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- 166 pages
- French
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eBook - ePub
Regards sur des plurilinguismes en tension
DĂ©tails du livre
Aperçu du livre
Table des matiĂšres
Citations
Ă propos de ce livre
Contributeurs: Koffi Ganyo AGBEFLE, Rachid AGROUR, Maria PHILIPPOU-OUARAS, Ndeye Maty PAYE, Isabelle RODIN, Eguzki URTEAGA
Foire aux questions
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Informations
Sous-sujet
LinguistiqueRĂ©flexions autour du bilinguisme
scolaire en Gambie
Ndeye Maty PAYE
Université de Gambie
Université de Gambie
1. Introduction
Les orientations linguistiques dâun Ătat ne peuvent pas ĂȘtre le rĂ©sultat dâune volontĂ© individuelle traduite par un dĂ©cret provisoire. Nous pensons notamment aux dĂ©cisions linguistiques successives prises par lâex-rĂ©gime dictatorial en Gambie. En effet, dans une frĂ©nĂ©sie utopiste, lâanglais jugĂ© trop « colonisateur et trop imprĂ©gnĂ© du Commonwealth », a Ă©tĂ© substituĂ©, par lâarabe dĂ©crĂ©tĂ© comme langue officielle pour accompagner une RĂ©publique islamique dont nous ne comprenons toujours pas les tenants et les aboutissants.
Câest officiel, lâarabe devient la langue officielle de la Gambie, en remplacement de lâanglais. Cette dĂ©cision du chef de lâEtat, Yahya Jammeh, intervient suite au retrait de la Gambie en octobre 2013 des Etats membres du Commonwealth. Le chef de lâEtat justifie sa dĂ©cision par le fait que, selon lui, les Anglais sont venus en Gambie pour « le commerce de lâivoire, parce quâil y avait beaucoup dâĂ©lĂ©phants ici ». « Ils ont tuĂ© les Ă©lĂ©phants et ont fini par vendre les Africains », avait indiquĂ© il y a quelque jours Yahya Jammeh, connu pour son excentricitĂ© et son franc-parler.
http://www.afrik.com/gambie-yahya-jammeh-dit-adieu-au-commonwealth, consulté le 05-04-2017.
Si ce choix linguistique a Ă©tĂ© Ă©voquĂ© par son excellence Yahyah Jammeh, il nâa jamais Ă©tĂ© appliquĂ© sur le terrain car la mesure nâa pas fait lâobjet dâune analyse approfondie par les experts. Nous posons comme postulat que les interventions linguistiques jaillissent dâun long processus, de rĂ©flexion sur sa faisabilitĂ© en considĂ©rant les rĂ©alitĂ©s. Elles exigent alors des assises nationales dans lesquelles se rĂ©unissent les experts (juristes, politiques, linguistes, sociolinguistiques, didacticiens, Ă©conomistes, historiens ; acteurs culturels, sociĂ©tĂ© civileâŠ) pour mener le dĂ©bat. Ainsi pourront-ils Ă lâissue de ces discussions, dĂ©gager des mesures viables, maĂźtrisĂ©es, Ă long terme et des stratĂ©gies adaptĂ©es qui respectent les enjeux Ă©conomiques, culturels, les aspirations, les perceptions, les comportements des citoyens face Ă leurs langues.
DâemblĂ©e, nous concevons quâune telle introspection nâest pas une ambition politique ou identitaire latente de notre part. Notre modeste posture est celle dâune sociolinguiste intĂ©ressĂ©e par les faits linguistiques Ă visĂ©e pragmatique bien quâatteinte souvent par le paradoxe de lâinformateur Labov William (1976). Cette situation est dâailleurs similaire Ă lâexpĂ©rience vĂ©cue par ALIEU JOBE (1996) lors de ses enquĂȘtes sur le rĂ©pertoire de lâenfant gambien. Toute considĂ©ration tenue, ces implicites prĂ©cisĂ©es nous permettent de faire une analyse du sort rĂ©servĂ© au français et des possibilitĂ©s dâun bilinguisme anglais/français dans un pays ancrĂ© dans ses traditions britanniques du fait de lâhĂ©ritage colonial et crampĂ© Ă son plurilinguisme affichĂ© (langues africaines endogĂšnes).
Lâapparition des Ă©coles bilingues en Gambie, les foyers dâĂ©panouissement de la langue française, le positionnement de quelques interrogĂ©s (acteurs linguistiques, Ă©lĂšves Ă©tudiants) face au bilinguisme, la lecture des documents officiels du PAFEG (pour un ancrage de la francophonie en Gambie), le ministĂšre de lâĂducation nationale, ont constituĂ© notre corpus pour Ă©tudier lâĂ©mergence et le fonctionnement de la scolarisation bilingue en Gambie (Ă©tude de cas de deux Ă©coles bilingues : Sbec International et Diana Mariama) face aux exigences de lâĂ©conomie politique et des Ă©valuations linguistiques. Nous allons auparavant dĂ©gager la configuration sociolinguistique de la Gambie.
2. La situation sociolinguistique de la Gambie
La Gambie, pays anglophone, est une bande de terre qui sâĂ©tend sur 11 295 km2 pour une population estimĂ©e Ă 1,4 million en 2004. Câest une enclave dont les frontiĂšres se dĂ©coupent Ă lâintĂ©rieur du SĂ©nĂ©gal pays francophone. La Gambie est un espace de rencontre culturelle oĂč des langues et ethnies se retrouvent. Au nombre des ethnies, nous cĂŽtoyons respectivement : les Mandingue 38,8 %, les Peul 21,2 %, les Wolof 17,9 %, les SoninkĂ© 9,9 %, les SĂ©rĂšre 2,4 % et les Aku 1,7 %. Chaque ethnie est une rĂ©serve de culture avec sa propre langue du mĂȘme nom et ses croyances. Lâanglais, hĂ©ritage colonial est une langue officielle, langue de scolarisation, du secteur formel (administration, cours et tribunaux, enseignement, preste Ă©crite, journal tĂ©lĂ©visĂ©, textes officiels). Le pays multilingue, possĂšde dix-huit langues de la famille nigĂ©ro-congolaise. Cette diversitĂ© linguistique a Ă©tĂ© citĂ©e dans les travaux de Jobe A. (1991). Ă la suite, les travaux de Paye N.-M. (2012), analyse la distribution fonctionnelle des langues dans la sociĂ©tĂ© gambienne, inspirĂ©e par Calvet L.-J. (1999) et Boyer H. (2001) sur les reprĂ©sentations. Paye N.-M. (2012), dans ses recherches nâoublie pas la mention de la typologie de Dikki-Kidiri M. (2004 : 27-36) sur les foncions sociales des langues africaines. Si lâanglais jouit dâune reprĂ©sentation prestigieuse (ascension sociale), les langues locales subissent un sort beaucoup plus nuancĂ©. Elles assurent une fonction symbolique, identitaire, Boyer H. (2001). Elles ne sont parlĂ©es quâen situation de confiance conversationnelle (le locuteur est Ă lâaise, libĂ©rĂ© de toute pression sociale et/ou psychologique. La conversation est alors spontanĂ©e avec lâusage de la langue avec laquelle lâon se sent en sĂ©curitĂ©). Cette situation marque un conflit linguistique latent ente une langue Ă©trangĂšre high et des langues locales low cf. Ferguson (1959) et Fishman (1967). Chaque langue a son domaine dâusage dâoĂč une certaine rĂ©partition fonctionnelle. Du fait de sa position gĂ©ographique, nous pouvons deviner que le français reste prĂ©sent dans ce pays anglophone oĂč il est enseignĂ© Ă partir du secondaire. Les francophones sont estimĂ©s au nombre de 45 000. Nous rappelons que la Gambie anglophone est non seulement une enclave du SĂ©nĂ©gal francophone mais elle est aussi entourĂ©e par des pays limitrophes majoritairement francophones. Les statistiques de cette partie sont tirĂ©es du site de lâuniversitĂ© de Laval1, consultĂ© le 12 octobre 2014. Ă lâĂ©cole comme au lycĂ©e, le français occupe le statut de langue Ă©trangĂšre privilĂ©giĂ©e lorsquâil est enseignĂ©.
3. Economie mondiale
et nouvelles orientations linguistiques
et nouvelles orientations linguistiques
La mondialisation retrace les perspectives Ă©conomiques en misant sur la mallĂ©abilitĂ© des frontiĂšres et lâexplosion des rĂ©seaux. Elle dessine alors les contours dâun nouvel ordre oĂč la libre circulation des biens, services, et personnes est garantie. Les gouvernements dans leurs politiques nâignorent plus ce paramĂštre et tentent de le considĂ©rer dans leurs orientations. La mondialisation ne concerne pas uniquement lâĂ©conomie, mais les langues aussi. Celles-ci favorisent le transfert des connaissances, des compĂ©tences, des services et surtout des Ă©changes avec les partenaires, les clients-consommateurs, les investisseurs dĂ©sormais non nĂ©gligeables. Le temps oĂč lâĂ©loge de lâunilinguisme poussĂ© par un nationalisme avĂ©rĂ© dans la tradition occidentale est bel et bien rĂ©volu. Avec la modernitĂ©, lâhomogĂ©nĂ©itĂ© est substituĂ©e Ă lâhĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© par ricochet Ă la diversitĂ© linguistique et culturelle. Le plurilinguisme retrouve alors ses lettres de noblesses, elle nâest plus dĂ©prĂ©ciĂ©e et le sentiment de mĂ©fiance Ă son Ă©gard tend Ă sâestomper.
Lâunilinguisme est investi dans la conception occidentale de lâĂtat-nation, dont la forme « idĂ©ale » est regardĂ©e comme lâĂ©quation un pays/une langue⊠Les avatars de cette idĂ©ologie comportent diffĂ©rentes formes de nationalisme linguistique, ne se contentant en gĂ©nĂ©ral pas de promouvoir une langue (dâailleurs elle aussi dĂšs lors rĂ©duite Ă lâhomogĂ©nĂ©itĂ©), mais dĂ©prĂ©ciant les autres (avant tout celles des minoritĂ©s). Cette philosophie se rĂ©percute dans des croyances ordinaires sur les pratiques langagiĂšres, qui conjuguent une adhĂ©sion spontanĂ©e Ă lâidĂ©e des bienfaits intellectuels de lâunilinguisme, et une mĂ©fiance envers le bilinguismeâŠ
Françoise Gadet et Gabrielle Varro (2006 : 19-20)
Il serait naĂŻf de croire que tous les langues ont la mĂȘme valeur dans cette mondialisation. Bien au contraire, une hiĂ©rarchisation bien prononcĂ©e marque le plurilinguisme en fonction des domaines dâusage. William F. Mackey (1987), en expert du bilinguisme affirme que seul Dieu et les linguistiques croient en lâĂ©quitĂ© des langues. Dans le marchĂ© de Pierre Bourdieu, les langues ont un prix, certaines sont plus chĂšres, plus profitables que dâautres. Comme en bourse, la valeur dâune langue peut monter comme baisser en considĂ©rant les tendances Ă©conomiques, les aspirations nationales et/ou identitaires et enfin lâĂ©volution sociopolitique. Certaines sont prestigieuses car favorisant la reconnaissance sociale et lâinsertion professionnelle tandis que dâautres sont minorĂ©es par le locuteur. Louis-Jean Calvet (1999 : 11-13) renforce lâidĂ©e de la valeur marchande des langues en ces termes :
Nous sentons bien, sans pourtant thĂ©oriser, que cette valeur en quelque sorte marchande fait que les langues sont un capital, et que la possession de certaines dâentres elles nous donnent une plus-value alors que dâautre ne jouissent dâaucun prestige sur le marché⊠Toutes les langues nâont pas la mĂȘme valeur et leur inĂ©galitĂ© est au centre de leur organisation mondiale. Soutenir le contraire relĂšve soit de lâaveuglement, soit dâune sorte de dĂ©magogie qui attribuerait la mĂȘme importance au moustique et Ă lâĂ©lĂ©phant⊠Il serait donc idĂ©aliste de croire que ces 5000 langues ont le mĂȘme poids, la mĂȘme valeur marchande, les mĂȘmes usages, le mĂȘme avenir, il existe ce que nous pourrions appeler une « bourse aux langues », avec des Ă©volutions, des variations de valeursâŠ
Louis-Jean Calvet (1999 : 11-13)
Françoise GADET (2006 : 23) renchĂ©rit avec lâidĂ©e que « toutes les langues sont potentiellement en concurrence et coexistent dans une tension idĂ©ologique ». Si dans les discours dâantan, les choix linguistiques Ă©taient opĂ©rĂ©s par Ă©lan et fiertĂ© nationaux du citoyen, ou encore par revendications identitaires, progressivement la donne change. Les locuteurs deviennent de plus en plus pragmatiques dans lâĂ©conomie nĂ©olibĂ©rale. Ainsi le capitalisme a touchĂ© les langues et les attitudes sont renouvelĂ©es. Lâusage des langues est justifiĂ© par leur apport Ă©conomique. Les langues sont des ressources ayant une valeur. Il en rĂ©sulte une marchandisation des langues ou commodification, faisant jaillir des rivalitĂ©s, car certaines plus profitables que dâautres).
Pour Heller et DuchĂȘne, le capitalisme tardif se caractĂ©rise (entre autres Ă©lĂ©ments) par un dĂ©placement du discours traditionnel de fiertĂ© vers un discours plus complexe dans lequel les notions de fiertĂ© et de profit sont plus intimement mĂȘlĂ©es. La commodification (marchandisation) des langues qui rĂ©sulte de ces processus peut par ailleurs faire naĂźtre des tensions autour du contrĂŽle de ces nouvelles ressources et de la dĂ©termination de leur valeur : qui en dĂ©cide ? Sur quels marchĂ©s ? Quels critĂšres permettent de dĂ©cider de la lĂ©gitimitĂ© ou non de nouvelles variĂ©tĂ©s langagiĂšres ?
Alexandre DUCHĂNE, Monica HELLER (2012)
Alexandre DuchĂȘne (2011 : 82) montre clairement que la marketisation (commodification) des langues est au cĆur des discours modernes sur la diversitĂ© linguistique. Elle va mĂȘme jusquâĂ nourrir les ambitions des firmes qui misent sur le profit, la rentabilitĂ©. Cette marchandisation du plurilinguisme offre une image plus soignĂ©e, plus respectable des entreprises et des Ătats-Nations. En effet, la dĂ©fense de la diversitĂ© linguistique et culturelle est un gage dâouverture et de protection des minoritĂ©s. « De ce fait, on voit le discours sur la compĂ©tence communicative de plus en plus axĂ© sur les activitĂ©s Ă©conomiques, et non plus seulement sur des questions de citoyennetĂ© et dâidentitĂ© », Monica Heller et Josiane Boutet (2006 : 6). Ce qui nous rapproche de notre analyse du contexte gambien oĂč lâĂtat et lâĂ©lite misent sur la valeur du français en tant que commoditĂ© ou ressource. Le français permet la mobilitĂ© Ă©conomique. Nous retrouvons cet Ă©tat de pensĂ©e dans le discours Ă©tatique.
4. Le discours étatique en faveur du français en Gambie
Dans les politiques Ă©ducatives gambiennes (2004-2015) pour satisfaire les objectifs du millĂ©naire, lâenseignement de la langue française est un dĂ©bat auquel des solutions sont proposĂ©es, pour renforcer son intĂ©gration dans le systĂšme Ă©ducatif gambien. Cette considĂ©ration pour la langue française2, Ă©mane dâune volontĂ© politique antĂ©rieure et bien rĂ©elle, qui pense que lâancrage du français en Gambie, est une stratĂ©gie non nĂ©gligeable, pour instaurer la connexion avec le monde francophone, encourager lâouverture et le dialogue interculturel, compte tenu de sa situation gĂ©ographie. Câest dans ce contexte, que le PAFEG dans ses premiĂšres heures dâexistence, avait lâultime finalitĂ© de transformer la Gambie en un territoire bilingue oĂč le français serait fonctionnel dans tous les domaines de la vie Ă cĂŽtĂ© de lâanglais. Le concept-clĂ© soutenu par le PAFEG Ă ses dĂ©buts reposait donc sur lâinstauration dâun bilinguisme progressif comme nous pouvons le souligner dans les objectifs de lâaccord3 (2007 : 5-7).
Article 3.2 : The Gambiaâs objective is to secure a francophone environment conducive to developing bilingualism, which is regarded as necessary to further open up the country outside world. â Lâobjectif de la Gambie est dâassurer un environneme...
Table des matiĂšres
- Couverture
- 4e de couverture
- Copyright
- Titre
- Cahiers de Linguistique
- Sommaire
- LâĂ©cole africaine : lieu dâinjustice et/ou dâaliĂ©nation linguistique ? Regards croisĂ©s sur les politiques linguistiques Ă©ducatives au Ghana et au Togo. Koffi Ganyo AGBEFLE
- Regards actuels sur la mouvance berbÚre au Maroc Doxa, confusion et pistes de réflexion. Rachid AGROUR
- Normes identitaires et linguistiques à Chypre. à la mémoire de Thierry Bulot. Maria PHILIPPOU-OUARAS
- RĂ©flexions autour du bilinguisme scolaire en Gambie. Ndeye Maty PAYE
- Daech, la genĂšse et les usages dâun acronyme. Chokri RHIBI
- Avec papa je parle le français avec maman lâespagnol : les politiques linguistiques familiales au sein des couples mixtes franco-latino-amĂ©ricains en Ăle-de-France. Isabelle RODIN
- Normes et pratiques linguistiques : débat sur la qualité de la langue basque. Eguzki URTEAGA
- Comptes-rendus de lecture
- Un bouquet de revues de linguistique française