mohamed Sassi

• Éditeur: SPM
• Année: 2018
• ISBN:
  9782336843674
• Sujet: Histoire
• Sous-sujet: Histoire du monde

À travers l'étude de la Compagnie familiale Desmarais Frères, Mohamed Sassi livre une analyse d'ensemble du développement de la branche pétrolière, depuis ses origines dans les années 1860 aux années 1970. Il insiste sur la diversité de l'histoire, des objectifs fixés, et des moyens mis en oeuvre via l'exemple d'une entreprise qui met en valeur l'originalité de la politique pétrolière française.

DEUXIÈME PARTIE
L’émergence d’une industrie pétrolière française (1919-1945)

Introduction de la deuxième partie

La deuxième partie couvre la période allant de 1919 à 1945. Elle se consacre à l’étude de Desmarais Frères à travers le développement d’une industrie pétrolière française. La sortie du premier conflit mondial marque pour la France un véritable départ en matière pétrolière : d’abord, car l’ensemble des acteurs du marché est mobilisé autour de l’action de l’État depuis la formation du Consortium pétrolier ; ensuite, parce que la fin victorieuse des alliés semble garantir, immédiatement et pour longtemps, les ressources nécessaires à un avenir florissant. Ce choix chronologique de cette période s’impose, parce qu’elle reflète un état réel du développement de l’industrie pétrolière française. Elle se compose de trois phases clés : une phase de construction dans les années 1920, une phase de développement dans les années 1930 et une phase de ralentissement, voire de rupture, avec la déclaration de guerre par l’Allemagne. Les trois phases constitueront les trois chapitres de cette partie. Passer par ses trois phases permet d’avoir un diagnostic historique réel sur le développement de l’industrie pétrolière en France.

Le premier chapitre se consacre à l’analyse des éléments constitutifs d’une industrie pétrolière française. La création de la Compagnie Française des Pétroles (CFP) en 1924 en est l’événement majeur à la base de ce qui s’appelle aujourd’hui le groupe Total. L’analyse tente de se concentrer sur les aspects organisationnels afin de mettre l’accent sur l’originalité du cas français. Il s’agit là de l’approche technocratique entreprise par Ernest Mercier. L’État n’intervient jusque là que par le biais de la législation afin d’optimiser l’activité des raffineurs français. Ainsi, il sera mis en valeur le rôle et la stratégie de Desmarais Frères dans ce grand projet destiné à favoriser l’indépendance pétrolière de la France.

Le deuxième chapitre trace les grands pas vers une industrie pétrolière française complètement intégrée. Suivant l’évolution des affaires de la CFP de très près, l’État renforce sa participation au capital de la compagnie. Son rôle passe d’un rôle principalement législatif à un rôle de gestionnaire direct. Pour ainsi comprendre cet aspect important d’une économie désormais mixte, il convient de rendre compte des activités de la CFP tout en tenant compte de la dimension stratégique, organisationnelle et financière. Une analyse permet également d’appréhender la stratégie d’adaptation de Desmarais Frères.

Le troisième chapitre, enfin, a pour objectif de mettre en valeur des efiets de la guerre sur l’activité de l’industrie pétrolière française. Cette période sera traitée chronologiquement afin d’analyser les différentes politiques de l’État depuis la politique d’austérité de Paul Reynaud à la création des comités d’organisation par le gouvernement de Vichy. La guerre mettra-elle en danger l’avenir de la CFP et de Desmarais Frères ? Les destructions massives ont-elles vraiment causé la rupture totale des activités de Desmarais Frères ? À ces questions, ce présent chapitre tente de répondre au moyen d’une approche quantitative s’appuyant sur des données archivistiques des entreprises en question.

CHAPITRE 3
L’émergence d’une politique pétrolière française de 1918 à 1931 : le rôle de Desmarais Frères

INTRODUCTION

À la sortie de la Guerre de 1914-1918, tous les facteurs sont présents pour former une politique pétrolière. La crise pétrolière de 1917 met le pétrole au cœur du programme de l’État. En fait, cette expérience modifie l’attitude de l’État en « légitimant de différentes formes d’expériences étatistes, corporatistes, voire socialiste »591. Le gouvernement français prend les choses en main en devenant le seul acheteur et importateur de pétrole, en créant, en 1918, le Commissariat Général aux Essences et Combustibles (C.G.E.C.) et en instaurant le Consortium pétrolier. Ce consortium est un organisme privé qui se charge de la distribution de la totalité des produits importés. Désormais il faut mettre tout en œuvre pour instaurer une politique pétrolière digne de son nom.

Paradoxalement, pour financer la guerre, les États ont souscrit des emprunts (auprès des États-Unis). Ils sont donc endettés. L’augmentation rapide de la masse monétaire a entraîné une dépréciation des monnaies européennes et une forte inflation. C’est ce qui rend inefficaces les simples dispositions à encourager l’industrie du raffinage592 (loi du 5 août 1919 notamment). Les États-Unis se sont enrichis. Les Américains profitent du recul de l’Europe et apparaissent comme les grands bénéficiaires de la guerre ; le dollar devient la monnaie internationale. La diplomatie économique échoue à établir des bases d’une véritable coopération internationale apte à résoudre la crise mondiale593. Au-delà des conséquences géopolitiques, la guerre donne naissance à la « diplomatie du pétrole » et la diplomatie économique élargit son domaine aux produits sensibles.

Sur le plan diplomatique, la France renforce son action. Elle obtient les accords de San-Rémo, des accords selon lesquels elle devrait s’assurer d’accéder aux sources pétrolière abondantes de la Mésopotamie. En effet, « le gouvernement britannique s’engage à accorder au gouvernement français ou à ceux qu’il désignera une part de 25 % au prix courant du marché dans la production nette d’huiles brutes que le gouvernement de la Société des Nations (SDN)594 pourra se procurer par les champs pétrolifères de Mésopotamie... »595. Désormais, la France est certaine de récupérer la part que la Deutsche Bank possédait dans la Turkish Petroleum Company (TPC). En Roumanie, la France participe sur un pied d’égalité avec l’Angleterre à la mise en valeur des gisements contrôlés antérieurement par les Allemands.

ILLUSTRATION 2.1.1.

La signature du traité de San Remo en 1920

Source : Archives de Total

Certains industriels français de pétrole, dont Desmarais Frères, si longtemps privés de ressources pétrolières abondantes, attendent, enfin, que l’État prenne en charge la mission de rattraper le retard par rapport aux Anglo-saxons. Pour eux, il n’existe a priori aucune opposition à ce que l’État intervienne dans ce secteur. À la sortie de la guerre en 1918, Desmarais Frères dispose de 56 millions de francs d’actifs, dont 50% aux immobilisations, notamment dans les trois raffineries, 30% aux stocks et créances commerciales, et 20% aux participations. En 1921, le total des investissements français (le consortium français) dans la branche pétrolière ne s’est que de 900 millions de francs. La part de Desmarais Frères est de 142 millions, sur la base des 15,75% attribués à la firme dans le cadre du consortium. Même si l’on ajoute l’estimation des intérêts français investis en Roumanie (900 millions) et en Pologne (800 millions) en 1923-1924, on est encore trop loin de la Royal-Dutch Shell (3500 millions de Francs à la même date)596.

Pour les autres industriels, pour l’industrie dans son ensemble, c’était aussi le bon moment. Il s’agissait en efiet de bénéficier du pétrole bon marché, à des prix très loin de ceux appliqués sous le régime de la loi de 1903, pour lancer ou relancer leurs industries. En France, la machine industrielle et économique est relancée597. Il en résulte que le Produit Intérieur Brut s’accroît également de 4,4 % par an dès 1922598. L’État se trouve rassuré de ses choix politiques et économiques. Le secteur automobile « connaît à partir des années 1920 un essor certain (ainsi que l’industrie du caoutchouc qui lui est liée) et constitue un moteur pour le secteur métallurgique. De 125 000 automobiles, la circulation passe à 0,8 millions en 1926 et 1,7 millions en 1931. Les usines de Billancourt (Renault)599 et Javel (Citroën)600 symbolisent le dynamisme du secteur... »601. De plus, la Première Guerre mondiale engendre un contexte qui rend les autorités militaires très réceptives à toutes les innovations ou améliorations dans le secteur de l’automobile et celui de l’aviation.

Le développement de l’automobile, de l’aviation dans le trafic mondial dès la sortie de guerre, des moteurs diesel plus généralement, contribue à l’augmentation intensive de la consommation mondiale de...

Table des matières

• Couverture
• 4e de couverture
• Titre
• Copyright
• Citation
• Remerciements
• Préface
• Introduction générale
• PREMIÈRE PARTIE – Desmarais Frères : l’entreprise pétrolière privée face à un environnement hostile (1861-1918)
• Conclusion première partie
• DEUXIÈME PARTIE – L’émergence d’une industrie pétrolière française (1919-1945)
• Conclusion deuxième partie
• TROISIÈME PARTIE – Après la Seconde Guerre mondiale : Les défis de la modernisation (1945-1974)
• Conclusion troisième partie
• Conclusion générale
• Documentation
• Chronologie
• Documentation – ANNEXES
• Table des Sigles et Abréviations
• Table des matières