REINVENTER DES DEMOCRATIES
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REINVENTER DES DEMOCRATIES

  1. 220 pages
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REINVENTER DES DEMOCRATIES

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Table des matières
Citations

À propos de ce livre

Les citoyens cèdent aux peurs d'une actualité violente, et nos États pèsent de moins en moins face aux puissances financières. L'auteur examine les tensions qui opposent les normes démocratiques à d'autres, légitimes mais parfois concurrentes: cultures, religions, droit, économie. Il faut réinventer des démocraties, seules potentiellement respectueuses la dignité humaine. Au-delà d'une mobilisation des citoyens et de leurs associations, l'enjeu est surtout éducatif et juridique. Il est à long terme, mais que cela doive durer longtemps est une bonne raison pour commencer tout de suite.

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Informations

Éditeur
Academia
Année
2017
ISBN
9782806121769

Titre II

LES PRINCIPES :
DES LÉGITIMITÉS À ASSURER

Le peuple au singulier n’existe pas. Il n’existe
que des populations, que des électeurs, que des groupes,
que de sensibilités, que des réactions, que des peurs, que des enthousiasmes »
Pierre Rosanvallon
Comme ce serait simple s’il n’y avait qu’une seule légitimité à respecter pour dessiner les contours d’une démocratie : la volonté de Dieu, la volonté du peuple, les libertés individuelles,… Mais ce n’est évidemment pas aussi simple. Qui pourrait discerner la volonté de Dieu, s’il existe ? Les grandes religions présentes chez nous s’y efforcent, mais aucune ne maîtrise la Vérité – mystère oblige. Qui pourrait identifier la volonté du peuple, s’il n’y a pas un peuple homogène, mais des courants aux visions différentes, et des secteurs aux intérêts divergents ?
Le cahier des charges des artisans d’une démocratie est copieux et, comme dans la check-list d’un commandement de bord, tout y est important. Inégalement, certes : je donnerai un contenu au pluriel provoquant que j’ai mis au titre de ce livre. Mais une démocratie n’en est une que si elle respecte ses fondements de droits humains, en dépit des contraintes de l’art du possible (chapitre 3). Une démocratie n’en est une que si elle l’est dans les formes comme dans sa substance. Autant dire qu’il n’existe pas de démocratie parfaite – et il n’y a pas de quoi s’en étonner quand on voit tous les conflits de principe ou d’intérêts qu’il faut résoudre pour en tracer les contours (chapitre 4). Nous sommes en humanité… Ces conflits existent et nous ne pouvons que les gérer. Et le règlement de ces conflits fait se confronter diverses légitimités (chapitre 5) entre lesquels il faut arbitrer, et non choisir.
On reconnaîtra dans ce plan la démarche désormais classique du voir, juger, agir, due à Joseph Cardijn et qui est devenue centrale à des disciplines aussi différentes que la dynamique de groupe ou la théologie de la libération. Le Titre I, explicitant les faits, donnait et explicitait les symptômes du mal et leur genèse : le voir. Le présent Titre II, qui nous confronte aux principes, valeurs et légitimités qui sont en jeu, nous plonge dans le juger. Un juger qui manque tellement aux acteurs majeurs de nos sociétés, soit qu’ils les écartent par intérêt, soit qu’ils éludent les dissensions idéologiques insurmontables : the play must go on. Ces résignations ne sont pas innocentes…

Chapitre 3
Au fondement, les droits humains

Si la capacité de désobéissance a été à l’origine de l’histoire humaine,
l’obéissance pourrait très bien (…) être la cause de sa fin.
Luc Ferry (2014 p. 337)
Le fondement de la démocratie, gouvernement des gens par eux-mêmes, est la dignité humaine. Je prends ici un parti. Là où certains voient dans les droits humains des objectifs politiques, donc soumis à discussion, j’y verrai, avec la plupart des auteurs, un fondement pré-politique : une obligation à laquelle le droit lui-même doit se plier (Paul Löwenthal 2009, 1e question).
Le fait est que des philosophes comme Marcel Gauchet (2002) ou Jürgen Habermas (1992), et des juristes comme Philippe Gérard (2007), mettent le formalisme juridique ou politique au sommet. Avant la dignité humaine, même s’ils s’y réfèrent : la juridisation d’un principe supérieur conduit à l’intégrer dans un système juridique qui le limite (Paul Martens, p. 69, 73, citant Jean-Pierre Théron). C’est le cercle herméneutique : le parlement vote la constitution, et s’y soumet. Et vice-versa.
Le droit d’un État devra placer les droits humains au sommet de sa hiérarchie de normes, sans abdiquer tout débat sur leur application. Ils sont fondés sur sa dignité intrinsèque et réputés inconditionnels. Un concept qu’on a jugé flou, mais qui exprime une intuition fondatrice universelle. La seule « définition » de la dignité humaine se situe, non dans un concept en amont qui serait encore plus général et abstrait, mais dans des concrétisations en aval : les droits de l’homme, justement, qu’il faut aussi décider.
Ni la démocratie, ni la justice sociale, ces valeurs centrales de nos sociétés, ne sont toutefois recensées comme droits de l’homme, faute de disposer d’une définition commune à l’époque de leur rédaction. Au contraire, la distinction opérée en titre de la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen, en 1793, fait dire à Karl Marx (1844 p. 42) que les droits de l’homme ne sont que les droits individuels de l’homme égoïste, séparé de la société dans laquelle il s’inscrit. Pour paradoxal que cela paraisse, on reconnaîtra ici chez Marx le postulat du modèle économique de la concurrence parfaite, qui postule l’indépendance mutuelle des fonctions d’utilité individuelles et peut exclure l’économique du champ de la démocratie politique.

i. Morale, éthique et liberté(s)

Quelle que soit la définition que l’on veuille se donner de la démocratie, elle inclura l’idée de liberté : libertés individuelles, rejet du despotisme, élections libres, souveraineté nationale. Les choses sont toutefois plus complexes qu’il y paraît, comme en témoignent les échecs des démocraties.
Il y a les libertés, au pluriel, qui sont des états de fait, désirables comme moyens mais qui ne comportent aucune connotation morale en elles-mêmes : tout dépend de l’usage qu’on en fait. Avec Isaiah Berlin (1969), on distingue de libertés négatives et positives. Les négatives sont des latitudes : ne pas être empêché. Ne pas être enfermé, opprimé, exclu, avoir des droits,… Les libertés positives sont des facultés : avoir les moyens de. Avoir l’exercice effectif de ses droits, une sécurité minimale, un emploi, un revenu, l’accès à des services collectifs (enseignement, santé,…). Ensemble, ces libertés font partie des droits humains. Amartya Sen définit même par elles le développement humain, et si elles n’ont pas de portée morale propres, elles sont les conditions nécessaires pour que puisse être exercée la liberté morale, qui est une autonomie responsable : pas tout ce qu’il me plaît, mais ce que je veux parce que je le pense bon. Ensemble, la liberté et les libertés nous permettent de réaliser notre dignité humaine. Aucune démocratie n’est concevable en leur absence.
Pour notre propos, je me réfère plus volontiers à la liberté, au singulier : une autonomie responsable, et qui a donc une portée morale, ou politique. Benjamin Constant (1819) parle à son propos de la « liberté des Anciens », désignant précisément par là le droit – plus qu’une liberté – reconnu aux citoyens de la Grèce antique d’intervenir dans la gestion de la polis. Cette liberté est une dignité, puisqu’elle est liberté pour la cité.
La démocratie grecque était loin d’englober tout le peuple. Dans nos sociétés modernes, on a étendu la citoyenneté au suffrage universel de tous les membres adultes de la collectivité, sans élitisme ni discrimination sexuelle ou raciale. Mais on a infléchi les libertés recherchées par ces citoyens de ce que Benjamin Constant (1819 entre liberté des Anciens (le droit de participer à la res publica, une vocation civique) vers la liberté des Modernes (le droit d’agir à sa guise, une latitude individuelle) : une liberté de faire ce qu’on estime bon. Bon pour soi-même d’abord – le bien commun n’est pas prioritaire. Et il l’est même de moins en moins à mesure que l’économique, phagocyté par des intérêts financiers privés, l’emporte sur toute autre considération dans la vie « normale ».
Je reconsidèrerai ces thèmes dans le § 4.i, confrontant individualisme et soucis collectifs, et dans le § 5.ii où je confronte le droit à la morale, et où j’aborde la question délicate d’une liberté de conscience dont tout le monde accepte le principe mais aussi les dangers pour le vivre-ensemble. Tout le monde veut donc y mettre des limites – mais bien sûr pas les mêmes. J’en ferai à la fois des enjeux et des critères de démocratie. En retenant des glissements intervenus dans notre histoire des deux derniers siècles, on voit en tout cas que Friedrich Nietzsche avait raison de dire qu’on ne peut définir que ce qui n’a pas d’histoire. Bien sûr, les cultures ont une histoire : qui le nie ? Donc, la démocratie a une histoire. Et c’est une histoire de libertés.

Morale et éthique

On distingue aujourd’hui la morale de l’éthique, celle-ci ne désignant pas ici la branche de la philosophie traitant de la morale, mais une autre démarche du discernement dans l’agir. La morale, comprise traditionnellement, s’impose de l’extérieur (« d’en haut », si l’on veut) et elle peut être ou non intériorisée par nous dans un assentiment personnel. L’éthique, elle, au sens que ce mot a pris chez Spinoza et a été développé notamment par Paul Ricœur est d’emblée intériorisée, librement assumée dans un engagement personnel qui embrasse les considérations morales et non morales (une aptitude, un objectif) dans une unique décision.
Là où la morale proclame des normes et des impératifs catégoriques, l’éthique vise une vie bonne et la promotion de valeurs. Là où la morale vise à faire le Bien et à éviter le Mal, ces abstractions, l’éthique vise à vivre ou agir « bien » en fonction de l’ensemble des circonstances concrètes où nous nous trouvons. En ce compris nos propres dispositions. Dans la pensée actuelle, l’éthique du sujet décrit la vision d’une éthique personnellement assumée dans un discernement qui est ouvert aux conflits d’objectifs et de conscience et qui implique donc notre liberté.
C’est toute la différence qui sépare la morale de l’éthique. Cette éthique n’a pas nécessairement un contenu substantiellement différent de la morale, mais elle postule une démarche toute différente. Là où la morale, déontologique, pouvait se soucier surtout d’identifier ce qu’il ne faut pas faire, l’éthique, téléologique, se préoccupe de discerner personnellement ce que je dois faire remarque Jean-Marc Ferry (2010, p. 85). François Ost (2004 p.346), citant Paul Ricœur, précise que si l’éthique est le monde des valeurs, et la morale le domaine des interdits, alors, une « morale sans éthique » est un monde où, littéralement, les « interdits sont sans valeur ».
Plus question de considérer le technique d’abord (le professionnel, le politique,…) pour y jeter du moral ensuite, s’il reste de la place. Plus question d’être « chrétien » le dimanche et « professionnel », voire cynique, en semaine.
La morale a une perspective réglementaire, ce qui justifie André Comte-Sponville (1995) de la situer dans champ de la loi, et de la faire ainsi rejoindre la démarche censément différente et même concurrente du droit. Encadrant nos libertés elle aliène notre liberté, donc la supprime. Alors que Comte-Sponville voit l’éthique du côté du désir et de l’amour. Avec des exigences qui engagent notre liberté, qui demeure. Cette démarche d’un penseur athée rejoint tout à fait la pensée chrétienne contemporaine.
Cette démarche-là, conçue pour des individus face à leur conscience, une collectivité peut la suivre – sauf à préciser de quelle collectivité il s’agit : les tensions entre l’Union européenne et des pays-membres comme la Hongrie ou la Pologne à propos d’éthique sexuelle ou de l’accueil de réfugiés, montrent qu’il ne s’agit pas de questions académiques. Les individus comme les États doivent donc s’imposer des discernements – et nous devons envisager qu’ils puissent juger en conscience devoir se mettre en opposition avec la loi ou avec le droit international. Nous nous poserons donc ces questions dérangeantes : de telles transgressions morales peuvent-elles être assumées en droit ? En démocratie, peuvent-elles même ne pas l’être ?
Conviction ou responsabilité
Certains – notamment Socrate et Kant – privilégient une morale de conviction, la fidélité à des principes (un droit naturel, une doctrine religieuse) et à soi-même, d’autres prônent une éthique de responsabilité centrée sur les conséquences de nos actes (Max Weber, 1904-05). Les vertus vantées par les uns et les autres ne diffèrent guère (on trouve de la responsabilité chez Socrate et Kant !) mais, la démarche étant différente, les discernements moraux ou politiques impliquent des priorités différentes, s’imposent des contraintes différentes, et conduisent donc souvent à des conclusions différentes. En la matière, la collectivité politique n’a pas à trancher à la place des personnes ou des communautés qui la constituent : pas plus entre les démarches éthiques qu’entre les religions, et pour le même argument de la liberté de conscience.
Oui, nous devons relativiser – au nom de valeurs supérieures ou d’urgences humaines. Nous sommes des personnes vivant en société avant d’être les citoyens d’un État, même si c’est celui-ci qui, dans l’ordre civil, doit régir l’ensemble : il doit le faire dans le respect des minorités, de leurs droits et de leur liberté.
À partir de l’image d’un paysage vu par la fenêtre d’un train en mouvement, Paul Ricœur (1991) distingue convictions d’arrière-plan, assez stables, et convictions d’avant-plan, sujettes aux conjonctures et aux modes. L’Occident se distinguerait du reste du monde par le fait que les premières – dignité humaine et État de droit, pour mon propos – constitueraient des référentiels d’héritage commun (du moins jusqu’à récemment en Occident…) et conflictuelles, tandis que les secondes, plus mobiles mais plus concrètes, plus pratiques, aboutiraient plus facilement à des consensus contractuels. Et il juge (p. 290) que c’est la démocratie elle-même qui se trouve ainsi définie par la capacité à endurer un conflit fondationnel sérieux, dans la mesure où celui-ci, loin d’affaiblir l’engagement des citoyens au niveau des convictions effectives, contribue à forger, à ce niveau précisément, ce que John Rawls appelle « consensus par empiétement » (overlapping consensus). Cela permet d’organiser la démocratie comme une éthique autonome, pragmatique, qui ne se borne pas à un code de procédure formel.
Cela pose toutefois une nouvelle question : l’autonomie de l’État démocratique se retrouve-t-elle chez chacun de ses membres ou de leurs communautés ? Ayant défini la démocratie comme le gouvernement des gens par eux-mêmes, et pas seulement comme le gouvernement du peuple par lui-même, je voudrais pouvoir répondre affirmativement à la question. Et pour vérifier la pertinence de cette réponse, je dois examiner des enjeux comme la liberté d’expression et la possibilité d’objections de conscience.

La liberté d’expression

La liberté de pensée n’étant pas contrôlable, la vertu individuelle première, qui apparaît la plus fondamentale, quoiqu’elle ne soit pas la plus vitale, est la liberté d’expression. Après les oppressions idéologiques du XXe siècle et en présence de tant d’abus de pouvoir de dictateurs, on ne saurait surestimer l’importance de cette liberté. Mais les intellectuels, les militants et les journalistes absolutisent cette liberté, là où les plus démunis voudraient d’abord avoir à se loger, à manger, à se soigner et à éduquer leurs enfants…
Cette liberté d’expression s’entend-elle en réflexion personnelle ou vaut-elle aussi au nom d’un groupe ? Ici, tout chavire : on peut parler publiquement de tout pour en dire tout ce qu’on veut – sauf chez nous, en Belgique et en France, si c’est religieux ou négationniste de la Shoah. L’interdiction faite de la contester est controversée : n’est-ce pas l’affaire d’historiens plutôt que de politiques ? La vérité historique dépend-elle d’un jugement démocratique ? Qu’il y faille une sanction politique ne l’expose-t-elle pas à la méfiance ? Si ...

Table des matières

  1. Couverture
  2. 4e de couverture
  3. Copyright
  4. Titre
  5. Table des matières
  6. Introduction
  7. Titre I LES FAITS : DES DÉMOCRATIES MENACÉES
  8. Titre II LES PRINCIPES : DES LÉGITIMITÉS À ASSURER
  9. Titre III LES EXPÉRIENCES : DES ERREMENTS FERTILES
  10. Titre IV UNE ACTION : CONFLITS ET CONNIVENCES
  11. Envoi