Aimé Césaire, une poétique

Ma conscience et son rythme de chair...

René Hénane

• Éditeur: Editions Orizons
• Année: 2018
• ISBN:
  9782336839028
• Sujet: Literature
• Sous-sujet: Poetry

Cet ouvrage s'inscrit dans la suite des études que René Hénane a consacrées à l'écriture césairienne. L'auteur s'appuie sur la parole, les propos, les écrits du poète et les témoignages des proches. Il prête attention à l'écriture, disséquée, pour reprendre le mot d'Aimé Césaire, en ses structures de base et d'organisation, notamment son hermétisme. Ont été analysés la musicalité du vers césairien et le rythme qui l'anime ainsi que l'éclat souterrain du classicisme et du symbolisme, éclat révélé par la fréquence inattendue de la formule alexandrine.

IV
L’image, la métaphore, l’hermétisme

… images… réalités infiniment pures parce qu’elles projettent sur les lacs de la pensée l’ombre d’une essence dont la notion n’est guère accessible qu’aux puissances de notre cœur…1

… Le monde n’est plus si opaque dès que le poète l’a regardé… Le monde n’est plus si hostile quand le poète a rendu à l’homme la conscience de sa vaillance. Sans cesse la poésie nous rend à la conscience que l’homme est né.2

… Parce que l’image étend démesurément le champ de la transcendance et le droit à la transcendance, la poésie est toujours sur le chemin de la vérité.

(Aimé Césaire, Poésie et connaissance)

Le mot et l’image sont, pour Aimé Césaire, les éléments structurants majeurs de sa poésie.

… l’image est riche de tout l’absurde du monde, riche de toute la vie de l’univers, riche de tout l’irrationnel de la vie, riche de toute la transcendance…

La poésie est cette démarche qui, par le mot, l’image, le mythe, l’amour et l’humour, m’installe au cœur vivant de moi-même et du monde. (Aimé Césaire, Poésie et connaissance)

Après avoir récusé les titres initiaux, Tombeau du soleil et Colombes et menfenils, Aimé Césaire donna pour titre “Les armes miraculeuses” à son premier recueil de poèmes succédant au Cahier d’un retour au pays natal. L’intention est claire, marquer sa poésie du sceau surnaturel, miraculeux, de la transcendance. Le poète invoque ainsi clairement la dimension « monstrueuse », prodigieuse, de la parole poétique :

… La poésie… c’est un monde enchanté, un monde de “monstres” que je fais surgir… un monde de “puissances” que je somme et que j’invoque, que je convoque… l’image relie “l’objet”… définit non pas son être mais ses “potentialités“, bref le dote de sa transcendance fondamentale…3

Comme toute poésie d’essence divine, forme supérieure de l’imagination, la poésie de la Révolte porte en elle le Mystère et cette notion de sacré poétique nous la retrouvons chez Mallarmé dont se réclame Aimé Césaire :

« Toute chose sacrée et qui veut demeurer sacrée s’enveloppe de mystère. »4

Sur la même note, Saint John Perse évoque le mystère poétique :

« L’obscurité qu’on lui reproche (au poète) ne tient pas à sa nature propre qui est d’éclairer mais à la nuit même qu’elle explore… celle de l’âme elle-même et du mystère où baigne l’être humain »5

Assurément, l’une des clés ouvrant l’esprit à l’énigme occulte de la poésie césairienne apparaît être la dimension sacrée, la dimension cosmique qui de façon dominante structure l’image et l’affecte d’une dimension supérieure, mystérieuse.

« Il doit y avoir quelque chose d’occulte au fond de tous, je crois décidément à quelque chose d’abscons, signifiant fermé et caché, qui habite le commun… »6

La métaphore d’Aimé Césaire n’est pas un objet en soi, détaché du monde, elle ne répond pas à la définition mallarméenne de l’absolu, de l’œuvre pure qui exige la disparition du poète :

« L’œuvre pure implique la disparition élocutoire du poète qui cède à l’initiative des mots… »7

Le poète Césaire n’est pas dissous dans son œuvre, il est bien là, au cœur de son écriture, n’hésitant pas à insérer des objets domestiques ou des animaux dans son texte :

Un exemple : « La potiche dans l’étreinte innombrable de la pieuvre... la natte, la lampe, les pincettes, le mannequin... (Histoire de vivre-récit)

Énigmatique potiche qui apparaît soudain, évoquant un cyclone qui dévasta Fort-de-France. En fait, il s’agit, prosaïquement, de la description de l’intérieur de la maison d’Aimé Césaire, enfant, maison probablement secouée, ébranlée par le vent.

La potiche étreinte par les bras d’une pieuvre ? Il s’agit d’une barbotine, cette poterie en céramique décorée d’ornements en relief, à motifs de poissons, de reptiles, de crustacés, de pieuvres, ouvrages de céramique dont les chefs-d’œuvre sont les figulines rustiques de Bernard Palissy. Cette potiche, enserrée dans les bras de la pieuvre minérale, sursaute, tremblante, ébranlée sur sa base comme tous les modestes objets de ce décor de couturière : la natte, la lampe, les pincettes, le mannequin. Le mannequin : accessoire familier, indispensable à la couturière, autant que la machine à coudre, la Singer :

… et la morsure âpre dans la chair molle de la nuit d’une Singer que ma mère pédale, pédale pour notre faim et de jour et de nuit...

Autre exemple de réalité objective au cœur du poème : la description d’un marché aux chevaux :

… l’étonnante cavalerie des rosses impétueuses… (Cahier d’un retour au pays natal)

Ainsi la métaphore césairienne, malgré son opacité ne s’écarte pas du réel et possède un sens auquel il est possible d’accéder ; malgré cette opacité consubstantielle, ce n’est pas un procédé, ce n’est pas un artifice.

Le caractère insolite de cette écriture semble dû à une origine multifaces, martiniquaise par la naissance, française par l’éducation et africaine par les strates profondes de la conscience, racines multiples qui n’affectent pas la métaphore mallarméenne

Le poète semble vouloir être délivré d’une pesanteur, semble vouloir se réfugier dans l’obscurité du dire : c’est lui-même qui l’affirme :

rien ne nous délivre jamais que l’obscurité du dire

dire de pudeur et d’impudeur

dire de la parole dure

dire d’un délire alliant l’univers tout entier

à la surrection d’un rocher (Configurations, dédié à Jacqueline Leiner)

Bousculant la doctrine surréaliste, comme nous le verrons plus avant, doctrine qui rejette furieusement toute historicité dans le poème, la jugeant incompatible avec l’élan poétique, Aimé Césaire n’hésite pas à faire de la réalité vivante, ...

Table des matières

• Couverture
• 4e de couverture
• Copyright
• Du même auteur
• Titre
• Dans la même collection
• Dédicace
• Note introductive
• I – L’écriture césairienne
• II – La syntaxe et la grammaire
• III – Le mot — le langage
• IV – L’image, la métaphore, l’hermétisme
• V – Musicalité du vers et rythme
• VI – L’imaginaire et le surréalisme
• VII – Science et poésie
• VIII – Aimé Césaire : scientifique naturaliste, biologie et médecine
• IX – Aimé Césaire et Lorand Gaspar : une poétique de l’incarnation
• X – Moi, laminaire : la fin du voyage… ?
• XI – Calendrier lagunaire : le poème-tombeau
• Bibliographie sélective
• Table des matières