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La prospective, c’est avant tout
de la science
Par Sarah Pinard
Pour beaucoup, « décrire le futur » serait un produit de l’imaginaire. Il ne serait basé ni sur le réel, ni sur aucune science et servirait uniquement à alimenter des scénarios
de science-fiction, eux-mêmes complètement superficiels. Pourtant, la littérature s’est bien souvent inspirée de la science pour dessiner le futur.
Quand la littérature s’inspire de la science
Même pour écrire des romans de science-fiction, les scénaristes s’inspirent des innovations scientifiques actuelles pour visualiser ce que pourrait être le monde dans les années qui viennent. Jules Verne lui-même ‒ qui pourrait être considéré comme l’un des pionniers du genre ‒ épluchait la presse scientifique et se documentait largement avant de rédiger ses romans. Il trouvait également son inspiration dans les conversations qu’il avait avec les industriels de son époque. Son roman De la Terre à la Lune, écrit en 1865, visualisait déjà la conquête de la Lune par trois hommes… Un siècle avant la conquête spatiale américaine de 1969.
Plus actuel : pour les besoins du film Interstellar, de Christopher Nolan, les scénaristes ont fait appel à un astrophysicien, Kip Thorne, afin de vérifier la véracité des représentations scientifiques. Deux conditions avaient été fixées : « Rien dans le film ne devait aller à l’encontre des lois de la physique. Et, deuxièmement, il fallait que toutes les spéculations les plus folles ‒ il y en a beaucoup dans le film ‒ soient des hypothèses scientifiques et non des délires sortis de l’imagination fertile d’un scénariste », explique-t-il.
Quand la science utilise la littérature
Mais si la science inspire les auteurs, la réciproque est également vraie. Les scientifiques s’inspirent de l’imaginaire des auteurs pour créer de nouvelles innovations. En février 2016 aux États-Unis, le corps des Marines a lancé un concours de nouvelles de science-fiction dont le thème était « Les champs de bataille entre 2030 et 2045 ». L’idée était de réfléchir aux menaces possibles des prochaines années. Dix-huit écrivains militaires sur 74 candidats ont ainsi été sélectionnés pour participer à un séminaire d’écriture, aidés par des écrivains professionnels de science-fiction.
Avec ce concours, l’armée américaine s’est inspirée de leur imaginaire pour étayer leur future stratégie militaire et se préparer aux risques. Pour rédiger leur scénario, les auteurs ont associé les progrès technologiques d’aujourd’hui à des scénarios géopolitiques globaux, comme des conflits environnementaux (par exemple la pénurie d’eau potable). C’est ainsi qu’ils ont imaginé des armes à impulsion magnétique, des exosquelettes, des informations digitales retranscrites dans la visière du casque, des robots prêts à combattre… Autant d’innovations que nous verrons peut-être sur les futurs terrains de conflits.
Alors, est-ce la littérature qui stimule la science ou la science qui s’inspire de la littérature ? L’imaginaire possède sur les hommes le pouvoir extraordinaire de formaliser, en images, des ressentis ; de mettre en scène des visions. D’ailleurs, il n’existe pas un mais des futurs possibles. Dans nos méthodes de travail, nous utilisons l’imaginaire collectif (celle des experts et du public) pour comprendre l’évolution de la société et tenter d’en extraire des grandes tendances d’avenir. Ces experts sont indéniablement nécessaires, car ils possèdent une connaissance technique du sujet, ce qui leur permet de prévoir le degré de faisabilité et l’évolution d’un objet.
À partir de leur témoignage, sur la question « comment visualisez-vous l’avenir ? », nous tentons de rédiger des scénarios de faisabilité : techniques, juridiques, économiques, démographiques… Comprendre la façon dont nous percevons les choses et quels sont nos souhaits pour demain s’avèrent être une méthode utile, notamment pour dessiner les futures orientations stratégiques de l’État ou des plus grandes industries.
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La prospective, c’est une multitude
de sources d’observations
Par Sarah Pinard
Dès qu’il est question de décrire l’avenir, difficile de ne pas visualiser Nostradamus ou l’antichambre d’une voyante. Pourtant, si la prospective est bien une discipline dont la réflexion repose sur des recherches scientifiques, elle invite également à changer de perspective et considérer l’imaginaire commune une source possible d’interrogation. Dans nos différentes méthodes, il nous arrive parfois de lire des récits fictifs, dont les thématiques touchent à la fois à des questions morales, éthiques ou sociales. Ils sont d’autant plus importants qu’ils révèlent les principales préoccupations de notre temps.
Dans la culture populaire (livres, films), nous parlons de crises planétaires : elles sont écologiques, migratoires, démocratiques. À travers elles, nous interrogeons l’efficacité de nos systèmes économiques ou politiques. États, communautés, institutions politiques, financières… Que se passera-t-il si demain l’ensemble de nos piliers s’effondrent ? Quant aux prouesses technologiques (transhumanisme, robots, immortalité…), elles interrogent directement notre rapport à la machine et au progrès, par lesquels nous avons peur d’être dépassés.
Parler d’avenir pour éclairer le présent
Aujourd’hui, comment imagine-t-on notre futur ? Nombreux sont les ouvrages qui décrivent un avenir dystopique, voire apocalyptique. Les scénarios sont variés : on imagine des catastrophes écologiques dues à la surexploitation des ressources naturelles qui font de notre planète un monde invivable (...